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Date : 20090224

Dossier : T-396-08

Référence : 2009 CF 196

Ottawa (Ontario), le 24 février 2009

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

STANLEY LAURENT

demandeur

et

 

PAULINE GAUTHIER et la

PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

défenderesses

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 11 février 2008, M. Laurent a présenté sa mise en candidature à Mme Gauthier, la directrice de scrutin de la Première nation de Fort McKay, en guise de première étape pour être élu chef aux élections prévues le 25 février 2008. Toutefois, Mme Gauthier a rejeté la mise en candidature de M. Laurent car, suivant le Code électoral de la Première nation de Fort McKay daté du 22 décembre 2004 (le Code), il ne possédait pas les qualités requises pour se présenter aux élections. La présente demande vise principalement à contester la compétence de Mme Gauthier de rejeter la candidature de M. Laurent au motif que le Code en vertu duquel elle a agi est inopérant en soi, car il n’a pas été approuvé en bonne et due forme par les membres de la Première nation de Fort McKay. Pour les motifs suivants, je conclus que la contestation de compétence présentée par M. Laurent est accueillie.

 

[2]               M. Laurent prétend également que le rejet de sa candidature a violé ses droits à l’égalité garantis par l’art. 15 de la Charte. En raison de ma décision sur la question de la compétence, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’aborder l’argument fondé sur la Charte.

 

I.          Les faits

[3]               La controverse découlant de la tentative de M. Laurent de se présenter au poste de chef en février 2008 est inévitablement liée à sa situation en tant qu’autochtone. La candidature de M. Laurent a été rejetée principalement au motif que, suivant le Code qui devait régir les élections, le candidat qui se présente à un poste doit être un [traduction] « membre à vie » de la Première nation de Fort McKay, ce qui signifie qu’il doit être né d’un membre de la Première nation de Fort McKay; M. Laurent ne possède pas cette qualité.

 

[4]               Je crois qu’il est important de comprendre les antécédents de M. Laurent, qui démontrent clairement la raison pour laquelle il a introduit la présente demande :

[traduction]

 

Antécédents personnels

 

2.         Je suis né en 1965. À cette époque, mon père était membre de la Nation denesuline de Fond du Lac. Fond du Lac est situé à environ 257 kilomètres au nord-est de Fort McKay. Les deux communautés comprennent des membres dénés et sont situées sur le territoire visé par le Traité no 8.

 

3.         Mon arrière‑grand‑père Doo-Doo Laurent a été chef de la bande de Fond du Lac pendant 35 ans avant de mourir en 1972.

 

4.         Mon arrière­‑arrière‑grand‑père Dizedan Laurent a signé le Traité no 8 le 27 juillet 1889 en tant que chef, confirmant l’adhésion audit traité de la bande de Fond du Lac.

 

5.         L’éligibilité aux postes de chef et de conseiller fait partie de notre « mode de vie traditionnel » et est protégée par le Traité no 8, lequel est joint à la pièce « A » à titre d’onglet 1. Le rapport des commissaires pour le Traité, qui énonce certaines promesses faites oralement, est joint à la pièce « A » à titre d’onglet 2.

 

6.         Il existe des liens historiques et familiaux solides entre la Nation du Fond du Lac et celle de Fort McKay, comme le mariage.

 

7.         En 1989, j’ai déménagé à Fort McMurray pour y travailler. Peu après, j’ai rencontré Cheryl McDonald, une membre de la Nation. En 1990, j’ai déménagé sur la réserve de Fort McKay pour  vivre avec elle et son enfant de six mois dans la maison de ses parents. En 1991, Cheryl, son garçon et moi avons déménagé dans notre propre maison où nous vivons depuis ce temps. J’ai adopté officieusement le jeune garçon de Cheryl, et nous avons eu par la suite trois autres enfants, en 1993, 1996 et 1997.

 

8.         Lorsque j’ai déménagé sur la réserve en 1990, j’ai participé à de nombreuses activités communautaires de la Nation. Lorsque mes enfants étaient plus vieux, j’entraînais une équipe de hockey, une activité que je pratique toujours aujourd’hui en m’occupant d’enfants plus jeunes. En 1990, j’ai été élu chef du service des pompiers volontaires, un poste que j’ai occupé jusqu’en 2001 lorsque j’ai pris ma retraite. En tant que chef du service d’incendie, je suivais des formations poussées en matière de lutte contre les incendies et de soins d’urgence, et j’ai combattu plus de 20 incendies sur la réserve. En 2003, Fort McKay a été évacué en raison d’un feu de forêt à proximité. À cette époque, j’ai été nommé par la Nation comme directeur des services de sinistre.

 

9.         Après avoir déménagé sur la réserve de Fort McKay en 1990, j’ai travaillé pendant deux ans au sein de Golosky Trucking en tant que conducteur d’équipement lourd sur le site de Syncrude. Ensuite, j’ai travaillé pendant trois ans pour Ft. McKay General Contracting, propriété de la Nation, à titre de superviseur de l’équipe de main‑d’œuvre de son site Suncor. Par la suite, j’ai travaillé durant deux ans pour la Nation en tant que coordonateur à l’emploi et au perfectionnement professionnel. En 1997, j’ai démarré ma propre entreprise avec ma femme Cheryl, que nous exploitons sur la réserve, comme je l’ai mentionné au paragraphe 7 ci‑dessus.

 

10.       Ma formation en matière de lutte contre les incendies et de soins d’urgence a mené à la constitution de mon entreprise, laquelle fournit des services de santé d’urgence au personnel du secteur du pétrole et du gaz dans la région de Fort McMurray, ainsi que des services d’extinction des feux de végétation partout en Alberta et dans d’autres régions. Cette entreprise est connue sous la dénomination sociale Ft. McKay Enterprises Ltd. et a été constituée en société en 1997. Ma femme et moi exploitons l’entreprise ensemble et, au fil des ans, nous avons embauché environ 50 membres de la Nation. Notre entreprise compte actuellement 18 employés, mais ce nombre augmentera à 50 lorsque le dégel nous permettra de construire davantage et d’entreprendre des travaux de forage.

 

Appartenance à la Nation

 

11.       En 1995, je suis devenu membre de la Nation. Pour ce faire, je devais tout d’abord renoncer à mon appartenance à la bande de Fond du Lac, et ensuite afficher un avis dans le bureau de la Nation durant 30 jours attestant mon désir d’appartenir à la Nation. L’avis permettait aux membres de s’opposer à mon intégration à la Nation. Aucun membre de la Première nation de Fort McKay ne s’y est opposé.

 

Candidat aux élections précédentes

 

12.       En 1999, je me suis présenté aux élections et j’ai été élu conseiller de la Nation. Mon mandat a duré deux ans.

