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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date: 20101006

Dossier : IMM-3335-09

Référence : 2010 CF 998

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE

EVENS PLAISIMOND et

ROSE ADELLE PLAISIMOND

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision datée du 1er juin 2009 (la décision) dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé aux deux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention et de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur et la demanderesse sont frère et sœur et citoyens haïtiens. Ils ne se sont pas enfuis d’Haïti au même moment, mais soutiennent que les raisons de leur départ sont liées.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’en 1999, il s’est joint au Mouvement Chrétien pour une Nouvelle Haïti (le MOCHRENHA ou le mouvement), qui s'opposait au régime de Jean-Bertrand Aristide. Il a notamment assisté à des réunions et à des manifestations publiques, il a distribué des renseignements sur le mouvement et a formé de nouveaux membres.

 

[4]               Le demandeur allègue qu’à plusieurs reprises, il a été attaqué par des membres du parti Lavalas, lequel soutenait le régime d’Aristide. Le 15 avril 2000, un lavalassiste a averti le demandeur d’arrêter de distribuer des brochures, sinon il serait battu ou tué. L’homme est revenu quinze minutes plus tard accompagné d’autres hommes et ils ont commencé à bourrer le demandeur de coups de poing. Après les élections du 21 mai 2000, celui-ci a participé à au moins quatre manifestations et y a été battu chaque fois par des lavalassistes et par des policiers. Le 20 juin 2000, des lavalassistes ont encore attaqué le demandeur après une manifestation. Celui-ci est parti vivre chez ses parents à Camp-Perrin jusqu’en août 2000, puis il est revenu chez lui à Christ Roi. Le 3 août 2000, alors qu’il était chez lui avec son cousin et sa petite amie, trois lavalassistes, des « chimères », sont entrés de force et les ont battus tous les trois. Le demandeur est allé chez la demanderesse et y est resté jusqu’au 15 septembre 2000.

 

[5]               Le demandeur a quitté Haïti le 11 octobre 2000. Il est arrivé par bateau aux États-Unis le 17 octobre 2000 environ. Il s’y est marié en 2001. N'étant pas entré à un point d’immigration officiel, ses demandes en vue d’obtenir l’asile et de demeurer aux États-Unis par parrainage entre époux ont été refusées. Il a divorcé en 2006, et un enfant du mariage est décédé. Il s’est remarié en 2006 et est arrivé au Canada en octobre 2006 pour présenter une demande d’asile. Il réside en Ontario avec sa femme et l’enfant de leur mariage. Sa demande a été jointe à celle de la demanderesse, puisqu’ils sont frère et sœur, conformément au paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés.

 

[6]               La demanderesse allègue que pendant que le demandeur habitait chez elle, les amis de celui-ci y venaient aussi et qu’ils écoutaient ensemble les informations à la radio. Ils avaient continué de le faire même après que le demandeur eut quitté Haïti.

 

[7]               La demanderesse allègue également que le 23 janvier 2002, cinq hommes ont pénétré de force chez elle. Ils ont demandé à voir son frère et elle leur a dit qu’il était parti. Elle a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) que l’un des trois hommes avait pointé son fusil sur elle et avait dit [traduction] « C’est pour les terroristes qui n’aiment pas le président. »

 

[8]               La demanderesse allègue que le 9 mars 2002, après une journée et demie de coups de feu nourris dans son quartier, son mari et elle ont été réveillés à 4 heures par des coups frappés à la porte de leur domicile. Deux hommes sont entrés de force, ont frappé son mari, ont attaché l’une de leurs filles à une chaise et ont saccagé la maison. Un homme a tenté de violer la demanderesse, puis l'a battue. Environ trente minutes après, les hommes sont sortis en disant qu’ils reviendraient. Elle a obtenu un visa canadien pour quitter Haïti en août 2002. Son mari et ses enfants y sont demeurés.

 

[9]               La demanderesse n’a pas demandé l’asile à son arrivée au Canada en août 2002. Sur les incitations de sa cousine aux États-Unis, elle y est entrée illégalement en octobre 2002 et y est restée jusqu’en avril 2008. C’est alors qu’elle est revenue au Canada pour y présenter une demande d’asile.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

            Le demandeur

 

[10]           La SPR a conclu que le témoignage du demandeur à l’égard de trois incidents avait été incohérent et que le fait qu’il n’ait pas expliqué de façon raisonnable ces incohérences avait jeté le doute sur sa crédibilité.

 

[11]           En premier lieu, à propos des coups reçus le 15 avril 2000, le demandeur a affirmé dans sa déclaration au point d’entrée (la DPE) qu’il avait été battu par trois hommes. Dans le FRP, il a affirmé qu’ils étaient quatre. Lors de l’audience de la SPR, il a déclaré qu’ils étaient cinq. Quand on lui a demandé d’expliquer les incohérences, il a dit que c’était une erreur d’interprétation.

 

[12]           En deuxième lieu, à l’audience, la SPR lui a demandé combien de temps s’était écoulé entre les coups reçus à la manifestation du 20 juin 2000 et son déménagement ultérieur à Camp-Perrin. Il a initialement répondu quelques jours, puis quelques semaines. Quand on l’a interrogé sur cette incohérence, il a répondu que quelques jours et quelques semaines, c’était pareil pour lui.

 

[13]           En troisième lieu, à l’audience, la SPR l’a interrogé sur l'effraction de domicile et l’agression par des lavalassistes le 3 août 2000. Il avait déclaré dans le FRP que les hommes étaient entrés et avaient demandé : [traduction] « Où est Evens? » Toutefois, à l’audience, quand il a raconté ce qu’ils avaient dit, il n’a pas mentionné qu’ils avaient dit : « Où est Evens? » Il a affirmé en revanche que les hommes s’étaient introduits dans sa maison parce qu’ils cherchaient des membres du MOCHRENHA et qu'ils l’avaient reconnu. Après que le demandeur eut relaté quelques-uns de leurs propos, on lui a demandé s’il y en avait d’autres qu'il pouvait se rappeler. Il a répondu qu’il avait dit tout ce dont il se souvenait alors. Quand la SPR lui a rappelé qu’il avait affirmé dans le FRP que les hommes avaient demandé « où est Evens? », il a répondu que oui, ils avaient bien posé cette question, pendant qu’ils frappaient à la porte. La SPR lui a alors rappelé qu’il avait affirmé dans le FRP que les hommes étaient déjà dans la maison quand ils avaient demandé nommément à le voir. Le demandeur a dit qu’à ce moment-là, il essayait de s’échapper par la porte arrière de la maison. On lui a demandé pourquoi il n’avait pas affirmé que les hommes avaient demandé nommément à le voir. Il a hésité, puis a répondu qu’il l’ignorait. La SPR a conclu que le témoignage incohérent du demandeur sur le point de savoir si les hommes avaient pénétré chez lui parce que c’était lui qu’ils cherchaient précisément jetait le doute sur sa crédibilité.

 

[14]           Enfin, la SPR a conclu que des hommes s’étaient peut-être introduits dans la maison, mais que c’était à des fins criminelles. Selon le témoignage du demandeur, il y avait eu beaucoup de coups de feu dans les parages. La SPR s’est fondée sur la preuve documentaire selon laquelle la criminalité violente était à l’époque généralisée en Haïti, mais que les violences politiques y étaient faibles. Cette conclusion correspond à un rapport rédigé par un juge de paix, selon lequel le domicile du demandeur avait été vandalisé par des personnes armées non identifiées.

