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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100719

Dossier : IMM-2234-09

Référence : 2010 CF 757

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2010

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

YADWINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

et L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle le demandeur demande qu’un jugement déclaratoire soit rendu quant au refus de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de confirmer son statut de résident permanent. À titre subsidiaire, le demandeur demande à la Cour de délivrer un bref de mandamus ordonnant à CIC de lui accorder la résidence permanente ou, encore à titre subsidiaire, obligeant CIC à effectuer le traitement de sa demande de résidence permanente pour considérations humanitaires dans un délai limité. Le demandeur demande également à ce que les dépens lui soient adjugés sur la base avocat-client.

 

I.          Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen indien marié depuis 14 ans à une citoyenne canadienne avec laquelle il a eu deux enfants nés au Canada. Le 21 janvier 1994, il est venu au Canada pour la première fois et a demandé l’asile. Après que sa demande eut été rejetée, il a présenté une demande de résidence permanente en invoquant des considérations humanitaires. Le 28 décembre 1995, CIC a reçu cette demande et le 12 avril 1996, CIC l’a acceptée en principe. Cette demande est ensuite passée à la deuxième étape du processus, laquelle vise à établir si le demandeur satisfait aux exigences prévues par la loi aux fins de l’établissement au Canada.

 

[3]               À l’été 1997, le demandeur a décidé de présenter une demande de visa étudiant. Étant donné que le processus serait plus court s’il présentait sa demande de l’extérieur du Canada, et vu qu’il ne pouvait pas entrer aux États-Unis, il a confié sa demande et son passeport à un ami, qui était citoyen canadien, afin que cet ami apporte ses documents au bureau canadien des visas à Buffalo, dans l’État de New York. L’agent des visas qui a reçu son ami lui a déclaré qu’il ne pourrait pas traiter la demande du demandeur si ce dernier ne se présentait pas en personne. L’ami est donc rentré au Canada avec la demande et le passeport du demandeur. À son entrée au Canada, l’ami du demandeur a été fouillé par l’agent en poste au point d’entrée, lequel a confisqué le passeport du demandeur en déclarant à l’ami en question qu’il ne pouvait pas avoir le passeport de quelqu’un d’autre en sa possession. L’agent a donné un reçu à l’ami du demandeur, lequel reçu devait permettre au demandeur d’aller chercher son passeport.

 

[4]               Malgré qu’il se soit efforcé à maintes reprises de récupérer son passeport, le demandeur n’y est jamais parvenu. La preuve contenue au dossier n’est pas claire en ce qui concerne le passeport du demandeur. Le passeport semble avoir été égaré entre les bureaux du point d’entrée de Fort Erie et les bureaux des services d’immigration de Niagara Falls, même s’il y a également une mention au dossier selon laquelle ce passeport aurait été rendu à une personne qu’on croyait être le demandeur.

 

[5]               Le 23 décembre 1998, le demandeur a été invité à aller retirer ses documents d’établissement. L’agent a apparemment remis au demandeur sa fiche relative au droit d’établissement et lui a souhaité la bienvenue au Canada en tant que nouveau résident permanent avant de demander à voir son passeport. Quand le demandeur lui a présenté une copie dudit passeport en expliquant que le document original avait été perdu, l’agent lui a dit qu’il ne pouvait accepter une simple copie; l’agent a alors demandé au demandeur de lui rendre la fiche relative au droit d’établissement.

 

[6]               Le demandeur a alors immédiatement présenté une demande auprès du consulat de l’Inde en vue d’obtenir un nouveau passeport. Après plusieurs années d’attente, le demandeur a demandé au consulat de l’Inde quelles étaient les raisons de ce retard. On lui a répondu que le consulat n’était pas en mesure de traiter sa demande tant que CIC n’avait pas confirmé certaines informations d’ordre technique concernant le statut du demandeur au Canada. Le demandeur a finalement obtenu un nouveau passeport en janvier 2003 et l’a présenté à CIC en février 2003.

 

[7]               Or, quand la deuxième étape du processus a repris, les autorisations obtenues à la suite des enquêtes dont le demandeur avait fait l’objet sur les plans médical, criminel et de la sécurité étaient parvenues à expiration. Le demandeur a donc présenté de nouveaux certificats médicaux et relevés d’antécédents criminels. La situation est devenue kafkaïenne quand, le temps venu d’examiner ces documents, il s’est avéré, à l’issue de la vérification de sécurité faite par CIC, que le nouveau passeport du demandeur ainsi que ses certificats médicaux étaient expirés. CIC a donc envoyé au demandeur deux lettres datées du 31 août 2005 pour lui demander de présenter un passeport en cours de validité et des résultats d’examens médicaux à jour.

 

[8]               Malheureusement pour le demandeur, avant que sa demande de résidence permanente ne soit acceptée, CIC a reçu, en septembre 2005, des renseignements de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) l’informant que le demandeur faisait l’objet d’accusations au criminel pour trafic de drogue aux États-Unis et que les autorités américaines avaient demandé son extradition. Le 24 avril 2007, le demandeur a reçu l’ordre de se rendre aux autorités américaines afin de faire l’objet de poursuites. Bien qu’il ait déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision, le demandeur s’est rendu aux autorités américaines le 14 août 2009.

 

[9]               Le traitement du dossier du demandeur a été suspendu depuis que CIC a été informé des accusations au criminel pesant contre le demandeur aux États-Unis. Le 25 mai 2009, CIC a envoyé au demandeur une lettre pour lui demander de nouveaux certificats médicaux et de police à jour, un nouveau passeport et un certificat de police américain, et ce, en vue de reprendre le traitement de sa demande de résidence permanente.

 

[10]           Le demandeur demande à présent à la Cour de rendre un jugement déclaratoire selon lequel la décision de CIC de lui refuser le droit d’établissement le 23 décembre 1998 et le 3 février 2003 était illégale, affirmant qu’il satisfaisait à toutes les exigences aux fins de l’établissement à ces dates et qu’il était par conséquent devenu résident permanent.

