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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20101210

Dossier : IMM-1530-10

Référence : 2010 CF 1274

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

YAN SI YANG

 

 

demanderesse

 

et

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 24 février 2010 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la décision), dans laquelle la SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine. Elle a vécu et travaillé dans la ville de Guangzhou dans sa province natale, au Guangdong, avant de venir au Canada. En mai 2007, elle est devenue membre d’une maison-église fréquentée par neuf autres chrétiens. Ensemble, ils récitaient des extraits de la Bible et en discutaient, témoignaient et priaient. Un pasteur est allé une seule fois à l’église pendant la période où la demanderesse l’a fréquentée, soit pendant environ 10 mois.

 

[3]               La demanderesse affirme que, le 23 mars 2008, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente à la maison‑église. Elle a été capable de s’échapper avant que la police arrive à l’église, mais par la suite elle a dû se cacher. Elle a ensuite appris que deux autres membres de l’église avaient été arrêtés. Alors qu’elle vivait encore cachée, l’époux de la demanderesse lui a dit que le BSP était allé à leur résidence avec l’intention de l’arrêter pour sa participation à des activités religieuses illégales. La demanderesse affirme que le BSP est retourné à plusieurs reprises à sa maison et qu’il est également allé voir si elle n’était pas chez d’autres membres de sa famille. Estimant qu’elle ne serait jamais en sécurité en Chine, la demanderesse a quitté le pays. Son époux lui a dit que le BSP continuait de la chercher et que les deux membres de l’église qui avaient été arrêtés étaient encore détenus.

 

[4]               La demanderesse est arrivée au Canada et a demandé l’asile le 8 mai 2008. Elle a comparu devant la SPR le 15 février 2010. Elle était représentée par un avocat et un interprète était présent. La SPR a rejeté sa demande dans une décision rendue le 24 février 2010. Il s’agit de la décision soumise au contrôle.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[5]               La SPR a affirmé que la question déterminante en l’espèce était le manque de crédibilité de la demanderesse en ce qui avait trait à son Formulaire de renseignements personnels et à son témoignage oral. Bien que la SPR ait accepté que les croyances de la demanderesse fussent authentiques, elle n’a pas cru le témoignage oral de la demanderesse concernant la descente à la maison‑église ni le fait que le BSP l’ait cherchée par la suite.

 

[6]               Sur le fondement de son examen de la preuve documentaire dans son ensemble et gardant à l’esprit la description fournie par la demanderesse de sa maison‑église, la SPR a conclu que la demanderesse « serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église en cas de retour chez elle, dans la province chinoise de Guangdong, et que, ce faisant, elle ne risquerait pas sérieusement d’être persécutée ».

 

[7]               La SPR s’est fondée sur un rapport de 2005 produit par le secrétaire exécutif du conseil chrétien de Hong Kong qui a noté que la province du Guangdong, tout comme la province du Fujian, a « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme » et que les autorités tolèrent les activités des églises non enregistrées, dont certaines exercent leurs activités depuis des années. Le plus récent International Religious Freedom Report [rapport de 2008 sur la liberté religieuse à l’échelle internationale] du Département d’État des États‑Unis (ci‑après le rapport du Département d’État) a fait remarquer que la majorité des groupes chrétiens en Chine ne sont pas enregistrés, qu’ils continuent de croître et qu’ils n’exercent plus leurs activités de façon strictement secrète et que, en fait, ils mènent des activités publiques. La SPR a souligné que la preuve documentaire révélait qu’il n’y avait eu aucune arrestation ou incident de persécution au Guangdong entre 2005 et 2008. Elle a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, s’il y avait eu des arrestations ou des incidents de persécution, cela aurait été rapporté.

