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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110211

Dossier : IMM-2976-10

Référence : 2011 CF 170

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2011

En présence de Monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

GUIDO ALEJANDRO TREJOS,

MARTHA CECILIA MORLAS SION

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 30 avril 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, estimant que les éléments importants de la demande d’asile de l’un et de l’autre demandeurs n’étaient ni crédibles ni fondés, que ceux-ci n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27 (la Loi).

 

LES FAITS

Le contexte

[1]               Le demandeur et la demanderesse sont mari et femme. Ils ont tous deux vécu de nombreuses années sans statut aux États-Unis. Ils se sont rencontrés dans ce pays en 2002, ils ont eu un fils en 2005 et ils se sont mariés le 26 août 2007.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Colombie âgé de 44 ans. Arrivé au Canada en provenance des États-Unis le 21 octobre 2007, il a immédiatement demandé l’asile.

 

[3]               La demanderesse est citoyenne de l’Équateur et âgée de 42 ans. Elle est entrée au Canada le 28 décembre 2007, accompagnée de ses trois enfants mineurs, pour se rendre à un rendez-vous en vue de la présentation d’une demande d’asile au Canada et pour y rejoindre son mari. Deux des enfants de la demanderesse sont issus d’un précédent mariage, tandis que le troisième est issu de son mariage avec le demandeur. La Commission a examiné les demandes d’asile des enfants lors d’une audience distincte.

 

[4]               Les demandes d’asile de l’un et de l’autre demandeurs sont entièrement différentes. Il est utile, à ce titre, de résumer de manière distincte les faits de chaque affaire.

 

La demande d’asile du demandeur

[5]               Le demandeur fonde sa demande d’asile sur sa crainte d’être persécuté en Colombie par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Le demandeur travaillait comme vendeur à Medellín pour le compte d’un riche homme d’affaires. En juin 1997, les FARC ont enlevé le demandeur et la mère de son employeur et ils les ont gardés en otage jusqu’à ce que l’employeur  verse une rançon.

 

[6]               L’employeur a payé la rançon et les otages ont été libérés après une journée de séquestration. On a averti ceux-ci de ne parler ni à la police ni à la presse, un avertissement réitéré dans des lettres de menace adressées à l’employeur du demandeur et mentionnant expressément ce dernier. Après un mois, l’employeur a cessé d’exercer ses activités en raison des menaces des FARC et il a quitté la Colombie en compagnie de sa mère. Le demandeur n’a plus fait l’objet d’autres menaces de la part des FARC en lien avec cet incident.

 

[7]               En 1997, le demandeur est devenu membre actif du Parti conservateur en Colombie. Il a prêté assistance au candidat de ce parti lors de la campagne électorale pour la mairie de Medellín. Le demandeur a déclaré avoir exécuté diverses tâches pour le parti et notamment avoir servi de chauffeur pour des dirigeants du parti, avoir organisé la tenue d’assemblées publiques et avoir distribué du matériel de promotion. Le candidat du Parti conservateur a remporté l’élection à la mairie en août 1997.

 

[8]               En septembre 1997, des membres des FARC ont mené une attaque lors d’une réunion des dirigeants du Parti conservateur tenue dans le voisinage du demandeur. Le demandeur n’était pas présent à la réunion, mais quatre autres organisateurs du parti se sont fait tirer dessus et ont été assassinés.

 

[9]               En septembre 1997, le demandeur a également reçu chez lui deux [traduction] « lettres de condoléances », en fait des menaces de mort rédigées par les FARC. Il a également eu des appels de menace.

 

[10]           Par suite de ces menaces, le 17 décembre 1997, le demandeur est parti trouver refuge chez sa mère à Cali, en Colombie, où il est resté environ un mois. Pendant cette période, le demandeur a reçu quatre appels de menace des FARC, qui savaient où vivait sa mère selon lui parce qu’ils lui avaient pris ses pièces d’identité lors de l’enlèvement de juin.

 

[11]           Pour tenter d’échapper aux menaces, en janvier 1998, le demandeur et son ex-épouse sont allés se cacher dans une ferme avicole que possédait la mère de celle-ci dans une petite ville située à quelque 45 minutes en automobile de Cali. Le demandeur est demeuré à la ferme environ un an et il y aidait son ex-belle-mère dans l’accomplissement de ses travaux. Il n’a pas quitté la ferme et son ex-épouse y conduisait leurs enfants en visite. Les FARC n’ont pas repéré le demandeur à cette ferme, mais ils ont continué de communiquer avec sa mère à Cali.

 

[12]           Le demandeur a alors décidé d’aller trouver refuge chez sa tante, aux États-Unis. En décembre 1998, il est retourné à la maison de sa mère à Cali pour y réunir les documents et l’argent dont il aurait besoin. Parce qu’il continuait de recevoir de fréquents appels de menace des FARC, soit deux ou trois fois par mois, le demandeur restait caché à la maison et il en sortait le moins possible.

 

[13]           Le demandeur s’est enfui aux États-Unis le 2 novembre 1999, muni d’un visa de visiteur. Selon son témoignage, sa mère a continué de recevoir des appels où on menaçait de s’en prendre à lui. En outre, quatre anciens collègues du demandeur au sein du Parti conservateur ont été assassinés par les FARC, deux en 1998 et deux en 2006.

 

[14]           Le demandeur a déclaré devant la Commission qu’un an après son arrivée aux États-Unis, il a tenté de présenter une demande d’asile en recourant aux services d’un individu qui avait frauduleusement prétendu être un avocat. Lorsque le demandeur s’est rendu compte de la fraude, il était trop tard pour demander l’asile aux États-Unis.

 

[15]           Comme je l’ai mentionné, pendant son séjour aux États-Unis, le demandeur s’est engagé dans une relation avec la demanderesse. Ceux-ci ont eu un enfant en 2005 et ils se sont épousés en août 2007.

 

[16]           Le 21 octobre 2007, le demandeur est entré au Canada et il a demandé l’asile.

 

La demande d’asile de la demanderesse

[17]           La demanderesse est une citoyenne de l’Équateur. Sa demande d’asile est fondée sur le fait qu’elle craint son ex-mari, Mike Norris, un citoyen américain originaire de l’Égypte, et qu’elle ne croit pas que l’État équatorien est en mesure de l’en protéger.

 

[18]           La demanderesse est entrée aux États-Unis en 1989, munie d’un visa de visiteur. Une fois son visa expiré, la demanderesse a continué de vivre aux États-Unis sans disposer d’un statut. La demanderesse et M. Norris, maintenant son ex-mari, se sont épousés en 1994 et ils ont vécu à New York. Dès que leur fille est née, le 5 novembre 1996, l’ex-mari de la demanderesse n’a pas cessé de vouloir s’enfuir avec elle en Égypte et de l’élever dans la foi musulmane. Il a menacé la demanderesse à maintes reprises, qui a dû plusieurs fois faire appel à la police américaine.