 

[11]           À titre subsidiaire, le demandeur demande à la Cour de délivrer un bref de mandamus ordonnant à CIC d’accueillir sa demande de résidence permanente dans les 30 jours suivant l’ordonnance de la Cour.

 

[12]           À titre également subsidiaire, le demandeur demande à la Cour de délivrer un bref de mandamus obligeant les défendeurs à terminer le traitement de sa demande de résidence permanente dans les 30 jours suivant l’ordonnance de la Cour.

 

[13]           À l’origine, la présente demande visait uniquement le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Toutefois, en vue de permettre à la Cour de disposer d’un dossier complet, l’avocat du demandeur a présenté une requête demandant que l’ASFC soit ajoutée à titre de défenderesse. Cette requête a été accueillie, sur consentement, le 9 mars 2010, et les deux défendeurs ont par conséquent déposé un dossier certifié du tribunal. Les deux défendeurs ont également présenté une requête en interdiction de divulgation en application de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (2001, ch. 27) (la « LIPR »), demandant que certaines informations apparaissant au dossier soient caviardées pour des raisons de sécurité nationale.

 

II.         Les questions en litige

[14]           Dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire, il n’y a que deux questions à trancher. Premièrement, la Cour devait-elle rendre un jugement déclaratoire selon lequel le demandeur satisfaisait à toutes les exigences aux fins de l’établissement le 23 décembre 1998 ou le 28 juin 2002 et selon lequel CIC aurait agi illégalement en refusant au demandeur le statut de résident permanent? Deuxièmement, la Cour devrait-elle ordonner aux défendeurs d’accorder au demandeur la résidence permanente ou de terminer le traitement de sa demande dans les 30 jours suivant son ordonnance? Ces questions soulèvent tout à la fois des questions de compétence et de fait pour lesquelles la jurisprudence est mince. En outre, la première question doit être examinée dans le contexte juridique de deux lois différentes, étant donné qu’avant l’entrée en vigueur de la LIPR et de son règlement (le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le « RIPR »)) le 28 juin 2002, la demande de résidence permanente du demandeur tombait sous le coup de la Loi sur l’immigration (L.R.C. 1985, ch. I-2) et du Règlement sur l’immigration de 1978 (DORS/78-172).

 

[15]           Toutefois, avant d’examiner ces questions, je me pencherai succinctement sur les requêtes en interdiction de divulgation des défendeurs, présentées en application de l’article 87 de la LIPR. Après avoir entendu ces requêtes dans le cadre d’une audience ex parte à huis clos ainsi qu’à l’occasion d’une téléconférence à laquelle ont pris part les avocats des deux parties, j’ai accueilli la requête des défendeurs le 7 mai 2010, sous réserve des instructions que j’avais données lors de l’audience à huis clos, selon lesquelles le paragraphe 4 de la page 2 du dossier complémentaire devait être décaviardé, à l’exception de deux mots. À ce moment-là, je me suis contenté de rendre des motifs oraux succincts pour appuyer ma décision et j’ai fait savoir que je donnerais de plus amples motifs dans ma décision sur le fond de la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la première partie de mon analyse sera consacrée à cette question.

 

III.       Le contexte juridique

[16]           En application du paragraphe 14(2) de la Loi sur l’immigration, un agent d’immigration est tenu d’accorder à un « immigrant », terme défini à l’article 2 de la Loi sur l’immigration comme étant une « [p]ersonne qui sollicite l’établissement », s’il est convaincu, après avoir interrogé l’immigrant, que l’octroi du droit d’établissement ne contreviendrait pas, dans son cas, ni à la Loi ni à son règlement :

14. (2) L’agent d’immigration qui convaincu, après l’interrogatoire d’un immigrant, que l’octroi du droit d’établissement ne contreviendrait pas, dans son cas, à la présente loi ni à ses règlements est tenu :

 

a) soit de lui accorder ce droit;

 

 

b) soit de l’autoriser à entrer au Canada à condition qu’il se présente, pour interrogatoire complémentaire, devant un agent d’immigration dans le délai et au lieu fixés.

14. (2) Where an immigration officer is satisfied that it would not be contrary to this Act or the regulations to grant landing to an immigrant whom the officer has examined, the officer shall

 

 

(a) grant landing to that immigrant; or

 

(b) authorize that immigrant to come into Canada on condition that the immigrant be present for further examination by an immigration officer within such time and at such place as the immigration officer who examined the immigrant may direct.

 

[17]           En application du paragraphe 14(1) du Règlement sur l’immigration de 1978, un immigrant doit avoir un passeport en cours de validité qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant :

14. (1) Sous réserve du paragraphe (2), tout immigrant doit avoir

a) un passeport en cours de validité, autre qu’un passeport diplomatique, officiel ou autre passeport semblable, qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

14. (1) Subject to subsection (2), every immigrant shall be in possession of

(a) a valid and subsisting passport issued to that immigrant by the country of which he is a citizen or national, other than a diplomatic, official or other similar passport;

 

[18]           Depuis l’entrée en vigueur de la LIPR et du RIPR le 28 juin 2002, les dispositions légales suivantes s’appliquent à la demande de résidence permanente du demandeur. Avant tout, un « étranger », défini à l’article 2 comme étant « une personne autre qu’un citoyen canadien ou un résident permanent », devient un résident permanent en application du paragraphe 21(1) de la LIPR si un agent constate qu’il s’est déchargé des obligations prévues par la loi :

21. (1) Devient résident permanent l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)a) et au paragraphe 20(2) et n’est pas interdit de territoire.

21. (1) A foreign national becomes a permanent resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(a) and subsection 20(2) and is not inadmissible.

