Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090415

Dossier : IMM-3162-08

Référence : 2009 CF 380

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

HODA HUSSEIN HAZIMEH

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision (la décision), datée du 24 juillet 2008, par laquelle la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accueilli l’appel interjeté par la défenderesse d’une décision d’un agent des visas qui avait rejeté la demande de résident permanent de son époux.

 

CONTEXTE

 

[2]               La défenderesse est originaire du Liban et est désormais citoyenne canadienne. Le 20 août 1992, elle a épousé M. Ali Hammoud au Liban. Elle est ensuite arrivée au Canada en octobre 1993 parrainée par M. Hammoud.

 

[3]               Environ un mois après son arrivée, le 5 novembre 1993, la défenderesse a obtenu un divorce religieux « talaq » en Ontario devant un représentant du Conseil suprême islamique chiite du Canada. Au moment de la cérémonie, elle était citoyenne canadienne depuis moins d’un mois et ne pouvait pas légalement divorcer en Ontario. Par suite de la cérémonie de divorce, la défenderesse a obtenu, le 5 novembre 1993, un certificat signé et scellé par Sayyed Abbas qui déclarait ce qui suit :

[traduction]

 

Le divorce du couple susmentionné a été prononcé à titre irrévocable en ma présence en conformité avec les règles juridique et religieuse applicables. L’épouse a renoncé à la moitié de la dot due pour non‑copulation. La renonciation a été acceptée et le divorce a été approuvé.

 

 

[4]               Le 13 mai 1999, la défenderesse a enregistré le divorce auprès du tribunal religieux Jaafari de Saïda au Liban. Les documents d’enregistrement indiquaient que la « date du divorce » était le 5 novembre 1993.

 

[5]               Le 22 août 1999, la défenderesse a épousé Hafez Farhat au Liban. Elle est ensuite revenue au Canada et a présenté à la Cour supérieure de l’Ontario une demande de divorce d’avec son premier époux, M. Hammoud. Le divorce a été accordé par la Cour supérieure et était valide à compter du 12 juillet 2001. Le 27 août 2001 ou vers cette date, la défenderesse a déposé sa première demande de parrainage de son deuxième époux en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. La demande a été rejetée le 26 juin 2002.

 

[6]               La défenderesse a présenté une deuxième demande de parrainage de son époux le 27 octobre 2005. Le 22 mai 2006, cette demande a également été rejetée. L’agent des visas a jugé que le divorce de la défenderesse n’était pas valide selon les lois canadiennes parce qu’il aurait été prononcé au Liban, alors que ni la défenderesse ni son premier mari n’ont résidé habituellement au Liban pendant l’année précédant l’introduction de l’instance de divorce. L’agent a conclu que leur divorce ne répondait pas aux exigences du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce, 1985, ch. 3 (2suppl.). La défenderesse était donc encore mariée à son premier mari au moment où elle a épousé le second, de sorte que ce dernier ne pouvait pas faire partie de la catégorie du regroupement familial.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

 

[7]               La SAI a examiné la question de savoir si le divorce de la défenderesse, enregistré au Liban en mai 1999, était valide en vertu des lois canadiennes. S’il ne l’était pas, la défenderesse était donc encore officiellement l’épouse de son premier mari aux fins des lois canadiennes de sorte que son second mari serait exclu de la catégorie du regroupement familial. La SAI a conclu que la défenderesse et son premier mari étaient divorcés au mois de mai 1999 et que le mariage de la défenderesse avec son second mari, en août 1999, était légalement valide.

 

[8]               La SAI a examiné certains articles du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, (le Règlement), et de la Loi sur le divorce, et elle a cité l’extrait suivant tiré de la décision Amin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2008] CF 168 (Amin) :

20     J’ajouterais que, aux fins de l’application du droit interne, j’ai de sérieuses réserves sur l’à‑propos d’une reconnaissance des divorces extrajudiciaires du genre dont il s’agit ici. L’intention évidente du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce était de faire en sorte que puisse intervenir dans le divorce une autorité judiciaire ou quelque autre autorité officielle avant que le Canada ne reconnaisse un divorce étranger. Cette condition serait remplie par observation de la procédure énoncée dans la Muslim Family Law Ordinance (1961) : voir l’arrêt Quazi, précité, à la page 917 (All E.R.), page 825 (A.C.); et l’arrêt Chaudhary, précité, page 1025. L’objet évident d’une telle intervention judiciaire ou officielle est la prise en compte d’importantes questions d’intérêt public susceptibles de découler de la reconnaissance nationale d’un divorce de nature religieuse ou sans caractère officiel. Nombre de ces préoccupations furent reconnues dans le passage suivant de l’arrêt Chaudhary, précité, aux pages 1031 et 1032 :

 

                                    [traduction]

 