 

[15]           La SPR a par ailleurs conclu que les affirmations du demandeur selon lesquelles il appartenait au MOCHRENHA n’étaient pas crédibles. Même s’il avait présenté une lettre du mouvement faisant état qu’il en était membre depuis 1999 et qu’il avait été responsable de la formation des nouveaux membres, il n’avait pas été en mesure de fournir des précisions sur le programme et l’idéologie du mouvement. De surcroît, la lettre ne faisait pas état des coups infligés, que le mouvement aurait dû, de l’avis de la SPR, mentionner à l’appui du témoignage du demandeur du fait de son appartenance au mouvement. La SPR n’a pas retenu son observation que cette information ne figurait pas dans la lettre simplement parce qu’il n’avait pas demandé de l’y inclure.

 

[16]           Enfin, selon le rapport sur l'effraction de domicile rédigé par le juge de paix, les hommes ont dit qu’ils allaient [traduction] « éliminer tous les membres de la Convergence démocratique », et non [traduction] « éliminer tous les membres du MOCHRENHA ». La SPR a demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas dit qu’il appartenait à Convergence démocratique. Il a hésité, puis a expliqué que le MOCHRENHA fait partie de Convergence démocratique et que le juge de paix savait qu’il appartenait au MOCHRENHA. Cette explication n’a pas convaincu la SPR selon la prépondérance de la preuve que le demandeur appartenait au MOCHRENHA, et la SPR a affirmé que cela mettait en cause le coeur même de la demande d'asile.

 

[17]           La SPR n’a certes pas refusé de croire tous les propos du demandeur, mais a conclu qu’il n’était pas crédible ni digne de foi. Elle s’est fondée sur ce que le juge MacGuigan a affirmé au paragraphe 8 de Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.) (QL) :

[...] même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter ... de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication [...]

 

La SPR a conclu de surcroît que le demandeur n’avait pas établi qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution pour l'un des motifs prévus à la Convention.

 

            La demanderesse

 

[18]           La SPR a conclu selon la prépondérance de la preuve que la demanderesse n’avait pas dit la vérité.

 

[19]           La demanderesse soutient que ses problèmes ont commencé à cause des activités du demandeur. Elle a déclaré à l’audience que des hommes avaient fait irruption chez elle tôt le 9 mars 2002, cherchant à savoir où était le demandeur. Cependant, elle n’en avait pas fait mention dans le FRP. Quand on l’a interrogée à propos de cette incohérence, elle a déclaré avoir oublié d'inclure cet élément. La SPR n’a pas ajouté foi à cette explication et a conclu que le manque de crédibilité sur ce point touchait au cœur même de son allégation selon laquelle elle craignait d’être persécutée parce qu’elle était la sœur du demandeur.

 

[20]           À l’égard du même incident, la SPR a demandé à la demanderesse pourquoi en pleine nuit, son mari avait ouvert leur porte à des étrangers alors que, selon son propre témoignage, le quartier était dangereux et que toute la nuit on avait tiré des coups de feu. Elle a répondu qu’ils avaient pensé qu’un voisin avait peut-être besoin d'aide et que les hommes avaient frappé très fort à la porte. La SPR a estimé que cette explication n’était pas plausible.

 

[21]           La SPR a accepté les observations de l’avocat des demandeurs suivant lesquelles si la revendication par le demandeur du statut de réfugié au sens de la Convention échouait, celle de la demanderesse échouerait également.

 

[22]           La SPR a conclu que ni le demandeur, ni la demanderesse ne s’étaient acquittés de l’obligation d’établir qu'ils risquaient vraisemblablement d'être persécutés pour l'un des motifs prévus à la Convention et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention.

 

[23]           La SPR a par ailleurs affirmé qu’elle avait étudié la demande de la demanderesse conformément à la directive donnée par le président « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe ».

 

Les demandes fondées sur l’article 97

 

[24]           Après s’être prononcée sur les demandes fondées sur l’article 96, la SPR a examiné celles fondées sur l’article 97 et relatives à la qualité de personne à protéger.

 

[25]           La SPR a reconnu que la sécurité et la stabilité d’Haïti demeurent fragiles et que la situation des droits de la personne y est désastreuse, l’impunité étant la règle pour la plupart des violations. Se fondant sur la conclusion de la Cour dans Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, la SPR a conclu que « le risque d'être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens ». Selon la prépondérance de la preuve, si le demandeur et la demanderesse devaient être renvoyés en Haïti, ils ne seraient pas personnellement exposés à un risque d'être soumis à la torture ou à une menace à leur vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités.

 

LES QUESTIONS À TRANCHER

 

[26]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions sur la crédibilité?

b.                  La SPR a-t-elle omis de tenir compte de la preuve documentaire relative à la situation politique en Haïti ou l'a-t-elle mal évaluée, en particulier quand elle a apprécié les craintes qu'avait le demandeur en 2000 par rapport à la preuve documentaire de 2008?

c.                   La SPR a-t-elle mal examiné l’allégation de la demanderesse de persécution fondée sur le sexe?

d.                  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’applicabilité de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

 

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

 

[27]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

[28]           Les dispositions suivantes des directives données par le président en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, Directive no 4 « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » sont également applicables en l’espèce :

A. DÉTERMINATION DE LA NATURE ET DES MOTIFS DE LA PERSÉCUTION

...

 

I. PROPOSITION GÉNÉRALE

 

Même si le sexe n'est pas mentionné de façon explicite comme l'un des motifs permettant d'établir le statut de réfugié au sens de la Convention, la définition de réfugié au sens de la Convention peut être interprétée à bon droit de façon à protéger les femmes qui démontrent une crainte justifiée de persécution fondée sur le sexe pour l'un des motifs énumérés ou une combinaison de ceux-ci.

 

Avant de déterminer le ou les motifs qu'il convient d'appliquer dans un cas donné, les décideurs doivent d'abord préciser la nature de la persécution que la revendicatrice redoute.

Généralement, les revendicatrices du statut de réfugié peuvent être classées en quatre grandes catégories, bien que ces catégories ne soient pas mutuellement exclusives ou exhaustives:

 

1.  Les femmes qui craignent d'être persécutées pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que les hommes. Dans ce cas-ci, le facteur de risque ne réside pas dans leur sexe en tant que tel, mais plutôt dans leur identité particulière (sur les plans racial, national ou social) ou dans leurs croyances, imputées ou véritables (c'est-à-dire leurs croyances religieuses ou leurs opinions politiques). Dans ces cas, l'analyse essentielle ne varie pas en fonction du sexe de la personne, mais la nature du préjudice redouté et les questions de procédure à l'audience peuvent varier.

