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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date: 20111223

Dossier : IMM-2158-11

Référence : 2011 CF 1515

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

MARIE CARMELLE JOSEPH

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) qui vise la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal) datée du 10 mars 2011 rejetant l’appel logée de la demanderesse à l’encontre du refus de la demande parrainée de visa de résidence permanente présentée par son époux en application de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

Le contexte

A.    Le contexte factuel

[2]               La demanderesse est une citoyenne canadienne âgée de quarante-quatre (44) ans. Elle est née en Haïti et elle a obtenu la résidence permanente au Canada en décembre 1996.

 

[3]               La demanderesse allègue avoir rencontré Grégory Destournel (le demandeur) pour la première fois en 2002 au cinéma lors d’un séjour en Haïti. Le demandeur est présentement âgé de 34 ans et il est citoyen d’Haïti.

 

[4]               La demanderesse affirme qu’elle avait perdu contact avec le demandeur mais a repris contact avec ce dernier en 2008.

 

[5]               Le 5 juin 2009, la demanderesse a épousé le demandeur en Haïti.

 

[6]               La demanderesse a parrainé la demande de visa de résident permanent de son époux le 15 juillet 2009.

 

[7]               À la suite d’une entrevue avec l’agente d’immigration, la demande de visa de résident permanent du demandeur a été refusée le 10 mai 2010.

 

[8]               Le 7 juin 2010, la demanderesse a déposé un appel de cette décision devant le Tribunal en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi.

 

[9]               L’audience devant le Tribunal s’est tenue le 18 février 2011.

 

B.    La décision contestée

[10]           Dans sa décision rendue le 10 mars 2011, le Tribunal a rejeté la demande de visa de résident permanent et a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer que son mariage avec le demandeur était authentique et qu’il n’avait pas été contracté principalement dans le but de permettre au demandeur d’acquérir un statut ou un privilège au Canada.

 

[11]           Le Tribunal a mentionné que l’agente d’immigration a refusé la demande de visa de résident permanent puisque le demandeur ne pouvait pas répondre de manière satisfaisante à certaines préoccupations que l’agente d’immigration avait au sujet de leur dossier. Ces préoccupations étaient les suivantes :

a.           Manque de connaissance de la vie des membres de la famille de l’appelante qui vivent en France;

b.          Manque de connaissance des activités économiques de l’appelante au Canada;

c.           Absence de preuve de communication et de transfert de fonds;

d.          Absence de preuve de visite de l’appelante.

 

[12]           Par rapport au témoignage de la demanderesse lors de l’audience, le Tribunal a conclu que la demanderesse était non crédible sur plusieurs aspects de son récit. Essentiellement, le Tribunal a noté que la crédibilité de la demanderesse a été entachée par les faits suivants :

 

a.           Lors de son témoignage, la demanderesse a expliqué avoir rencontré son époux pour la première fois au cinéma en 2002, lorsqu’elle visitait Haïti. Ils ont échangé leurs numéros de téléphone. Toutefois, ils ont perdu contact par la suite parce que la demanderesse a déclaré avoir changé de numéro de téléphone après une dispute avec le demandeur. La demanderesse ne pouvait pas donner plus de détails sur le sujet du différend ni sur les circonstances entourant la dispute.

 

b.          La demanderesse ne pouvait pas se rappeler du numéro de téléphone qu’elle avait avant 2008 quoiqu’elle ait dit ne pas avoir changé de numéro de téléphone pendant cette période depuis son arrivée. Cette affirmation contredisait une déclaration antérieure de la demanderesse selon laquelle elle a changé de numéro de téléphone suite à la dispute avec le demandeur.

 

c.           La demanderesse ne pouvait pas fournir une explication relative à la contradiction concernant la longueur de temps pendant laquelle elle connaissait le cousin du demandeur, Maxeau Claude.

 

d.          Les explications de la demanderesse concernant la différence de religion entre elle et son époux (la demanderesse est protestante et le demandeur est catholique) manquaient de clarté. Le Tribunal a affirmé que cette différence démontrait « une certaine incompatibilité ».

 

e.           Lors du contre-interrogatoire, la demanderesse n’a pas répondu directement aux questions, elle ne donnait pas de détail dans ses réponses et ne révélait certaines informations pertinentes que lorsque la question lui était posée à plusieurs reprises.

 

[13]           En conséquence, le Tribunal a conclu que le comportement de la demanderesse « jumelé aux différents exemples mentionnés précédemment, [a] conduit le tribunal à conclure que [la demanderesse] n’a pas livré un témoignage crédible et digne de foi » (décision du Tribunal, para 21).

