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Date : 20081204

Dossier : IMM‑1144‑08

Référence : 2008 CF 1346

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

PARATIMA VASHISHAT

TARSEM LAL JALPAT

INDER KUMAR JALPAT

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Paratima Vashishat, la demanderesse principale, est devenue une résidente permanente du Canada en septembre 1996. En mars 2000, Mme Vashishat a présenté une demande de parrainage pour son père, M. Tarsem Lal Jalpat, et son jeune frère, Inder Kumar Jalpat (ci‑après, Inder), à titre de personnes appartenant à la catégorie de la famille. M. Jalpat et Inder sont citoyens de l’Inde. Un agent des visas a conclu qu’Inder était interdit de territoire en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), au motif que son niveau de développement intellectuel risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Mme Vashishat a porté cette décision en appel, en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR, devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR).

 

[2]               Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, de la décision de la SAI datée du 1er février 2008, par laquelle l’appel de Mme Vashishat a été rejeté. À la fin de l’audience à Vancouver le 20 novembre 2008, j’ai avisé les parties que j’accueillerais la demande et que je préparerais des motifs écrits.

 

Le contexte factuel

 

[3]               La mère de Mme Vashishat et d’Inder est morte en 1993, laissant Inder aux soins de Mme Vashishat et de son père. Mme Vashishat a aussi un autre frère qui habite présentement en Inde avec son oncle. En 1996, Mme Vashishat est venue au Canada à titre de fiancée parrainée. Elle s’est mariée et a habité avec l’homme qui l’avait parrainée pendant neuf mois. Elle est maintenant mariée à un autre homme avec qui elle a une fille de deux ans.

 

[4]               En mars 2000, Mme Vashishat a présenté une demande de parrainage de la demande de résidence permanente au Canada de son père et de son jeune frère. Dans le cadre du processus de demande, M. Jalpat et Inder ont dû subir un examen médical. Dans une lettre datée du 26 mai 2006, les demandeurs ont été avisés qu’il existait des préoccupations au sujet de l’admissibilité médicale du frère de Mme Vashishat. Ils ont été avisés que le médecin avait diagnostiqué une déficience mentale légère chez Inder et qu’il était d’avis que l’état médical d’Inder pouvait raisonnablement entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Les demandeurs avaient jusqu’au 25 juillet 2006 pour présenter des renseignements supplémentaires au sujet de l’état de santé d’Inder et de la question du fardeau excessif.

 

[5]               Les demandeurs ont présenté d’autres certificats médicaux au sujet de l’état d’Inder et de ses capacités, ainsi qu’une vidéo montrant Inder qui effectuait diverses activités de façon indépendante. Le médecin a examiné les nouvelles preuves mais a maintenu son évaluation d’origine.

 

[6]               Dans une lettre datée du 28 novembre 2006, l’agent des visas Michel Blouin a accepté la recommandation du médecin et a rejeté la demande au motif qu’Inder était interdit de territoire parce que son état de santé risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Mme Vashishat a porté cette décision en appel en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR.

 

[7]               Une audience a eu lieu le 10 décembre 2007, pour laquelle Mme Vashishat a été la seule personne appelée à témoigner. Elle n’a pas contesté le diagnostic de son frère, mais elle a contesté la validité légale du refus. Elle a soutenu qu’Inder a des capacités supérieures à celles décrites dans la lettre de refus et, avec le soutien de sa famille, il n’aurait pas besoin des services sociaux recommandés. Elle a présenté un autre certificat médical du médecin de famille d’Inder pour soutenir son argument. Subsidiairement, elle a fait valoir qu’il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’accueil de l’appel en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

 

[8]               La SAI a rejeté l’appel dans une lettre datée du 1er février 2008.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

 

[9]               La SAI a conclu qu’il n’y avait aucun élément dans les nouveaux rapports médicaux qui permettait de conclure que l’évaluation du médecin avait été déraisonnable. La SAI s’est fondée sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mohamed c. Canada (M.E.I.), [1986] 3 C.F. 90, pour conclure que le diagnostic du médecin ainsi que son avis au sujet des conséquences que l’état d’Inder aurait sur les services sociaux n’étaient pas obscurs, ambigus ou déraisonnables.

 

[10]           La SAI n’a pas accepté l’argument de Mme Vashishat selon lequel Inder n’aurait besoin d’aucun des services sociaux et elle a déclaré qu’il serait admissible à des programmes portant sur l’acquisition de connaissances de base, y compris la formation professionnelle. La SAI a conclu que bien qu’à ce moment, les demandeurs n’aient pas l’intention d’avoir recours aux services sociaux auxquels Inder est admissible, il aurait tout de même le droit d’accès à ces services financés par l’État.

