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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100629

Dossier : T-1571-09

Référence : 2010 CF 701

[traduction certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2010

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

STEPHEN P. WILLIAMS

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Le demandeur, Stephen Williams, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’appel des pensions (la Commission), datée du 5 mai 2009, par laquelle celle‑ci a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel auprès de la Commission d’une décision du tribunal de révision.


La question préliminaire

[2]               Les parties ont convenu pour que le rapport médical du Dr Paul Termannsen, daté du 14 juillet 2009, et le rapport du Dr Wayne M. Smith, daté du 16 juin 2009, soumis par le demandeur après la date de la décision faisant l’objet du présent contrôle, soient radiés du dossier du demandeur. Elles ont également convenu que les renvois à ces rapports figurant aux paragraphes 35 et 36 de l’affidavit du demandeur, et au paragraphe 34 de ses observations écrites, soient également radiées.

 

Le contexte

[3]               Le demandeur a travaillé comme chiropraticien entre 1992 et 2004. Le 12 mars 2004, le demandeur, dans le cadre de son travail, s’est blessé au poignet gauche, et a arrêté de travailler en raison de la douleur intense qu’il ressentait. Le demandeur a subi une déchirure au niveau du complexe fibrocartilagineux triangulaire (CFT), une fracture associée non consolidée de la cubitale et une foulure/laxité de la cubitale. Le 10 juillet 2007, le demandeur a subi un nettoyage arthroscopique du poignet (une intervention chirurgicale).

 

[4]               Le 12 janvier 2007, le demandeur a présenté une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC). Cette demande a été rejetée, tout comme la demande de réexamen qu’il a présentée. Le demandeur a interjeté appel de la décision, en vertu du paragraphe 82(1) du RPC, au tribunal de révision qui a entendu l’appel le 24 septembre 2008. Le tribunal de révision a rejeté l’appel le 14 janvier 2009 au motif que le demandeur n’avait pas établi qu’il était invalide au sens du RPC.

 

[5]               Le demandeur a demandé, en vertu du paragraphe 83(1) du RPC, l’autorisation d’interjeter appel devant la Commission. L’autorisation lui a été refusée le 5 mai 2009. Les motifs invoqués par le membre désigné de la Commission pour ce refus sont les suivants :

L’argument selon lequel la décision du tribunal de révision n’était pas justifiée est indéfendable. Le tribunal de révision a pris en considération l’ensemble de la preuve et a tiré les conclusions évidentes.

 

La demande d’autorisation ne contient aucun fait ni aucun rapport susceptible d’être débattu en appel pour établir que l’appelant était en fait invalide, comme l’exige le Régime de pensions du Canada.

 

[6]               Le demandeur prétend que le membre désigné de la Commission a commis une erreur en rejetant sa demande d’autorisation d’appel.

 

Le cadre législatif

[7]               Les dispositions applicables du RPC sont ainsi libellées :

42(2) Pour l’application de la présente loi :

 

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

 

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

 

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

 

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été établie.

 

[…]

 

83(1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

42(2) For the purposes of this Act,

 

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

 

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

 

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

 

 

 

(b) a person shall be deemed to have become or to have ceased to be disabled at such time as is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

 

 

83(1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

 

 

 

L’analyse

[8]               Le contrôle d’une décision relative à une demande d’autorisation d’appel à la Commission comprend l’examen des deux questions suivantes, énoncées par le juge MacKay dans Callihoo c. Canada (Procureur général), (2000) 190 F.T.R. 114 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 15 :

1. la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d’être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

 

2. la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une [cause défendable] est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation.

 

[9]               Chacune de ces questions sera examinée dans l’ordre.

Est-ce que le membre désigné a appliqué le critère approprié quant à l’autorisation d’appel?

[10]           La question de savoir si le membre désigné de la Commission a appliqué le critère juridique approprié, est une question de droit. Elle doit par conséquent être examinée selon la norme de la décision correcte (Mcdonald c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CF 1074, au paragraphe 6).

 

[11]           En l’espèce, le demandeur n’a soumis aucun nouvel élément de preuve avec sa demande d’autorisation d’appel. Le membre désigné de la Commission a conclu que « [l]’argument selon lequel la décision du tribunal de révision n’était pas justifiée est indéfendable ». Je suis convaincu que le membre désigné de la Commission a correctement examiné si le demandeur a soulevé une cause défendable ayant des chances sérieuses d’être accueillie en appel, sans examiner le fond de la demande. Rien dans les motifs du membre désigné de la Commission n’indique qu’il a appliqué un critère plus sévère que celui de la « cause défendable » ou qu’il a évalué la demande sur le fond. Par conséquent, je conclus que le membre désigné de la Commission a appliqué le critère juridique approprié en l’espèce.

 

Est-ce qu’il était raisonnable pour le membre désigné de la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas soulevé une cause défendable?

 

[12]           La question de savoir si le membre désigné de la Commission a commis une erreur en refusant l’autorisation d’appel est une question mixte de fait et de droit, car elle exige que le critère juridique de la « cause défendable » soit appliqué aux faits particuliers de l’espèce. La norme de contrôle applicable est par conséquent la norme de la décision raisonnable (McDonald, au paragraphe 6; Singh Pannu c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CF 1348, au paragraphe 18). Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour déterminera également si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[13]           Comme il a déjà été souligné, le demandeur n’a soumis aucun nouvel élément de preuve avec sa demande d’autorisation d’appel; il a affirmé que le tribunal de révision a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas invalide au sens du RPC. Le membre désigné de la Commission a conclu que la demande d’autorisation ne soulevait pas une cause défendable en appel car le tribunal de révision a tenu compte de toute la preuve et « a tiré les conclusions évidentes ».