 

[8]               La SPR a également fait état de la preuve contradictoire. Par exemple, selon le Annual Report of Persecution by the Government on Christian Churches within Mainland China [rapport annuel sur la persécution par le gouvernement envers les églises chrétiennes en Chine continentale], un pasteur a été interrogé et des biens de l’église Liangren, située au Guangdong, ont été confisqués en 2008; on ne sait pas pourquoi une descente a été effectuée dans cette église ni ce qui est advenu par la suite. En outre, la China Aid Association (l’Association d’aide à la Chine) a affirmé qu’il y a de la persécution et de la répression partout en Chine, y compris au Guangdong, et qu’elle n’avait pas recensé tous les cas de persécution. La SPR a néanmoins conclu que la situation au Guangdong ne représente pas celle qui prévalait dans de nombreuses autres provinces de la Chine et qu’aucun chrétien laïque n’y avait été persécuté dans les dernières années. Par conséquent, la demanderesse, en tant que chrétienne laïque, pourrait très vraisemblablement pratiquer en toute sécurité sa religion au Guangdong.

 

[9]               La SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger et que, pour cette raison, sa demande était rejetée.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[10]           La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son traitement de la preuve ?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[11]           Les dispositions qui suivent de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

[12]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[13]           La question en litige porte sur le traitement de la preuve. Pour l’examen de la question de savoir si la SPR a omis de tenir compte d’éléments de preuve importants ou a rejeté à tort la valeur probante de certains documents, la norme de contrôle que la Cour doit appliquer est la raisonnabilité. Voir Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53.

 

[14]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

 

            La demanderesse

 

L’absence de preuve documentaire de persécution ne veut pas dire qu’aucune persécution n’a été exercée

 

[15]           La demanderesse soutient que le simple fait que la preuve documentaire ne fait pas état de persécution ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu, particulièrement s’il s’agit d’un régime étatique qui met tout en œuvre pour faire disparaître ce genre de preuve. Voir Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 254. Il était déraisonnable que la SPR s’attende à ce que tous les incidents de persécution soient rapportés.

 

[16]           En outre, l’affirmation de la SPR selon laquelle la liberté de religion est respectée au Guangdong n’est pas étayée par la preuve documentaire. La SPR a mal apprécié la preuve. Voir Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.), paragraphe 4.

 

[17]           La demanderesse soutient également que la SPR a traité la preuve tirée du Annual Report of Persecution by the Government on Christian Churches within Mainland China de façon [traduction] « microscopique et déraisonnable ». L’affirmation de la SPR selon laquelle on ne savait pas pourquoi l’église en cause et son pasteur avaient en particulier été ciblés montre, selon la demanderesse, que la SPR a essayé de restreindre la portée de la solide preuve selon laquelle des actes de persécution étaient commis au Guangdong. La SPR s’y est essayée à nouveau par la suite : elle a modifié sa déclaration suivant laquelle rien ne donnait à penser que les chrétiens étaient persécutés et a affirmé que rien ne donnait à penser que les chrétiens « laïques » étaient persécutés. Le fait que la SPR ait essayé de restreindre la portée de la preuve révèle qu’elle avait implicitement accepté que des incidents de persécution contre les non‑laïques avaient effectivement été rapportés et que, par conséquent, la conclusion de la SPR selon laquelle la liberté de religion est respectée au Guangdong constitue une mauvaise interprétation de la preuve. La demanderesse avance que la SPR a interprété l’affirmation du rapport du Département d’État selon laquelle les églises clandestines n’exerçaient plus leurs activités de façon « strictement secrète » comme voulant dire qu’elles les exerçaient [traduction] « ouvertement ».

 

[18]           Cette interprétation est contredite par le même rapport, qui révèle que les maisons‑églises ont fait face à des difficultés lorsque davantage de personnes en sont devenues membres, lorsqu’elles ont tissé des liens avec d’autres groupes et lorsqu’elles ont réservé des locaux de façon régulière pour leurs activités religieuses. En outre, l’observation du rapport selon laquelle les représentants des États‑Unis en Chine soutiennent la liberté de religion au Guangdong révèle qu’il est nécessaire de la soutenir, contrairement à ce que la SPR a conclu.

 

[19]           Enfin, la conclusion de la SPR suivant laquelle la demanderesse serait en mesure de pratiquer sa religion « dans n’importe quelle église » au Guangdong contredit la preuve documentaire et la preuve orale qui montrent que les chrétiens comme la demanderesse doivent s’assurer de respecter certaines restrictions qui les privent de leur liberté de religion. Voir Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 182 (Fosu).