                

2.  Les femmes qui craignent d'être persécutées uniquement pour des motifs liés à la parenté, c'est-à-dire en raison du statut, des activités ou des opinions de leurs conjoints, père et mère, et frères et sœurs, ou autres membres de leur famille. Dans ces cas de « persécution de la parenté », les femmes craignent habituellement que l'on commette des actes de violence à leur endroit ou d'autres formes de harcèlement sans qu'elles soient elles-mêmes accusées d'avoir des opinions ou convictions politiques opposées, pour les inciter à révéler des renseignements concernant les allées et venues ou les activités politiques des membres de leur famille. Elles peuvent également se faire attribuer des opinions politiques en raison des activités des membres de leur famille.

 

3.  Les femmes qui craignent d'être persécutées à la suite de certains actes de grave discrimination sexuelle ou d'actes de violence de la part des autorités publiques ou même de citoyens privés, lorsque l'État ne veut pas ou ne peut pas les protéger de façon appropriée. Dans le contexte du droit des réfugiés, cette discrimination peut équivaloir à de la persécution, si elle cause un grave préjudice pour la revendicatrice et qu'elle est imposée en raison de l'un des motifs de persécution énumérés dans la loi ou d'une combinaison de ceux-ci. Les actes de violence qu'une femme peut redouter comprennent les situations de violence familiale et de guerre civile.

  

 

 

4.  Les femmes qui craignent d'être persécutées pour avoir violé certaines coutumes, lois et pratiques religieuses discriminatoires à l'endroit des femmes dans leur pays d'origine. En isolant les femmes et en les plaçant dans une position plus vulnérable que les hommes, ces lois et pratiques peuvent créer des conditions préalables à l'existence d'un groupe social défini par le sexe. Les préceptes religieux, traditions sociales ou normes culturelles que les femmes peuvent être accusées de violer sont variés, qu'il s'agisse du choix de leur propre conjoint plutôt que de l'obligation d'accepter un mariage imposé, du maquillage, de la visibilité ou de la longueur des cheveux ou du type de vêtements qu'elles choisissent de porter.            

 ...

D. PROBLÈMES SPÉCIAUX LORS DES AUDIENCES RELATIVES À LA DÉTERMINATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

 

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

 

1.  Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginité ou la dignité de l'épouse constitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de « honte » pour elles-mêmes et de ne pas déshonorer leur famille ou leur collectivité.

                   

2.  Les femmes provenant de certaines cultures où les hommes ne parlent pas de leurs activités politiques, militaires ou même sociales à leurs épouses, filles ou mères peuvent se trouver dans une situation difficile lorsqu'elles sont interrogées au sujet des expériences de leurs parents de sexe masculin.

          

Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu'on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. De façon analogue, les femmes qui ont fait l'objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner. Dans certains cas, il conviendra de se demander si la revendicatrice devrait être autorisée à témoigner à l'extérieur de la salle d'audience par affidavit ou sur vidéo, ou bien devant des commissaires et des agents chargés de la revendication ayant reçu une formation spéciale dans le domaine de la violence faite aux femmes. Les commissaires doivent bien connaître les Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées publiées par le comité exécutif du HCR.

A. DETERMINING THE NATURE AND THE GROUNDS OF THE PERSECUTION

...

 

I. GENERAL PROPOSITION

 

 

Although gender is not specifically enumerated as one of the grounds for establishing Convention refugee status, the definition of Convention refugee may properly be interpreted as providing protection for women who demonstrate a well-founded fear of gender-related persecution by reason of any one, or a combination of, the enumerated grounds.

 

 

 

 

Before determining the appropriate ground(s) applicable to the claim, decision-makers must first identify the nature of the persecution feared by the claimant.

Generally speaking, women refugee claimants may be put into four broad categories, although these categories are not mutually exclusive or exhaustive:

 

 

 

 

1.  Women who fear persecution on the same Convention grounds, and in similar circumstances, as men. That is, the risk factor is not their sexual status, per se, but rather their particular identity (i.e. racial, national or social) or what they believe in, or are perceived to believe in (i.e. religion or political opinion). In such claims, the substantive analysis does not vary as a function of the person's gender, although the nature of the harm feared and procedural issues at the hearing may vary as a function of the claimant's gender.

 

  

 

 

 

2.  Women who fear persecution solely for reasons pertaining to kinship, i.e. because of the status, activities or views of their spouses, parents, and siblings, or other family members . Such cases of "persecution of kin" typically involve violence or other forms of harassment against women, who are not themselves accused of any antagonistic views or political convictions, in order to pressure them into revealing information about the whereabouts or the political activities of their family members. Women may also have political opinions imputed to them based on the activities of members of their family.

 

 

 

 

 

 

 

 

3.  Women who fear persecution resulting from certain circumstances of severe discrimination on grounds of gender or acts of violence either by public authorities or at the hands of private citizens from whose actions the state is unwilling or unable to adequately protect the concerned persons. In the refugee law context, such discrimination may amount to persecution if it leads to consequences of a substantially prejudicial nature for the claimant and if it is imposed on account of any one, or a combination, of the statutory grounds for persecution. The acts of violence which a woman may fear include violence inflicted in situations of domestic violence and situations of civil war.

 

 

 

4.  Women who fear persecution as the consequence of failing to conform to, or for transgressing, certain gender-discriminating religious or customary laws and practices in their country of origin. Such laws and practices, by singling out women and placing them in a more vulnerable position than men, may create conditions for the existence of a gender-defined social group. The religious precepts, social traditions or cultural norms which women may be accused of violating can range from choosing their own spouses instead of accepting an arranged marriage, to such matters as the wearing of make-up, the visibility or length of hair, or the type of clothing a woman chooses to wear.

...

 

 

D. SPECIAL PROBLEMS AT DETERMINATION HEARINGS

  

 

 

Women refugee claimants face special problems in demonstrating that their claims are credible and trustworthy. Some of the difficulties may arise because of cross-cultural misunderstandings. For example:

  

 

 

 

 

1.  Women from societies where the preservation of one's virginity or marital dignity is the cultural norm may be reluctant to disclose their experiences of sexual violence in order to keep their "shame" to themselves and not dishonour their family or community.

 

 

  

 

2.  Women from certain cultures where men do not share the details of their political, military or even social activities with their spouses, daughters or mothers may find themselves in a difficult situation when questioned about the experiences of their male relatives.

  

 

 

Women refugee claimants who have suffered sexual violence may exhibit a pattern of symptoms referred to as Rape Trauma Syndrome, and may require extremely sensitive handling. Similarly, women who have been subjected to domestic violence may exhibit a pattern of symptoms referred to as Battered Woman Syndrome and may also be reluctant to testify. In some cases it will be appropriate to consider whether claimants should be allowed to have the option of providing their testimony outside the hearing room by affidavit or by videotape, or in front of members and refugee claims officers specifically trained in dealing with violence against women. Members should be familiar with the UNHCR Executive Committee Guidelines on the Protection of Refugee Women.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[29]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[30]           La SPR a fondé sa décision sur la crédibilité des demandeurs. L’évaluation de la crédibilité relève de la compétence de la Commission. C’est pourquoi les conclusions quant à la crédibilité commandent pour le contrôle l’application de la norme de raisonnabilité. Voir Triana Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] A.C.F. no 732, paragraphe 14.

 

[31]           Les demandeurs ont également présenté à la Cour une question sur le traitement par la SPR de la preuve dont elle avait été saisie. La raisonnabilité est la norme à appliquer pour déterminer si l’agent a erronément omis de tenir compte de certains documents ou s'il n'en a pas reconnu la valeur probante. Voir Dunsmuir, précité, paragraphes 51 et 53.