Si je comprends bien, la procédure du talaq consiste uniquement à prononcer pour soi-même une formule devant des témoins qui n’ont pas nécessairement été réunis par le mari à cette fin et dont l’unique qualité est que, vraisemblablement, ils sont en mesure de voir et d’entendre ce qui se passe. La formule peut, comme ce fut le cas ici, être prononcée dans le temple. Elle peut, comme ce fut le cas ici, être renforcée par un document renfermant les renseignements, exacts ou non, que le mari voudra bien y insérer. Mais, ce qui conduit au divorce, c’est le prononcé de la formule devant des témoins, et cela uniquement. Pour l’essentiel donc, le talaq n’est qu’un rite où la forme est réduite au minimum; il ne présente pas l’élément indispensable de la publicité; il ne fait pas intervenir le moindrement l’État, ni aucune autorité publique, autre que l’obligation d’enregistrer ce qui a été fait. Ainsi, bien que ses conséquences publiques soient très différentes, c’est une procédure qui s’écarte très peu de n’importe quel autre acte de nature privée, tel que la signature d’un testament, et elle est assimilable au divorce purement consensuel reconnu dans certains États d’Extrême-Orient (voir par exemple Ratanachai c. Ratanachai (1960) Times, 4 juin, Varanand c. Varanand (1964) 108 SJ 693, et Lee v. Lau [1964] 2 All ER 248, [1967] P 14).

 

À mon avis, et si l’on considère uniquement la Loi de 1971, un tel acte ne saurait être validement qualifié de « procédure » au sens tout à fait ordinaire de ce mot, encore moins de « procédure » au sens restrictif qui doit, pour les raisons susmentionnées, être attribué à ce mot tel qu’il est employé dans la Loi.

 

[...]

 

Cependant, même si je me trompe dans mon appréciation de la question, je souscris totalement à la décision du juge sur le second point, c’est-à-dire qu’il serait manifestement contraire à l’ordre public de reconnaître ici comme valide un divorce résultant tout bonnement de la formule du talaq.

[Lord Oliver]

 

[9]               La SAI a conclu que la cérémonie du talaq n’a aucune portée juridique en droit canadien. Seule une reconnaissance officielle du divorce par un tribunal étranger, ou une autre autorité compétente à l’égard de telles questions, est pertinente pour ce qui est de déterminer si un divorce étranger peut être reconnu au Canada. La SAI a conclu que le divorce de la défenderesse n’avait pas été instruit ni n’avait donné lieu à une décision en Ontario, mais au Liban, où la preuve a établi qu’il était légalement valide, ce qui le rendait applicable et reconnaissable au Canada aux termes de l’article 22 de la Loi sur le divorce.

 

[10]           La SAI a également examiné la portée du paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce et s’est demandé si le critère du « lien réel et solide » était une règle de common law au Canada qui s’appliquait en l’espèce. Elle a conclu que le critère du « lien réel et solide » s’appliquait et qu’il permettrait de trancher la question de la reconnaissance de l’enregistrement du divorce auprès du tribunal religieux Jaafari de Saïda.

 

[11]           La dernière question que la SAI a examiné était de déterminer s’il y avait un « lien réel et solide » avec le Liban. La SAI a jugé que la défenderesse entretenait un lien réel et solide avec son pays d’origine, le Liban, et qu’il était raisonnable qu’elle enregistre son divorce religieux auprès des autorités de ce pays.

 

[12]           Étant donné que le premier mariage de la défenderesse s’est soldé par un divorce et que celui-ci était valide au Canada, son mariage subséquent était valide en droit, et le refus d’approuver la demande d’établissement de son époux n’était pas conforme au droit canadien.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Le demandeur soulève les questions en litige et objections suivantes à l’égard de la décision de la SAI :

1)                  La défenderesse n’a pas obtenu le divorce au Liban et, de ce fait, il ne s’agit pas d’un « divorce étranger » susceptible d’être reconnu au sens de la Loi sur le divorce aux fins de l’application du droit canadien. La SAI a commis une erreur de droit en ne tirant pas cette conclusion; et

2)                  La SAI a commis une erreur de droit en concluant que la défenderesse entretenait un lien réel et solide avec le Liban de sorte que le paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce pouvait s’appliquer et permettre de trancher la question de la reconnaissance d’un divorce accordé par le Liban.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[14]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent à la présente instance :

2. « mariage » S’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes. 

 

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

c) l’époux du répondant, si, selon le cas :

 

(i) le répondant ou cet époux étaient, au moment de leur mariage, l’époux d’un tiers,

2. "marriage" , in respect of a marriage that took place outside Canada, means a marriage that is valid both under the laws of the jurisdiction where it took place and under Canadian law. 

 

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

(c) the foreign national is the sponsor’s spouse and

 

(i) the sponsor or the foreign national was, at the time of their marriage, the spouse of another person, or

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi sur le divorce s’appliquent à la présente instance :

22. (1) Un divorce prononcé à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, conformément à la loi d’un pays étranger ou d’une de ses subdivisions, par un tribunal ou une autre autorité compétente est reconnu aux fins de déterminer l’état matrimonial au Canada d’une personne donnée, à condition que l’un des ex-époux ait résidé habituellement dans ce pays ou cette subdivision pendant au moins l’année précédant l’introduction de l’instance.

 

 (3) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux autres règles de droit relatives à la reconnaissance des divorces dont le prononcé ne découle pas de l’application de la présente loi.

 

22. (1) A divorce granted, on or after the coming into force of this Act, pursuant to a law of a country or subdivision of a country other than Canada by a tribunal or other authority having jurisdiction to do so shall be recognized for all purposes of determining the marital status in Canada of any person, if either former spouse was ordinarily resident in that country or subdivision for at least one year immediately preceding the commencement of proceedings for the divorce.