 

13.       En 2002 et 2004, je me suis présenté au poste de chef, mais dans les deux cas, j’ai perdu au profit de Jim Boucher. Aux deux élections, j’étais le seul autre candidat au poste de chef. En 2004, j’ai perdu par une marge de 167 contre 96.

 

(Dossier de demande du demandeur, p. 17 à 19)

 

 

[5]               Les faits non contestés qui sous‑tendent la présente demande sont les suivants.

[6]               Les élections de la Première nation de Fort McKay sont régies par la coutume. Aucun code écrit n’existait avant l’élaboration du Code. La résolution du conseil de bande datée du 16 janvier 2002, adoptée relativement aux élections prévues pour le 15 février 2002, porte sur la coutume relative au droit de se présenter aux élections qui s’appliquait à cette époque :

[traduction]

Il est donc résolu que la Première nation de Fort McKay désire appliquer les dispositions suivantes pour régir les élections de 2002 :

 

1.                  Les élections sont prévues pour le 15 février 2002. Le bureau de scrutin sera ouvert de 12 h à 22 h et sera situé dans le Multi-Plax Hall dans la communauté de Fort McKay, en Alberta.

 

2.                  La procédure de mise en candidature se fera par formulaires d’inscription, qui seront soumis au préposé aux élections entre 14 h et 16 h le 1er février 2002, au bureau du conseil de bande dans la communauté de Fort McKay, en Alberta.

 

3.                  Les membres de la Première nation de Fort McKay dont le nom apparaît sur la liste des électeurs admissibles et qui sont âgés d’au moins dix‑huit (18) ans avant la date des élections auront le droit de voter, ainsi que de présenter leur candidature pour le poste de chef ou de conseiller.

 

4.                  Les règlements régissant les élections prévus par la Loi sur les Indiens serviront de guide au préposé aux élections, à sa discrétion, pour mener les élections de la Première nation de Fort McKay, puisque la coutume de la bande ne possède pas ses propres règlements à ce jour.

 

5.                  Aucun bureau de scrutin par anticipation ne sera nécessaire.

 

6.                  Par les présentes, la Première nation de Fort McKay nomme Pauline Gauthier à titre de préposée aux élections pour lesdites élections.  [Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier de demande du demandeur, p. 41 et 42)

 

Par conséquent, selon la coutume, l’âge était la seule restriction imposée aux personnes qui désiraient se présenter aux élections.

 

[7]               En 2004, la Première nation de Fort McKay était administrée par un tiers, et sa direction était donc composée d’un chef, de deux conseillers et de deux coadministrateurs indépendants. Pour régler un différend qui faisait alors l’objet d’une médiation à la Cour, un nouveau code électoral écrit fondé sur la coutume a été soumis à l’approbation des membres par voie de référendum. Il est entendu que la direction avait le pouvoir de publier un avis de référendum en guise de première étape vers l’approbation du nouveau code, lequel imposait des nouvelles restrictions aux personnes qui désiraient se présenter aux élections; il est rédigé comme suit :  

[traduction]

 

PREMIÈRE NATION DE FORT McKAY

AVIS DE RÉFÉRENDUM

 

LE MARDI 8 FÉVRIER 2005

 

Le 8 janvier 2005, Jim Boucher, Mike Orr et Gerald Gladue ont consenti à un processus pour élire le chef et le conseil. Selon les modalités de l’entente, un nouveau code électoral sera examiné et approuvé par les membres de la bande de la Première nation de Fort McKay par voie de référendum le 8 février 2005.

 

Le nouveau code électoral est disponible aux bureaux administratifs de la Première nation de Fort McKay pour ceux qui n’ont pas reçu leur exemplaire par la poste. Les membres de la bande sont fortement encouragés à examiner le nouveau code électoral proposé puisqu’il contient beaucoup de nouvelles dispositions qui constituent une dérogation aux pratiques habituelles de la bande relativement aux élections précédentes.

 

 

 

 

HEURE et LIEU :

 

Lieu :                Bureau administratif situé dans les roulottes de la Première nation de Fort McKay

Date :               Le 8 février 2005

Heure :             De 10 h à 20 h

 

QUESTION RÉFÉRENDAIRE :

 

APPROUVEZ‑VOUS LE CODE ÉLECTORAL PROPOSÉ À LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY À PARTIR DE MAINTENANT?

 

SÉANCES D’INFORMATION SUR LE CODE ÉLECTORAL :

 

Session pour les aînés

 

Lieu :                Centre pour les aînés de Fort McKay

Date :               1er février 2005 (le dîner est compris)

Heure :             12 h (on viendra chercher les aînés à 11 h 30)

 

Session pour la communauté

 

Lieu :                École de Fort McKay

Date :               1er février 2005

Heure :             19 h

 

L’article 106 du code électoral de la Première nation de Fort McKay prévoit ce qui suit :

 

106            Entrée en vigueur

 

106.1.  Le présent code entre en vigueur à la date à laquelle il est approuvé par les électeurs lors d’une réunion extraordinaire où au moins (50 %) des électeurs sont présents.

 

[Non souligné dans l’original.]

(Dossier de demande du demandeur, p. 43)

 

[8]               Lors d’un processus de consultation avec les membres de la Première nation de Fort McKay, un certain nombre d’ébauches du nouveau code ont donné lieu à une version définitive soumise à l’approbation des membres par voie de référendum. Rien n’indique quelle version du code proposé a été envoyée aux membres ou était disponible dans le bureau administratif. Toutefois, il est entendu que la version définitive du nouveau code mis en application après le référendum, et appelé le Code dans les présents motifs, figure aux pages 48 à 84 du dossier de demande du demandeur.

 

[9]               Il est important de mentionner que la disposition prévue à l’article 106.1 citée dans l’avis de référendum ne figure pas dans le Code. Cependant, en ce qui concerne les conditions de son approbation, il prévoit le préambule et la déclaration qui suivent :

[traducton]

 

ATTENDU QUE la Première nation de Fort McKay détient des droits inhérents ancestraux ou issus de traités et le pouvoir de régir les relations entre ses membres et entre elle et d’autres gouvernements;

 

ATTENDU QUE le droit ancestral ou issu de traités de la Première nation de Fort McKay à l’autonomie gouvernementale a été reconnu et confirmé dans le Traité no 8 conclu entre elle et Sa Majesté la Reine et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

 

ATTENDU QUE le Code électoral est l’exercice du droit ancestral ou issu de traités à l’autonomie gouvernementale et que rien dans ce code ne doit être interprété de manière à abroger tout droit ancestral ou issu de traités de la Première nation de Fort McKay, ou y déroger;

 

ATTENDU QUE les électeurs de la Première nation de Fort McKay donnent le pouvoir au chef et au conseil grâce à des élections démocratiques, et ont confiance qu’ils agiront légalement et dans l’intérêt de la Première nation de Fort McKay;

 

ATTENDU QUE la culture, les valeurs et l’épanouissement de la Première nation de Fort McKay sont empreintes de valeurs démocratiques, et que la sélection et la révocation de la direction se fait sur le fondement des principes démocratiques;

 

POUR CES MOTIFS, LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY, avec le consentement de la majorité de ses électeurs en vertu d’un vote effectué le               janvier 2005, adopte ce qui suit :

 

[Non souligné dans l’original.]