 

[11]           La SAI a aussi noté que Mme Vashishat n’avait pas soutenu ni démontré qu’elle était en mesure d’assumer l’entière responsabilité des coûts des services sociaux dont son frère aurait besoin si on lui accordait l’entrée au Canada.

 

[12]           De plus, la SAI a examiné s’il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’appel. La SAI a déclaré que M. Jalpat et Inder étaient bien établis en Inde et que rien ne donnait à penser qu’ils dépendaient financièrement ou émotionnellement de Mme Vashishat. La SAI a aussi tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement affecté par la décision. Bien que la Commission ait reconnu que la fille de deux ans de Mme Vashishat bénéficierait de la présence de son grand‑père, elle a conclu que sa mère et elle pouvaient lui rendre visite à tout moment.

 

[13]           Finalement, la SAI a noté le témoignage de Mme Vashishat au sujet de la maison qu’elle avait achetée dans une zone agricole dans laquelle ils pouvaient tous vivre ainsi que les mesures qu’elle avait prises pour que son frère travaille sur une ferme. Cependant, la SAI a conclu que ces éléments n’étaient pas suffisants pour accorder une mesure spéciale, compte tenu des autres preuves.

 

Les questions en litige

 

[14]           Les préoccupations des demandeurs au sujet de la décision de la SAI peuvent se résumer comme suit :

a.       Quelle est la norme de contrôle?

b.      La SAI a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a conclu qu’Inder risquait d’entraîner un « fardeau excessif » pour les services sociaux?

c.       La SAI a‑t‑elle correctement tenu compte de toute la preuve lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire?

 

[15]           Je n’ai pas cru nécessaire de demander au défendeur de répondre à la troisième question à l’audience. D’après mon examen des observations des demandeurs, on demandait à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve au sujet des motifs d’ordre humanitaire, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire. J’ai avisé l’avocat que je ne rendrais pas de décision à ce sujet.

 

Analyse

La norme de contrôle

[16]           Comme il l’a été établi dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, il n’existe maintenant que deux normes de contrôle : la raisonnabilité et la décision correcte. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a présenté des directives au sujet de la façon de déterminer la norme de contrôle appropriée dans une affaire. Premièrement, la Cour vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Lorsque cette démarche se révèle infructueuse, la Cour entreprend l’analyse des quatre éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. De façon inverse, si cette démarche porte fruit, il n’est pas nécessaire d’entreprendre l’analyse.

 

[17]           La Cour a souvent appliqué la norme de la raisonnabilité aux refus d’agent des visas fondés sur une interdiction de territoire pour des raisons médicales et elle a appliqué la même norme lorsqu’elle a examiné l’avis médical sous‑jacent à ces décisions. Dans la décision Fei c. Canada (Ministre le la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F. 1re inst.), [1998] 1 C.F. 274, [1997] A.C.F. no 950, le juge Heald a cité le juge Dubé dans la décision Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 14 Admin. L.R. (2d) 233 (C.F. 1re inst.), qui établissait la norme de contrôle comme suit :

La jurisprudence relative aux décisions de non‑admissibilité pour des raisons d’ordre médical rendues par des agents d’immigration ou des agents des visas nous vient surtout de tribunaux d’appel. Bien entendu, les grands principes qui se dégagent de ces décisions sont pertinents à une demande de contrôle judiciaire en vue d’annuler la décision d’un agent d’immigration.

 

Le principe le plus important qui se dégage de cette jurisprudence est que les tribunaux de révision ou d’appel n’ont pas compétence pour tirer des conclusions de fait liées au diagnostic médical, mais qu’ils sont compétents pour examiner la preuve afin de savoir si l’avis des médecins agréés est raisonnable, compte tenu des circonstances de l’affaire [Jiwanpuri; Deol]. Le caractère raisonnable d’un avis médical doit être apprécié non seulement à l’époque où il a été émis mais également à l’époque à laquelle l’agent d’immigration s’en est servi pour rendre sa décision, puisque c’est cette décision qui fait l’objet du contrôle ou de l’appel [Jiwanpuri]. Les motifs pour lesquels une décision peut être jugée déraisonnable comprennent l’incohérence ou les contradictions, l’absence de preuve à l’appui de la décision, le défaut d’avoir tenu compte d’une preuve convaincante, ou le défaut d’avoir tenu compte de facteurs énoncés à l’article 22 du Règlement. [Notes en bas de page omises ou abrégées.]