 

[19]           En application du paragraphe 72(1) du RIPR, un étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, il établit qu’il satisfait aux exigences prévues par la LIPR :

 

Obtention du statut

 

72. (1) L’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

a) il en a fait la demande au titre d’une des catégories prévues au paragraphe (2);

 

 

 

b) il est au Canada pour s’y établir en permanence;

 

 

c) il fait partie de la catégorie au titre de laquelle il a fait la demande;

 

d) il satisfait aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie;

 

 

e) sauf dans le cas de l’étranger ayant fourni un document qui a été accepté aux termes du paragraphe 178(2) ou de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés :

 

(i) ni lui ni les membres de sa famille — qu’ils l’accompagnent ou non — ne sont interdits de territoire,

 

(ii) il est titulaire de l’un des documents visés aux alinéas 50(1)a) à h),

 

 

(iii) il est titulaire d’un

certificat médical attestant, sur le fondement de la plus récente visite médicale à laquelle il a été requis de se soumettre aux termes du présent règlement dans les douze mois qui précèdent, que son état de santé ne constitue vraisemblablement pas un danger pour la santé ou la sécurité publiques et, sauf si le paragraphe 38(2) de la Loi s’applique, ne risque pas d’entraîner un fardeau excessif;

 

f) dans le cas de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés, il n’est pas interdit de territoire.

Obtaining status

 

72. (1) A foreign national in Canada becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that

 

(a) they have applied to remain in Canada as a permanent resident as a member of a class referred to in subsection (2);

 

(b) they are in Canada to establish permanent residence;

 

(c) they are a member of that class;

 

 

(d) they meet the selection criteria and other requirements applicable to that class;

 

(e) except in the case of a foreign national who has submitted a document accepted under subsection 178(2) or of a member of the protected temporary residents class,

 

 

(i) they and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible,

 

 

(ii) they hold a document described in any of paragraphs 50(1)(a) to (h), and

 

(iii) they hold a medical certificate, based on the most recent medical examination to which they were required to submit under these Regulations within the previous 12 months, that indicates that their health condition is not likely to be a danger to public health or public safety and, unless subsection 38(2) of the Act applies, is not reasonably expected to cause excessive demand; and

 

 

 

(f) in the case of a member of the protected temporary residents class, they are not inadmissible.

 

[20]           Dans le cas d’un étranger, comme le demandeur, qui a obtenu que l’application de certaines dispositions soit levée en vertu du paragraphe 25 de la LIPR afin de lui permettre de présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada, l’article 68 du RIPR prévoit que cet étranger devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, il est établi qu’il n’est pas interdit de territoire et qu’il détient un passeport ou un autre des documents énumérés à l’article 50 du RIPR :

Demandeur au Canada

 

68. Dans le cas où l’application des alinéas 72(1)a), c) et d) est levée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi à l’égard de l’étranger qui se trouve au Canada et qui a fait les demandes visées à l’article 66, celui-ci devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après, ainsi que ceux prévus aux alinéas 72(1)b) et e), sont établis :

 

a) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans la province de Québec, n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial et ne s’est pas vu reconnaître, par la Commission, la qualité de réfugié, les autorités compétentes de la province sont d’avis qu’il répond aux critères de sélection de celle-ci;

 

 

b) il n’est pas par ailleurs interdit de territoire;

 

c) les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont pas interdits de territoire.

Applicant in Canada

 

68. If an exemption from paragraphs 72(1)(a), (c) and (d) is granted under subsection 25(1) of the Act with respect to a foreign national in Canada who has made the applications referred to in section 66, the foreign national becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that the foreign national meets the requirements set out in paragraphs 72(1)(b) and (e) and

 

(a) in the case of a foreign national who intends to reside in the Province of Quebec and is not a member of the family class or a person whom the Board has determined to be a Convention refugee, the competent authority of that Province is of the opinion that the foreign national meets the selection criteria of the Province;

 

(b) the foreign national is not otherwise inadmissible; and

 

(c) the family members of the foreign national, whether accompanying or not, are not inadmissible.

 

[21]           L’article 50 du RIPR fournit la liste des documents acceptables qu’un étranger doit détenir pour devenir résident permanent :

Documents : résidents permanents

 

50. (1) En plus du visa de résident permanent que doit détenir l’étranger membre d’une catégorie prévue au paragraphe 70(2), l’étranger qui entend devenir résident permanent doit détenir l’un des documents suivants :

 

a) un passeport — autre qu’un passeport diplomatique, officiel ou de même nature — qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

 

b) un titre de voyage délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

 

 

c) un titre de voyage ou une pièce d’identité délivré par un pays aux résidents non-ressortissants, aux réfugiés au sens de la Convention ou aux apatrides qui sont dans l’impossibilité d’obtenir un passeport ou autre titre de voyage auprès de leur pays de citoyenneté ou de nationalité, ou qui n’ont pas de pays de citoyenneté ou de nationalité;

 

d) un titre de voyage délivré par le Comité international de la Croix-Rouge à Genève (Suisse) pour permettre et faciliter l’émigration;

 

e) un passeport ou un titre de voyage délivré par l’Autorité palestinienne;

 

f) un visa de sortie délivré par le gouvernement de l’Union des républiques socialistes soviétiques à ses citoyens obligés de renoncer à leur nationalité afin d’émigrer de ce pays;

 

g) un passeport intitulé « British National (Overseas) Passport », délivré par le gouvernement du Royaume-Uni aux personnes nées, naturalisées ou enregistrées à Hong Kong;

 

h) un passeport délivré par les autorités de la zone administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine.