 

[32]           La demanderesse prétend que la SPR n’a pas examiné sa demande dans le contexte des directives du 9 mars 1993, données par le président en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, concernant les « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » (les Directives). « Lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité, les Directives deviennent subsumées sous la norme de contrôle de la décision raisonnable, telle que celle-ci s’applique aux conclusions sur la crédibilité. » Voir Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 106, [2009] A.C.F. no 109, paragraphe13. Cette question sera à ce titre examinée selon la norme de raisonnabilité.

 

[33]           La façon dont la Commission a appliqué aux faits l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sera également examinée selon la norme de raisonnabilité. Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 164.

 

[34]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les demandeurs

Les conclusions quant à la crédibilité sont entachées d’erreurs

 

[35]           Les demandeurs prétendent que la SPR n’a pas fondé ses conclusions quant à la crédibilité sur des considérations pertinentes. Elle a plutôt « manifest[é] une vigilance excessive en examinant à la loupe [les éléments de preuve] », selon la caractérisation de la Cour d’appel fédérale dans Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168. La préoccupation de la SPR pour savoir si trois, quatre ou cinq hommes avaient attaqué le demandeur et si celui-ci était parti pour Camp-Perrin quelques jours ou quelques semaines après la manifestation du 20 juin 2000 relève de la mesquinerie. Ces faits étaient survenus neuf ans plus tôt. Ce qui importe, c’est que les déclarations du demandeur aient eu une cohérence générale.

 

[36]           Les demandeurs prétendent par ailleurs que quelques-unes des incohérences relevées par la SPR pourraient être dues à des différences culturelles. Ainsi que l’a souligné le juge Muldoon dans  Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1131 :

Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

 

À titre d’exemple, il n’a pas été raisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que la lettre fournie par le demandeur pour prouver son appartenance au MOCHRENHA confirme qu’il avait subi de mauvais traitements. Ce n’était pas la fonction officielle du mouvement dans les circonstances. La lettre affirmait que le demandeur appartenait au mouvement. Il n’a pas été raisonnable de la part de la SPR de ne pas être convaincue à l’égard de ce point.

 

[37]           De même, la SPR aurait dû se demander si des différences culturelles pouvaient expliquer pourquoi la demanderesse avait décidé d’ouvrir sa porte la nuit où elle avait été attaquée chez elle. Elle a expliqué que les hommes avaient frappé à la porte de façon insistante. Il n'était pas raisonnable de la part de la SPR de supposer que si elle avait fait comme si elle n’entendait rien, on aurait cessé de frapper.

 

[38]           Les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas été raisonnable en mettant en doute la crédibilité de la demanderesse parce qu'elle avait omis de mentionner dans le FRP qu’une fois ses assaillants avaient demandé nommément à voir son frère. Les Règles de la Section de la protection des réfugiés donnent aux revendicateurs la possibilité de modifier le FRP (Ameir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 876, paragraphes 21 à 26), et la demanderesse avait mentionné dans le sien qu’après réflexion, elle transmettrait peut-être des renseignements supplémentaires. Le FRP est un exposé initial. En s’attendant à un exposé complet dès le départ, la SPR a été déraisonnable (Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1034 (C.F.)).

 

La SPR s’est trompée dans son examen de la preuve

 

[39]           La SPR s’est trompée quand elle a conclu que l'effraction du domicile du demandeur avait des fins criminelles et non politiques. L’observation de la SPR selon laquelle sa petite amie et son cousin avaient été battus eux aussi laisse entendre que le demandeur n’était pas visé.

 

[40]           Les faits en cause datent de 2000, et pourtant la SPR s’est fondée sur des preuves documentaires de la situation en Haïti en 2008. La Commission s’est fondée sur ces preuves pour conclure que la violence criminelle était généralisée et qu’elle dépassait de beaucoup la violence politique, laquelle était moins fréquente. Une telle conclusion était inappropriée, d’autant plus que la SPR disposait de preuves qu’il y avait eu pendant l’élection de 2000 beaucoup de violence à caractère politique.

 

[41]           Enfin, la SPR n'a pas tenu compte de la preuve documentaire selon laquelle Convergence démocratique chapeautait des groupes d’opposition tels que le MOCHRENHA. Elle s’est de plus trompée quand elle a conclu que dans le rapport du juge de paix, la référence à « Convergence démocratique », plutôt qu’au « MOCHRENHA », nuisait à la crédibilité du demandeur.

 

L’allégation de persécution fondée sur le sexe n’a pas été correctement évaluée

 

[42]           La Commission s’est trompée et n’a pas correctement apprécié la demande de la demanderesse pour persécution fondée sur le sexe. La Cour suprême du Canada a conclu dans son arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward), que la Commission doit examiner tous les motifs de demande d'asile, même ceux qui n'ont pas été soulevés par le demandeur au cours de l'audience. Ainsi que le fait remarquer la juge Dawson dans Viafara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1914, au paragraphe 6 :

Cette obligation découle de la directive, énoncée au paragraphe 67 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR), selon laquelle le demandeur n'a pas l'obligation de préciser les motifs pour lesquels il serait persécuté.

 

 

[43]           La SPR a déclaré avoir examiné la demande d’asile au regard des Directives, mais elle n’a pas réellement porté attention à l’appréciation de la demande fondée sur le sexe. La juge Mactavish a fait observer dans Bastien c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1218, aux paragraphes 8 et 10 à 13 :

Le fait que la Commission n’ait pas cru le récit de Mme Bastien ne met cependant pas fin à l’affaire, puisque Mme Bastien déclare aussi courir des risques en Haïti parce qu’elle est une femme. En outre, dans son Formulaire de renseignements personnels, Mme Bastien a aussi déclaré qu’elle courrait des risques en Haïti parce qu’elle reviendrait de l’étranger et qu’elle serait ainsi la cible de bandits armés [...] Le fait que la Commission ait conclu qu’elle n’était pas crédible relativement aux faits qui sous-tendent la partie de sa demande fondée sur ses activités politiques et celles de son partenaire n’était pas pertinent quant à cet aspect de sa demande.

 

[44]           La juge Mactavish a précisé dans Bastien, précitée, que les questions dont avait été saisie la Commission portaient sur le point de savoir si les femmes, en général, en Haïti, de même que celles revenant en Haïti de l’étranger, constituaient des groupes sociaux et si la situation du pays démontrait que Mme Bastien y courrait personnellement un risque.

 

[45]           Une abondante preuve documentaire concernant la situation des femmes en Haïti figure dans les pièces C et D, qui ont été présentées à la SPR, notamment la reconnaissance par Amnesty International de la violence sexuelle contre les femmes en 2008. La SPR disposait de ce qu’il lui fallait pour mener une analyse telle que celle dont fait état la juge Mactavish dans l'affaire Bastien, précitée, et elle a commis une erreur en ne la faisant pas.