 

[19]           En raison de ces menaces, la demanderesse s’est enfuie en Équateur avec ses deux enfants (dont l’un était issu d’une relation antérieure).

 

[20]           L’ex-mari de la demanderesse a trouvé cette dernière en Équateur en 1998, et ceux-ci ont brièvement vécu à nouveau ensemble après que l’ex-mari eut convaincu la demanderesse qu’il souhaitait uniquement voir leur fille. Ensuite, alors qu’il tentait d’enlever l’enfant, l’ex-mari a bâillonné et ligoté la demanderesse et il a essayé de l’empoisonner. La police équatorienne a arrêté l’ex-mari et elle l’a gardé en détention avant de lui permettre de retourner aux États-Unis.

 

[21]           La demanderesse est retournée aux États-Unis avec ses deux enfants en octobre 2001. Elle est déménagée en Floride où, croyait-elle, son ex-mari ne serait pas en mesure de la retracer. Elle avait tort. Dans son témoignage, la demanderesse a dit croire que son ex-mari avait pu la retrouver parce qu’il disposait de renseignements d’identification, notamment de son numéro d’assurance sociale, et parce qu’il avait obtenu son adresse auprès d’amis et de membres de sa famille. En octobre 2002, l’ex-mari a tenté de retracer la demanderesse en téléphonant à sa sœur en Équateur. Une fois qu’il a trouvé la demanderesse, l’ex-mari lui a téléphoné, ainsi qu’à ses amis et à son frère à New York, et il a menacé de la tuer et d’enlever leur enfant.

 

[22]           En 2003, un tribunal de la Floride a accordé le divorce à la demanderesse. Le tribunal a conclu qu’une garde partagée serait préjudiciable à l’enfant et il a même refusé d’attribuer au père des droits de visite.

 

[23]           La demanderesse a déclaré que depuis lors, son ex-mari n’a pas cessé d’entrer en contact avec elle et de menacer de prendre leur enfant. Il lui a notamment téléphoné à son lieu de travail en Floride, sans que la demanderesse ne sache comment il avait pu obtenir le numéro de téléphone.

 

[24]           La demanderesse n’a disposé d’aucun statut tout le temps où elle a vécu aux États-Unis. Elle a déclaré que son ex-mari n’avait pu la parrainer pour deux motifs : (1) elle a appris que celui-ci avait une seconde épouse et famille aux États-Unis, et (2) leur mariage à tous deux n’avait jamais été heureux. La demanderesse a ajouté qu’elle ne savait pas au départ qu’elle pouvait demander l’asile aux États-Unis pour motif de violence familiale. Lorsqu’elle a finalement demandé l’asile en 2001, sa demande a été rejetée en raison de sa présentation tardive.

 

[25]           La demanderesse a déclaré ne pas croire que les autorités équatoriennes la protégeraient de son ex-mari parce qu’elles avaient été indulgentes à son endroit lors de la détention après sa tentative d’enlèvement de leur fille en 1998.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[26]           Dans une décision datée du 30 avril 2010, la Commission a rejeté les demandes d’asile des deux demandeurs, après avoir conclu que ces demandes n’étaient ni crédibles ni fondées :

¶9.       Le tribunal conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’il estime que les aspects importants du récit de chacun d’eux ne sont ni crédibles ni fondés.

 

 

 

[27]           La Commission a conclu, par suite, qu’il n’existait aucun lien pour l’un ou l’autre demandeurs avec un motif prévu à la Convention visé à l’article 96 de la Loi. La raison en était, quant au demandeur, que la Commission ne croyait pas qu’il avait été la cible des FARC. Quant à la demanderesse, la Commission ne croyait pas que sa crainte de son ex-mari était fondée. La Commission a donc principalement examiné la question de savoir si les demandeurs avaient droit à la protection visée à l’article 97 de la Loi.

 

La décision concernant le demandeur

[28]           La Commission a conclu que la demande d’asile du demandeur n’était pas crédible pour les motifs exposés ci-après.

1.      La Commission a mentionné que, lorsqu’il s’était fait demander à l’audience quel était le fondement de sa crainte en cas de retour en Colombie, le demandeur avait fait état de l’incident de 1997 au cours duquel les FARC l’avaient enlevé. Or, la Commission a statué que la cible véritable de l’enlèvement était le patron et, comme celui-ci avait payé la rançon exigée pour sa libération, le demandeur n’avait plus à craindre les FARC à cet égard. Le demandeur n’avait d’ailleurs plus fait l’objet de menaces en lien avec cet incident.

2.      La Commission a jugé incohérente la description par le demandeur de son rôle au sein du Parti conservateur : au cours de son témoignage de vive voix, il s’était décrit comme un « chef » alors que, dans l’exposé circonstancié de son FRP, il s’était décrit comme [traduction] « un travailleur de soutien et un organisateur de campagne ». La Commission en a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 15 :

[...] Le tribunal croit, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile a embelli sa demande d’asile en essayant d’amplifier son rôle et son importance dans les activités politiques. Le tribunal tire une conclusion défavorable de cet embellissement, ce qui l’amène à douter, selon la prépondérance des probabilités, de la véracité de l’ensemble du récit selon lequel le demandeur d’asile a été pris pour cible par les FARC en raison de sa participation à la campagne politique du maire.

3.      La Commission a jugé invraisemblable que le demandeur ait pu être un « chef » du Parti conservateur parce qu’il n’avait pas participé au rassemblement de 1997 où, selon ses dires, quatre membres du parti avaient été tués. Le demandeur, en outre, n’avait pas fait état de la présence du maire. Ces doutes ont fait déclarer ce qui suit au tribunal (paragraphe 16) :

[...] Pour les motifs susmentionnés, le tribunal estime qu’il est difficile de croire que cet incident s’est produit ou, s’il s’est produit, qu’il appuie l’allégation du demandeur d’asile principal selon laquelle il était ou est pris pour cible par les FARC.

4.      La Commission a également jugé suspecte la preuve du demandeur quant au moment où il avait commencé à recevoir des menaces en raison de ses activités politiques. Le demandeur a déclaré dans son témoignage de vive voix qu’il avait commencé à recevoir des menaces le jour de la tenue du rassemblement politique, et la Commission a estimé invraisemblable à cet égard que les FARC aient pris pour cible le demandeur – qui n’était pas présent à ce rassemblement – et non le maire.

5.      La Commission a jugé « étrange » que les FARC aient envoyé des lettres de menace au demandeur plutôt qu’ils ne lui aient rendu visite en personne :

¶18.     [...] Si ces événements ont bel et bien eu lieu, il est étrange que les FARC n’aient pas simplement décidé de se rendre chez ses parents à Cali afin de lui demander, en personne, de cesser ses activités politiques, au lieu de perdre leur temps à lui téléphoner et à lui envoyer des lettres de menace. Cette approche apparemment réservée ou passive ne semble pas concorder avec les renseignements fournis dans le cartable national de documentation (CND), qui indiquent que les FARC sont une organisation agressive et violente.  [Citations omises.]