 

Documents — permanent residents

 

50. (1) In addition to the permanent resident visa required of a foreign national who is a member of a class referred to in subsection 70(2), a foreign national seeking to become a permanent resident must hold

 

(a) a passport, other than a diplomatic, official or similar passport, that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national;

 

(b) a travel document that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national;

 

(c) an identity or travel document that was issued by a country to non-national residents, refugees or stateless persons who are unable to obtain a passport or other travel document from their country of citizenship or nationality or who have no country of citizenship or nationality;

 

 

 

(d) a travel document that was issued by the International Committee of the Red Cross in Geneva, Switzerland, to enable and facilitate emigration;

 

(e) a passport or travel document that was issued by the Palestinian Authority;

 

(f) an exit visa that was issued by the Government of the Union of Soviet Socialist Republics to its citizens who were compelled to relinquish their Soviet nationality in order to emigrate from that country;

 

(g) a British National (Overseas) passport that was issued by the Government of the United Kingdom to persons born, naturalized or registered in Hong Kong; or

 

(h) a passport that was issued

 by the Government of Hong Kong Special Administrative Region of the People’s Republic of China.

 

 

[22]           Finalement, il ressort de l’article 13 du RIPR que la seule manière de produire un passeport ou tout autre document consiste à produire l’original du document en question :

Production de documents

 

13. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la production de tout document requis par la Loi ou le présent règlement s’effectue selon l’une des méthodes suivantes :

 

a) la production de l’original;

 

 

b) la production d’un double certifié conforme;

 

 

c) dans le cas d’une demande qui peut être produite sur un formulaire reproduit à partir du site Web du ministère, la production du formulaire rempli, ou l’envoi de celui-ci directement sur le site Web du ministère s’il y est indiqué que le formulaire peut être rempli en ligne.

 

Exception

 

(2) Sauf disposition contraire du présent règlement, les passeports, visas de résident permanent, cartes de résident permanent, visas de résident temporaire, permis de séjour temporaire, permis de travail et permis d’études ne peuvent être produits autrement que par présentation de l’original.

Production of documents

 

13. (1) Subject to subsection (2), a requirement of the Act or these Regulations to produce a document is met

 

 

 

(a) by producing the original document;

 

(b) by producing a certified copy of the original document; or

 

(c) in the case of an application, if there is an application form on the Department’s website, by completing and producing the form printed from the website or by completing and submitting the form on-line, if the website indicates that the form can be submitted on-line.

 

 

Exception

 

(2) Unless these Regulations provide otherwise, a passport, a permanent resident visa, a permanent resident card, a temporary resident visa, a temporary resident permit, a work permit or a study permit may be produced only by producing the original document.

 

[23]           Quand il s’agit d’examiner s’il convient d’accorder le jugement déclaratoire demandé par le demandeur, le contexte juridique pertinent dépendra de la date à laquelle on considère que CIC a refusé d’accorder au demandeur le droit d’établissement. Si, d’une part, on s’appuie sur la date à laquelle le demandeur affirme qu’il aurait dû se voir accorder le droit d’établissement, à savoir le 23 décembre 1998, les dispositions applicables sont alors celles de la Loi sur l’immigration et du Règlement sur l’immigration de 1978. Si, d’autre part, la Cour examine la question de savoir si le demandeur aurait dû recevoir le droit d’établissement le 3 février 2003, ce sont les dispositions de la LIPR et du RIPR qui doivent s’appliquer.

 

[24]           La question du contexte juridique pertinent ne se pose pas quand il s’agit d’examiner la demande de bref de mandamus. L’article 190 de la LIPR montre clairement que l’intention du législateur était que la nouvelle loi s’appliquât rétroactivement, cet article prévoyant expressément que la LIPR s’appliquera à toutes les demandes pour lesquelles aucune décision n’a été prise :

Application de la nouvelle loi

190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.

Application of this Act

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

 

[25]           Par conséquent, si un bref de mandamus ordonnant que les défendeurs finissent le traitement de la demande du demandeur était accordé, la demande de ce bref devrait être présentée conformément aux dispositions de la nouvelle loi : Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] A.C.F. n° 260.

 

IV.       Analyse

A. La requête en interdiction de divulgation des défendeurs

[26]           L’article 17 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés (DORS/93-22) (les « Règles ») exige du tribunal administratif qu’il inclue dans le dossier certifié du tribunal « tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal administratif ». L’article 87 de la LIPR prévoit l’interdiction de divulgation de certains renseignements si cette divulgation devait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. 

 

[27]           Dans la décision Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1310, [2006] A.C.F. n° 1630, la Cour a conclu que « c’est à la Cour et non au défendeur seul de décider si des documents ou des renseignements doivent ou non être divulgués » (au paragraphe 19). De même, dans la décision Mekonen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, [2007] A.C.F. n° 1469, la Cour a conclu qu’« [i]l incombe à la Cour, et non au tribunal, de décider des renseignements qui peuvent ne pas être divulgués à un demandeur [...] » (au paragraphe 10). 

 

[28]           L’effet combiné de l’article 17 des Règles et des conclusions tirées par la Cour dans les décisions Mohammed, précitée, et Mekomen, précitée, fait en sorte qu’il est nécessaire de présenter une requête en application de l’article 87 dans toutes les affaires où des renseignements ont été supprimés du dossier certifié du tribunal pour des raisons de sécurité nationale.

 

[29]           Comme le prévoit l’alinéa 83(1)c) de la LIPR, le juge peut, et sur demande du ministre, doit tenir une audience à huis clos, et en l’absence de l’intéressé et de son avocat, si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La preuve produite à l’appui de la demande du ministre au moyen de l’affidavit secret et des pièces qui y sont jointes doit être entendue à huis clos, en l’absence du demandeur et de son avocat, parce que sa divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 

[30]           En application des articles 87 et 87.1 et de l’alinéa 83(1)b) de la LIPR, la Cour peut nommer un avocat spécial pour qu’il défende les intérêts du résident permanent ou de l’étranger si la Cour est d’avis que des considérations d’équité et de justice naturelle l’exigent. En l’espèce, l’avocat du demandeur n’a pas formulé une telle demande.