 

[14]           En l’espèce, il s’agit de déterminer si la conclusion du membre désigné de la Commission selon laquelle le demandeur n’a soulevé aucune cause défendable est raisonnable. Selon Callihoo, au paragraphe 22 :

En l’absence d’une nouvelle preuve importante qui n’aurait pas été examinée par le tribunal de révision, une demande d’autorisation a des chances sérieuses d’être accueillie lorsque le décideur conclut qu’il en ressort une question ou une erreur de droit, appréciée en vertu de la norme de la décision correcte, ou une erreur de fait importante commise de façon déraisonnable ou arbitraire à la lumière de la preuve. [...]

 

 

 

[15]           Le tribunal de révision a conclu que le demandeur n’était pas invalide au sens du paragraphe 42(2) du RPC, car son invalidité n’était pas grave et prolongée. Le tribunal de révision a bien énoncé le droit applicable. Il a expliqué le concept d’invalidité dans le cadre du RPC, et a donné des définitions des termes « grave » et « prolongée ».

 

[16]           À l’égard de l’appréciation des faits, le tribunal de révision a résumé la preuve médicale du médecin de famille du demandeur, le Dr Taylor, et celle du Dr Vaisler, un chirurgien orthopédiste qui a fourni un avis médical indépendant. Le tribunal de révision a conclu ce qui suit :

[traduction]

Le Dr Williams, dans le cadre de son emploi, passait la moitié de son temps à rédiger des rapports et l’autre moitié, à travailler comme chiropraticien. Il a ajouté que, quand il en avait le temps, il écrivait un livre. Le Dr Williams n’a pas tenté de trouver un autre emploi, qu’il s’agisse d’un emploi lié ou non à son travail de chiropraticien. Aucun élément de preuve médical ou psychiatrique n’indique que l’appelant ne peut pas trouver un autre type d’emploi, comme la rédaction de rapports, ou la dictée de rapports, ou un emploi dans un domaine complètement différent. Le demandeur n’a pas atteint un âge auquel il est irréaliste de lui demander de se recycler.

 

 

 

[17]           En vertu de l’alinéa 42(2)a) du RPC, une personne n’est considérée comme invalide que si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Le sous-alinéa 42(2)a)(ii) du RPC prévoit qu’une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée « devoir durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès ». Selon le sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC, une invalidité n’est grave que si « elle rend la personne […] régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». La jurisprudence nous enseigne que l’exigence concernant la gravité de l’invalidité doit être appliquée dans un contexte « réaliste ». Il ne suffit pas de conclure qu’il y a quelque part dans le monde un emploi que le demandeur est physiquement capable d’occuper, sans tenir compte de la formation et des antécédents du demandeur ou sans tenir compte d’autres facteurs (Villani c Canada, 2001 CAF 248, au paragraphe 38).

 

[18]           Malgré que l’exigence concernant la gravité de l’invalidité doit être appliquée dans un « contexte réaliste », dans Villani, la Cour d’appel fédérale a énoncé ce qui suit :

Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. […] (paragraphe 50)

 

 

 

[19]           En outre, dans les cas où il y a des preuves de capacité de travail, le demandeur doit démontrer que les efforts pour trouver et conserver un emploi ont été infructueux pour des raisons de santé. Dans Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, au paragraphe 3, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

[…] En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

 

 

 

[20]           Le dossier dont dispose le tribunal de révision démontre que le demandeur n’a fait aucun effort pour trouver un emploi ou pour se recycler. Le tribunal de révision a conclu que le demandeur avait une déchirure au niveau du complexe fibrocartilagineux triangulaire (CFT) et d’autres blessures à son poignet gauche, mais il a aussi conclu qu’aucun élément de preuve médical ou psychiatrique n’indiquait que le demandeur n’était pas en mesure de se recycler ou de chercher un autre type d’emploi, lié ou non à la profession de chiropraticien, qui ne comporterait aucune manipulation physique des patients. Ce faisant, le tribunal a tenu de la preuve médicale ainsi que de l’âge et de la formation du demandeur ainsi que du fait que celui-ci a pu s’adonner à son passe‑temps, c’est‑à‑dire l’écriture. La conclusion du tribunal de révision selon laquelle le demandeur n’est pas invalide au sens du RPC était étayée par la preuve.

 

[21]           À mon avis, compte tenu de la preuve, la décision du tribunal de révision ne contient aucune une erreur de fait importante commise de façon déraisonnable ou arbitraire. La décision du tribunal de révision ne contient non plus aucune erreur de droit. De plus, aucun nouvel élément de preuve n’a été soumis avec la demande d’autorisation. En l’espèce, après avoir appliqué le critère de la cause défendable énoncé dans Callihoo, je conclus qu’il était loisible au membre désigné de la Commission de conclure que la demande d’autorisation ne soulevait aucune cause défendable permettant de croire que l’appel projeté sera accueilli. La décision du membre désigné de la Commission appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission de rejeter la demande d’autorisation d’appel du demandeur est raisonnable.

 

[22]           Compte tenu de l’analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[23]           Comme le défendeur ne réclame pas de dépens, aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Le rapport du Dr Paul Termannsen, daté du 14 juillet 2009, et le rapport du Dr Wayne M. Smith, daté du 16 juin 2009, sont radiés du dossier du demandeur de même que les renvois à ces rapports figurant aux paragraphes 35 et 36 de l’affidavit du demandeur, et au paragraphe 34 de ses observations écrites.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1571-09

 

INTITULÉ :                                       STEPHEN P. WILLIAMS

                                                            c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 MAI 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                   LE 29 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas T.K. Chiu

 

POUR LE DEMANDEUR

Dale L. Noseworthy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hammerberg, Altman, Beaton & Maglio LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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