6.      L’absence de tout document corroborant les prétentions du demandeur a fait tirer à la Commission une conclusion défavorable. La Commission a reconnu qu’on ne pouvait, selon la jurisprudence, fonder une conclusion quant à la crédibilité sur l’absence de preuve documentaire, mais a déclaré que lorsque la crédibilité était mise en cause, la Commission pouvait s’autoriser de l’absence de preuve documentaire pour tirer une conclusion défavorable. En l’espèce, la Commission doutait de l’explication donnée par le demandeur quant à l’absence de documents à l’appui, soit que le faux avocat américain avait volé ses documents :

¶19. Qui plus est, lorsque le tribunal a demandé au demandeur d’asile principal s’il avait en sa possession les deux lettres de condoléances en question (menaces de mort) ou une copie de ces lettres, qu’il a affirmé avoir reçu des FARC après la fusillade de septembre 1997, il a répondu les avoir perdues après les avoir confiées à un technicien juridique sans scrupule au moment de demander l’asile aux États-Unis. Le tribunal estime toutefois qu’il est difficile de croire qu’il n’aurait pas au moins pris la peine de conserver une copie de ces lettres au cas où il en aurait besoin plus tard ou que le technicien juridique perdrait les originaux. Il n’a pas non plus fourni de dénonciation concernant les actes des FARC ni présenté d’articles de journaux, étant donné qu’il n’a ni porté plainte auprès des autorités policières ni signalé le problème à une agence de presse. Compte tenu des autres problèmes de crédibilité énumérés dans la présente section, le tribunal tire une importante conclusion défavorable de l’absence totale d’éléments de preuve documentaire à l’appui. [...]

7.      La Commission a conclu que, comme les FARC n’avaient pris pour cible aucun des membres de la famille du demandeur, celui-ci n’était pas non plus une cible pour elles :

¶21.     Il est également indiqué, à la page 3 du formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur d’asile, que son père, sa mère, deux autres de ses filles et une sœur habitent toujours à Cali, mais que ceux-ci n’ont pas été victimes de harcèlement ni de menaces de violence de la part des FARC ni n’ont été confrontés par celles-ci, qui souhaitaient s’en prendre à eux parce que le demandeur d’asile principal avait échappé à leur emprise – s’il a réellement été pris pour cible par les FARC. Parmi eux, seule la mère a reçu des appels téléphoniques au sujet du demandeur d’asile. Le tribunal tire une importante conclusion défavorable de ces événements, étant donné que les FARC sont connues comme étant impitoyables et agressives envers les proches parents des personnes qu’elles prennent pour cible et qui leur ont échappé, et que malgré cela, les proches parents du demandeur d’asile principal n’ont pas été visés par les FARC. En conséquence, ces éléments portent le tribunal à croire que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile principal n’était ou n’est pas pris pour cible par les FARC. [Renvois omis.]

 

[29]           La Commission a en outre conclu que même si le demandeur avait déjà été la cible des FARC, sa crainte n’était plus fondée pour les motifs qui suivent :

1.      Le demandeur a déclaré dans son témoignage que les FARC lui avaient demandé de « ne pas dire du mal des guérillas », et il s’était conformé à cette exigence. Le tribunal en a conclu ce qui suit :

¶20.     Étant donné qu’il a agi ainsi, le tribunal croit, selon la prépondérance des probabilités, que s’il avait vraiment été pris pour cible par les FARC, il n’était ou n’est plus pris pour cible.

2.      Environ dix années et demie s’étaient écoulées depuis la fuite de Colombie du demandeur et depuis, non seulement le demandeur avait-il pris de l’âge et changé d’aspect, mais des changements importants étaient survenus influant sur la capacité des FARC de le menacer. La Commission a passé en revue le cartable national de documentation sur la Colombie et a tiré la conclusion suivante au paragraphe 23 :

¶23.     En résumé, le tribunal est convaincu que les FARC ont déplacé leurs centres d’opérations des régions urbaines aux régions rurales, que les quartiers généraux se trouvent dans les montagnes ou les jungles et qu’elles n’ont plus la capacité de suivre les déplacements d’une personne d’une région à une autre, en raison de la surveillance des forces de sécurité du gouvernement et de leur capacité à interrompre les communications.

 

 

 

[30]           La Commission a conclu au paragraphe 25 :

Ainsi, compte tenu de la totalité des éléments de preuve présentés, y compris de l’observation du conseil, le tribunal ne croit pas que si le demandeur d’asile principal (tout comme son épouse et ses filles, si elles décidaient de l’y suivre) retournait en Colombie, il risquerait d’être persécuté pour un motif prévu par la Convention, ou serait exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture.

 

 

 

Décision concernant la demanderesse

 

[31]           Quant à la demanderesse, la Commission a conclu que sa prétendue crainte de son ex-mari en cas de retour en Équateur n’était pas fondée pour les motifs exposés ci-après.

1.      La Commission a mis en doute la crainte subjective par la demanderesse de son ex‑mari, comme celle-ci n’avait pas tenté de lui cacher ses coordonnées, que ce soit lorsqu’elle habitait en Équateur en 1998, ou lorsqu’elle était retournée aux États‑Unis en 2001 :

¶27.     Il est évident que la demandeure d’asile n’a pas pris la peine de cacher à M. Norris ses coordonnées en Équateur, puisque celui-ci les connaissait ou les avait obtenus par les parents et les amis de la demandeure d’asile avec lesquels il avait communiqué, ce qui lui a permis de d’entrer en contact avec elle et, par conséquent, de se réconcilier avec elle en 1998. Le tribunal est d’avis que ces faits ne démontrent pas l’existence de la crainte subjective de la demandeure d’asile à l’égard de M. Norris.

 

[...]

 

¶29.     Malgré sa crainte alléguée de M. Norris, la demandeure d’asile, accompagnée de ses filles, est retournée aux États-Unis en 2001; elles se sont installées en Floride dans l’espoir d’éviter M. Norris qui, à l’époque, habitait à New York. La demandeure d’asile a affirmé que ce dernier avait réussi à la retrouver là-bas, apparemment grâce à des amis et à des parents, et qu’il lui avait téléphoné au travail. Tout d’abord, le tribunal estime qu’il est difficile de croire qu’elle soit retournée aux États-Unis si elle craignait que M. Norris puisse l’y retrouver, et ce, même si elle s’était installée dans une autre ville. Par ailleurs, le tribunal fait remarquer qu’elle n’est pas retournée en Équateur ou à un autre endroit aux États-Unis (qui est un vaste pays) afin de s’éloigner de lui. Selon le tribunal, il est également évident qu’elle ne s’est pas contentée de donner ses coordonnées uniquement à des parents et à des amis qui, selon elle, se montreraient discrets et ne révèleraient pas l’information à M. Norris. Étant donné qu’elle craignait que M. Norris ne la retrouve, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’elle prenne des mesures raisonnables afin que ses coordonnées ne soient pas révélées à cet homme. En outre, le tribunal est d’avis que le fait qu’elle ne soit pas retournée à Quito, en Équateur, va à l’encontre de sa crainte alléguée de M. Norris, puisque la région métropolitaine de cette ville totalise une population d’environ deux millions d’habitants, à laquelle elle aurait pu se mêler en prenant des précautions raisonnables, comme assurer la confidentialité de ses coordonnées ou ne les révéler qu’à des parents qui, selon elle, se montreraient discrets et ne révèleraient pas l’information à M. Norris. [...]