 

[31]           Après avoir donné audience à huis clos ex parte à l’avocat des défendeurs, à l’occasion de laquelle le témoin qui avait rédigé l’affidavit secret appuyant la requête a été interrogé, les avocats des parties ont été invités à présenter des observations par voie de téléconférence. Comme je l’ai mentionné plus haut, c’est à la fin de ce processus que j’ai accueilli la requête présentée par les défendeurs, en précisant toutefois qu’un paragraphe du dossier supplémentaire devait être divulgué à l’exception de deux mots.

 

[32]           L’État a particulièrement intérêt à protéger la sécurité nationale et celle de ses services du renseignement. La divulgation de renseignements confidentiels pourrait avoir des répercussions sur la capacité des organismes d’enquête à s’acquitter de leurs mandats relatifs à la sécurité nationale du Canada. Bien que la Cour suprême ait infirmé sa décision pour d’autres motifs, la Cour fédérale a conclu, dans Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 420, [2004] A.C.F. n° 509, que la Cour était tenue de veiller à la confidentialité des informations, si, de l’avis du juge, leur divulgation était préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Citant un extrait du paragraphe 25 de l’arrêt rendu par la Chambre des lords du Royaume-Uni dans l’affaire Regina c. Shayler, [2002] U.K. H.L.J. 11, le juge Edmond Blanchard a déclaré (au paragraphe 58) :

[traduction] De nombreux commentateurs nationaux affirment qu’un service de renseignement ou de sécurité doit bénéficier de garanties. Le produit dans lequel opère un tel service est l’information secrète et confidentielle. Si le service ne bénéficie pas de garanties, ceux qui travaillent contre les intérêts de l’État, qu’il s’agisse de terroristes, d’autres criminels ou d’agents étrangers, finiront par l’apprendre et seront en mesure de prendre la tangente; les propres agents du service pourront être démasqués; les membres du service ne seront plus en mesure de compter les uns sur les autres; ceux sur qui le service compte comme sources d’information se verront incapables de compter sur la confidentialité de leur identité; et les pays étrangers refuseront de confier leurs propres secrets à un destinataire dépourvu de garanties [...].

 

Dans la décision Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.); conf. par (1992) 5 Admin. L.R. (2d) 269 (C.A.), la Cour a reconnu que la règle voulant que les informations liées aux questions de sécurité nationale ne soient pas divulguées constituait une exception importante au principe de l’entière transparence du processus judiciaire :

Il existe toutefois des circonstances très limitées et bien définies où le principe de l’entière transparence doit jouer un rôle secondaire et où, en matière de recevabilité de la preuve, l’intérêt public servi par la non-divulgation de cette dernière peut l’emporter sur l’intérêt du public dans sa divulgation. Cela se produit fréquemment lorsqu’il est question de la sécurité nationale, pour la simple raison que l’existence même de notre société libre et démocratique aussi bien que la protection continue des droits des plaideurs dépendent en fin de compte de la sécurité et du maintien de notre nation et de ses institutions et de ses lois

 

 

[33]           Dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] A.C.S. n° 73, la Cour suprême a étudié la question des intérêts parfois conflictuels entre le droit du public à un système judiciaire transparent et le besoin de l’État de protéger ses renseignements et ses sources. Dans cet arrêt, la Cour suprême a reconnu que l’État avait légitimement intérêt à préserver ses sources étrangères de renseignements de sécurité et elle a fait remarquer que la communication par inadvertance de tels renseignements porterait gravement atteinte à la sécurité nationale.

 

[34]           La divulgation de renseignements confidentiels relatifs à la sécurité nationale ou susceptibles de porter atteinte à la sécurité d’autrui pourrait porter préjudice aux opérations des organismes d’enquête. Entre les mains d’un interprète averti, des renseignements apparemment anodins, qui en eux-mêmes pourraient ne pas sembler particulièrement délicats, pourraient être utilisés en vue de tracer un tableau plus précis d’une situation à la lumière d’autres renseignements déjà connus de cet interprète ou disponibles auprès d’une autre source. Dans la décision Henrie, précitée, le juge David Addy a également déclaré (aux paragraphes 29 et 30) :

[...] Par contraste, en matière de sécurité, existe la nécessité non seulement de protéger l’identité des sources humaines de renseignement mais encore de reconnaître que les types suivants de renseignements pourraient avoir à être protégés, compte tenu évidemment de l’administration de la justice et plus particulièrement de la transparence de ses procédures : les renseignements relatifs à l’identité des personnes faisant l’objet d’une surveillance, qu’il s’agisse de particuliers ou de groupes, les moyens techniques et les sources de la surveillance, le mode opérationnel du service concerné, l’identité de certains membres du service lui-même, les systèmes de télécommunications et de cryptographie et, parfois, le fait même qu’il y a ou non surveillance. Cela signifie par exemple que des éléments de preuve qui, en eux-mêmes, peuvent ne pas être particulièrement utiles à reconnaître une menace, pourraient néanmoins devoir être protégés si la simple révélation que le SCRS en a possession rendrait l’organisme visé conscient du fait qu’il est placé sous surveillance ou écoute électronique, ou encore qu’un de ses membres a fait des révélations.

 

Il importe de se rendre compte qu’un [traduction] « observateur bien informé », c’est-à-dire une personne qui s’y connaît en matière de sécurité et qui est membre d’un groupe constituant une menace, présente ou éventuelle, envers la sécurité du Canada, ou une personne associée à un tel groupe, connaîtra les rouages de celui-ci dans leurs moindres détails ainsi que les ramifications de ses opérations dont notre service de sécurité pourrait être relativement peu informé. En conséquence de quoi l’observateur bien informé pourra parfois, en interprétant un renseignement apparemment anodin en fonction des données qu’il possède déjà, être en mesure d’en arriver à des déductions préjudiciables à l’enquête visant une menace particulière ou plusieurs autres menaces envers la sécurité nationale. [...]