(Dossier de demande du demandeur, p. 47)

 

[10]           Le Code prévoit la disposition suivante en ce qui a trait aux nouvelles restrictions imposées aux personnes qui désirent présenter leur candidature pour le poste de chef et de conseiller :

[traduction]

 

Qualités des candidats

9.1       Une personne peut être mise en candidature à toute élection prévue au présent Code si, au jour de clôture des candidatures, elle :

9.1.1    est membre de la Première nation;

9.1.2    est âgée d’au moins 18 ans;

9.1.3    n’est pas employée par la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie;

9.1.4    n’a pas été reconnue coupable d’une infraction criminelle punissable par mise en accusation;

9.1.5    n’a pas été jugée responsable dans une action civile ou dans une action criminelle pour vol, fraude ou mésusage d’un bien appartenant à la Première nation ou à toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie;

9.1.6    n’a pas de dette pour laquelle un paiement a été demandé par écrit 90 jours avant le jour de clôture des candidatures, y compris notamment des avances de salaire ou de voyage, un loyer ou un prêt, envers la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie;

9.1.7    n’a pas été révoquée de son poste de chef ou de conseiller conformément à l’art. 101.3 du Code lors de son mandat précédent;

9.1.8    est membre à vie de la Première nation et n’a jamais été membre d’une autre Première nation.

 

(Dossier de demande du demandeur, p. 53 et 54)

 

[11]           En plus de la disposition précise relative au vote qui prévoit sa mise en application, le Code comporte également des dispositions précises sur la façon dont il peut être modifié :

[traduction]

106       Modifications

106.1    Le présent Code peut être modifié uniquement en fonction de l’une ou l’autre des conditions suivantes :

106.1.1  Dans l’éventualité où une réunion des membres est tenue dans les 60 jours suivant la ratification du présent Code pour déterminer si l’art. 9.1.8 du présent Code devrait être supprimé et, à la condition qu’un scrutin secret tenu lors de cette même réunion permet d’obtenir 50 % plus 1 ou plus de votes en faveur de la suppression de l’art. 9.1.8, alors ledit article est supprimé;

106.1.2  En toute autre circonstance : lorsque le conseil adopte une résolution qui comprend une copie de la modification proposée, ou à laquelle est jointe une telle copie; et

106.1.3  Lorsque la modification proposée dans la résolution est approuvée par au moins soixante (60 %) pour cent des électeurs lors d’un scrutin référendaire; alors

106.1.4  La modification en question s’applique.

 

(Dossier de demande du demandeurs, p. 84)

 

[12]           Toutefois, en ce qui concerne la disposition précise relative au vote qui prévoit la mise en application du Code, les Lignes directrices relatives au référendum – approbation du Code électora), qui ne sont pas datées et qui s’appliquent relativement au scrutin référendaire, prévoient la disposition suivante :

[traduction]

9          Décision sur la question référendaire

9.1       La décision sur la question référendaire est prise à la majorité simple des électeurs ayant participé au scrutin référendaire.

[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossiers des défenderesses, p. 216 à 219)

 

 

Ainsi, la disposition du Code concernant sa mise en application n’est pas compatible avec les Lignes directrices relatives au référendum.

 

[13]           Le scrutin référendaire a eu lieu le 8 février 2005. Le résultat indiquait que 90 personnes avaient approuvé le Code, alors que 69 personnes s’y étaient opposées. La liste des électeurs en date du 8 février 2005 indique que 362 électeurs étaient admissibles et, selon l’avis des résultats, 159 électeurs admissibles ont voté; par conséquent, 44 % des électeurs admissibles ont voté. Parmi tous les électeurs, 24,86 % ont approuvé le Code.

 

[14]           À la suite du référendum, la direction a mis le Code en application, lequel régissait les élections pour le poste de chef et de conseiller prévues pour le 25 février 2008. S’agissant des élections, les candidatures devaient être déposées au plus tard le 11 février 2008. M. Laurent a soumis la sienne à Mme Gauthier pour le poste de chef, mais cette dernière l’a informé qu’il était inhabile à se porter candidat, comme l’indique le passage suivant tiré de la lettre de Mme Gauthier datée du 11 février 2008, mais que M. Laurent a reçu le 20 février 2008 :

[traduction]

Après avoir examiné votre mise en candidature, nous vous informons que vous ne remplissez pas les exigences suivantes :

1.                  Vous n’êtes pas un membre à vie de la Première nation de Fort McKay tel qu’il est exigé à l’article 9.1.1.

2.                  Vous ne nous avez pas transmis la vérification de casier judiciaire prévue à l’article 9.1.5.

3.                  Vous ne nous avez pas transmis une lettre de l’agent financier du groupe d’entreprises de Fort McKay.

 

Par conséquent, nous vous retournons votre mise en candidature, et votre nom n’apparaîtra pas sur le bulletin de vote des élections générales qui auront lieu le 25 février 2008.

 

(Dossier de demande du demandeur, p. 95)

 

[15]           Par conséquent, le 11 février 2008, Mme Gauthier a nommé M. Jim Boucher, le chef en fonction, à titre de candidat élu.

 

II.        La contestation

[16]           Dans la présente demande, M. Laurent sollicite le contrôle judiciaire de la promulgation du Code électoral de la Première nation de Fort McKay en date du 8 février 2005, ainsi que de la décision du 8 février 2008 par laquelle Mme Gauthier a rejeté sa candidature et nommé M. Jim Boucher à titre de chef. On ne sait pas exactement quelles dispositions du Code sont évoquées dans la décision de Mme Gauthier. Toutefois, puisqu’elle vise la candidature de M. Laurent, j’estime que la décision de Mme Gauthier est fondée sur les articles 9.1.3 à 9.1.6 et 9.1.8.

 

[17]           Le premier argument présenté par M. Laurent porte entièrement sur la compétence. Il prétend que Mme Gauthier n’avait pas la compétence de rejeter sa candidature et, par conséquent, de nommer M. Boucher à titre de chef, car la direction de la Première nation de Fort McKay n’avait pas la compétence de mettre le Code en application à la suite du référendum du 8 février 2005. Je conclus que la norme de contrôle applicable au premier argument de M. Laurent est celle de la décision correcte.