 

2.      La Commission a conclu que la preuve de la demanderesse concernant la façon dont la police de l’Équateur avait réagi lorsque son ex-mari avait tenté d’enlever leur enfant hors de ce pays démontrait que la protection de la police y était bien assurée :

¶28.     Vers cette période en 1998, la bonne de la demandeure d’asile en Équateur a appelé la police lors d’une altercation entre la demandeure d’asile et M. Norris qui serait devenu violent, et la police a alors arrêté M. Norris, au moment où il s’apprêtait à monter à bord d’un avion en direction des États-Unis, et l’a détenu pendant un mois avant de finalement le relâcher et lui permettre de retourner aux États-Unis. M. Norris n’est pas retourné en Équateur après cela, sans doute parce qu’il craignait d’être arrêté de nouveau par la police. Le tribunal est d’avis que ces faits indiquent que, au cours de cette année-là, la police équatorienne assurait la protection des femmes victimes de violence familiale.

 

3.      La Commission a également conclu que la protection par l’État des victimes de violence familiale s’était améliorée en Équateur depuis que la demanderesse avait quitté ce pays douze ans plus tôt, et que la demanderesse bénéficierait de la protection de l’État si elle devait y retourner.

 

[32]           La Commission a conclu au paragraphe 31 :

Compte tenu de tout ce qui a été mentionné précédemment, le tribunal ne croit pas, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile craint avec raison de faire l’objet de persécution ou de préjudice aux mains de M. Norris. En outre, le tribunal ne croit pas, selon la prépondérance des probabilités, à l’existence de la crainte subjective de la demandeure d’asile.

 

 

 

Les considérations valables pour les deux demandeurs

 

[33]           Hormis les motifs déjà exposés, la Commission a conclu que le fait que ni l’un ni l’autre demandeurs n’avaient demandé l’asile aux États-Unis mettait en cause leur crainte subjective de persécution. La Commission a pris en compte les explications données par les demandeurs au sujet du fait qu’ils n’ont pas sérieusement demandé l’asile, pour néanmoins conclure que ni l’un ni l’autre n’y avait consacré d’importants efforts. La Commission a tiré la conclusion suivante :

¶34.     Le tribunal estime que cette inaction ou ce manque d’initiative de la part des demandeurs d’asile est préoccupant et non raisonnable. En effet, si les demandeurs d’asile craignaient vraiment de devoir retourner dans leurs pays d’origine respectifs, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’ils prennent les mesures nécessaires et qu’ils posent des gestes qui reflètent le caractère urgent de leur situation, c’est-à-dire qu’ils demandent l’asile à la première occasion dans un pays sécuritaire, comme les États-Unis sont réputés l’être. Si leur demande avait été rejetée dans ce pays, ils auraient alors eu une deuxième chance en demandant l’asile au Canada.

 

 

 

[34]           La Commission a cité de la doctrine et de la jurisprudence au soutien du principe selon lequel il était « approprié d’enquêter sur les circonstances de tout report prolongé ou de toute inaction relativement au dépôt d’une demande d’asile pour évaluer la sincérité du besoin du demandeur d’asile d’être protégé », à savoir James C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths, 1991); Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3650-97 (C.F. 1re inst.), le juge Muldoon, le 23 octobre 1998; Juzbasevs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 262, paragraphe 15; Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1595.

 

[35]           La Commission a conclu aux paragraphes 39 et 40 que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger :

¶39.     Compte tenu de tous les éléments de preuve qui ont été soumis, y compris de l’observation du conseil, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d’asile ne seraient pas exposés à un risque de préjudice ni à une menace à leur vie s’ils retournaient dans leurs pays d’origine respectifs aujourd’hui.

 

¶40.     Le tribunal conclut également que le demandeur d’asile principal peut vraisemblablement aller rejoindre son épouse en Équateur, étant donné que ce pays encourage les demandes de résidence permanente présentées par des personnes ayant épousé des citoyens de l’Équateur. [Renvois omis.]

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[36]           L’article 96 de la Loi confère protection, comme suit, aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au  sens de la Convention — le  réfugié — la personne qui,  craignant avec raison d’être  persécutée du fait de sa race,  de sa religion, de sa  nationalité, de son  appartenance à un groupe  social ou de ses opinions  politiques :    

 

a) soit se trouve hors de tout  pays dont elle a la nationalité  et ne peut ou, du fait de cette  crainte, ne veut se réclamer de  la protection de chacun de ces  pays;    

 

b) soit, si elle n’a pas de  nationalité et se trouve hors du  pays dans lequel elle avait sa  résidence habituelle, ne peut  ni, du fait de cette crainte, ne  veut y retourner.

96. A Convention refugee is a  person who, by reason of a  well-founded fear of  persecution for reasons of race,  religion, nationality,  membership in a particular  social group or political  opinion,    

 

(a) is outside each of their  countries of nationality and is  unable or, by reason of that  fear, unwilling to avail  themself of the protection of  each of those countries; or    

 

(b) not having a country of  nationality, is outside the  country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[37]           L’article 97 de la Loi confère pour sa part protection, comme suit, aux personnes que le renvoi du Canada exposerait à une menace à leur vie, ou au risque de peines cruelles et inusitées ou de torture :

97. (1) A qualité de personne à  protéger la personne qui se  trouve au Canada et serait  personnellement, par son  renvoi vers tout pays dont elle  a la nationalité ou, si elle n’a  pas de nationalité, dans lequel  elle avait sa résidence  habituelle, exposée :    

 

a) soit au risque, s’il y a des  motifs sérieux de le croire,  d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la  Convention contre la torture;    

 

b) soit à une menace à sa vie  ou au risque de traitements ou  peines cruels et inusités dans  le cas suivant : 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la  protection de ce pays, 

(ii) elle y est exposée en tout  lieu de ce pays alors que  d’autres personnes originaires  de ce pays ou qui s’y trouvent  ne le sont généralement pas, 

(iii) la menace ou le risque ne  résulte pas de sanctions  légitimes — sauf celles  infligées au mépris des normes  internationales — et inhérents  à celles-ci ou occasionnés par  elles, 