 

 

[35]           Ayant passé en revue les informations caviardées et ayant dûment tenu compte de l’affidavit secret ainsi que des explications fournies par le déposant lors de l’audience à huis clos ex parte, je suis parvenu à la conclusion que les suppressions demandées étaient nécessaires à la protection de la sécurité nationale et à celle de la sécurité des personnes nommées dans les documents secrets. En outre, les parties supprimées du dossier certifié du tribunal sont limitées et ne portent pas sérieusement atteinte à la capacité du demandeur de prendre connaissance de l’affaire qui le concerne et de la comprendre. Quoi qu’il en soit, la décision à rendre sur la demande ne dépend pas de la situation du demandeur sur la place de la sécurité. Pour tous ces motifs, la requête des défendeurs, présentée en application de l’article 87 de la LIPR, a été accueillie.

 

B. La demande d’un jugement déclaratoire

[36]           L’avocat du demandeur a demandé à la Cour de rendre un jugement déclaratoire selon lequel son client serait devenu résident permanent le 23 décembre 1998 (date à laquelle le demandeur s’est rendu aux bureaux de CIC situés à Etobicoke pour que ses documents d’entrée soient examinés), le 28 juin 2002 (date d’entrée en vigueur de la LIPR) ou en février 2003 (à la date à laquelle il a présenté le passeport qui lui avait été délivré par le consulat de l’Inde en remplacement de celui qui avait été perdu). Le demandeur fait valoir qu’à chacune de ces dates, il satisfaisait aux exigences légales aux fins de l’établissement, et qu’il a par conséquent acquis la résidence permanente.

 

[37]           Pour sa part, l’avocat des défendeurs a soutenu que le demandeur ne pouvait pas avoir acquis la résidence permanente à ces dates parce qu’il n’avait pas été en mesure de convaincre un agent qu’il satisfaisait à toutes les exigences de la loi. Le 23 décembre 1998, le demandeur n’avait pas un passeport en cours de validité comme l’exigeait le paragraphe 14(1) de l’ancien Règlement sur l’immigration de 1978, et en février 2003, les documents relatifs à son état médical, à ses antécédents criminels et à l’enquête de sécurité dont il avait fait l’objet avaient expiré.

 

 

[38]           Il ne fait aucun doute que la Cour a le pouvoir d’accorder un jugement déclaratoire. L’article 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, autorise la Cour à rendre le jugement déclaratoire qu’elle juge approprié, qu’il soit mandatoire ou prohibitif. La Cour suprême a énoncé en ces termes les conditions à remplir pour qu’un jugement déclaratoire soit rendu :

Le jugement déclaratoire est un recours qui n’est pas restreint par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des personnes ayant un lien juridique dont découle une « véritable question » à trancher concernant leurs intérêts respectifs.

 

Canada c. Solosky, [1980] 1 R.C.S. 821, à la page 830.

 

 

[39]           En l’espèce, il est clair que ces conditions ont été remplies. Tout d’abord, les parties ont manifestement un lien juridique, et ce, depuis que le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente en 1995. Quand une personne présente une demande de résidence permanente, un lien juridique est établi entre cette personne et CIC. Par exemple, un demandeur doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées par l’agent (LIPR, paragraphe 16(1); Loi sur l’immigration, paragraphe 12(4)), il doit se soumettre à une visite médicale (LIPR, paragraphe 16(2); Loi sur l’immigration, article 11) et il doit se soumettre au contrôle de l’agent des visas (LIPR, article 18; Loi sur l’immigration, paragraphe 12(1)). Par ailleurs, CIC doit accorder le droit d’établissement aux immigrants qui se sont déchargés des obligations prévues par la loi (LIPR, article 21; Loi sur l’immigration, paragraphe 5(2) et 14(2)).

 

[40]           En outre, la question à trancher est manifestement une « véritable question », en ce sens qu’elle met en jeu les intérêts respectifs des parties et qu’elle n’a toujours pas reçu de réponse. La question n’est ni théorique ni conjecturale; il s’agit du statut du demandeur au Canada ainsi que de la possibilité qu’il puisse entrer de nouveau au pays s’il devait être déclaré coupable des accusations pesant contre lui aux États-Unis. Cela ne signifie par pour autant que le jugement déclaratoire demandé par le demandeur aurait pour effet de lui fournir une réparation immédiate. Le fait de ne pas tenir compte d’un jugement déclaratoire ne constitue pas un outrage au tribunal, étant donné qu’un jugement déclaratoire se contente de dire le droit existant : Letter Carriers’ Union of Canada c. Canada (Société canadienne des postes) (1986), 8 F.T.R. 93 (1re inst.). Pour avoir un effet concret immédiat, un jugement déclaratoire doit être accompagné d’une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus. Je reviendrai sur cette question. Il suffit de dire que même si la Cour n’était pas disposée à contraindre les défendeurs à agir d’une certaine manière, elle pourrait toujours dire le droit. Comme la Cour suprême l’a affirmé dans un autre contexte, les représentants du gouvernement et des tribunaux administratifs ne sont pas au-dessus des lois, et si un de leurs agents y contrevient, les cours de justice ont le droit de le déclarer : voir Canada c. Kelso, [1981] 1 R.C.S. 199, à la page 210.

 

[41]           Je dois convenir avec l’avocat des défendeurs que le demandeur n’aurait pas pu se voir accorder le droit d’établissement le 23 février 2003, ou à n’importe quel moment après l’entrée en vigueur de la LIPR, étant donné qu’il n’était pas en mesure de convaincre un agent qu’il n’était pas interdit de territoire. Sans que M. Singh y soit pour quoi que ce soit, ses certificats médicaux, d’antécédents criminels et de sécurité avaient expiré et il aurait dû en avoir fait établir de nouveaux quand il a présenté un passeport valide. Cela étant dit, la situation était des plus malheureuses. Pendant toutes ces années, le demandeur a en quelque sorte tourné en rond, devant incessamment faire établir de nouveaux certificats vu que leurs périodes de validité ne coïncidaient jamais. Il s’agit d’un exemple frappant de mauvais fonctionnement de la bureaucratie, et on ne peut que compatir avec le demandeur au vu de l’expérience kafkaïenne qui a été la sienne. Toutefois, d’un point de vue strictement juridique, il est impossible de conclure que les divers agents qui ont traité la demande de M. Singh après qu’il eut obtenu son nouveau passeport ont commis une erreur en appliquant la loi.