 

L’analyse fondée sur l’article 97 est incomplète

 

[46]           La Cour a récemment rendu des décisions sur l’applicabilité de l’article 97 à des situations de violence généralisée. Certes, la SPR a renvoyé à Prophète, précitée, mais elle n’a pas analysé s’il existait ou non un risque actuel ou futur pour la demanderesse. La déclaration de la SPR que le risque que courent les demandeurs est le même que courent tous les Haïtiens est sans fondement.

 

Le défendeur

                        Les conclusions quant à la crédibilité étaient raisonnables

                                    Le demandeur

 

[47]           La SPR n’a pas commis d’erreur quand elle a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son obligation d’établir qu’il appartenait au MOCHRENHA. Étant donné le manque de connaissances qu’il avait du programme et de l’idéologie du mouvement, connaissances qu'une personne responsable de former les nouveaux membres du mouvement devrait avoir, penserait-on, la SPR a avec raison accordé peu de poids à la lettre. Voir Houssou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1375, paragraphe 20.

 

[48]           Le demandeur a contredit le FRP ou son propre témoignage sur plusieurs points. Il a en premier lieu augmenté le nombre des hommes qui l’avaient attaqué le 15 avril 2000.

 

[49]           En deuxième lieu, il n’a pas répondu de façon cohérente quand on lui a demandé combien de temps s’était écoulé entre les coups censément reçus le 20 juin 2000 et son déménagement à Camp-Perrin. Quand on lui a demandé s’il s’agissait de quelques jours ou de quelques semaines, il a répondu que quelques jours et quelques semaines, c’était pareil pour lui.

 

[50]           En troisième lieu, le demandeur a répondu de façon incohérente sur le point de savoir si oui ou non, c’est lui que l’on visait lors de l'effraction de domicile le 3 août 2000. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas dit, dans son récit initial lors de l’entrevue, que les hommes avaient demandé nommément à le voir, il a déclaré qu’il l’ignorait.

 

[51]           Ces contradictions sont au centre même de la demande d’asile. C’est avec raison que la SPR a conclu que le demandeur n’était ni fiable, ni crédible.

 

[52]           À propos du fait que la SPR a utilisé des documents de 2008 pour examiner des faits ayant censément eu lieu en 2000, le défendeur admet que la SPR a peut-être commis une erreur. Cependant, d’autres preuves étayent la conclusion de la SPR que l'effraction de domicile avait des fins criminelles et non politiques. Il y avait en particulier le rapport du juge de paix qui faisait état que le domicile du demandeur avait été vandalisé par des personnes armées non identifiées, ainsi que la déclaration du demandeur qu’il y avait eu de nombreux coups de feu dans le quartier cette nuit-là et que son cousin et sa petite amie avaient été battus eux aussi.

 

[53]           La SPR a observé le comportement du demandeur pendant qu’il témoignait. Le défendeur relève que le demandeur était hésitant dans son exposition des aspects essentiels de sa revendication : l'effraction de domicile et son appartenance au MOCHRENHA. Les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité du demandeur méritent une assez grande retenue, étant donné son expertise, et sa position privilégiée puisque c'est devant elle que le demandeur a témoigné : Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362, paragraphe 12; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.), paragraphe 4.

 

La demanderesse

 

[54]           Le défendeur prétend qu’en concluant que la demanderesse n’avait pas dit la vérité, la SPR ne s’est pas trompée.

 

Un détail important a été omis dans le FRP

[55]           La demanderesse a déclaré à l’audience que les hommes qui avaient fait irruption chez elle le 9 mars 2002 avaient demandé nommément à voir son frère. Quand on lui a demandé pourquoi ce détail ne figurait pas dans le FRP, elle a expliqué qu’elle avait oublié de le mentionner. Le défendeur relève qu’avant de remplir son FRP, elle n’avait pas vu celui de son frère et qu’elle était représentée par son avocat. C’est avec raison que la SPR a conclu que l’explication n’était pas crédible et que l’incohérence touchait au cœur même de sa demande d'asile.

 

La conclusion d’invraisemblance est raisonnable

 

[56]           La SPR n’a pas commis d’erreur quand elle a conclu à l’invraisemblance de ce que la demanderesse a avancé pour expliquer que son mari avait en pleine nuit ouvert la porte à des étrangers parce qu’ils frappaient des coups violents à la porte, alors que le quartier était dangereux et que de nombreux coups de feu avaient été tirés. La SPR peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur l’invraisemblance, le bon sens et la raison : Aguebor, précité, paragraphe 4; Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no415 (C.A.) (QL).

 

La demande d’asile a été examinée au regard des Directives

 

[57]           La SPR a explicitement tenu compte des Directives, même si celles-ci ne s’appliquaient pas en l’espèce, car le témoignage de la demanderesse n’était pas jugé crédible. Les Directives ne sauraient constituer une panacée visant à pallier toutes les lacunes de la demande d’asile de la demanderesse. Le défendeur se fonde sur le paragraphe 28 de Semextant c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 29, et cite les paragraphes 31 et 33 de Munoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273 :

31     Deuxièmement, la situation présentée devant la SPR était celle d'un récit non crédible, duquel ne subsistait aucune allégation crédible reliée au sexe de la revendicatrice. D'ailleurs, comme susmentionné, la SPR a énoncé en termes clairs, explicites et intelligibles les raisons valables pour lesquelles celui-ci doutait de la véracité des allégations de madame Munoz, vu son manque de crédibilité.

 

33     Les Directives servent à s'assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec sensibilité. Or, dans le présent cas, la SPR a suivi « l'esprit » des Directives, par l'entremise de l'art de l'écoute active, malgré le fait que ce cas en particulier ne donne même pas ouverture à l'application des Directives dû principalement au fait que la SPR a jugé madame Munoz et le fondement de sa preuve non crédible.

 

 

 

[58]           La Cour a rejeté des demandes de contrôle judiciaire présentées par des demanderesses haïtiennes quand des conclusions défavorables quant à la crédibilité avaient été tirées. Voir Newton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15385 (C.F.), paragraphe 18; Semextant, précitée, paragraphes 24, 29 à 31; Mathurin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 147, paragraphes 2, 17 et 18.

 

Ni l'un ni l'autre demandeur n’était une personne à protéger : le risque était généralisé

 

[59]           Le défendeur allègue que le demandeur et la demanderesse ont soutenu, à l’instar des intéressés dans Prophète, précitée, paragraphes 4 et 10, que les Haïtiens qui reviennent de l’étranger sont susceptibles d’être considérés comme riches et donc, d’être visés. En l’espèce, de même que dans Prophète, la preuve documentaire a montré que le risque qu’ils craignaient était général pour tous les Haïtiens.

 

La violence sexuelle en Haïti avait diminué

 

[60]           Le défendeur soutient que contrairement aux affirmations des demandeurs, seul un ensemble de documents déposé en preuve faisait plus qu'une simple allusion à la violence sexuelle. La plupart des pièces en faisaient état à propos des enlèvements, dont tant les hommes que les femmes étaient victimes. Des preuves ont été présentées pour faire état d'une amélioration de la situation : une loi a été adoptée criminalisant le viol et on a fait des efforts pour renforcer les organisations luttant pour les droits des femmes. La SPR a l’entier pouvoir de soupeser la preuve dont elle dispose. Voir Kamilov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 638, paragraphe 21.