 

[18]           J’estime que, pour les besoins du présent contrôle judiciaire, Mme Gauthier a rendu une décision à deux volets. Le premier volet constitue la décision de rejeter la candidature de M. Laurent, et le second constitue sa décision de nommer M. Boucher. Cette dernière n’aurait pu être rendue sans la première, et devait être rendue en raison de la première, car seuls M. Laurent et M. Boucher s’étaient portés candidats au poste de chef. Par conséquent, les deux volets constituent une décision entière qui relève de la gouvernance de la Première nation de Fort McKay.

 

[19]           L’avocat de la Première nation de Fort McKay présente deux arguments pour que soient rejetés ceux que présente M. Laurent relativement au contrôle judiciaire. Tout d’abord, il prétend que je n’ai pas la compétence de revenir dans le temps et de rendre une décision en matière de compétence relativement à la décision de la direction de mettre le Code en application, car la demande de contrôle judiciaire en l’espèce n’a pas été présentée dans les 30 jours suivant l’avis de référendum, suivant les exigences du par. 18.1(2) de la Loi sur les cours fédérales. Ensuite, il fait valoir que M. Laurent aurait dû formuler sa plainte conformément aux dispositions en matière d’appel prévues dans le Code.

 

[20]           S’agissant du délai prescrit, aucune demande de prorogation de délai n’a été présentée dans l’avis de demande concernant les arguments relatifs à la compétence. Il ne fait aucun doute que la présente contestation de la décision de Mme Gauthier a bel et bien été intentée dans le délai prescrit de 30 jours. Par conséquent, j’estime que j’ai pleine compétence à l’égard de cette décision. En outre, puisque la décision contestée de Mme Gauthier est directement liée à la mise en application du Code, j’estime que j’ai le pouvoir d’examiner la compétence de la direction de mettre ledit Code en application. Par conséquent, je rejette l’argument de l’avocat de la Première nation de Fort McKay concernant la prescription.

 

[21]           En ce qui concerne l’argument selon lequel la plainte de M. Laurent au sujet de la conduite de Mme Gauthier aurait dû être formulée en application des dispositions du Code en matière d’appel plutôt que par la présente demande, j’estime que deux éléments essentiels du processus d’appel, considérés conjointement, excluent une telle possibilité. Les dispositions relatives aux [traduction] « motifs d’appel autorisés » sont prévues à l’art. 81.1 du Code et sont rédigées comme suit :

[traduction]

81        Motifs d’appel autorisés

 

81.1     Un candidat ou un électeur qui a voté aux élections peut interjeter appel de ces élections au motif que :

 

81.1.1    Le directeur du scrutin a fait une erreur dans l’interprétation ou l’application du Code, ce qui a influencé le résultat des élections;

81.1.2    Une personne inhabile à voter a voté aux élections et a fourni des renseignements faux ou n’a pas fourni de renseignements pertinents quant à son droit de vote, et sa participation a influencé le résultat des élections;

81.1.3    Un candidat qui s’est présenté aux élections était inhabile à se présenter et a fourni des renseignements faux ou n’a pas fourni de renseignements pertinents quant à la validité de sa candidature;

81.1.4    Un candidat s’est livré à une conduite contraire à l’article 23, et celle‑ci a influencé le résultat des élections;

81.1.5    Un candidat a été reconnu coupable d’une manœuvre électorale frauduleuse ou a consenti à une telle manœuvre et en a tiré profit.

(Dossier de demandeur du demandeur, p. 73)

 

 

Les dispositions relatives aux pouvoirs conférés à l’arbitre des appels sont prévues aux articles 88 et 89 du Code et sont rédigées comme suit :

 

[traduction]

88        Pouvoirs de l’arbitre des appels

 

88.1     L’arbitre des appels détient les pouvoirs suivants :

 

88.1.1  trancher les questions de droit qui surviennent au cours de l’instruction de l’appel;

88.1.2  statuer sur toute objection soulevée durant l’instruction de l’appel;

88.1.3  ordonner la production de documents essentiels et pertinents quant à l’appel;

88.1.4  déterminer la procédure à suivre relativement à l’équité et à l’égalité entre les parties à l’audience;

88.1.5  déterminer, sans être lié par les règles de la preuve, la manière dont la preuve sera admise et, dans les délais prescrits à l’article 84.2, déterminer l’admissibilité de la preuve, sa pertinence et le poids à y accorder;

88.1.6  déterminer l’heure, le lieu et la date de l’instruction de l’appel;

88.1.7  déterminer si l’instruction de l’appel sera publique et, le cas échéant, les membres qui peuvent y assister.

 

88.2     L’arbitre des appels n’a pas le pouvoir :

88.2.1  d’assigner un témoin ou de forcer une personne à fournir des éléments de preuve lors de l’instruction d’un appel, à l’exception du directeur de scrutin, qui est un témoin contraignable;

88.2.2  d’accorder une réparation qui n’est pas expressément autorisée par le présent Code.

 

88.3     L’Arbitration Act de l’Alberta, la Loi sur l’arbitrage commercial du Canada ou toute autre loi similaire ne s’appliquent pas à l’arbitre des appels ou à l’instruction de l’appel en vertu du présent Code.

 

89        Décision sur les appels

 

89.1          L’arbitre des appels rejette tout appel qui ne remplit pas les exigences des articles 82 et 83.

89.2          Dans les cinq jours suivant l’instruction de l’appel, l’arbitre des appels rendra sa décision et fournira les motifs écrits à l’appui. L’arbitre des appels peut :

89.2.1  rejeter l’appel;

89.2.2  accueillir l’appel, mais refuser toute mesure accessoire sur le fondement que les motifs établis par le demandeur n’ont pas eu d’incidence sur les résultats des élections;

89.2.3  accueillir l’appel et ordonner une mesure accessoire, notamment de nouvelles élections.

89.3     Si l’arbitre des appels conclut qu’un appel était dénué de fondement au point de constituer un abus de la procédure d’appel, il pourra ordonner au demandeur de payer les dépens relatifs à l’instruction de l’appel ou ceux des candidats visés par l’appel, ou les deux.

 

(Dossier de demande du demandeur, p. 74 et 75)

 

 

[22]           J’estime que l’art. 81.1.1 laisse supposer que Mme Gauthier a agi dans les limites de sa compétence. Par conséquent, s’agissant de la conduite de Mme Gauthier à titre de directrice de scrutin avant les élections de février 2008, j’estime que les arguments de M. Laurent relatifs à la compétence ne pouvaient être avancés sur le fondement des dispositions en matière d’appel du Code, car les motifs d’appel autorisés sont très précis et le fait de remettre en question la compétence de Mme Gauthier n’en fait pas partie.

 

[23]           Par conséquent, j’estime que le seul recours dont disposait M. Laurent pour qu’il soit statué sur sa contestation à l’égard de la compétence consistait à saisir la Cour de la présente demande.