(iv) la menace ou le risque ne  résulte pas de l’incapacité du  pays de fournir des soins  médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of  protection is a person in  Canada whose removal to their  country or countries of  nationality or, if they do not  have a country of nationality,  their country of former  habitual residence, would  subject them personally    

 

(a) to a danger, believed on  substantial grounds to exist, of  torture within the meaning  of Article 1 of the Convention  Against Torture; or    

 

(b) to a risk to their life or to a  risk of cruel and unusual  treatment or punishment if 

(i) the person is unable or,  because of that risk, unwilling  to avail themself of the  protection of that country, 

(ii) the risk would be faced by  the person in every part of that  country and is not faced  generally by other individuals  in or from that country, 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions,  unless imposed in disregard  of accepted international  standards, and 

(iv) the risk is not caused by  the inability of that country to  provide adequate health or  medical care.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[38]           La présente affaire soulève, selon le demandeur, les quatre questions suivantes :

1.      La Commission a-t-elle conclu erronément que le demandeur n’était pas crédible?

2.      La Commission a-t-elle conclu erronément que la demande d’asile du demandeur n’était plus fondée?

 

3.      La Commission a-t-elle conclu erronément en l’absence de crainte subjective de la demanderesse?

 

4.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant implicitement que la demanderesse disposait d’une protection de l’État adéquate?

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[39]           La Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse relative à la norme juridique consistait à vérifier « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »; voir aussi l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[40]           Les questions de crédibilité et de protection de l’État sont des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, qui appellent assurément depuis les arrêts Dunsmuir et Khosa, la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[41]           Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité commandent la norme de la raisonnabilité (Wu c. Canada (Citoyenneté et  Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17; Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, au paragraphe 14).

 

[42]           C’est aussi la norme de la raisonnabilité qui s’applique aux conclusions concernant la protection de l’État (se reporter, par exemple, aux décisions du juge soussigné Corzas Monjaras c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771, au paragraphe 15, et Rodriguez Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 1029, au paragraphe 25).

 

[43]           En examinant la décision de la Commission en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE
1re question en litige – La Commission a-t-elle conclu erronément que le demandeur n’était pas crédible
?

[44]           Le demandeur a relevé les erreurs suivantes que la Commission aurait commises en examinant la preuve relative à sa demande d’asile :

1.      La Commission a présenté erronément le témoignage du demandeur quant au fondement de sa crainte de retourner en Colombie. La Commission a déclaré dans ses motifs que, lorsqu’on l’avait interrogé sur ce fondement, le demandeur avait répondu qu’il s’agissait de l’enlèvement et de la demande de rançon en juin 1997. Cela ne constituait pas le reflet fidèle de la teneur de l’interrogatoire. Le demandeur avait plutôt décrit l’enlèvement de juin 1997 lorsque la Commission lui avait demandé : [traduction] « Pouvez-vous parler de votre première rencontre d’importance avec des membres des FARC? ». Par contre, lorsque son avocat lui avait demandé à l’audience pourquoi il continuait de craindre les FARC, le demandeur avait déclaré ce qui suit : [traduction] « C’est en raison de mes idées politiques et parce que je m’oppose à l’ensemble de leur idéologie et de leurs idées ». La véritable teneur du témoignage du demandeur, ainsi, c’était qu’il craignait les FARC en raison de ses activités politiques et non de l’enlèvement de juin 1997. L’avocat du demandeur a clarifié ce point lorsqu’il a interrogé ce dernier à l’audience :

[traduction]

Q : Bien. Dites-vous ainsi que les FARC vous ont pris pour cible du fait de vos idées politiques en tant que membre du Parti conservateur et non parce que vous avez été enlevé?

 

R : Oui. (Dossier certifié du tribunal (DCT), page 701)

 

2.      La Commission a chicané sur les mots parce que le demandeur se serait apparemment décrit de manière contradictoire comme « chef » dans son témoignage de vive voix et comme « travailleur de soutien et [...] organisateur de campagne » dans ses déclarations écrites. C’était là aussi une présentation erronée du témoignage de vive voix du demandeur. Lorsque le demandeur a utilisé le mot « chef » dans ce témoignage, plus particulièrement, il l’a fait de la manière suivante en réponse à une question posée par la Commission sur ses rencontres subséquentes avec des membres des FARC :

[traduction]

J’étais un chef dans les campagnes, dans la campagne politique du Parti conservateur [...] (DCT, page 693)

 

3.      Loin d’avoir dénaturé son rôle, le demandeur l’a décrit comme suit lorsque son avocat lui a demandé ce qu’il faisait à titre de membre du Parti conservateur :

[traduction]

Je réunissais des gens, je les convoquais aux fins des campagnes politiques. J’étais le chauffeur de chefs politiques. (DCT, page 702)

 

4.      La Commission a mis en doute les souvenirs qu’avait le demandeur de la réunion politique de septembre 1997 au cours de laquelle quatre chefs du Parti conservateur s’étaient fait tirer dessus et assassiner par les FARC, parce qu’elle estimait que (1) le demandeur aurait dû y être présent s’il était un chef du parti, et (2) que le candidat à la mairie aurait aussi dû être présent. Le demandeur soutient que la Commission n’était saisie d’aucune preuve quant au motif de son absence à la réunion, ni quant à savoir si le maire avait ou non été présent. Celui-ci, d’ailleurs, pouvait fort bien avoir été présent. On n’a pas demandé au demandeur si le maire avait assisté à la réunion, quels étaient les motifs de sa propre absence ni si la réunion était particulièrement importante. Selon le demandeur, les hypothèses formulées par la Commission relativement à ces questions n’étaient pas étayées par la preuve.

5.      La Commission a douté que le demandeur ait été pris pour cible par les FARC, parce qu’elle jugeait plus vraisemblable que le maire l’aurait été. Si la Commission a eu pareil doute, selon le demandeur, c’est qu’elle a fait totalement abstraction de ce qu’il avait dit dans son témoignage : les FARC avaient pour politique de cibler non seulement les chefs politiques, mais aussi ceux qui leur apportaient leur aide, et elles ont assassiné nombre de ses collègues au sein du Parti conservateur.

6.      La Commission a jugé « étrange » que les FARC n’aient pas menacé en personne le demandeur, mais lui aient plutôt fait parvenir des lettres de menace. Les doutes de la Commission à se sujet soulevaient certains problèmes, énoncés ci-après, selon le demandeur :

                                                               i.      le demandeur se trouvait à l’époque à Medellín, et non à Cali comme l’a déclaré la Commission;

                                                             ii.      aucune preuve ne montrait que les FARC savaient où le demandeur s’était caché, comme les parents de celui-ci leur disaient toujours ne pas savoir où il se trouvait lorsqu’elles entraient en contact avec eux;

                                                            iii.      la Commission n’aurait pas dû émettre des hypothèses quant aux raisons pour lesquelles les FARC avaient choisi de faire leurs menaces par lettre ou par téléphone plutôt qu’en personne.