 

Réponse des demandeurs

 

[61]           Les demandeurs assurent ne pas demander la transformation des Directives en panacée. Le fait que la SPR n’a pas bien analysé, séparément de celle du demandeur, l’allégation par la demanderesse de persécution fondée sur le sexe est justement dénoncé par les questions graves que les demandeurs soulèvent dans leur mémoire.

 

[62]           Contrairement à ce que prétend le défendeur, la preuve documentaire fait plus que des « allusions » à la violence sexuelle contre les femmes. Les demandeurs renvoient à la pièce D, à la page 186 du dossier du demandeur, selon laquelle [traduction] « les femmes victimes d’agressions sexuelles reçoivent peu ou pas de réconfort dans les commissariats de police, et ont peu ou pas d’accès à des mécanismes juridiques ». Les améliorations dont fait état le document sont à considérer par rapport à cette déclaration.

 

[63]           À propos de la persécution fondée sur le sexe, les demandeurs se fondent sur le raisonnement de la juge Mactavish quant au [traduction] « profil des Haïtiennes », aux paragraphes 11 et 12 de Bastien, précitée :

[...] ici, la question que la Commission devait se poser dans son analyse n’était pas de savoir si le récit de Mme Bastien sur sa persécution passée était crédible [...]  Les questions que la Commission aurait dû plutôt se poser relativement à cet aspect de la demande de Mme Bastien étaient de savoir s’il existait une preuve documentaire ou d’autres types de preuve dont la Commission pouvait prendre connaissance sur l’existence d’une persécution généralisée en Haïti envers les femmes.

 

 

[64]           Le défendeur renvoie à Semextant, précitée, qui se distingue de l’espèce sur le plan des faits. Le juge Shore y a conclu au paragraphe 19 que le fait que la revendicatrice n’avait pas demandé l’asile pendant qu’elle vivait aux États-Unis niait sa prétention d'une crainte subjective d’être persécutée. En l’espèce, le moment auquel la demanderesse a présenté sa demande d’asile est peu pertinent.

 

[65]           Tous les jugements sur lesquels s’appuie le défendeur se distinguent d’ailleurs sur le plan des faits, car en l’espèce, la SPR n’a pas analysé séparément l’allégation de persécution fondée sur le sexe.

 

[66]           La SPR a commis une erreur quand elle ne s’est pas demandé si, selon la preuve documentaire, la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État, et quand elle n’a pas analysé le bien-fondé de la revendication fondée sur le sexe.

 

Le mémoire additionnel du défendeur

 

[67]           Quand les demandeurs ont reconnu à l’audience de la SPR que la revendication de la demanderesse ne pouvait aboutir indépendamment de celle de son frère, ils ont effectivement reconnu que celle-ci ne pouvait faire valoir la persécution fondée sur le sexe. Les demandeurs ne peuvent à présent soutenir que la SPR a commis une erreur quand elle a accepté ce qu’ils avaient reconnu.

 

[68]           Les preuves du demandeur comportaient des incohérences à propos du nombre d’hommes l’ayant attaqué le 15 avril 2000, du moment auquel il était parti de chez lui pour Camp-Perrin et sur le point de savoir s’il était directement visé par les hommes qui étaient entrés chez lui par effraction le 3 août 2000. Par ailleurs, il connaissait mal le programme du mouvement auquel il prétendait avoir appartenu. Il était loisible à la SPR de rejeter ses explications au motif qu'elles étaient insuffisantes. Voir Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 10. Il est de plus bien établi en droit que l'appréciation de la valeur de la preuve n’est pas un motif de contrôle judiciaire.

 

[69]           Les déclarations de la demanderesse pour expliquer pourquoi son mari avait ouvert à des étrangers tôt le 9 mars 2002 ne sont pas vraisemblables. C’est à bon droit que la SPR a tiré des conclusions fondées sur le bon sens.

 

[70]           C’est à bon droit que la SPR a tiré une conclusion défavorable de ce que la demanderesse n’avait pas mentionné dans le FRP que les hommes qui avaient pénétré chez elle le 9 mars 2002 avaient précisément demandé à voir le demandeur.

 

[71]           En résumé, les demandeurs n’ont pas établi que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité n’étaient pas raisonnables et qu’une analyse fondée sur le sexe se justifiait.

 

ANALYSE

            La demande d’asile du demandeur

 

[72]           La SPR a conclu relativement à la demande d'asile du demandeur que, consécutivement au nombre des incohérences, lesquelles avaient été portées, à l’audience, à l’attention du demandeur principal, il n’était pas crédible ni digne de foi.

 

[73]           Cet aspect de la décision a donc été fondé sur la crédibilité; l’accumulation des « incohérences » constatées par la SPR a été retenue contre lui.

 

[74]           L’examen de chaque conclusion d’incohérence permet de dégager ce qui suit :

a.                   il y a incohérence quant au nombre d’hommes l’ayant attaqué dans la rue en 2000. Il a déclaré à l’audience que le premier homme qui l’a approché est revenu avec quatre, soit cinq au total. Dans le FRP, il en a déclaré quatre, et trois dans la DPE;

b.                  il a d’abord déclaré être parti de Port-au-Prince pour Camp-Perrin quelques jours après la manifestation du 20 juin 2000, puis il a dit que c’était quelques semaines;

c.                   il a déclaré que, le 3 août 2000, des hommes s’étaient introduits chez lui parce qu’ils cherchaient des membres du MOCHRENHA, qu’ils l’avaient vu et qu’ils l’avaient reconnu parce qu’il était toujours dans la rue et à la télévision. Selon le FRP toutefois, ce sont trois « chimères » qui ont pénétré de force chez lui et ont demandé à son cousin [traduction] « Où est Evens. »

 

[75]           La SPR a conclu que des hommes ont peut-être pénétré chez lui, mais que cela avait été le résultat d’activités criminelles car :

a.                   il y avait eu beaucoup de coups de feu dans le quartier cette nuit-là;

b.                  selon la preuve documentaire, le degré de violence politique demeure faible en Haïti, la violence criminelle la dépasse de loin et la criminalité y est généralisée;

c.                   selon le rapport du juge de paix, le domicile du demandeur avait été [traduction] « vandalisé » par des [traduction] « personnes armées non identifiées ».

 

[76]           Le défendeur reconnaît que sur ce point la SPR a commis une erreur. Elle s’est fondée sur une documentation de 2008 pour tirer ses conclusions quant au degré et à la nature de la violence. Le problème est que l’agression a eu lieu en 2000. Il existe des preuves qu’il y a eu de nombreuses violences politiques pendant la campagne électorale de 2000.

 

[77]           Le défendeur affirme que cette erreur importe peu et que [traduction] « même si la SPR s’est trompée en faisant état de preuves récentes sur la situation du pays, la conclusion est raisonnable car d’autres éléments de preuve l’étayent ».

 

[78]           Ce raisonnement fait problème, car la SPR précise bien dans sa décision que ses doutes quant à la crédibilité du demandeur sont cumulatifs; on ne saurait donc affirmer si elle aurait tiré une conclusion différente sur l'effraction du domicile si elle n’avait pas fait l’erreur de se fonder sur une documentation de 2008 qui ne fait pas état du type de violence qui sévissait en 2000.