 

[42]           On ne peut pas dire la même chose du refus qui a été prononcé le 23 décembre 1998 d’accorder à M. Singh le droit d’établissement. Les parties conviennent que la seule raison pour laquelle la fiche d’établissement du demandeur lui a alors été reprise était son incapacité de présenter un passeport en cours de validité. À ce stade, M. Singh satisfaisait à toutes les autres exigences prévues par la Loi sur l’immigration et au Règlement sur l’immigration de 1978

 

[43]           L’exigence consistant à avoir un passeport en cours de validité est énoncée au paragraphe 14(1) du Règlement sur l’immigration de 1978, reproduit ci‑dessus, au paragraphe 17 des présents motifs. « Avoir » quelque chose renvoie à la notion de possession. Toutefois, en fonction du contexte juridique, on peut considérer qu’une personne « a » quelque chose si cette personne a le droit d’exercer son contrôle immédiat sur cet objet : voir Ready John Inc. c. Canada (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2004 CAF 222, [2004] A.C.F. n° 1002, aux paragraphes 42 à 45. Dans le contexte particulier de la Loi sur l’immigration, il serait insensé d’interpréter l’exigence énoncée au paragraphe 14(1) du Règlement sur l’immigration de 1978 comme renvoyant à la possession « matérielle » du passeport. Il ressort clairement que l’objectif de cette disposition est de vérifier qu’un immigrant souhaitant s’établir au Canada est citoyen d’un autre pays et de contrôler son identité avant de lui accorder le droit d’établissement. Cette interprétation est confirmée par la modification apportée au régime de droit relatif aux réfugiés en 1992 (L.C. 1992, ch. 49). En application de l’article 38 de la loi, l’article 46.04 de la Loi sur l’immigration a été modifié. Le paragraphe modifié était ainsi rédigé :

(8) Tant que l'intéressé n'est pas en possession d'un passeport ou d'un document de voyage en cours de validité ou de papiers d'identité acceptables, l'agent d'immigration est tenu de lui refuser, ainsi qu'aux personnes à sa charge, le droit d'établissement.

 

 

[44]           En outre, la version française du paragraphe 14(1) de l’ancien Règlement sur l’immigration de 1978 prévoyait qu’un immigrant « doit avoir » un passeport en cours de validité. Cette expression couvre manifestement un champ plus vaste que l’expression « being in possession of » dans la version anglaise. Avoir un passeport valide ne renvoie pas nécessairement à la possession « matérielle » du passeport, mais plutôt au fait d’être titulaire de ce document ou d’en avoir l’usage légal. Il aurait dû suffire que le demandeur prouve qu’il était le titulaire légal d’un passeport en cours de validité; ce qui se fait généralement en montrant ledit passeport. Il existe cependant des circonstances dans lesquelles il peut ne pas être nécessaire de montrer l’original du passeport pour remplir cette exigence.

 

[45]           En l’espèce plus particulièrement, non seulement l’interprétation du paragraphe 14(1) avancée par les défendeurs serait absurde, mais elle serait terriblement injuste pour le demandeur. M. Singh devrait subir les conséquences de la perte de son passeport par des employés des défendeurs. En outre, les défendeurs avaient une copie du passeport du demandeur dans leurs dossiers, laquelle copie montrait que ce passeport était valide jusqu’en 2001. Compte tenu de ces circonstances tout à fait exceptionnelles, il serait insensé de ne pas s’en tenir à la lettre et à l’esprit du paragraphe 14(1) en concluant que la seule manière pour le demandeur de satisfaire à l’exigence prévue par cette disposition était d’être en possession du passeport délivré par les autorités indiennes.   

 

[46]           L’avocat des défendeurs a fondé son argument sur l’article 13 du RIPR. Cet article énonce une règle en matière de preuve selon laquelle quand la loi exige la « production » d’un document, il faut « produire » le document original. Hormis le fait que l’article 13 du RIPR n’a pas d’équivalent dans l’ancienne Loi sur l’immigration ou dans le Règlement sur l’immigration de 1978, il convient de se souvenir que dans le paragraphe 14(1) de l’ancien Règlement, il n’était pas question de « produire » un passeport en cours de validité, mais de l’« avoir ». Il s’agit de deux exigences distinctes. L’exigence consistant à « être titulaire » (en anglais « to hold ») va au-delà d’une règle en matière de preuve; elle renvoie directement au droit à un passeport en cours de validité délivré par son pays de citoyenneté.

 

[47]           Pour tous ces motifs, je suis ainsi d’avis que CIC a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur n’avait pas rempli les exigences énoncées au paragraphe 14(1) de l’ancien Règlement sur l’immigration de 1978 et en lui refusant le droit d’établissement le 23 décembre 1998.

 

C. Le bref de mandamus

[48]           Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, au paragraphe 45; conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, la Cour d'appel fédérale a énoncé les conditions à remplir pour qu’un bref de mandamus soit délivré; ces conditions ont été bien résumées par ma collègue, la juge Danièle Tremblay-Lamer :

1) il existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur;

 

2) l’obligation doit exister envers le demandeur;

 

3) il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment,

 

a) le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple, un délai déraisonnable; et

 

4) il n’existe aucun autre recours.

 

Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33, (1re inst.), au paragraphe 8.

 

 

[49]           En l’espèce, le demandeur demande que soient rendus deux brefs de mandamus à titre subsidiaire. Aux termes du premier bref, CIC devrait accorder au demandeur sa résidence permanente dans les 30 jours suivant l’ordonnance de la Cour. À titre subsidiaire également, le demandeur demande à la Cour de rendre une ordonnance obligeant CIC à terminer le traitement de sa demande dans les 30 jours suivant ladite ordonnance.