 

III.       Les irrégularités du scrutin référendaire

[24]           L’avocat de M. Laurent fait valoir que le référendum, n’ayant pas été remporté par le nombre de vote requis des membres de la Première nation de Fort McKay, est inopérant. En réponse, l’avocat de la Première nation de Fort McKay prétend que toute irrégularité du vote est corrigée par les élections fondées sur la coutume de la Première nation de Fort McKay.

[25]           S’agissant des circonstances du référendum, la preuve présentée par la Première nation de Fort McKay se trouve dans l’affidavit de M. Larry Hewko, daté du 27 juin 2008. M. Hewko est comptable agréé et le directeur financier de la Première nation de Fort McKay. Avant d’occuper ce poste, il a commencé à travailler en mars 2004 avec l’un des coadministrateurs indépendants qui, à cette époque, était chargé de la gouvernance de la Première nation de Fort McKay. En 2004, notre Cour présidait la séance de médiation de la Première nation de Fort McKay. Voici le témoignage de M. Hewko quant à la médiation et à l’élément catalyseur ayant mené à l’élaboration du Code :

[traduction]

4.         Les questions du dossier no T-558-04 de la Cour fédérale ont été soulevées en raison d’un différend lié à la direction à la suite des élections générales de la Première nation de Fort McKay de 2004. En 2004, la Première nation exerçait ses activités en vertu d’une loi électorale non écrite qui s’inspirait généralement de la Loi sur les Indiens pour établir les règles régissant le mécanisme de votation. Le conseil était composé de 3 personnes, soit 1 chef et 2 conseillers.

5.         En 2004, le chef Jim Boucher a été réélu et les conseillers Gerald Gladue et Mike Orr ont été élus au conseil. Les détails du différend lié à la gouvernance figurent dans les dossiers constituant le no T‑558-04 de la Cour fédérale. Pour autant que je sache, ce différend concernait une opposition dans le conseil entre les conseillers Orr et Gladue d’une part, et le chef Boucher d’autre part. Le chef Boucher a présenté une demande à la Cour en vue de nommer un administrateur pour administrer les affaires de la Première nation pendant que ce différend était en cours. La Cour a accueilli la demande.

6.         À la fin de 2004, après que la Nation eût été administrée durant de nombreux mois par un tiers administrateur, le conseil a établi un règlement relativement au différend lié à la gouvernance dans le but de rétablir les affaires quotidiennes habituelles de la Première nation. Ces discussions ont mené au Code électoral de la Première nation de Fort McKay, lequel fait l’objet de la demande que Stanley Laurent a présentée à la Cour.

7.         Je comprends que le Code électoral était un document sur lequel on avait travaillé avant les élections de 2004, soit depuis environ 2002. Le document provisoire a été présenté, mais il comportait certaines modifications importantes en vue de régler le différend lié à la gouvernance et le litige.

8.         L’article 92.1 du Code électoral a été expressément ajouté pour régler les questions qui ont menées au litige. Cet article exige que les décisions du conseil reposent sur un consensus plutôt que sur le principe de la majorité. L’article 92.3 prévoit que lorsqu’aucun consensus n’est atteint, les questions sont soumises aux membres par voie de scrutin. Ces articles visaient à assurer que les factions au sein du conseil ne représentaient pas un obstacle au processus décisionnel.

9.         En tant qu’employé principal de la Première nation de Fort McKay, j’ai remarqué que ces articles (de 92.1 à 92.3) ont permis de faire en sorte que le conseil travaille en coopération et dans l’intérêt de la Première nation. Les opérations et les affaires quotidiennes du conseil sont positives, cordiales et efficaces depuis l’application du Code électoral. Il s’agit d’un changement important par rapport à la situation qui existait immédiatement avant l’élaboration du Code électoral.

10.       Le deuxième changement majeur qui a été apporté à la version provisoire du Code électoral était l’article 106.1.1. À mon avis, les exigences relatives à la candidature d’un membre à vie prévues à l’article 9.1.8 figuraient dans les versions antérieures du Code électoral, mais ce nouvel article (106.1.1) a été ajouté à la suite d’autres discussions qui ont mené à la version du 22 décembre 2004 du Code électoral.

11.       Le troisième changement majeur était l’article portant sur la ratification du nouveau Code électoral. Les anciennes versions du Code électoral contenaient des dispositions exigeant la majorité. Je me souviens qu’il y avait eu certains différends au sujet de la signification de cette disposition. Les administrateurs indépendants étaient d’avis que la majorité simple des électeurs devait suffire à ratifier le Code électoral.  Ils étaient d’avis qu’aucune loi ou politique des Affaires indiennes ne déterminaient les exigences relatives à la ratification pour adopter des lois électorales. Ils ont décidé que si le conseil ne s’entendait pas sur la version à proposer aux membres, alors il pouvait en débattre pendant le processus du litige en cours.

 

12.       Le conseil a convenu de supprimer l’article qui est mentionné dans l’avis, lequel est joint à l’affidavit de Stanley Laurent à titre d’onglet 4 de la pièce « A » .

13.       En fonction de mon expérience de travail depuis 2004 au sein de la Première nation de Fort McKay, je dirais que le processus général pour adopter le Code électoral était conforme aux pratiques de la Première nation relatives à l’adoption d’autres lois ou politiques. Normalement, de telles lois ou politiques sont préparées par le chef et le conseil en consultation avec l’administration et un avocat. Aucun processus de consultation avec la communauté n’est prévu à l’étape de la rédaction. Toutefois, les versions finales sont examinées avec les membres au cours de réunions ordinaires ou extraordinaires avec la bande. Si nécessaire, la loi ou la politique fait l’objet d’un vote, mais dans la plupart des cas, le conseil évaluera la réaction des membres, rendra des décisions sur tout changement nécessaire ou sur toute révision supplémentaire et, ensuite, adoptera ou non la loi ou la politique en question.

 

14.       Bien que je n’aie pas participé à la réunion de la communauté lorsque le Code électoral proposé a été examiné, les aînés et certains employés membres de la bande m’ont ensuite dit que Stanley Laurent était présent à la réunion et qu’il désapprouvait le Code électoral proposé.

15.       Je ne sais pas où l’agent de ratification a obtenu ses renseignements au sujet de l’ancienne ébauche du Code et de ses dispositions relatives à la ratification.


16.       Le Code électoral a fait l’objet d’un vote et a été appliqué le 8 février 2005. Un exemplaire des Lignes directrices relatives au référendum appliquées dans le cadre du vote est joint à mon affidavit à titre de pièce « A ».

17.       À la suite de l’application du nouveau Code électoral, une élection partielle a été tenue le 6 avril 2005.

18.       Les conseillers Cecilia Fitzpatrick et Raymond Powder ont été élus lors de l’élection partielle du 6 avril 2005. Personne n’a interjeté appel de cette élection.