 

 

 (3) Nothing in this section abrogates or derogates from any other rule of law respecting the recognition of divorces granted otherwise than under this Act.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           La défenderesse s’appuie sur Ismaeli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 573, au paragraphe 19, pour affirmer que :

L’obligation du requérant de réfuter les conclusions de la Commission est une lourde obligation. Le requérant doit être à même de prouver que les conclusions formulées étaient des conclusions tirées de façon abusive ou arbitraire ou étaient si déraisonnables que la Cour doit annuler la décision.

 

[17]           Dans Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741, il a été conclu que la CISR est un organisme spécialisé dont le contexte factuel et réglementaire dans lequel ses décisions sont rendues est fort complexe (le paragraphe 18). Le tribunal ayant le pouvoir de surveillance interviendra uniquement s’il a été démontré qu’une erreur manifeste a été commise, c’est-à-dire que les constatations et conclusions de fait sont manifestement déraisonnables (paragraphe 22).

 

[18]           Dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.S. n1, citant Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, il est déclaré au paragraphe 20 que pour les questions de droit de portée générale dans les décisions de la CISR, la norme appropriée est celle de la décision correcte.

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick [2008] CSC 9, la Cour a conclu que, lorsque la cour de révision applique la norme de la décision correcte relativement à certaines questions de droit, y compris une question de compétence, elle n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose.

 

[20]           Les questions soulevées par le demandeur touchent des questions de droit, et à la lumière de la jurisprudence qui m’a été soumise, je conclus que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte.

 

ARGUMENT

            Le demandeur

                        Selon la preuve, le divorce talaq a simplement été enregistré au Liban

 

[21]           Le demandeur soutient que la preuve établit que la défenderesse n’a pas obtenu le divorce au Liban. Son divorce talaq a eu lieu au Canada. L’enregistrement et la reconnaissance d’un divorce par le Liban ne constitue pas un divorce prononcé au Liban. Ainsi, le demandeur fait valoir que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette distinction.

 

[22]           Le demandeur affirme que, d’après la propre preuve de la défenderesse, l’instance libanaise ne visait que la simple reconnaissance d’un divorce prononcé au Canada. L’opinion juridique d’un avocat au Liban, qui a été produit en preuve à l’audience de la SAI, indiquait ce qui suit :

1)                  La défenderesse et M. Hammoud avaient divorcés, selon le certificat délivré par le tribunal religieux Jaafari de Saïda au Canada, le 4 novembre 1993;

2)                  La défenderesse n’est plus l’épouse de M. Hammoud depuis le 5 novembre 1993;

3)                  Ledit divorce a été enregistré auprès du tribunal religieux Jaafari de Saïda le 13 mai 1999.

 

[23]           Le demandeur soutient que, selon la preuve présentée à la SAI, le divorce avait eu lieu au Canada et qu’il a simplement été enregistré et reconnu au Liban de sorte que la défenderesse pouvait se remarier dans ce pays. De plus, le divorce de la défenderesse ne répond pas à la définition de divorce étranger et est invalide puisqu’il s’agit d’un divorce talaq en vertu de la charia. Seule la Cour supérieure de l’Ontario a compétence pour prononcer des divorces dans la province de l’Ontario. Le demandeur allègue que la défenderesse n’était pas divorcée en 1993 ni en 1999 aux fins de l’application du droit canadien et que son mariage en 1999 avec son second mari était invalide.

 

La SAI a conclu à tort qu’un divorce a été prononcé au Liban

 

[24]           Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur de droit en tirant la conclusion qu’il s’agissait d’un divorce étranger, soit en ne tenant pas compte des éléments de preuve dont elle disposait, soit en concluant que l’enregistrement du divorce talaq au Liban constituait un « divorce étranger » pour l’application de la Loi sur le divorce.

 

[25]           La SAI s’est largement appuyée sur la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Amin. Cependant, le demandeur indique que l’affaire Amin portait sur un divorce talaq prononcé au Pakistan mais qui n’avait pas été enregistré auprès des autorités civiles, comme l’exige la Muslim Family Law Ordinance. Ainsi, le défendeur cherchait dans cette affaire à faire reconnaître le divorce comme un divorce étranger qui n’avait aucun effet tant qu’il n’était pas enregistré. Le demandeur souligne que les faits ne sont pas les mêmes en l’espèce et qu’en réalité, la Muslim Family Law Ordinance du Pakistan ne s’applique pas dans la présente affaire qui concerne un divorce talaq tenu au Canada (le Canada ne reconnaît pas la charia), ainsi que l’enregistrement de ce divorce dans un autre État. Par conséquent, la SAI a commis une erreur de droit en s’appuyant sur la décision Amin.

 

[26]           Le demandeur fait valoir que la SAI a commis une autre erreur de droit lorsqu’elle a conclu que l’endroit où le talaq a eu lieu n’a pas d’importance. Il soutient que l’endroit est pertinent pour répondre à la question dont la SAI est saisie puisqu’un divorce talaq n’a pas d’effet en droit au Canada mais peut avoir un tel effet dans les États où la charia s’applique. Un divorce talaq prononcé au Canada est nul au Canada.