 

[50]           Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le demandeur a rempli toutes les conditions nécessaires à la délivrance d’un bref de mandamus. Il est clair que CIC a l’obligation légale à caractère public de traiter la demande de résidence permanente du demandeur. Le paragraphe 5(2) de l’ancienne Loi sur l’immigration imposait à CIC l’obligation claire d’accorder le droit d’établissement à tout résident permanent qui remplissait les exigences prévues par la loi, et c’est toujours le cas en application du paragraphe 11(1) de la LIPR : voir, par exemple, Dragan, précitée, au paragraphe 40; Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159, [2006] A.C.F. n° 1458, au paragraphe 41.

 

[51]           Je conclus également que le demandeur avait le droit que CIC s’acquitte de son obligation. Il a présenté une demande complète accompagnée de tous les documents requis et il a payé les droits de traitement. Le dossier montre également que le demandeur et son avocat ont contacté à maintes reprises les défendeurs pour leur demander où la demande en était ou de rendre une décision finale. Or, plus de 14 ans après que le demandeur a présenté sa demande, aucune décision n’a encore été rendue. Les défendeurs ont à juste titre souligné qu’en raison des accusations qui ont été déposées contre le demandeur au criminel à l’automne 2005, le demandeur ne peut maintenant plus convaincre un agent qu’il n’est pas interdit de territoire en application de l’article 36 de la LIPR. Il n’en reste pas moins qu’au moment où ces accusations ont été portées, le demandeur attendait depuis plus de dix ans que sa demande soit traitée. Si une telle période de temps ne constitue pas un délai déraisonnable, je me demande vraiment ce qu’il faudrait.

 

[52]           Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que le demandeur a le droit qu’une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus soit rendue. Toutefois, il existe des précédents voulant que si un bref de mandamus ordonne l’exécution d’une obligation, il ne puisse cependant pas dicter le résultat à atteindre : voir, par exemple, Schwartz Hospitality Group Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2001 CFPI 112, au paragraphe 34. Si on se fie à la jurisprudence, il peut parfois être indiqué de donner des directives précises, mais seulement en présence de circonstances très rares et exceptionnelles. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31, [2002] A.C.F. n° 91, au paragraphe 14 :

Bien que la Cour puisse donner des directives quant à la nature de la décision à rendre lorsqu'elle annule la décision d'un tribunal, il s'agit d'un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs : Xie, précité, au paragraphe 18. Ce pouvoir doit rarement être exercé dans les cas où la question en litige est de nature essentiellement factuelle (Ali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 73 (C.F. 1re inst.)), surtout lorsque, comme en l'espèce, le tribunal n'a pas tiré la conclusion pertinente.

 

Voir aussi : Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, [2005] A.C.F. n° 1523, aux paragraphes 20 à 22; Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 75 F.T.R. 125 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18.

 

 

[53]           En l’espèce, la question de l’interdiction de territoire du demandeur avait apparemment été résolue en sa faveur au moment de son entrevue du 23 décembre 1998. N’eût été la décision de l’agent qui a conclu erronément que le demandeur n’avait pas un passeport en cours de validité parce que ce passeport avait été saisi par un agent des visas à Buffalo et qu’il n’avait jamais été renvoyé au demandeur, ce dernier se serait alors probablement vu accorder le droit d’établissement. La preuve afférente n’est toutefois pas dénuée d’ambiguïté et elle ne permet pas à la Cour de substituer son jugement à celui d’un agent d’immigration et de substituer sa décision à celle du ministre et de ceux qui exercent ses pouvoirs délégués.    

 

[54]           Par conséquent, la décision du 23 décembre 1998 de ne pas accorder le droit d’établissement au demandeur est annulée, et le dossier du demandeur est renvoyé aux défendeurs pour qu’ils le traitent conformément aux dispositions de la loi telle qu’elle existait à cette date et en se fondant sur le dossier du demandeur tel qu’il était à l’époque. Ils devront également procéder au traitement du dossier du demandeur en tenant compte des présents motifs, et plus particulièrement en tenant compte du jugement déclaratoire rendu relativement au paragraphe 14(1) de la Loi sur l’immigration. Eu égard à toutes les pertes de temps que le demandeur a déjà dû subir, une nouvelle décision devra être rendue dans les 90 jours suivant la présente ordonnance.

 

[55]           Les avocats des parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 

[56]           L’avocat du demandeur a demandé les dépens sur la base avocat-client. Je conviens avec les défendeurs qu’une telle demande n’est pas justifiée. Cela étant dit, je suis prêt à accorder des dépens partie-partie au demandeur. Je suis d’avis que le long retard dans le traitement de son dossier est une « raison spéciale » au sens de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. Par conséquent, les défendeurs devront solidairement verser la somme de 2 000 $ au demandeur.


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. En outre, la Cour :

·        déclare que l’exigence consistant à avoir un passeport en cours de validité prévue par le paragraphe 14(1) du Règlement adopté en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration n’obligeait pas le demandeur à être en possession de l’original de son passeport s’il pouvait établir par ailleurs qu’il avait un passeport valide;

·        ordonne que CIC traite la demande d’établissement du demandeur dans les 90 jours suivant le dépôt de la présente ordonnance, conformément aux dispositions de loi en vigueur au 23 décembre 1998, telle qu’elle a été interprétée dans les présents motifs de l’ordonnance et en se fondant sur le dossier du demandeur tel qu’il était à la date susmentionnée.

·        ordonne que les défendeurs versent au demandeur la somme forfaitaire de 2 000 $.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2234-09

 

INTITULÉ :                                       YADWINDER SINGH

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 mai 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge de Montigny

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 19 juillet 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeremiah Eastman

 

POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeremiah Eastman

Cabinet d’avocats Eastman

Association professionnelle

Brampton (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

                                                                            

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