 

[20]           La demanderesse soutient que l’omission de la SPR de reconnaître l’absence de liberté de religion au Guangdong vicie la décision et que l’affaire devrait donc être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Le défendeur

            La décision est raisonnable

 

[21]           Le défendeur avance que les arguments de la demanderesse équivalent à demander à la Cour de soupeser à nouveau la preuve, ce qui irait à l’encontre de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12. Il faut faire preuve de retenue envers l’appréciation de la preuve de la SPR et ses conclusions relatives à la crédibilité.

 

[22]           Le simple fait que le témoignage oral de la demanderesse n’a pas été contredit à l’audience ne veut pas dire que la SPR est tenue de l’accepter. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). De façon semblable, il était loisible à la SPR d’accepter la preuve documentaire qui montrait que les églises non enregistrées, comme celle que fréquentait la demanderesse, pouvaient mener leurs activités sans entrave; la SPR était également en droit de rejeter le témoignage de la demanderesse selon lequel il y avait eu une descente à sa maison­église. Il était aussi raisonnable pour la SPR de tenir pour acquis que, si de telles persécutions avaient eu lieu au Guangdong, cela aurait été rapporté. Voir Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 108, paragraphe 28. Il incombe au demandeur d’établir l’élément objectif de sa crainte d’être persécuté.

 

[23]           La SPR a mentionné qu’il y avait une distinction entre persécuter un membre du clergé et persécuter un laïque. La situation de ce dernier et les risques auxquels il est exposé ne peuvent pas être comparés à ceux des membres du clergé. Voir Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 222, paragraphes 28, 29 et 35. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que, en l’absence d’arrestations ou d’incidents de persécution rapportés dans la province de Guangdong, la demanderesse était en mesure de pratiquer sa religion sans entrave. Voir Fosu, précitée, paragraphe 5.

 

            Autre mémoire du défendeur

 

[24]           Le défendeur affirme que la SPR, dans son évaluation de la situation au pays et dans les conclusions tirées à cet égard selon lesquelles la demanderesse serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église au Guangdong, avait examiné l’ensemble des documents pertinents. La SPR a expressément mentionné les documents contradictoires sur la situation au pays et a noté que la liberté de religion n’est pas la même selon les régions de la Chine. La décision était raisonnable. La demanderesse peut ne pas être d’accord avec la SPR quant à son appréciation de la preuve, mais il s’agit d’une question relevant du pouvoir discrétionnaire de la SPR. Voir Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] A.C.F. no 346 (C.A.).

 

[25]           La demanderesse a mal interprété les conclusions de la SPR lorsqu’elle a avancé que la SPR, dans sa décision, avait affirmé que la liberté de religion était respectée au Guangdong. La demanderesse a par la suite invoqué cette interprétation erronée pour soutenir que l’existence de la preuve établissant qu’un pasteur avait été interrogé dans la province de Guangdong démontrait que la SPR avait mal interprété la preuve en général. Le défendeur allègue cependant que l’évaluation de la SPR a porté, comme il se devait, sur la situation personnelle de la demanderesse et que la SPR a conclu que la demanderesse serait en mesure de pratiquer sa religion au Guangdong sans s’exposer à une possibilité sérieuse de persécution.

 

[26]           Contrairement à ce que la demanderesse a avancé, la SPR n’a pas dit que l’absence de preuve documentaire de persécution voulait dire qu’aucune persécution n’avait été exercée, et que la liberté de religion était donc respectée. L’analyse de la SPR était plus approfondie que ce que la demanderesse laisse entendre. La preuve documentaire provenait de multiples sources. Nombre de ces sources s’entendait sur les régions où il y avait encore de la persécution. De nombreuses sources ne rapportaient aucun incident de persécution au Guangdong. La SPR a conclu avec raison que, s’il y avait eu des incidents de persécution au Guangdong, il en aurait été question dans ces sources. Voir Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 310, paragraphe 32.