 

[27]           Le demandeur affirme également que la déclaration de la SAI selon laquelle, si les tribunaux libanais reconnaissent le talaq, l’endroit où il a eu lieu « ne devrait avoir aucune importance » porte à confusion et implique un jugement de valeur, plutôt qu’un jugement fondé sur le droit, dans sa décision. La description que fait la SAI du talaq qu’elle qualifie de « reconnu » par le Liban ne s’accorde pas avec sa conclusion selon laquelle le divorce a été instruit et a fait l’objet d’une décision au Liban. Il existe une distinction entre prononcer un divorce et simplement reconnaître un divorce qui a déjà été prononcé.

 

[28]           Le demandeur allègue également que la preuve révèle que le tribunal libanais s’est contenté d’approuver le divorce talaq. Le tribunal a seulement enregistré ce divorce pour lui donner un effet en droit au Liban afin que la défenderesse puisse se marier une seconde fois dans ce pays.

 

Divorce accordé par la Cour supérieure de l’Ontario

 

[29]           Le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur de droit en ne conciliant pas la position de la défenderesse quant à l’appel et la conclusion du tribunal concernant le divorce que la Cour supérieure de l’Ontario lui avait accordé en 2001. Le demandeur allègue que le fait que la défenderesse ait demandé le divorce à la Cour supérieure constitue une preuve convaincante qu’elle savait que le divorce talaq, qu’elle avait enregistré au Liban, n’était pas valide au Canada. Cela prouve également qu’il ne s’agissait pas d’un « divorce étranger » pouvant être reconnu au Canada.

 

[30]           La décision de la SAI ne comporte aucune mention du divorce accordé par la Cour supérieure de l’Ontario, lequel constituait un élément de preuve important qui aurait dû être abordé dans les motifs. Cette omission suppose que la SAI n’en a pas tenu compte et qu’elle a donc commis une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour.

 

Aucun lien réel et solide avec le Liban

 

[31]           Enfin, le demandeur soutient (dans ses observations écrites au moins) que, si le divorce talaq de la défenderesse constitue un divorce libanais et un divorce étranger, il ne peut être reconnu pour l’application du droit canadien puisque la défenderesse n’entretenait pas un lien réel et solide avec le Liban.

 

[32]           Le demandeur n’a pas invoqué cet argument lors de l’instruction de la présente demande.

La défenderesse

 

[33]           La défenderesse soutient que la décision de la SAI est bien fondée en droit et en fait. Cette décision est de plus étayée par la preuve et n’est pas déraisonnable. Bien que le demandeur ne soit peut-être pas d’accord avec les conclusions de la SAI, il n’a pas démontré qu’elles ont été tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte de la preuve ou qu’elles constituaient une erreur de droit. La Cour doit s’en remettre à l’expertise de la SAI et ne pas modifier ses conclusions, sauf s’il s’agit d’une erreur abusive, arbitraire ou d’une erreur de droit expresse.

 

Divorce obtenu en Ontario

 

[34]           La défenderesse soutient que, puisque le divorce libanais est légal et qu’il a été dûment enregistré, il peut être reconnu par le droit canadien. Le divorce subséquent obtenu en Ontario ne s’applique pas et ne change pas la légalité du divorce libanais s’il répond aux exigences des lois libanaises et canadiennes.

 

[35]           La défenderesse affirme qu’une annulation de mariage ou un divorce est tout ce qui est requis, et que puisque son mariage a pris fin le 5 novembre 1993, le divorce qu’elle a obtenu en Ontario ne s’applique pas. Au Liban, l’annulation ou le divorce a mis fin au mariage religieux le 5 novembre 1993. La copie du document de divorce libanais indique que le divorce a été reconnu [traduction] « légalement à Beirut le 2 janvier 2003 ». Par conséquent, le fait que la SAI n’ait pas tenu compte du divorce accordé en Ontario constitue une omission mineure qui n’a pas eu d’incidence sur l’issue de l’affaire.

 

            Divorce islamique

 

[36]           La défenderesse allègue que le divorce religieux, comme tel, n’a pas été reconnu en droit canadien. Cependant, les tribunaux libanais ont examiné le dossier et rendu une ordonnance de divorce et des motifs, ainsi qu’un certificat de divorce le 13 mai 1999. Un troisième document de divorce libanais a été signé par Sheik Hassan Kharoubi, Head Clerk, et Sheikh Ali Srour Jaafari, juge du tribunal religieux de Saïda.

 

[37]           Bien que le Canada ne reconnaisse pas les divorces religieux, dans la présente affaire, le divorce de la défenderesse a été reconnu en droit libanais et enregistré, rendant ce divorce légal sous le régime du droit civil libanais et le reconnaissant comme un divorce civil légalement valide dans cet État. Il devrait donc être reconnu par le Canada.

 

[38]           La défenderesse fait également valoir que les motifs à l’appui du rejet du divorce islamique dans l’arrêt Chaudhary v. Chaudhary, [1984] 3 All E.R. 1017 (C.A. d’Angleterre) sont nettement différents de ceux dans la présente affaire, puisque dans cet arrêt il n’était question que d’un [traduction] « simple élément religieux ». En l’espèce, il y a eu examen et ratification du divorce, une ordonnance de divorce et un certificat de divorce.