 

(Dossier des défenderesses, p. 203 à 205)

 

 

            A. Les conséquences possibles de l’insertion de la déclaration fondée sur l’ art. 106.1 dans l’avis de référendum

[26]           Il est important de souligner l’invitation formulée dans l’avis de référendum portant que [traduction] « [l]es membres de la bande sont fortement encouragés à examiner le nouveau code électoral proposé puisqu’il contient beaucoup de nouvelles dispositions qui constituent une dérogation aux pratiques habituelles de la bande relativement aux élections précédentes ».

 

[27]           Comme il a été mentionné, le Code est le résultat final d’un processus de consultation ayant donné lieu à un certain nombre d’ébauches. S’appuyant sur la preuve de M. Hewko, l’avocat de la Première nation de Fort McKay fait valoir que l’insertion de la déclaration fondée sur l’art. 106.1 dans l’avis de référendum était simplement une erreur découlant du processus de consultation. En d’autres termes, l’art. 106.1 figurait dans une version antérieure du nouveau code électoral fondé sur la coutume et n’aurait pas dû être cité dans l’avis de référendum, car il ne se trouve pas dans le Code soumis à la ratification. L’argument vise à établir que l’erreur n’a pas vraiment d’importance.

 

[28]           Peu importe les motifs donnés pour expliquer l’incohérence, la direction aurait manifestement dû savoir que les renseignements inexacts pouvaient avoir des conséquences sur la présence des membres à la réunion référendaire. En effet, M. Laurent, qui s’est opposé à la ratification du Code, n’a pas voté car, étant donné que la majorité des électeurs de la Première nation de Fort McKay devait assister à la réunion référendaire, son défaut d’y avoir assisté constituait un vote négatif (dossier de demande du demandeur, p. 20, au par. 21).

 

            B. Le processus décisionnel concernant le nombre de votes nécessaires

[29]           La preuve fournie au paragraphe 11 de l’affidavit de M. Hewko est importante. M. Hewko reconnaît que les anciennes versions du Code [traduction] « contenaient des dispositions exigeant la majorité ». Ce passage, interprété conjointement avec le paragraphe 15, peut être considéré comme signifiant que dans ces anciennes versions, au moins la majorité des électeurs de la Première nation de Fort McKay était nécessaire pour que le nouveau code électoral écrit fondé sur la coutume soit approuvé. Toutefois, suivant le paragraphe 11 de l’affidavit de M. Hewko, il semble qu’il y ait eu un différend entre la direction élue, soit le chef et les deux conseillers, et les deux tiers administrateurs au sujet des résultats du référendum nécessaires pour conférer à la direction le pouvoir de mettre le Code en application. Il appert que les administrateurs ont obtenu raison : l’art. 9.1 des Lignes directrices relatives au référendum versées au dossier prévoit seulement que [traduction] « [l]a décision sur la question référendaire est prise à la majorité simple des électeurs ayant participé au scrutin référendaire »; et le paragraphe 12 de l’affidavit de M. Hewko confirme que le « conseil », soit le chef et les deux conseillers, a convenu de supprimer du Code la disposition la plus stricte de l’art. 106.1. Cependant, suivant le Code, un vote complètement différent est requis.

 

[30]           Il faut se rappeler que l’élaboration du code électoral écrit fondé sur la coutume a eu lieu à la suite d’une consultation avec les membres de la Première nation de Fort McKay. Ainsi, indépendamment de la nature du débat interne lié à la direction tel que décrit, les dispositions du Code doivent être interprétées comme l’expression de la volonté des membres de la Première nation de Fort McKay que le référendum soit remporté par la majorité des électeurs. Rien ne démontre que les membres ont conféré à la direction le pouvoir d’écarter cette expression de volonté.

 

[31]           J’estime qu’il est juste d’affirmer que l’élaboration de l’art. 106.1, à un certain moment durant le processus de consultation ayant mené au scrutin référendaire, prouve l’importance qu’accordent les électeurs de la Première nation de Fort McKay aux changements apportés à la coutume en matière de gouvernance, notamment aux qualités requises des candidats qui se présentent aux élections. Selon l’art. 106.1, la majorité des électeurs de la Première nation de Fort McKay est tenue d’assister à la réunion référendaire, et le référendum est remporté uniquement par un vote majoritaire de ces électeurs. En effet, l’énoncé du Code prévoyant qu’un vote majoritaire des électeurs de la Première nation de Fort McKay est nécessaire pour pouvoir mettre le Code en application, sans toutefois exiger que la majorité des électeurs assistent à la réunion référendaire, prouve également l’importance considérable des changements proposés. Par contre, rien dans le présent dossier n’indique que les électeurs ont conféré le pouvoir d’adopter la disposition contraire en matière de vote prévue dans les Lignes directrices relatives au référendum portant que le Code peut être mis en application seulement par la majorité simple des votes exprimés dans un scrutin référendaire.

 

C. La compétence de la direction de donner suite aux résultats du référendum

[32]           Selon moi, la direction de la Première nation de Fort McKay a fait preuve de malice dans l’exécution du scrutin référendaire. Elle connaissait l’existence de la déclaration inexacte fondée sur l’art. 106.1 quant aux votes exigés qui figurait dans l’avis de référendum et elle aurait dû savoir qu’elle risquait d’entraîner des conséquences sur la présence des électeurs. La direction devait connaître les exigences relatives à la majorité des électeurs de la Première nation de Fort McKay que comportaient le Code et, pourtant, celui‑ci a été mis en application avec l’approbation de seulement 24,86 % des électeurs.

 

[33]           Par conséquent, à moins que la coutume de la Première nation de Fort McKay ne prévoit une disposition dérogatoire, il ne fait aucun doute que la direction n’avait pas la compétence pour mettre le Code en application et, par conséquent, que Mme Gauthier n’avait pas la compétence de rejeter la mise en candidature de M. Laurent. La question est maintenant de savoir si la coutume de la Première nation de Fort McKay prévoit une telle disposition dérogatoire.

 

IV.       La coutume de la Première nation de Fort McKay en tant que disposition dérogatoire

[34]           L’avocat de la Première nation de Fort McKay présente l’argument juridique suivant à l’appui de la thèse selon laquelle la coutume est une disposition dérogatoire :

[traduction]

Pratiques coutumières généralement acceptables pour les membres de la bande

Un certain nombre de décisions en matière de lois électorales coutumières ont indiqué que le tribunal, lorsqu’il est appelé à établir une loi coutumière d’une Première nation, devrait se pencher sur la question de savoir si les pratiques sont généralement acceptables pour les membres de la bande et si elles semblent faire l’objet d’un large consensus.  [Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290 (1996) 107 F.T.R. 133, au par. 28.]

 

Les tribunaux ont expressément rejeté la notion selon laquelle les changements apportés à une loi coutumière doivent faire l’objet d’un vote et être adoptés par la majorité des électeurs. [Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290 (1996) 107 F.T.R. 133, aux par. 28 à 33.]