 

[79]           D’autres « incohérences » dont fait état la SPR – la lettre du MOCHRENHA établissant son appartenance sans mentionner les problèmes que le demandeur avait éprouvés, son incapacité à fournir beaucoup de renseignements sur le programme, l’idéologie, le mandat ou les objectifs du MOCHRENHA – sont examinées elles aussi au regard de la documentation de 2008.

 

[80]           La SPR fait état que le rapport du juge de paix mentionne « Convergence démocratique » au lieu du « MOCHRENHA ». Le demandeur a expliqué que ce mouvement faisait partie de Convergence démocratique, ce que confirme la preuve documentaire.

 

[81]           Nous nous trouvons donc en présence d’une erreur importante et patente de la SPR – le recours répété à une documentation de 2008 pour réfuter ce qui selon le demandeur a eu lieu en 2000 – et d’autres « incohérences », dont quelques-unes ne constituent pas vraiment à elles seules des motifs pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité.  Je ne vois pas pourquoi par exemple la preuve documentaire mettant en rapport le MOCHRENHA et Convergence démocratique n’a pas été mentionnée et traitée en tant que réponse à cette « incohérence ».

 

[82]           L’erreur sur la documentation semble finalement très importante. La SPR se fonde sur des documents de 2008 pour la nature de l'effraction de domicile et pour le fait que la lettre du MOCHRENHA attestant l’appartenance du demandeur ne faisait pas état des problèmes qu’il avait éprouvés et des raisons pour lesquelles il avait quitté son pays. Je me dois de donner raison au demandeur sur ce point, car la SPR s’appuie sur la lettre du MOCHRENHA pour ce qu’elle ne dit pas plutôt que pour ce qu’elle dit. Le juge Campbell, de la Cour, affirme au paragraphe 11 de Bagri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 168 F.T.R. 283, [1999] A.C.F. no784 (QL) :

De fait, en l'espèce, la CISR a vraisemblablement conclu que le rapport médical soumis par le demandeur contredisait son témoignage, non pas pour ce qu'il disait, mais pour ce qu'il ne disait pas. Il est de jurisprudence constante qu'un rapport médical doit être examiné en fonction de ce qui y est dit. Or, à sa face même, le rapport appuie le témoignage du demandeur et ne le contredit pas.

 

 

[83]           La Cour ne peut tout simplement pas affirmer que la décision aurait été la même la SPR ne s’était pas fondée sur une documentation de 2008 et si elle avait examiné la preuve objective sur la nature des violences qui s'étaient déroulées en 2000 après les élections, époque à laquelle le demandeur affirme avoir été attaqué. La décision concernant le demandeur est pour ce motif déraisonnable et sa demande d'asile doit donc être examinée à nouveau.

 

La demande d’asile de la demanderesse

 

[84]           Je ne relève rien de déraisonnable dans les conclusions de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse. Elles appartiennent tout à fait à ce que prévoit l’arrêt Dunsmuir et la Cour ne saurait intervenir dans cet aspect de la décision. La conclusion défavorable quant à la crédibilité est un motif distinct et subsidiaire de la décision de l’agent pour la demanderesse. Certes, celle-ci n’en convient pas et affirme que le fondement de la conclusion relève de la mesquinerie, mais je ne peux être d’accord. Le rapport entre l'effraction de domicile et Evens, le frère de la demanderesse, est essentiel pour sa revendication et pourtant, le FRP n’en fait pas mention. La demanderesse demande essentiellement à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve quant à sa crédibilité et de produire un résultat qui lui soit favorable. La Cour ne peut faire cela. Même si elle aurait pu tirer des conclusions différentes, celles de la SPR sur ce point n’en deviennent pas pour autant déraisonnables.

 

[85]           La SPR renvoie également au fait que la demande d’asile de la demanderesse dépendait de celle de son frère, pour fonder une décision défavorable. Toutefois, il s’agit à l’évidence d’une conclusion subsidiaire, et le fait que la Cour conclut au caractère déraisonnable de la décision relative à la demande d’asile du demandeur ne rend pas déraisonnable en soi les conclusions de la SPR à l’égard de la demanderesse.

[86]           Ainsi que le souligne la SPR, la demanderesse l’a informée par l’entremise de son avocat que, si elle concluait que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, sa propre demande d’asile ne pourrait pas aboutir non plus. La seule interprétation raisonnable des propos de l’avocat est à mon avis que la demanderesse a fondé sa demande d’asile sur celle de son frère, et non comme dans Bastien, précitée, sur sa propre situation de femme en Haïti. La SPR ne peut, me semble-t-il, être blâmée de ne pas avoir tenu compte d’un motif dont on lui a dit qu’il ne lui était pas présenté.

 

[87]           La demanderesse a bien exprimé dans son propre témoignage qu’elle craignait de revenir en Haïti du fait de son association avec son frère et [traduction] « parce qu’ils penseront que j’ai de l’argent », étant donné que [traduction] « j’ai été à l’étranger pendant longtemps ». Elle craint d’être enlevée à son retour parce qu'on pensera qu’elle a de l’argent.

 

[88]           Ni la demanderesse ni son avocat n’ont fait savoir qu’un aspect de sa demande d’asile était la crainte de violence fondée sur le sexe. L’avocat s’est en fait donné du mal pour mentionner ceci :

 [traduction]

 

Pour ce qui est des questions et du témoignage des demandeurs, je vais vous faciliter la tâche, je vais en effet reconnaître que si vous concluez qu’Evens Plaisimond n’est pas un réfugié au sens de la Convention, la demande d’asile de sa sœur doit alors être rejetée. C’est fondé sur cela.

 

 

[89]           Ceci n’est pas tout à fait exact à mon avis, car la demanderesse a déclaré dans son témoignage que ses craintes en Haïti étaient fondées sur ses liens avec son frère (l’aspect politique) et la perspective d’être enlevée à son retour parce qu'on penserait qu’elle est riche. Rien dans son témoignage ne laisse pourtant entendre qu’elle craignait des violences fondées sur le sexe et qu’elle voulait que la SPR en tienne compte.

 

[90]           Les demandeurs ont porté à l’attention de la Cour deux affaires établissant que la SPR a l’obligation de tenir compte de la violence fondée sur le sexe, même si la demanderesse ne formule pas ce fondement pour sa demande d’asile. Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 745 et 746; Viafara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1526, au paragraphe 6.

 

[91]           La position de la demanderesse en l’espèce se distingue clairement de celle des demandeurs  dans ces affaires. En l’espèce, la demanderesse n’a pas mentionné de violence fondée sur le sexe et n’a pas présenté d’éléments laissant entendre que la SPR pourrait considérer des violences de cette nature à son égard. De fait, par l’entremise de son avocat, la demanderesse s’est donné du mal pour informer la SPR que sa demande d’asile avait un fondement tout autre. Le raisonnement du juge Gibson dans Walcott c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 505, s’applique également à l’espèce :

22      L’avocate de la demanderesse a renvoyé la Cour à la décision Frejuste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dans laquelle le juge O’Keefe a écrit au paragraphe 34 de ses motifs :

 

Compte tenu de la formulation de la question par la demanderesse qui s’est décrite comme une personne devant retourner dans son pays se trouvant être une femme, au lieu de se décrire comme une personne devant retourner dans son pays et ensuite comme une femme en Haïti, il n’est peut-être pas surprenant que la Commission n’ait pas procédé à une analyse distincte de comparaison entre les sexes. Néanmoins, cette analyse distincte était justifiée. Comme le révèle la preuve documentaire, les Haïtiennes risquent grandement d’être victimes d’agression sexuelle, peu importe si elles sont des personnes rapatriées ou non. [...]                                                [Non souligné dans l’original.]

