Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20080206

Dossier : A-526-06

 

Référence : 2008 CAF 47

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON  

                        LE JUGE RYER       

 

ENTRE :

1099065 ONTARIO INC.

(faisant affaire sous le nom de Outer Space Sports)

appelante

et

Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)

intimé

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 6 février 2008

Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 6 février 2008

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 


Date: 20080206

Dossier : A-526-06

Référence : 2008 CAF 47

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON  

                        LE JUGE RYER       

 

ENTRE :

1099065 ONTARIO INC.

(faisant affaire sous le nom de Outer Space Sports)

appelante

et

Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 6 février 2008)

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               La Cour est saisie de l’appel de la décision par laquelle la juge Mactavish, de la Cour fédérale, a fait droit à la requête présentée par l’intimé en vue de faire rejeter la demande de contrôle judiciaire de l’appelante.

 

[2]               La juge a estimé que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire. À titre subsidiaire, elle a conclu que si la Cour avait compétence pour entendre la demande et statuer sur celle‑ci, elle refuserait de le faire compte tenu du mécanisme de réexamen exhaustif prévu aux articles 58 à 68 de la Loi sur les douanes (la Loi), L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.), modifiée, qui offre un autre recours approprié.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis que le présent appel ne peut être accueilli.

 

[4]               La demande de contrôle judiciaire n’a aucun fondement solide. Le 16 août 2006, un fonctionnaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, qui est par la suite devenue l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence), a fait parvenir un courriel à l’avocat de l’appelante pour lui proposer des dates pour une réunion au cours de laquelle un examen d’un échantillon de marchandises pourrait avoir lieu afin de déterminer sa valeur en vue de la fixation des droits d’importation. L’avocat de l’appelante a répondu à ce courriel par une demande de contrôle judiciaire de la prétendue décision du 16 août 2006. Voici le texte de ce courriel :

 

[TRADUCTION]

 

Bonjour Jeffery,

 

Je suis désolée d’avoir raté votre appel l’autre jour. Merci d’accepter notre offre de réunion et notre choix de Hamilton comme lieu pour cette réunion. Pour répondre à votre demande, je vous donne ci‑dessous une série de dates où je serai disponible. J’espère que vous pourrez vous libérer un de ces jours. Si ce n’est pas possible, faites‑le‑moi savoir et nous essaierons ensemble de trouver une autre date qui convienne à tout le monde.

 

David Fyfe, agent régional de recours à Toronto, et Debbie Main, gestionnaire, Division générale des recours à Hamilton, seront également présents. L’objet de cette réunion est d’examiner l’échantillon 65 au titre de la valeur en douane et de le comparer avec les documents que vous avez joints à votre dossier et à votre dernière réponse ». J’aimerais poursuivre avec les autres échantillons au titre de la valeur en douane si le temps le permet ». L’objectif consiste à déterminer la valeur en douane, qui dépendra de l’interprétation du rôle et du statut de chaque partie à la transaction ».

 

            Dates disponibles en août : 22, 24, 25, 29, 31.

            Dates disponibles en septembre : 12, 14, 19, 20.

            Dates disponibles au début d’octobre : 3, 4, 5.

 

Veuillez vérifier vos disponibilités et me faire connaître votre préférence. Je prendrai les dispositions nécessaires à cette fin une fois que nous aurons convenu d’une date.

 

Salutations.

 

Teresa Tiberi

Agente régionale de recours, Hamilton

Agence des services frontaliers du Canada

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[5]               La juge a exprimé des doutes sérieux quant au fait que le courriel du 16 août 2006 constituait une « décision » susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Voici ce qu’elle écrit, aux paragraphes 20 et 21 des motifs de son jugement :

 

[20]      Avant d’examiner les questions soulevées par les parties, j’aimerais souligner qu’à mon avis, se pose la question de savoir s’il y a véritablement eu une « décision », une « ordonnance » ou une « procédure » en l’espèce, au sens où ces termes sont entendus à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire, même en tenant compte de l’interprétation très libérale de ces notions défendue dans des décisions telles que Markevich c. Canada, [1999] A.C.F. n° 250, 3 C.F. 28.

[21]      Autrement dit, j’ai du mal à comprendre comment on peut considérer qu’une simple lettre visant à inviter les parties à une réunion et à proposer des dates serait un acte administratif assujetti au pouvoir de contrôle de la Cour.