 

[39]           La défenderesse cite la décision britannique dans El Fadl v. El Fadl, [2000] 1 F.L.R. 175 (R.-U.) (El Fadl), dont il est fait mention dans l’article de Jeremy Morley, intitulé Non-Recognition of Japanese Consent Divorces in the U.K., la Cour a reconnu un divorce musulman au Liban parce qu’il avait été obtenu dans le cadre [traduction] « d’une instance, compte tenu du rôle qu’occupe le tribunal de la charia » :

[traduction]

 

Bien que le tribunal de la charia n’ait pas à rendre de décision judiciaire sur le divorce, ce qui s’est déroulé devant lui avec la participation de l’assemblée de la cour, juge et greffier et, compte tenu de l’obligation de recourir au registre et du fait que des déclarations formelles ont été consignées, est à juste titre décrit comme une « instance », et les lois locales exigent expressément que de telles procédures fassent partie intégrante du processus de divorce.

 

 

[40]           La défenderesse soutient que la décision El Fadl confirme que, lorsqu’un tribunal libanais reconnaît un divorce « dans le cadre d’une instance », celui-ci devrait être reconnu. La défenderesse affirme qu’il est évident en l’espèce qu’une instance judiciaire a eu lieu et qu’il ne s’agissait pas du « simple enregistrement » d’un divorce religieux antérieur accordé en vertu de la charia. Par conséquent, le divorce libanais devrait être reconnu par le droit canadien en tant que divorce étranger aux termes de la loi.

 

[41]           La défenderesse souligne aussi que les parties visées par le divorce étaient représentées au cours de l’instance et qu’elles ont consenti au divorce. Il n’y a aucune preuve de fraude, puisque toutes les parties ont participé à l’instance, ont été dûment avisées et ont consenti au divorce. Aucun abus de pouvoir ou autre préoccupation concernant le divorce n’a été soulevé par l’une ou l’autre des parties.

 

[42]           La défenderesse souligne que la SAI a déjà examiné et réglé une affaire qui reposait sur des faits presque identiques (sauf qu’elle concernait la charia applicable au Pakistan plutôt que celle du Liban). Dans Bhatti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] D.S.A.I. n519, la SAI a statué comme suit :

14.     La conception moderne de la reconnaissance des divorces étrangers comporte trois points préliminaires. D’abord, bien que l’approche traditionnelle canadienne en matière de divorce fût très restrictive, la mobilité accrue des personnes a amené le Canada et d’autres pays à réexaminer leurs lois et politiques pendant la deuxième moitié du 20e siècle. Comme le précise un auteur :

 

[traduction]

 

Au Canada... la position actuelle relativement aux divorces prononcés au pays et aux divorces étrangers est telle que la reconnaissance des divorces étrangers est plus libérale et étendue que l’exercice de la compétence d’octroyer des divorces à l’échelle nationale.

 

15.     Deuxièmement, dans les pays de common law, la reconnaissance des divorces étrangers est une question de compétence qui ne porte pas sur les motifs pour lesquels le divorce a été prononcé. En l’absence de fraude, de déni de justice naturelle ou d’une question d’ordre public, les tribunaux canadiens ne se pencheront pas sur les motifs du divorce.

 

16 .    Troisièmement, la règle de common law en matière de « domicile » appliquée pour reconnaître des divorces étrangers a été élargie pour tenir compte de la compétence territoriale du pays qui accorde le divorce. Le domicile est un produit de la common law. En common law, une personne a un domicile à toute époque de sa vie et bien qu’une personne puisse avoir plus d’une résidence à un moment donné, elle ne peut avoir qu’un domicile.

 

17.     Le domicile d’origine d’une personne est établi à la naissance et bien qu’une personne puisse obtenir un autre domicile, le domicile d’origine exerce une emprise puissante sur une personne. Pour réfuter la présomption à l’encontre d’un changement du domicile d’origine, il faut produire une preuve forte selon la prépondérance des probabilités. Castel plaide que ce volet durable de la notion de domicile d’origine entraîne souvent des conséquences absurdes et qu’il devrait être rejeté. Néanmoins, une personne peut acquérir un domicile de choix lorsqu’elle établit une résidence dans un pays avec l’intention ferme et décidée d’y rester en permanence. En common law, la résidence n’a pas à être assortie d’une durée donnée et elle n’est pas absolument nécessaire pour maintenir un domicile une fois qu’il existe. L’intention de la personne constitue le facteur primordial pour déterminer le domicile de choix. L’intention requise comporte l’idée de permanence.

 

18.     En 1967, la Chambre des lords du Royaume-Uni a examiné attentivement la question de la reconnaissance des divorces étrangers et bien qu’elle ait conclu que le domicile devrait constituer le fondement principal de la reconnaissance des divorces étrangers, elle a introduit un nouveau concept : le divorce qu’une personne a obtenu dans un pays étranger pourrait aussi être reconnu si cette personne peut démontrer qu’elle relevait de la « compétence territoriale » du pays qui a accordé le divorce. Les tribunaux canadiens ont adopté ce concept par la suite. McLeod a fait le commentaire suivant :

 

[traduction]

 

Il est presque impossible de définir la « compétence territoriale » de façon catégorique car, ce faisant, nous finissons par éliminer la souplesse inhérente de la règle. L’objectif de la règle est de rendre justice aux parties sans porter atteinte aux lignes directrices fondamentales du tribunal. Les parties atteignent cet objectif lorsqu’elles peuvent démontrer qu’elles ont eu recours aux tribunaux du pays étranger pour un motif valable et qu’elles n’étaient pas simplement à la recherche d’un tribunal favorable.