 

[27]           Enfin, le défendeur conteste l’allégation de la demanderesse selon laquelle le rapport du Département d’État révèle que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la liberté de religion était respectée en Chine. Premièrement, la SPR ne se fonde pas seulement sur le rapport du Département d’État à l’appui de sa conclusion. Deuxièmement, la SPR reconnaît que la liberté de religion est limitée en Chine. Troisièmement, l’analyse microscopique de la demanderesse ne tient pas compte de la teneur générale de l’ensemble de la preuve documentaire qui montre qu’il n’y a pas de persécution du fait de la religion au Guangdong. La demanderesse conteste l’examen de la preuve effectué par la SPR. Le défendeur soutient par ailleurs que la décision appartient aux issues acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité, et qu’elle est donc raisonnable.

 

ANALYSE

 

[28]           La SPR semble accepter que la demanderesse est une véritable chrétienne, même si elle ne croit pas que le BSP a fait une descente à sa maison­église. Cependant, la conclusion principale de la SPR est que la demanderesse « serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église en cas de retour chez elle, dans la province chinoise de Guangdong […] ». Les deux conclusions sont fondées sur la preuve documentaire qui ne fait mention d’aucune arrestation ou autre incident de persécution de chrétiens dans la province de Guangdong, et ce, même si cette preuve documentaire révèle bien que de tels incidents se produisent ailleurs en Chine.

 

[29]           La SPR semble arriver à la conclusion que la liberté de religion est généralement tolérée dans la province de Guangdong, du moins en ce qui concerne les chrétiens :

J’ai examiné la description fournie par la demandeure d’asile de sa maison‑église et j’ai tenu compte du fait qu’elle était située dans la province de Guangdong, où aucune arrestation ni aucun incident de persécution visant les chrétiens laïques n’ont été rapportés. À l’audience, le commissaire a demandé à la demandeure d’asile quel type d’église elle fréquenterait si elle pouvait retourner en Chine sans crainte. Elle a répondu qu’elle aimerait fréquenter une église qui lui accorderait la liberté de religion. J’ai examiné attentivement la preuve documentaire présentée et j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que la maison‑église fréquentée par la demandeure d’asile n’a jamais fait l’objet d’une descente par les autorités et, par conséquent, que la demandeure d’asile n’est pas recherchée par le BSP. Après avoir examiné la preuve documentaire susmentionnée, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église en cas de retour chez elle, dans la province chinoise de Guangdong, et que, ce faisant, elle ne risquerait pas sérieusement d’être persécutée.

 

[30]           La SPR fonde ses conclusions concernant la liberté de religion au Guangdong sur l’absence de preuve d’arrestations ou d’incidents de persécution dans cette province : « J’ai examiné l’ensemble de la preuve documentaire présentée, mais je n’ai trouvé aucune preuve récente d’arrestations ou d’incidents de persécution visant des chrétiens dans la province de Guangdong. »

 

[31]           Il semble donc que le raisonnement de la SPR soit que, parce qu’aucune arrestation ou autre incident de persécution récent au Guangdong a été rapporté, la demanderesse est libre d’y pratiquer sa religion.

 

[32]           La demanderesse invoque un rapport du Département d’État qui mentionne que le consulat général au Guangdong déploie des [traduction] « efforts concertés pour inciter le pays à respecter davantage la liberté de religion [...] ». Cependant, cela ne veut pas dire, à mon avis, que le consulat général en question reconnaissait que la liberté de religion était brimée dans la province de Guangdong. La province de Guangdong n’est pas [traduction] « le pays ».

 

[33]           En résumé, la demanderesse affirme qu’il était déraisonnable que la SPR conclût que, parce qu’aucune arrestation ou autre incident de persécution n’avait été rapporté, la demanderesse pouvait pratiquer sa religion comme elle le souhaitait au Guangdong. Cependant, dans la décision Nen Mei Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (4 février 2010), IMM‑5425‑08, page 3, la Cour semble avoir conclu qu’il s’agissait d’une conclusion raisonnable en ce qui avait trait à la province de Fujian : [traduction] « [I]l était raisonnable que la Commission conclu que, si de tels incidents de persécution avaient lieu au Fujian, ils auraient été rapportés. » Voir également Yu, précitée, paragraphe 32.