 

 

[6]               L’intimé a évoqué la question de savoir si le courriel constituait une décision, mais il n’a pas soutenu qu’il ne s’agissait pas d’une décision dans sa requête en rejet. Pour cette raison, la juge a présumé, de façon généreuse, que l’Agence avait rendu une « décision » et a écouté les arguments de l’intimé au soutien de sa requête en rejet.

 

[7]               En réponse au présent appel, l’intimé fait valoir, comme argument supplémentaire à l’appui du maintien du jugement frappé d’appel, que le courriel du 16 août 2006 n’était pas en fait une « décision » susceptible de contrôle judiciaire au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[8]               L’avocat de l’intimé invoque l’arrêt Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, page 240. La Cour suprême du Canada a statué qu’en matière civile et en matière criminelle, il est loisible à un intimé de soumettre des arguments à l’appui du jugement d’instance inférieure, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un « argument entièrement nouveau qui n’a pas été soulevé devant les cours d’instance inférieure et au sujet duquel il aurait pu être nécessaire de soumettre des éléments de preuve au procès ».

 

[9]               Nous sommes convaincus que cette simple lettre proposant des dates pour une réunion n’est ni une « décision », ni une « ordonnance », ni une « procédure » susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire. L’avocat de l’appelante aurait pu, tout simplement, ne pas prêter attention à la lettre ou refuser l’offre. Son refus d’acquiescer à l’une des dates de réunion proposées n’aurait entraîné aucune autre conséquence. La lettre contestée ne renfermait rien de contraignant ou pouvant avoir des conséquences néfastes. À notre avis, on ne peut nullement dire que l’appelante était « directement touché[e] par l’objet de la demande », comme l’exige le paragraphe 18.1(1) pour pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

[10]           Conformément aux Règles des Cours fédérales, la lettre a été versée au dossier de la demande de contrôle judiciaire et au dossier d’appel. Pour établir s’il s’agissait d’une « décision », d’une « ordonnance » ou d’une « procédure » au sens de l’article 18.1, il n’est pas nécessaire de produire d’autres éléments de preuve. L’appelante a été invitée à faire valoir son point de vue sur la question lors de l’audition de l’appel. Les observations qu’elle a formulées n’ont pas réussi à nous convaincre que le paragraphe 18.1(1) peut viser la lettre en question. Notre conclusion à cet égard suffit pour trancher l’appel.

 

[11]           De plus, nous n’avons décelé dans la décision de la juge aucune erreur justifiant notre intervention.

 

[12]           Ainsi que le juge Lemieux l’a à juste titre souligné dans Abbott Laboratories, Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2004] A.C.F. no 410, 2004 CF 140, et que la juge de première instance l’a approuvé, on trouve aux articles 59 à 68 de la Loi trois clauses privatives qui garantissent que le réexamen des décisions est effectué conformément au processus prévu dans la Loi, lequel comprend un réexamen par le Tribunal canadien du commerce extérieur et, ultimement, un appel devant notre Cour pour les points de droit.

 

[13]           Il n’est pas nécessaire que nous tranchions la question de savoir si le processus exhaustif de réexamen prévu dans la Loi prive la Cour fédérale de sa compétence pour entendre une demande de contrôle judiciaire. Nous sommes toutefois conscients de la mise en garde suivante formulée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, au paragraphe 11:

 

Dans de telles circonstances, les tribunaux de révision ne doivent ouvrir la voie aux recours en contrôle judiciaire qu’avec beaucoup de circonspection. Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort.

 

                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

Cette mise en garde est pertinente en l’espèce.

 

[14]           Quant à la décision de la juge de ne pas entendre la demande de contrôle judiciaire, nous sommes d’accord avec elle pour dire que le processus de réexamen prévu dans la Loi constituait un autre recours approprié. C’est d’autant plus vrai que l’appelante a admis devant la juge que toutes les questions que son client souhaitait faire trancher dans la présente affaire pouvaient être examinées dans le cadre du processus de réexamen prévu dans la Loi et que cette procédure lui permettrait d’obtenir la réparation qu’elle cherche à obtenir par voie de contrôle judiciaire : paragraphes 35 et 42 des motifs du jugement de la juge Mactavish.

 

[15]           Pour ces motifs, l’appel sera rejeté avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        A-526-06

 

 

INTITULÉ :                                                               1099065 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Outer Space Sports) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               6 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT                              LE JUGE LÉTOURNEAU

DE LA COUR                                                   LE JUGE SEXTON

                                                                            LE JUGE RYER

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :          LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffery D. Jenkins

Christopher J. Thiesenhausen

 

POUR L’APPELANTE

 

Derek Rasmussen

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jenkins Law

Ottawa (Ontario)

C.J.T. Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.