 

La preuve que les pratiques sont généralement acceptées et qu’elles font l’objet d’un large consensus repose sur tous les éléments de preuve, et pas uniquement sur la preuve d’un processus référendaire. L’acquiescement de la bande à l’utilisation d’une loi coutumière est un indice important de consensus et constitue une preuve suffisante pour satisfaire le tribunal qu’il y a un large consensus. [Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290 (1996) 107 F.T.R. 133, au par. 65, et Bigstone c. Big Eagle (1992) 52 F.T.R. 109, au par. 23 et 24.]

 

(Dossier des défenderesses, p. 1904)

 

[35]           S’agissant de cet argument, dans Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290, au par. 28 à 33, le juge Heald n’aborde pas expressément la question du vote majoritaire, mais appuie la déclaration suivante du juge Strayer dans Bigstone c. Big Eagle, aux pages 117 et 118 : « Sauf si elle est définie par ailleurs dans le cas d’une bande donnée, la "coutume" doit inclure, à mon sens, des pratiques touchant le choix d’un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l’objet d’un large consensus. » Au paragraphe 65 de la décision Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290, le juge Heald a conclu que, dans cette affaire, puisque la mise en candidature, l’élection et l’appel subséquent se sont déroulés conformément au code électoral, « qu’environ 50 % des électeurs admissibles ont participé à l’élection du 14 mars 1994 » et qu’il n’existait « aucun élément de preuve indiquant qu’avant ou pendant l’élection, un membre de la Bande s’est opposé à la façon dont l’élection fondée sur la coutume se déroulait », la preuve était suffisante pour satisfaire au critère établi par le juge Strayer dans Bigstone.

 

[36]           En l’espèce, la preuve des événements présentée dans l’affidavit de M. Hewko est la suivante :

 

 

[traduction]

19.       Depuis 2005, aucun différend lié à la gouvernance au sein de la Première nation de Fort McKay n’a nui aux affaires quotidiennes habituelles de la Première nation. L’application du Code électoral a permis de régler le différend précédent lié à la gouvernance et de constituer une nouvelle direction pour le conseil. Le nouveau Code électoral exige que les décisions soient prises d’un commun accord et, d’après mon expérience, le conseil a toujours pris ses décisions de cette façon. Je ne connais aucune question qui a dû faire l’objet d’un vote des membres, à part celles qui y sont obligées en vertu des dispositions qui régissent la Fiducie du patrimoine de Fort McKay.

 

20.       La Première nation tient des réunions ordinaires des membres, comme l’exige le Code électoral. Les membres ont été informés du litige de M. Laurent, mais leur réaction à ce jour n’a pas démontré un intérêt général à procéder à un nouvel examen du Code électoral ou à revenir aux procédures du conseil qui étaient utilisées avant l’application du Code électoral. En fait, j’ai entendu certains aînés dire que M. Laurent devrait se présenter aux élections de sa propre réserve plutôt qu’à celles de Fort McKay.

 

21.       S’agissant de l’historique de l’article 9.1.8 du Code électoral, les renseignements que j’ai reçus de la part des membres indiquent que cet article a été ajouté au Code pour dissiper les préoccupations concernant les personnes qui n’avaient pas de lien historique avec Fort McKay. La Première nation de Fort McKay a interprété et appliqué cet article comme une limite aux personnes ayant choisi volontairement de changer leur statut de membres et de changer de Première nation. Ces personnes n’ont pas de lien historique avec la Première nation de Fort McKay et n’ont pas été élevées dans sa culture et ses traditions. Ainsi, l’article 9.1.8 est généralement considéré comme un moyen de protéger et de préserver la culture, les traditions et les valeurs de la Première nation de Fort McKay. 

 

22.       J’étais présent aux deux élections de la Première nation de Fort McKay tenues en application du présent Code électoral, et l’article 9.1.8 n’a jamais été appliqué pour limiter le droit de se porter candidat des membres qui ont retrouvé leur statut en vertu de la loi connue sous le nom de projet de loi C‑31. Ces personnes n’étaient pas membres d’une autre Première nation et avaient perdu leur statut en raison de lois et de politiques du Canada, et non par choix.

23.       M. Laurent a indiqué, à juste titre, que les conseillers Cecilla Fitzpatrick et Raymond Powder étaient visés par le projet de loi C-31. Toutefois, ces derniers sont bien intégrés dans la Première nation et leurs ancêtres sont originaires de la Première nation. À mon avis, ces conseillers n’ont jamais été membres d’une autre Première nation.

24.       De plus, l’article 9.1.8 n’a jamais été appliqué pour limiter les droits de se porter candidat des personnes nées avant 1954, lorsque Fort McKay a été reconnue pour la première fois comme une bande. La belle‑mère de M. Laurent, Clara Boucher, s’est présentée aux élections de 2005 et de 2008, et je crois qu’elle est née avant 1954.

 

(Dossier des défenderesses, p. 206 et 207)

 

[37]           En ce qui concerne la coutume de la Première nation de Fort McKay, l’avocat de cette dernière, prétend ce qui suit sur le fondement du témoignage tiré de l’affidavit de M. Hewko :

[traduction]

Selon les circonstances de l’espèce, les faits suivants sont pertinents :

a.                   Le processus pour examiner et approuver le Code électoral a été entrepris conformément aux pratiques habituelles de Fort McKay.

b.                  Un nombre important d’électeurs a participé au référendum relatif au Code électoral et la majorité d’entre eux ont approuvé le Code.

c.                   Le Code électoral est en vigueur depuis le 8 février 2005 et son application n’a pas été contestée.

d.                  Le Code électoral a été appliqué alors qu’une instance à la Cour fédérale était en cours. Les administrateurs indépendants n’ont pas été relevés de leur fonction avant les élections d’avril 2005, mais personne ne s’y est opposé durant cette instance.

e.                   Personne n’a contesté les élections tenues en avril 2005 ou le résultat des élections concernant les deux nouveaux postes au sein du conseil malgré que la coutume précédente de la Première nation permettait seulement que le conseil soit formé de trois personnes.

f.                    Le chef et deux conseillers ont été élus en vertu d’une loi coutumière autorisant un mandat de deux ans. Le mandat a été prolongé à quatre ans en vertu du Code électoral. Personne n’a contesté le droit de ces membres du conseil de continuer à occuper leur poste.

g.                   Fort McKay exerce ses activités quotidiennement conformément aux dispositions relatives à la gouvernance du Code électoral depuis son application en février 2005. Personne n’a contesté les étapes ou les procédures suivies par le conseil conformément au Code électoral.

h.                   Les membres ont été informés de cette instance, mais n’ont pas démontré d’intérêt à mettre de côté ou à examiner le Code électoral. Aucun membre ne s’est présenté pour participer à l’instance ou pour appuyer le demandeur.