 

[34]           La demanderesse souligne également que la SPR semble ne pas avoir tenu compte de certaines mentions précises portant sur des incidents de persécution au Guangdong ni de mentions générales portant sur des incidents de persécution de chrétiens en Chine et qui n’excluaient pas le Guangdong.

 

[35]           Tout d’abord, le rapport CHN100386.EF, qui faisait partie du cartable de documentation nationale et qui a été cité en partie par la SPR, affirme bien que le Fujian et le Guangdong ont « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme ». Il y est également mentionné que « Human Rights in China (HRIC) a indiqué à la Direction des recherches, dans une communication écrite datée du 4 août 2005, que les chrétiens étaient maltraités dans le Sud de la Chine, notamment dans les régions rurales; toutefois, en raison du manque de renseignements sur le sujet, l’organisme n’a pu entrer dans les détails ».

 

[36]           Je ne pense pas que ce constat général invalide la conclusion générale de la SPR selon laquelle elle n’a trouvé « aucune preuve d’arrestations ou d’incidents de persécution récents visant des chrétiens dans la province de Guangdong », et je ne pense pas non plus que la SPR aurait dû expressément mentionner ce rapport.

 

[37]           La SPR a également mentionné l’incident ayant eu lieu à l’église Liangren, mais elle l’a écarté au motif que la preuve documentaire ne permettait pas de tirer une conclusion quant à savoir si cet incident révélait que les chrétiens étaient victimes de persécution au Guangdong. Dans la décision Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 222, le juge Lemieux a rejeté une demande de contrôle judiciaire présentée par un demandeur originaire de la province de Fujian et a accepté l’argument du défendeur selon lequel « la preuve documentaire indique qu’il y a peu de problèmes là où le demandeur vit et que, de façon générale, les gens y pratiquent leur foi librement et que les personnes susceptibles d’être indûment touchées ne correspondent pas [au] profil [du demandeur] ».

 

[38]           La preuve documentaire dans l’affaire Jiang comprenait des renseignements sur une personne qui avait été arrêtée, mais la SPR avait estimé qu’un seul exemple d’arrestation au Fujian ne justifiait qu’elle conclût que le demandeur serait exposé à de la persécution. Il en est de même en l’espèce en ce qui a trait à l’incident de l’église Liangren.

 

[39]           La demanderesse renvoie également à un rapport daté du 22 juin 2007 portant sur des descentes visant des maisons­églises protestantes ayant eu lieu entre 2005 et 2007 (voir CHN102492.EF dans le cartable de documentation nationale). Ce rapport fait état d’un reportage de AsiaNews daté du 12 décembre 2006 qui mentionnait « la fermeture forcée de maisons-églises dans les provinces [...] de Guangdong [...] ».

 

[40]           Encore une fois, gardant à l’esprit la date de ce rapport et d’autres documents qui font état de tolérance envers les maisons­églises au Guangdong, je ne pense pas que ces éléments de preuve font en sorte que la conclusion de la SPR – qui a été tirée sur le fondement de l’ensemble de la preuve et selon laquelle il n’y avait « aucune preuve d’arrestations ou d’incidents de persécution récents visant des chrétiens dans la province de Guangdong » – était déraisonnable.

 

[41]           Deux décisions récentes de la Cour portent sur des questions semblables à celles soulevées en l’espèce. Tout d’abord, le juge Crampton, à la page 3 de la décision Nen Mei Lin, précitée, donne des précisions utiles qui, pour la plupart, s’appliquent à l’espèce en ce qui a trait à Guangdong :

[traduction]

 

La preuve documentaire examinée et expressément traitée par la Commission dans sa décision révèle que les arrestations de chrétiens ont continué dans certaines régions de la Chine dans les dernières années. Cependant, dans les documents dont disposait la Commission, il n’y avait aucune mention d’arrestation ou d’autre type d’incident de persécution qui, selon la demanderesse, aurait lieu dans sa province d’origine, Fujian. Vu les détails précis mentionnés dans ces documents, à savoir les dates et les endroits où ont eu lieu ces arrestations et où ont été prises d’autres mesures visant à dissuader les chrétiens de pratiquer des activités religieuses en Chine, il était raisonnable pour la Commission de conclure que, si de tels incidents de persécution avaient eu lieu au Fujian, ils auraient été rapportés.