 

[43]           La SAI a également tiré une conclusion similaire en ce qui concerne le divorce accordé en vertu de la charia au Pakistan dans Amjad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2005] D.S.A.I. no 21, où l’on trouve la conclusion suivante au paragraphe 23 :

23.     Le tribunal déclare que les documents déposés pour établir que le divorce a été enregistré auprès des autorités pakistanaises comportent tellement de problèmes en eux-mêmes et quant à leur provenance qu’il ne peut conclure que le divorce a été enregistré comme l’appelant le prétend. Néanmoins, le tribunal statue que le talaq que l’appelant a donné à sa première épouse suffit et est reconnu en tant que divorce étranger valable sous le régime des lois canadiennes applicables parce que l’appelant avait un lien réel et important au Pakistan, où il a obtenu le talaq. Par conséquent, le refus n’est pas valable en droit. Le tribunal conclut que l’appelant avait légalement divorcé de sa première épouse et qu’il pouvait épouser la demandeure au moment où il l’a fait. L’appel est accueilli.

 

[44]           La défenderesse se fonde également sur l’affaire Schwebel c. Ungar, [1965] R.C.S. 148, rendue par la Cour suprême du Canada, citée dans la décision Amin, et qui portait sur un divorce religieux juif ayant eu lieu en Italie. La Hongrie était le domicile des deux parties. Le divorce religieux juif a été reconnu par l’État d’Israël et jugé légalement valide par la Cour suprême du Canada. La défenderesse fait aussi observer que la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Bruker c. Marcovitz 2007 CSC 54, a également reconnu un divorce religieux juif.

 

Lien réel et solide

 

[45]           Enfin, la défenderesse allègue que, selon la Loi sur le divorce, il y a d’autres moyens de faire reconnaître un divorce étranger, notamment grâce au paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce. La loi en matière de divorce qui s’applique est celle du Liban, et il faut que l’une des parties entretienne un « lien réel et solide » avec le Liban. La défenderesse précise que toutes les parties dans la présente affaire sont nées au Liban, étaient des citoyennes de ce pays et y étaient dûment enregistrées. En outre, les deux parties se sont mariées au Liban et entretenaient un « lien réel et solide » avec ce pays. Ainsi, elles avaient légalement le droit de demander le divorce au Liban. La défenderesse cite Indyka c. Indyka, [1969] 1 C.A. 33.

 

[46]           La défenderesse soutient que les motifs de la SAI sont raisonnables et fondés sur les faits. La SAI pouvait conclure que la défenderesse entretenait un « lien réel et solide » avec le Liban. Le divorce libanais était légalement valide, et le Canada est donc tenu de reconnaître un divorce étranger légal aux termes de la loi [traduction] « s’il existe un lien réel et solide avec l’État où il a été accordé ». Selon l’avocat libanais, la défenderesse n’est plus l’épouse de M. Hammoud depuis le 5 novembre 1993.

 

[47]           La défenderesse cite l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Powell c. Cockburn, [1977] 2 R.C.S. 218, qui expose ce qui suit sur la validité des divorces étrangers :

Les motifs pour lesquels un jugement de divorce prononcé dans un état peut être attaqué dans un autre sont, en fait, peu nombreux. Cependant, la tendance de la jurisprudence est d’admettre l’infirmation du jugement lorsque les faits qui ont donné compétence à l’état où a été prononcé ledit jugement, ne la lui auraient pas conférée si la vérité avait été connue. La fraude portant sur le fond d’un litige peut être aussi exécrable que la fraude portant sur la compétence, mais jusqu’à présent nous avons refusé, pour des raisons pratiques et par courtoisie, de nous pencher sur la première. Même dans le cadre restreint de ce que l’on pourrait appeler la fraude relative à la compétence, il faut hésiter avant de conclure à la fraude pour des raisons évidentes.

 

[48]           La défenderesse termine en mentionnant que le rejet d’une demande de parrainage, en l’espèce, au motif que le divorce libanais ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce serait erroné en droit. La SAI a admis que la défenderesse entretenait un « lien réel et solide » avec le Liban, et cette conclusion était raisonnable, puisqu’il n’y avait aucune disposition législative pour annuler la décision.

 

ANALYSE

           

[49]           Lors de l’instruction de la présente affaire à Toronto le 11 février 2009, le demandeur a avisé la Cour que le ministre n’avait pas l’intention d’invoquer la [traduction] « question relative à l’existence d’un lien réel et solide ». Par conséquent, la présente demande soulève une seule question : La SAI a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la défenderesse avait obtenu un « divorce étranger » en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce?

 

[50]           Le demandeur affirme que la SAI n’a pas tenu compte de la différence qui existe entre un divorce talaq qui a simplement été reconnu au Liban et un divorce qui a effectivement été accordé par le Liban sous le régime des lois libanaises conformément à la procédure judiciaire de ce pays. Autrement dit, le ministre allègue que la simple reconnaissance du divorce talaq de la défenderesse qui a eu lieu au Canada ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 22 de la Loi sur le divorce.