7.      La Commission a déclaré pouvoir tirer une conclusion défavorable de l’absence d’éléments de preuve à l’appui, comme elle avait d’autres motifs de douter de la crédibilité du demandeur. Aucun de ces motifs n’étant valable, selon le demandeur, la Commission ne pouvait se fonder sur l’absence de preuve documentaire corroborante pour tirer une conclusion défavorable.

8.      En outre, bien que la Commission ait déclaré qu’il y avait « absence totale d’éléments de preuve documentaire à l’appui », le demandeur lui avait en réalité soumis les documents de corroboration suivants :

                                                               i.      sa carte de membre du Parti conservateur;

                                                             ii.      une lettre dans laquelle le premier vice-président du Sénat déclarait que le demandeur avait été membre du Parti conservateur de 1990 à 1998, avait la réputation d’être [traduction] « honnête, travailleur et de bonne moralité » et accomplissait du [traduction] « travail social et communautaire »;

                                                            iii.      une lettre du deuxième vice-président du Conseil de Santiago de Cali qui attestait les mêmes faits;

                                                           iv.      un affidavit signé en 2008 par la mère du demandeur et confirmant que celui-ci s’était enfui de Colombie environ huit ans plus tôt [traduction] « en raison de menaces par téléphone, dont j’ai été témoin parce qu’elles ont été reçues chez moi, à mon numéro ».

9.      Bien que la Commission ait conclu que « les FARC sont connues comme impitoyables et agressives envers les proches parents des personnes qu’elles prennent pour cible et qui leur ont échappé », elle n’a renvoyé à aucun document précis du cartable national de documentation pour étayer cette prétention. Cela fait obstacle, soutient le demandeur, à l’évaluation par la Cour de la preuve sur laquelle la Commission a fondé cette conclusion.

10.  La Commission n’était saisie non plus d’aucune preuve quant à savoir si les FARC connaissaient l’existence ou le lieu d’habitation du père du demandeur, qui avait abandonné la mère de ce dernier avant sa naissance, ou de sa sœur ou de ses filles résidant à Cali. Le seul élément de preuve produit à cet égard montrait que les FARC connaissaient l’existence de la mère du demandeur et, comme celle-ci l’avait corroboré dans son affidavit, qu’elles étaient entrées en contact avec elle.

 

[45]           En plus d’avoir jugé le demandeur non crédible en raison de son témoignage sur ce qu’il aurait vécu en Colombie, la Commission a conclu que, le demandeur n’ayant pas sérieusement tenté de demander l’asile aux États-Unis, cela donnait à croire qu’il n’avait pas de crainte subjective de persécution en cas de retour dans son pays. Une conclusion relative à la crainte subjective de persécution est également une conclusion quant à la crédibilité.

 

[46]           Le demandeur soutient que la Commission a fait abstraction de sa preuve sur sa tentative de demande d’asile par l’intermédiaire d’un individu ayant frauduleusement prétendu être un avocat, et sur sa crainte d’être expulsé en raison de sa méconnaissance du processus de demande d’asile.

 

[47]           Dans la décision Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1595, mentionnée par la Commission, le juge Mosley s’est penché comme suit sur les répercussions d’une demande tardive d’asile :

¶17.     La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant au caractère vague de sa preuve touchant le point de savoir pourquoi elle n'avait pas présenté de demande d'asile aux États-Unis et affirme avoir donné des explications plausibles de ce fait. Il est de droit constant que le temps mis à présenter une demande d'asile est un facteur important que la Commission peut prendre en considération dans l'examen d'une telle demande : Heer c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 330 (QL). Dans la présente espèce, le fait que la demanderesse ait laissé passer plus de quatre ans avant de présenter une demande d'asile laisse supposer l'absence de crainte subjective de persécution, et il était loisible à la Commission de rejeter ses explications. La demanderesse voudrait en fait que la Cour apprécie elle-même les raisons qu'elle a invoquées devant la Commission et substitue son opinion à celle de la Commission. Or, à moins que la conclusion de la Commission ne soit manifestement déraisonnable, ce que je nie en l'occurrence, la Cour n'est pas habilitée à intervenir.

 

[48]           C’est en fonction des faits d’espèce qu’on déterminera si le caractère tardif d’une demande d’asile antérieure est suffisant pour pouvoir conclure en l’absence de crainte subjective de persécution et rejeter une demande d’asile.

 

[49]           La Commission a reconnu en l’espèce que, bien que le demandeur ait vécu environ huit ans aux États-Unis, il n’avait disposé en fait que d’une année pour pouvoir présenter une demande d’asile. Elle a examiné la preuve du demandeur sur ses motifs pour ne pas avoir présenté dans cette période une telle demande :

¶32.     [...] Le tribunal constate qu’il n’a rien fait peu de temps après son arrivée ni avant l’arrivée à terme de l’échéance d’un an, étant donné qu’il a déclaré qu’il ne savait pas qu’il pouvait présenter une demande d’asile et qu’il craignait d’être expulsé parce qu’il était en situation irrégulière.

 

 

 

[50]           Malgré sa conclusion selon laquelle l’inaction du demandeur était troublante et déraisonnable, comme il était raisonnable de présumer qu’un réfugié nourrissant une véritable crainte demanderait l’asile à la première occasion, la Commission n’a pas dit pourquoi c’était toujours là une présomption raisonnable au vu de la déposition du demandeur selon laquelle il avait bel et bien tenté de présenter une telle demande. La Cour conclut que les erreurs commises par la Commission lorsqu’elle a évalué la crédibilité du demandeur ont également miné sa conclusion selon laquelle celui-ci n’éprouvait pas de crainte subjective face à son retour en Colombie.

 

[51]           La Cour doit faire preuve d’une grande retenue devant les conclusions de la Commission quant à la crédibilité. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Aguebor c. Canada (M.E.I.), 160 N.R. 315, au paragraphe 3, la Cour ne devrait intervenir que si les conclusions tirées en cette matière par la Commission « ne pouvaient pas raisonnablement l’être » :

¶3.       Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.[...] Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

 

[52]           La Cour estime toutefois en l’espèce, tout comme le demandeur, que la Commission a commis des erreurs dans son appréciation de la preuve de ce dernier. Comme le demandeur l’a précisé, la conclusion de la Commission quant à la crédibilité reposait sur la présentation fortement erronée de  divers éléments de preuve.

 

[53]           Cette conclusion ne met pas fin à l’examen de la Cour, toutefois, la Commission ayant conclu que, même si le demandeur avait été crédible, il n’aurait malgré cela aucun besoin de protection puisque sa crainte n’était plus fondée.

 

2e question en litige –   La Commission a-t-elle conclu erronément que la demande d’asile du demandeur n’était plus fondée?