 

Le fait qu’un très petit nombre de catholiques ont été arrêtés en 2002, en 2003 et en 2005 au Fujian ne rend pas la décision de la Commission déraisonnable, particulièrement (i) vu que le demandeur est un protestant; (ii) vu que l’augmentation de la tolérance envers les chrétiens en Chine dans les dernières années trouve écho dans la volumineuse preuve portée à la connaissance de la Commission; (iii) vu que les réunions de prières et d’études de la Bible entre amis et parent sont légales et qu’il n’est pas nécessaire de les enregistrer auprès des autorités de la Chine; (iv) vu qu’il y avait une preuve non contestée selon laquelle les «  autorités locales […] font habituellement preuve de tolérance envers les activités des groupes chrétiens non enregistrés » et (v) vu la nature des activités chrétiennes auxquelles a participé la demanderesse au Canada, lesquelles ont été précisément examinées par la Commission.

 

[42]           Dans la seconde décision, soit la décision Yu, précitée, le juge Zinn, aux paragraphes 31 et 32, fournit également des précisions quant aux faits dont je suis saisi, et ce, malgré que la présente affaire concerne la province de Guangdong et la province de Fujian :

31.       En l’espèce, la seule preuve qui a été présentée à la Commission au sujet de la descente à l’église clandestine du demandeur était le témoignage de celui‑ci. Aucune preuve corroborant ce récit n’a été présentée. Bien que la Commission ait conclu que le demandeur était crédible, puisqu’elle a accepté qu’il était chrétien et qu’il fréquentait une église clandestine dans la province du Fujian, la Commission était saisie d’autres éléments de preuve qui mettaient en doute son récit au sujet de la descente.

 

32.       L’autre preuve était la preuve documentaire. Elle ne contredisait pas directement le témoignage du demandeur, puisqu’elle ne prétendait pas qu’aucune église clandestine n’avait jamais fait l’objet d’une descente dans la province du Fujian. Cela n’est pas surprenant, puisqu’il est peu probable qu’on puisse trouver un rapport au sujet de quelque chose qui n’est pas arrivé, puisque ce sont les événements, et non les non-événements, qui font l’objet de rapports. Néanmoins, la preuve documentaire permet de supposer qu’aucune descente n’a eu lieu. Elle permet cette conclusion, comme la Commission l’a noté, pour de nombreuses raisons, notamment :

 

1.         Il existe un énorme écart dans la façon dont les églises clandestines sont traitées en Chine. Dans certaines parties du pays, des églises clandestines qui ont une grande congrégation exercent leurs activités ouvertement, sans objection des autorités, alors que dans d’autres parties du pays, des églises clandestines qui ont de petites congrégations sont visées par les autorités.

 

2.         Les chrétiens protestants qui tentent de se réunir en larges groupes, qui se déplacent en Chine et à l’extérieur de la Chine pour des rencontres religieuses sont plus à risque d’être visés par les autorités.

 

3.         Il existe des preuves documentaires de persécution religieuse des églises clandestines et de leurs membres dans de nombreuses parties de la Chine, y compris dans des régions éloignées, mais il n’existe que très peu de preuve d’une telle persécution dans la province du Fujian.

 

4.         La preuve existante de persécution religieuse dans la province du Fujian porte sur l’église catholique.

 

[43]           Je pense que la SPR dit que les documents, interprétés dans leur ensemble, ne donnent pas à penser que la demanderesse, si elle retournait au Guangdong, ne pourrait pas pratiquer sa religion de façon aussi libre qu’elle semble le vouloir. Vu la preuve dont disposait la SPR, je ne peux pas affirmer que cette conclusion était déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.

 


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-1530-10

 

INTITULÉ :                                       YAN SI YANG

      

                                                                                                                        demanderesse

                                                            c.

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                        défendeur

                                                 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 novembre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine                                                                          DEMANDERESSE

                                                                                               

Deborah Drukarsh                                                                    DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates                                                                     DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                        DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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