 

[51]           Le ministre affirme également qu’aucune preuve ne permettait à la SAI de conclure que la défenderesse avait obtenu un divorce au Liban et que, dans les faits, il est très évident d’après la preuve disponible que le divorce talaq qu’elle a obtenu au Canada avait simplement été enregistré au Liban de sorte qu’elle pouvait se remarier dans ce pays. Autrement dit, ce dont la SAI a été saisie était d’un divorce talaq reconnu par le Liban, et non pas d’un divorce libanais pouvant être qualifié de « divorce étranger » au sens de la Loi sur le divorce.

 

[52]           Le ministre affirme que cela équivaut à une conclusion de fait erronée de la part de la SAI qui rend sa décision indéfendable.

 

[53]           La défenderesse soutient essentiellement que le divorce religieux talaq qu’elle a obtenu au Canada a été officiellement reconnu par le tribunal libanais et le gouvernement du Liban et que, de ce fait, il est devenu un « divorce étranger » pour l’application de la Loi sur le divorce, rendant ainsi la décision de la SAI tout à fait raisonnable et correcte.

 

[54]           Il n’est pas contesté que la défenderesse a obtenu un divorce religieux talaq en Ontario le 5 novembre 1993 devant M. Sayyed Nabil Abbas, un représentant du Conseil suprême islamique chiite du Canada. La question qui se pose est de savoir ce qui s’est produit lorsque le divorce talaq a été examiné au Liban. Il n’y a que trois documents au dossier qui nous éclairent sur la question.

 

[55]           Tout d’abord, on trouve un certificat délivré par le tribunal religieux Jaafari de la République du Liban qui indique le 5 novembre 1993 comme date de divorce, mais qui ne fait qu’estampiller le divorce talaq prononcé par Sayyed Nabil Abbas à Toronto.

 

[56]           On trouve également un certificat de divorce délivré en réponse à la demande de la défenderesse d’obtenir un tel certificat de la part du juge religieux Jaafari de Saïda au Liban, qui reposait sur un [traduction] « certificat de divorce […] enregistré auprès de votre cour le 13 mai 1999 […] ».

 

[57]           Il semble donc clair que la défenderesse ait obtenu un « certificat de divorce » en 1999 fondé sur le divorce talaq dont elle avait fait l’objet à Toronto en 1993. Ce certificat a été signé et scellé par Sheikh Ali Srour, juge religieux Jaafari de Saïda.

 

[58]           Le certificat est sollicité par HAFEZ ALI FARHAT, époux de Hoda Hazimeh qui demande que le certificat :

[traduction]

 

Soit retourné au requérant confirmant que le divorce de HODA HUSSEIN HAZIMEH et d’ALI KHALIL HAMMOUD a été prononcé à titre irrévocable le 5 novembre 1993 par Sayyed Nabil Abbas, représentant du Conseil suprême islamique chiite du Canada. Ledit divorce a été enregistré auprès du tribunal religieux Jaafari de Saïda le 13 mai 1999, basis #483, register #456.

 

[59]           Ainsi, il est clairement indiqué que le divorce talaq était « irrévocable » à compter du 5 novembre 1993 lorsqu’il a été prononcé à Toronto et qu’il a simplement été enregistré au Liban le 13 mai 1999.

 

[60]           Ces documents ne fournissent aucune indication au sujet de l’effet juridique de l’enregistrement, mais ils donnent à croire que l’État du Liban a reconnu le divorce talaq qui s’est tenu au Canada le 5 novembre 1993.

 

[61]           La défenderesse affirme que, compte tenu de l’enregistrement le 13 mai 1999 au Liban du divorce, celui-ci devient un divorce étranger libanais pour l’application de l’article 2 de la Loi sur le divorce du Canada. Mais il n’y a aucune preuve en ce sens. À première vue, la documentation laisse croire que le Liban a reconnu le divorce talaq qui a eu lieu au Canada en 1993. Cela signifierait que la défenderesse, en vertu du droit libanais, a la liberté de se remarier au Liban. Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle a obtenu un divorce libanais pour l’application des lois canadiennes.

 

[62]           La défenderesse elle-même a fourni à la SAI une opinion juridique de M. Hussein Sobhi Kovkomaz, avocat d’appel à Saïda. Ce dernier affirme que le certificat n106, daté du 5 avril 2006, délivré par le tribunal religieux Jaafari de Saïda, atteste que la défenderesse :

[traduction]

 

[…] est arrivée au Canada le 13 octobre 1993 où elle a divorcé d’Ali Hammoud, selon le certificat délivré par le tribunal religieux Jaafari le 5 novembre 1993 au Canada et prononcé devant le représentant du Conseil suprême islamique chiite, M. (Sayyed) NABIL ABBAS. Ledit divorce est définitif et prend effet immédiatement, à la date à laquelle il est prononcé. Par conséquent, Mme HODA HAZIMEH n’est plus l’épouse d’ALI HAMMOUD depuis le 5 novembre 1993 selon la charia islamique (règles) et les lois libanaises en vigueur.