[54]           La Commission avait deux raisons de conclure que toute crainte ayant pu être nourrie par le demandeur par suite des menaces proférées par les FARC en 1997 et en 1998 était devenue sans fondement au moment de la présentation de la demande d’asile. Premièrement, la Commission ayant conclu que le demandeur s’était conformé à l’exigence des FARC – « ne pas dire du mal des guérillas » –, elle a par suite conclu que celles-ci ne le prendraient plus pour cible :

¶20.     Étant donné qu’il a agi ainsi, le tribunal croit, selon la prépondérance des probabilités, que s’il avait vraiment été pris pour cible par les FARC, il n’était ou n’est plus pris pour cible.

 

[55]           Il était raisonnable pour la Commission, au vu de la preuve, d’en arriver à cette conclusion.

 

[56]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas de crainte objective de persécution reposait sur un second motif. La Commission a en effet conclu que le demandeur pourrait retourner en Colombie et échapper à toute tentative faite par les FARC de le retracer puisqu’il y avait eu des changements dans sa situation personnelle et son aspect physique (il avait dix années et demie de plus qu’au moment de son départ de Colombie) ainsi que des changements dans le mode de fonctionnement des FARC et la capacité du gouvernement colombien les contrer. Quant aux aptitudes des FARC, la Commission a déclaré ce qui suit :

¶23.     En résumé, le tribunal est convaincu que les FARC ont déplacé leurs centres d’opérations des régions urbaines aux régions rurales, que les quartiers généraux se trouvent dans les montagnes ou les jungles et qu’elles n’ont plus la capacité de suivre les déplacements d’une personne d’une région à une autre, en raison de la surveillance des forces de sécurité du gouvernement et de leur capacité à interrompre les communications.

 

[57]            Selon le demandeur, la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents qui contredisaient ses conclusions sur ces points. Le demandeur fait tout particulièrement valoir le défaut de la Commission de traiter des questions suivantes qu’il avait soulevées :

1.      La mention du fait, dans son témoignage, que les FARC disposaient de renseignements personnels d’identification, y compris le numéro de sa carte d’identité, depuis son enlèvement en juin 1997 et pourraient donc le repérer lorsqu’il utiliserait sa carte – par exemple pour ouvrir un compte de banque ou obtenir un emploi, ou lorsqu’il se retrouverait devant un barrage routier.

2.      Outre les parties de la preuve documentaire citées par la Commission, il y avait dans le cartable national de documentation des rapports où l’on déclarait que les FARC étaient toujours actives en Colombie et prenaient toujours pour cible les dirigeants de la collectivité. On rapportait par exemple ce qui suit dans le Rapport annuel de 2009 sur la Colombie de Human Rights Watch, dont la Commission a examiné des extraits :

[traduction]

Les défenseurs des droits de la personne, les journalistes, les dirigeants de la collectivité, les syndicalistes, les dirigeants autochtones et afro-colombiens et des personnes déplacées ainsi que les victimes des forces paramilitaires demandant justice ou la restitution de leurs terres sont fréquemment menacés et soumis à des actes de violence par des groupes armés.

3.      Contrairement à ce qu’a conclu la Commission, la preuve révélait que les FARC non seulement étaient encore actives, mais étaient aussi toujours en mesure de retracer les gens. Ainsi, selon le rapport de 2009 sur la Colombie du Département d’État des États-Unis, figurant également dans le cartable national de documentation, les FARC et d’autres groupes de guérilleros

[traduction]

ont fréquemment porté atteinte au droit au respect de la vie privée. Les membres de ces groupes ont pénétré de force dans les résidences privées, ont surveillé des communications privées et ont déplacé et enrôlé de force des gens. (DCT, page 629)

 

4.      Le demandeur a produit un article de journal de 2004 où l’on citait les propos suivants d’un professeur de politique latino-américaine de la Bradford University : [traduction] « [...] une culture de la vendetta très puissante en Colombie s’applique aux personnes ciblées. Certaines d’entre elles demeurent des cibles même après cinq ou six années ». Même si cet article remontait à 2004, précise le demandeur, aucun élément de preuve plus récent n’a été produit qui en contredisait la teneur.

 

[58]           La Cour conclut qu’au vu de la preuve, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était plus la cible des FARC parce qu’il avait accédé à leurs demandes, et sa conclusion portant qu’en raison du temps écoulé (dix années et demie) l’intérêt était moindre pour les FARC d’avoir le demandeur pour cible étaient raisonnables.

 

Conclusion relative au demandeur

[59]           La Cour conclut qu’une juste interprétation de la preuve dont la Commission était saisie ne pouvait justifier celle-ci à tirer la conclusion qui a été la sienne quant à la crédibilité et à la crainte subjective de persécution en Colombie du demandeur. Les erreurs ainsi commises ne justifient toutefois pas d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire comme la Commission pouvait conclure de façon indépendante en l’absence de fondement objectif à la crainte des FARC par le demandeur – soit parce que le demandeur n’était plus la cible des FARC puisqu’il avait accédé à leurs demandes et que beaucoup de temps avait passé.

 

3e question en litige –   La Commission a-t-elle conclu erronément en l’absence de crainte subjective de la demanderesse?

[60]           La Commission a avancé de nombreux motifs avant de conclure que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective de persécution en cas de retour en Équateur. La Commission doutait, premièrement, de la crainte subjective par la demanderesse de son ex-mari; elle a conclu que tous deux s’étaient « réconciliés » en 1998 avant que l’ex-mari tente d’enlever leur fille. La Commission a également conclu, au paragraphe 27, que la demanderesse n’avait pas pris la peine de cacher à son ex-mari ses coordonnées en Équateur.

 

[61]           La Commission a conclu, deuxièmement, que le retour aux États-Unis de la demanderesse en 2001 démontrait que celle-ci ne craignait pas d’être retracée par son ex-mari. La Commission a conclu en lien avec cela que, si elle avait véritablement craint son ex-mari, la demanderesse serait retournée en Équateur où elle avait obtenu précédemment la protection de la police.

 

[62]           La Commission a enfin conclu, troisièmement, que le défaut de la demanderesse d’avoir demandé l’asile aux États-Unis démontrait l’absence chez elle d’une crainte subjective de persécution.

 

[63]           La conclusion de la Commission était déraisonnable, selon la demanderesse, parce qu’elle était fondée sur une présentation erronée de la preuve. La demanderesse soutient que la Commission a particulièrement commis les erreurs suivantes lorsqu’elle a conclu en l’absence de sa crainte subjective de persécution en Équateur :

1.      La Commission a présenté de manière inexacte la preuve concernant ce qui s’était produit lorsque l’ex-mari avait retrouvé la demanderesse en Équateur en 1998. La description faite par la Commission différait notamment des manières suivantes de l’incident véritablement survenu :

                                                               i.      La demanderesse ne s’était pas « réconciliée » avec son mari, qui l’avait plutôt convaincue par duperie de le laisser la visiter et ainsi voir leur fille, comme elle croyait que ses motifs étaient purs.