 

[14]           Le Tribunal a toutefois noté que les explications concernant le manque de connaissance du demandeur relatif aux activités économiques de la demanderesse étaient satisfaisantes. Le Tribunal a ajouté que la preuve démontrait aussi que la demanderesse était effectivement allée visiter son époux à deux reprises : en mars 2010 et en septembre 2010. Par contre, en rejetant la demande, au para 24 de la décision, le Tribunal a énoncé que « malgré que ces éléments de preuve ne soient pas remis en question, le manque de crédibilité général de l’appelante au cours de son témoignage conduit le tribunal à conclure que les visites et les communications entretenues avec le demandeur ont eu lieu dans l’objectif principal de convaincre le tribunal que cette relation était de bonne foi ».

II.                 La question en litige

[15]           La question en litige est la suivante :

Le Tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en ce qui a trait à la détermination de crédibilité de la demanderesse et l’authenticité du mariage?

 

III.              Les dispositions législatives applicables

[16]           Les paragraphes 12(1) et 13(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoient :

Regroupement familial

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

Family reunification

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

Droit au parrainage : individus

 

 

13. (1) Tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l’étranger de la catégorie « regroupement familial ».

Right to sponsor family member

 

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident may, subject to the regulations, sponsor a foreign national who is a member of the family class.

 

 

[17]           Le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés énonce le suivant :

Mauvaise foi

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

Bad faith

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) is not genuine.

 

IV.              La norme de contrôle applicable

[18]           Les conclusions du Tribunal quant à la crédibilité et à l’authenticité du mariage sont soumises à la norme de la raisonnabilité puisqu’elles soulèvent uniquement des questions de fait (voir Yadav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 140, [2010] ACF no 353; Harris c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 932, [2009] FCJ 1144). Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision du Tribunal fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

 

V.                Arguments

[19]           Essentiellement, la demanderesse avance que la décision du Tribunal est déraisonnable et incorrecte. Elle allègue que le Tribunal a basé sa décision purement sur des faits périphériques qui ne touchaient pas à l’authenticité de sa relation avec son mari. Aussi, la demanderesse soutient que le Tribunal a omis de fournir des motifs et sa conclusion concernant le manque de crédibilité n’est pas justifiée.

[20]           Pour sa part, le défendeur réitère les conclusions du Tribunal concernant la crédibilité du témoignage de la demanderesse. Le défendeur soutient que le témoignage de la demanderesse était évasif, peu spontané et contradictoire et avance que la Cour ne peut réévaluer les explications de la demanderesse ni les conclusions tirées par le Tribunal (Kabir c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2002 FCT 907, [2002] FCJ 1198). Le défendeur affirme qu’en tant que maître des faits, seul le Tribunal peut juger du poids à attribuer aux divers éléments de preuve (Singh c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2002 FCT 347, [2002] FCJ 461). Également, en vertu des affaires Khera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2007 CF 632, [2007] ACF no 886 et Froment c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1002, [2006] ACF no 1273 [Froment], le défendeur fait valoir que le Tribunal peut prendre en considération plusieurs facteurs dans son évaluation de l’authenticité d’une relation – notamment les différences d’âge, de religion, de culture ou de langue.

 

VI.              L’analyse

[21]           A la lecture de la preuve et après avoir entendu les parties,  la Cour est d’avis que le Tribunal a erré en concentrant, d’une part, son analyse sur quelques incohérences mineures ou secondaires au point d’en faire une analyse microscopique (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF) (1989), 99 NR 168, [1989] ACF no 444 et Djama c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] FCJ 531 (CAF), voir aussi Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 346 au para 10, 69 Imm LR (3d) 286; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 270 au para 16, 155 ACWS (3d) 929). Par exemple, le Tribunal a tiré une inférence négative et a accordé trop de poids au fait que la demanderesse avait différents numéros de téléphone et qu’elle ne pouvait donner d’explications précise à ce sujet (Dossier du tribunal, pp 161-164).

 

[22]           D’autre part, et de façon plus importante, le Tribunal indique dans sa décision que le fait qu’il y a « une différence de religion de la part des époux et le fait que l’appelante soit protestante et le demandeur catholique démontre une certaine incompatibilité » (Décision du Tribunal, para 18). Or, avec respect, le Tribunal ne pouvait faire une telle déclaration sans appuyer sa conclusion sur la preuve, ce qu’il a omis de faire. La Cour estime que, dans les circonstances, cette conclusion du Tribunal ayant trait à « l’incompatibilité » des religions est dénuée de fondement et ne correspond en fait qu’à une simple généralisation. Le Tribunal a donc erré en omettant d’expliquer en quoi il y avait « incompatibilité » entre la religion de la demanderesse et le demandeur.

 

[23]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[24]           Il n’y a pas de question à certifier.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour un nouvel examen devant un tribunal différemment constituée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2158-11

 

INTITULÉ :                                       Marie Carmelle Joseph c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Vallières

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Étude légale Alain Vallières

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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