 

[63]            Après lecture de cette opinion, il ressort clairement que, sous le régime du droit libanais, la défenderesse a divorcé au Canada en 1993 lors d’une cérémonie du talaq. Le Liban a simplement confirmé ce divorce et l’a reconnu pour l’application de ses lois. On ne m’a présenté aucun élément de preuve m’autorisant à penser que le divorce talaq qui s’est déroulé au Canada serait devenu d’une façon ou d’une autre un divorce libanais. Il demeure un divorce talaq ayant eu lieu au Canada et ayant été enregistré et reconnu au Liban. Ce divorce talaq, reconnu par le Liban, n’est pas un divorce que le Canada reconnaît.

 

[64]           La SAI a examiné cette question en faisant référence à la décision rendue par le juge Barnes dans Amin et a conclu en ces termes :

18     La difficulté que pose la décision Bhatti est qu’elle ne dit pas clairement si le divorce en question dans cette affaire avait été enregistré conformément à la Muslim Family Law Ordinance (1961). La lecture de cette décision donne à penser que les dispositions légales avaient été observées dans cette affaire, comme on peut le voir dans le passage suivant :

 

7. L’appelant a déposé, à l’appui de son argumentation, une lettre d’un avocat du Pakistan, une déclaration solennelle et des lettres d’opinion de deux avocats pratiquant le droit de la famille à Toronto. L’acte de divorce signé en juin 1996 constitue un divorce extrajudiciaire puisqu’il s’agit d’un talaq, soit un divorce prononcé en vertu du droit musulman. La lettre de Samina Khan, avocat qui pratique devant la haute cour à Islamabad et qui a représenté l’appelant dans le cadre de son divorce de 1996, déclare que la Muslim Family Law Ordinance, 1961 régit le divorce au Pakistan. Cette loi reconnaît le talaq. Selon l’avocat, l’acte de divorce de l’appelant satisfait aux conditions essentielles et procédurales de la loi.

[Notes infrapaginales omises.]

 

19     La décision Bhatti, précitée, renferme des propositions qui sont difficiles à admettre. Ainsi, la Commission écrivait qu’un divorce extrajudiciaire, tel un divorce résultant de la formule musulmane du talaq, était conforme au paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 3, qui dispose qu’un divorce étranger doit avoir été prononcé « par un tribunal ou une autre autorité compétente ». Autant que je puisse en juger d’après le dossier que j’ai devant moi, et d’après les précédents applicables, un divorce fondé sur la formule du talaq n’est rien de plus qu’une déclaration unilatérale de divorce faite par le mari, généralement en la présence de témoins, et parfois enregistrée dans un acte de divorce sous seing privé. Une telle procédure ne suffit manifestement pas à remplir les exigences du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce et, dans la mesure où la décision Bhatti dit le contraire, elle est, à mon humble avis, erronée : voir l’arrêt Chaudhary c. Chaudhary, [1984] 3 All E.R. 1017 (C.A. d’Angleterre).

 

 

[65]           La question se résume à se demander si la simple reconnaissance par le Liban d’un divorce talaq, tenu et sans effet en droit au Canada, a donné lieu à un divorce étranger que notre pays reconnaît. Dans Amin, je crois que le juge Barnes a exposé le véritable fondement de sa décision dans le passage cité par la SAI et mentionné au paragraphe 8 ci-dessus. Je souligne que dans Bevkovits v. Grinberg, [1995] 1 FLR 477 un get juif conclu par écrit à Londres, en Angleterre, sous le régime du droit ecclésiastique juif et remis à l’épouse devant le tribunal rabbinique en Israël, a été jugé comme applicable en tant que divorce israélien mais n’a pas été reconnu en Angleterre.

 

 

[66]           À mon avis, ce qui manque en l’espèce est un « divorce prononcé » conformément à la loi d’un pays autre que le Canada par une autorité compétente pour le faire.

 

[67]           La reconnaissance et l’enregistrement du divorce talaq qui a eu lieu au Canada ne peuvent, à mon avis, donner lieu à un divorce prononcé en vertu de la loi d’un pays autre que le Canada. Si un simple enregistrement au Liban suffirait, cela transformerait alors un divorce talaq non reconnu par le Canada en un divorce que le Canada est tenu de reconnaître.

 

[68]           À mon avis, le demandeur a donc raison. La SAI n’était saisie d’aucune preuve, ou elle a mal interprété la preuve dont elle disposait lorsqu’elle a conclu que le divorce en l’espèce n’avait pas été instruit ni n’avait donné lieu à une décision en Ontario, mais au Liban.

 

[69]           La présente affaire devrait être renvoyée à la SAI pour nouvel examen en conformité avec les présents motifs.

 

[70]           Les avocats sont priés de signifier et de déposer leurs observations relatives à la certification d’une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs du jugement. Chaque partie aura trois jours de plus pour signifier et déposer toute réponse aux observations de l’autre partie. À la suite de quoi, le jugement sera rendu.

 

 

    « James Russell »

  Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.    


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3162-08

 

INTITULÉ :                                       MCI

 

                                                                                                                  LE DEMANDEUR

 

                                                            -   et   -

 

                                                            HODA HUSSEIN HAZIMEH

 

                                                                                                                  LA DÉFENDERESSE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 FÉVRIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne McClenaghan                                                                             LE DEMANDEUR

 

Edward Corrigan                                                                                  LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                                       LE DEMANDEUR

 

Edward C. Corrigan

Avocat                                                                                                 LA DÉFENDERESSE

London (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.