                                                             ii.      Alors que la Commission a laissé entendre que la police équatorienne avait bien réagi à l’incident, la police, selon la demanderesse, avait en fait complètement failli dans son rôle de protection en remettant en liberté un agresseur qui l’avait bâillonnée et ligotée et qui avait tenté de l’empoisonner et d’enlever sa fille. Dans son témoignage, la demanderesse avait d’ailleurs dit croire que c’était en recourant à la corruption et à la subornation que son ex-mari avait obtenu sa mise en liberté, et dit ne plus faire confiance au système de justice pénale de l’Équateur.

2.      La Commission a présenté erronément la preuve sur la façon dont l’ex-mari avait pu repérer la demanderesse. En particulier, l’ex-mari avait obtenu les coordonnées des amis et des membres de la famille en Équateur de la demanderesse avant sa séparation d’avec celle-ci, et il savait également quel était son numéro de sécurité sociale aux États-Unis.

3.      La Commission a méjugé des motifs de retour aux États-Unis en 2001 de la demanderesse. En effet, tout particulièrement, la demanderesse avait deux enfants nés aux États-Unis et elle avait déménagé tout exprès en Floride plutôt qu’à New York afin d’éviter son ex-mari.

4.      Il était déraisonnable pour la Commission de s’attendre à ce que la demanderesse déménage ailleurs aux États-Unis ou retourne en Équateur. La demanderesse ne pouvait pas aller ailleurs aux États-Unis parce qu’elle n’y disposait d’aucun statut. Elle ne pouvait pas non plus retourner en Équateur parce qu’elle estimait ne pas y disposer d’une protection de l’État adéquate.

5.      En concluant que l’absence de mesures sérieuses prises par la demanderesse pour faire régulariser son statut aux États-Unis démontrait l’absence d’une crainte subjective, la Commission n’a pas tenu compte du fait que, selon son témoignage, la demanderesse avait sollicité la résidence permanente, quoique sans succès, pour motif de protection contre la violence familiale. La demanderesse soutient en outre qu’elle ne pouvait demander l’asile aux États-Unis puisque son agent de persécution était un citoyen de ce pays.

 

[64]           Comme je l’ai mentionné, une grande retenue est de mise à l’égard des conclusions de la Commission concernant la crédibilité, et notamment quant à l’existence d’une crainte subjective de persécution. Il était raisonnable pour la Commission en l’espèce, au vu de la preuve dont elle était saisie, de tirer les conclusions qui ont été les siennes. La Commission a examiné le témoignage et la preuve de la demanderesse, et a conclu que celle-ci n’avait pas une crainte subjective de persécution. Bien que la demanderesse ait contesté certaines des façons dont la Commission a présenté cette preuve, la Cour n’a pas pour rôle d’apprécier de nouveau la preuve dont la Commission était saisie.

 

4e question en litige –   La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant implicitement que la demanderesse disposait d’une protection de l’État adéquate?

[65]           Même si la Commission n’a pas tiré explicitement de conclusion quant à savoir si la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l’État en Équateur, elle a malgré tout fait allusion deux fois à la protection de l’État dans sa décision. La Commission a déclaré, premièrement, que le fait que la police équatorienne ait détenu l’ex-mari avant de le relâcher et de lui permettre de retourner aux États-Unis indiquait « que, au cours de cette année-là, la police équatorienne assurait la protection des femmes victimes de violence familiale » (paragraphe 28).

 

[66]           La Commission a deuxièmement déclaré ce qui suit (paragraphe 30 de la décision) :

¶30.     En outre, l’expérience négative qu’elle a vécue avec M. Norris à Quito s’est produite en 1998, soit il y a 12 ans. Depuis, comme l’indique un rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) des Nations Unies, daté du 25 avril 2008, l’Équateur, une république démocratique, semble avoir fait d’importants progrès en matière de violence familiale et sur les questions qui touchent les femmes, Outre la création d’un ombudsman pour le traitement des questions touchant les femmes et la famille, des postes de police spéciaux chargés de traiter les cas de violence contre les femmes ont été mis sur pied dans les principales régions du pays. [Renvois omis.]

 

[67]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle pouvait se réclamer de la protection de l’État en Équateur. Selon la demanderesse, la Commission n’a tenu compte d’aucun des éléments de preuve documentaire qui allait à l’encontre de sa conclusion à cet égard. Or la Commission était saisie d’éléments de preuve faisant état de corruption et d’autres problèmes d’abus au sein des services de sécurité et du système judiciaire, d’un problème largement répandu de violence familiale et sexuelle, auquel la police et le système judiciaire étaient peu disposés à faire face ainsi que d’un [traduction] « problème national », selon le rapport de 2009 sur l’Équateur du Département d’État des États-Unis, de trafic de personnes, notamment de femmes et d’enfants.

 

[68]           La Commission est tenue d’examiner si le retour d’un demandeur d’asile peut l’exposer à un risque de persécution aux fins de l’article 97, et ce, même si elle nourrit des doutes quant à la crainte subjective de ce demandeur (voir, par exemple, ma décision dans Amare c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 228 (aux paragraphes 12 et 13)). La Commission est toutefois généralement présumée avoir tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie, bien que la cour de révision puisse néanmoins conclure qu’elle ne l’a pas fait si elle a omis de traiter d’importants éléments de preuve contradictoires (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425 (C.A.F.) (QL), 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 16 et 17).

 

[69]           En l’espèce, l’agent de persécution de la demanderesse est citoyen et un résident des États‑Unis. C’est de manière raisonnable que la Commission a conclu que l’État équatorien avait adéquatement protégé la demanderesse par la mise en détention en Équateur pendant un mois de son persécuteur, avant son retour aux États-Unis, et qu’il continuerait de protéger adéquatement la demanderesse si son ex-mari devait retourner en Équateur pour la harceler. La conclusion de la Commission était par conséquent raisonnable, et la Cour n’est donc pas habilitée à intervenir face à sa conclusion selon laquelle la demanderesse obtiendrait une protection adéquate en Équateur.

 

CONCLUSION

[70]           La Cour conclut, pour les motifs précédemment exposés, qu’il ne conviendra pas d’intervenir en regard de la conclusion de la Commission selon laquelle elle ne devait faire droit à la demande d’asile ni du demandeur ni de la demanderesse. La Cour reconnaît que les motifs de la Commission concernant la preuve produite par le demandeur étaient entachés de perceptions erronées et d’omissions, mais conclut que ces erreurs n’avaient pas eu une grande incidence sur sa décision finale comme la Commission disposait pour cette décision d’un fondement distinct et indépendant.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[71]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulevait pas de question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2976-10

 

INTITULÉ :                                       GUIDO ALEJANDRO TREJOS, MARTHA CECILIA MORLAS SION c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1er FÉVRIER 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 11 FÉVRIER 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John Provart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neil Cohen,

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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