 

(Dossier des défenderesses, p. 1904 et 1905)

 

[38]           Il est évident que la coutume est une règle de conduite à partir de laquelle on peut tirer des conclusions. Il est également évident que la qualité de la preuve présentée pour établir la règle de conduite est cruciale pour déterminer la coutume. D’après l’argument de la Première nation de Fort McKay relatif à la coutume, la conduite des membres après le scrutin référendaire démontre qu’ils ont accepté les résultats de ce scrutin, puisqu’il a été remporté par seulement 25 % des électeurs de la Première nation de Fort McKay.

 

[39]           L’analyse de cet argument soulève tout d’abord la question de savoir s’il existe un élément de preuve direct établissant que le fait de donner suite à un scrutin référendaire remporté par seulement 25 % des électeurs constitue une coutume de la Première nation de Fort McKay. La réponse est « non ».

 

[40]           La deuxième question soulevée est de savoir s’il existe une preuve convaincante à partir de laquelle on pourrait inférer qu’il y a consensus sur le fait que le défaut de la direction de suivre la norme relative à l’approbation par voie de référendum prévue dans le Code a été accepté, comme je l’ai mentionné plus haut. Il est important de se rappeler que le Code est une expression de la coutume de la Première nation de Fort McKay, et que cette coutume prévoit des dispositions claires concernant la mise en application du Code et la façon de le modifier. Dans le cas qui nous occupe, sur la question des élections fondées sur la coutume, il existe parmi les membres de la Première nation de Fort McKay un consensus, lequel est exprimé dans le Code même, portant que le Code doit être adopté par la majorité des électeurs; la direction a apparemment ignoré ce consensus. La question est donc maintenant de savoir si cette indifférence à l’égard du consensus est acceptable selon la coutume. La réponse à cette question dépend entièrement de la qualité de la preuve.

 

[41]           Par conséquent, à mon avis, l’application du principe établi dans Bigstone relatif à l’« acquiescement » examiné dans Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290 n’a pas de valeur de précédent dans les circonstances de l’espèce, car les faits de cette affaire sont très différents de ceux qui nous occupent. Ainsi, la réponse à la question dépend du poids à accorder au témoignage de M. Hewko concernant la conduite des membres après que la direction ait mis le Code en application.

 

[42]           Le poids que j’accorde au témoignage de M. Hewko n’est pas suffisant pour conclure à l’existence d’une coutume de la Première nation de Fort McKay voulant que le Code ait été mis en application en bonne et due forme contrairement à ses propres dispositions. Plus particulièrement, les affirmations que M. Hewko a exprimées au paragraphe 20 de son affidavit concernant la réaction des membres et les dires de certains aînés ne permettent pas de conclure à l’existence d’un consensus parmi les membres. Ces affirmations constituent une preuve par ouï‑dire venant d’une personne qui participe directement au processus décisionnel faisant actuellement l’objet d’un contrôle et, selon mon observation, elles visent seulement à donner appui aux décisions controversées prises par la direction. Notamment, ces affirmations ne contiennent ni dates, ni noms ni chiffres pour étayer la conclusion qu’il existe un consensus au sein des membres. Tel qu’indiqué au paragraphe 19 de l’affidavit de M. Hewko, le fait qu’il n’y ait pas eu de [traduction] « différends liés à la gouvernance » ne prouve rien quant au consensus des membres, car cette affirmation ne renvoie pas directement à la question litigieuse du scrutin référendaire. De plus, compte tenu du temps, du travail et des dépenses que représente une action en justice visant à contester la décision de la direction d’ignorer le consensus relatif au mécanisme de votation, le fait de ne pas intenter une telle action ne prouve pas que cette indifférence à l’égard du consensus a été acceptée durant la période post‑référendaire. À mon avis, la preuve invoquée pour prouver que l’indifférence a été acceptée en vertu de la coutume est tellement faible qu’elle n’a aucune valeur.

 

[43]           Il est important de souligner que selon le Code, les valeurs démocratiques doivent prévaloir. La preuve démontre seulement qu’aucune objection n’a été soulevée quant aux modalités requises pour l’entrée en vigueur du Code, et aucune mesure n’a été prise pour les modifier. La question est de savoir si cette preuve peut être acceptée comme une forme quelconque de coutume en vue de justifier le défaut évident de suivre ce que l’on doit considérer comme une élection fondée sur la coutume insérée et exprimée dans le Code. Ainsi, est‑il juste d’affirmer que cette inaction équivaut à un consensus rétroactif qu’auraient exprimé les membres sur le fait de tolérer les actes de la direction de ne pas suivre les dispositions électorales du Code? Dans l’affirmative, il serait permis de penser que la direction pourrait simplement prendre la décision de ne pas suivre le Code, et les membres pourraient ne pas agir pas à la suite de cette décision, et que cette situation donnerait lieu à un consensus sur le fait que la violation du Code crée un nouveau code fondé sur la coutume. Cette forme de pratique irait totalement à l’encontre des principes démocratiques énoncés dans le Code sur lesquels repose la gouvernance de la Première nation de Fort McKay. Ma réponse à la question est « non ».

 

[44]           J’estime qu’il n’existe aucune preuve convaincante me permettant de conclure que les membres ont toléré par consensus le défaut de la direction de suivre les dispositions du Code qu’elle a si soigneusement préparées. À mon sens, il est injuste pour tous les membres de la Première nation de Fort McKay de permettre aux membres de la direction de simplement modifier les règles lorsqu’ils le jugent opportun. Au vu de la preuve, c’est ce qui est arrivé en l’espèce.

 

V.        Conclusion

[45]           Étant donné que la direction n’avait pas la compétence de mettre le Code en application à la suite du scrutin référendaire, je conclus que toutes les actions prises en vertu du Code relativement aux élections du 25 février 2008 sont nulles. S’agissant plus particulièrement de la contestation de M. Laurent relative aux actions prises par Mme Gauthier, j’estime que cette dernière n’avait pas la compétence de rejeter sa mise en candidature ni de nommer M. Boucher comme chef de la Première nation de Fort McKay.


ORDONNANCE

 

Pour les motifs exposés précédemment, je déclare nul le Code électoral de la Première nation de Fort McKay daté du 22 décembre 2004, conformément à l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les cours fédérales. Par conséquent, je déclare également nulle, pour défaut de compétence, la décision du 11 février 2008 par laquelle Mme Gauthier a rejeté la mise en candidature de M. Laurent et a nommé M. Boucher comme chef de la Première nation de Fort McKay.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-396-08

 

INTITULÉ :                                       STANLEY LAURENT c. PAULINE GAUTHIER

                                                            et la PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 février 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Rath

Natalie Whyte

 

POUR LE DEMANDEUR

Trina Kondro

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rath & Company

Priddis (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Ackroyd, s.r.l.

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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