                        Le juge O’Keefe conclut au paragraphe 37 de ses motifs :

Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur en ne procédant pas dans ses motifs à une analyse liée au sexe en se fondant sur la preuve de la violence dirigée contre les femmes en Haïti. [...]

 

 23         Le dossier du tribunal présenté à la Cour indique clairement que les femmes font l’objet d’un degré élevé de violence en Jamaïque et que, en outre, les femmes sont moins susceptibles que les hommes d’être protégées par la loi en Jamaïque. Cela étant dit, comme l’a mentionné le juge O’Keefe dans le premier paragraphe de ses motifs cité dans l’arrêt Frejuste, précité, il n’y a ici rien d’étonnant à ce que la SPR n’ait pas effectué d’analyse distincte des motifs liés au sexe compte tenu de la façon dont les questions ont été présentées. De plus, la demanderesse, dans la présente affaire, ne craignait pas la violence liée au sexe, mais plutôt la mort du fait de ce qu’elle pensait être son refus de se soumettre aux demandes d’extorsion qui ont découlé non pas de son genre, mais plutôt de son succès professionnel.

 

24           L’avocat du défendeur a renvoyé la Cour à un échange entre l’avocate de la demanderesse et le président de l’audience de la SPR pendant les plaidoiries finales qui ont eu lieu lors de l’audition de la revendication de statut de réfugiée de la demanderesse. L’avocat a reconnu que la demanderesse a présenté sa revendication à titre de victime d’un acte criminel qu’elle disait être personnalisé plutôt que généralisé, mais nullement lié au sexe.

 

25           Dans l’ensemble des circonstances de la présente affaire, je suis convaincu que la conclusion du juge O’Keefe dans Frejuste n’a absolument rien de commun avec la présente affaire et que la SPR, selon la raisonnabilité, n’a commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a décidé qu’il n’existait pas de lien entre la demande d’asile de la demanderesse et un motif prévu dans la Convention ou lorsqu’elle a omis de mettre particulièrement l’accent sur le sexe de la demanderesse dans son analyse basée sur l’article 97. 

 

[92]           Contrairement à la situation dans Bastien, précitée, la demanderesse en l’espèce n’a pas prétendu être en situation de risque parce qu’elle était une femme. De fait, son avocat a précisément informé la SPR que la demande d’asile de sa cliente était si liée à la demande d’asile politique du demandeur qu’elle devait être rejetée si celle du demandeur était rejetée. Eu égard à ces faits, je ne pense pas que la SPR puisse être à présent blâmée de ne pas avoir examiné la persécution fondée sur le sexe. Il faut assurément entendre, par ce que la demanderesse a reconnu, que, quant à elle, il n’y avait pas, dans son affaire, de preuve permettant une revendication fondée sur le sexe. Sinon, pourquoi a-t-elle lié de façon exclusive sa demande à la demande d’asile politique de son frère ?

 

[93]           Je ne pense donc pas que la SPR ait commis une erreur susceptible de contrôle à l’égard de la demande d’asile de la demanderesse.

 

L’analyse fondée sur l’article 97

 

[94]           À propos de l’article 97 et du risque généralisé, je ne peux affirmer que la Commission ait commis une erreur susceptible de contrôle à l’égard de la demanderesse ou du demandeur.

 

[95]           Je pense donc que la décision doit être renvoyée pour nouvel examen, mais uniquement à l’égard du demandeur.

 

La certification d'une question

 

[96]           L’avocat du demandeur a formulé deux questions pour certification à l’égard de la demanderesse :

[traduction]

 

Si la preuve documentaire objective présentée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié donne à entendre qu’il existe davantage qu’une simple possibilité de persécution, quel est le degré de l’obligation de la Commission d’examiner les motifs d’une demande d’asile que l’avocat n’aurait pas présentés?

 

Si la preuve documentaire objective présentée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié donne à entendre qu’il existe davantage qu’une simple possibilité de persécution, quel est le degré de l’obligation de la Commission de garantir que le demandeur comprend tous les motifs qui doivent être pris en considération?

 

 

[97]           Les deux questions présentées pour certification sont à mon avis à rejeter parce qu'au vu des faits de l’espèce elles sont de simples hypothèses. En effet, la demanderesse a reconnu ne pas avoir d’allégation de persécution fondée sur le sexe à formuler et en a informé la Commission. Ceci doit s’interpréter comme étant une admission qu’il n’existait pas d’élément de preuve à l’appui d’une telle revendication dans son affaire.

 

[98]           Ainsi que le souligne le défendeur, la Cour d’appel fédérale a affirmé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sellan, 2008 CAF 381, que lorsque l’on tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur n'est pas crédible, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible qui permettrait d’étayer une décision favorable au demandeur. Je ne vois aucune question grave soulevée par l’affirmation des demandeurs selon laquelle la Commission aurait dû mener une analyse fondée sur le sexe simplement parce que la documentation sur Haïti fait état de la violence fondée sur le sexe. Étant donné l'arrêt Sellan et la décision Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, dans laquelle la Cour fédérale a affirmé que de simples références à des preuves documentaires de nature générale sur les droits de la personne dans un pays ne suffisaient pas pour rendre une conclusion favorable, la deuxième question ne serait pas déterminante en l’espèce.

 

[99]           De surcroît, ainsi que le souligne également le défendeur, les observations des demandeurs soulèvent de façon implicite la question de l’incompétence de leur avocat. Les observations font état de [traduction] « tactiques de l’avocat » [traduction] « susceptibles de nuire aux droits des demandeurs »; les observations supposent ainsi que la Commission aurait dû demander si l’avocat des demandeurs agissait conformément aux instructions de ses clients quand il a reconnu un point à l’audience relative aux demandes d’asile. La Cour d’appel fédérale a déjà confirmé dans Gogol c. Canada, 1999 CanLII 9262 (C.A.F.), que de façon générale, il n’y a pas lieu de distinguer le comportement de l’avocat de celui de son client. Quoiqu’il en soit, ce point n’a pas été développé devant moi.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  En ce qui a trait au demandeur, la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour être réexaminée par un tribunal de la SPR différemment constitué.

2.                  En ce qui a trait à la demanderesse, la demande est rejetée.

3.                  L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3335-09

 

INTITULÉ :                                       EVENS PLAISIMOND et ROSE ADELLE PLAISIMOND        

                                           

                                                                                                          

                                                            -   c.   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION                                                                                 

                                                          

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1er septembre 2010

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE :                                               le 6 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS

 

Timothy Wichert                                                                                   DEMANDEURS

                                  

Leila Jawando                                                                                      DÉFENDEUR

                                  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Timothy Wichert

Avocat                                                                                                 DEMANDEURS

Toronto (Ontario) 

                                                                                                              

Myles J. Kirvan                                                                                    DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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