 

 

[18]           En l’espèce, la SAI a examiné la raisonnabilité du rejet de l’agent des visas des demandes en raison de l’interdiction de territoire fondée sur des raisons médicales. La décision de la SAI doit être examinée en fonction de la norme de la raisonnabilité. La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

La SAI a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a conclu qu’Inder risquait d’entraîner un « fardeau excessif » pour les services sociaux?

 

 

[19]           L’argument principal des demandeurs porte sur le fait que la SAI, lorsqu’elle a examiné la raisonnabilité de la décision de l’agent des visas, n’a pas tenu compte de la situation personnelle d’Inder, comme l’exigeait la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 ACS 58, [2005] A.C.S. no 58 (Hilewitz).

 

[20]           D’après l’arrêt Hilewitz, les conclusions d’interdiction de territoire pour des raisons médicales fondées sur un fardeau excessif nécessitent une évaluation personnalisée de l’état, des capacités et des besoins réels de la personne, ainsi que l’existence du soutien de la famille. Les extraits suivants de cet arrêt apportent des précisions à la présente question :

54 Le sous‑alinéa 19(1)a)(ii) exige qu’on détermine si l’état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison. Si l’on ne tient pas compte de la capacité et de la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d’une manière réaliste en quoi consiste le « fardeau » que devront supporter les services sociaux de l’Ontario. Le texte de la disposition indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services.

55 Pour ce faire, les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux — comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés.

56 Cela exige, me semble‑t‑il, des appréciations individualisées. Il est impossible, par exemple, de déterminer la « nature », la « gravité » ou la « durée probable » d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée. Si le médecin agréé s’interroge sur les services susceptibles d’être requis en se fondant uniquement sur la classification de la maladie ou de l’invalidité, et non sur la façon précise dont elle se manifeste, l’appréciation devient générique plutôt qu’individuelle. L’évaluation des coûts est alors faite en fonction de la déficience plutôt qu’en fonction de l’individu. Toutes les personnes atteintes d’une déficience donnée sont alors automatiquement exclues, même celles dont l’admission n’entraînerait pas, ou ne risquerait pas d’entraîner, un fardeau excessif pour les fonds publics.

[…]

60 Selon cette nouvelle disposition, il n’est plus nécessaire de conclure que la maladie ou l’invalidité « entraînerait ou risquerait d’entraîner » un fardeau excessif. Seul l’état de santé « risquant d’entraîner » un fardeau excessif est visé. Que l’on n’ait pas écrit « entraînant » est, selon moi, sans importance véritable. Le texte est suffisamment similaire pour permettre de conclure au maintien de l’obligation de rattacher toute prévision de fardeau pour les fonds publics à la situation réelle des demandeurs, notamment la mesure dans laquelle leur famille a la volonté et la capacité de leur consacrer du temps et des ressources — et non à l’évolution possible de cette situation.

61 Il ressort de cette analyse que la capacité et la volonté des familles Hilewitz et de Jong de réduire le fardeau autrement susceptible d’être occasionné pour les fonds publics par la déficience intellectuelle de leurs enfants sont des éléments pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si l’admission de ces enfants risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens.

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           Les demandeurs soutiennent que l’agent des visas et la SAI n’ont pas effectué un examen personnalisé de la situation personnelle des demandeurs. En particulier, la SAI n’a pas tenu compte des capacités et des besoins réels d’Inder, ni des mesures qui avaient été prises pour lui au Canada afin qu’il puisse travailler sur une ferme et habiter avec sa famille, et qu’en fait ils ont effectué un examen mécaniste qui ne respectait pas les exigences énoncées dans l’arrêt Hilewitz.

 

[22]           Les demandeurs font valoir que la question du soutien de la famille dépasse la simple capacité de payer pour les services requis. Il faut donner l’importance à la volonté et à la capacité de la famille d’atténuer le fardeau possible et non à la question de savoir si la famille a les ressources financières lui permettant de payer pour les services. Les demandeurs soutiennent que les mesures prises pour Inder au Canada éliminent le besoin d’avoir recours aux services sociaux.

 

[23]           Les demandeurs soutiennent aussi que la SAI a appliqué le mauvais critère lorsqu’elle s’est fondée sur l’admissibilité et le droit d’Inder d’avoir recours aux services au Canada, plutôt que sur la demande vraisemblable. En fait, la décision de la SAI reprend les notes médicales qui ne font que cibler les services auxquels Inder serait admissible. Les demandeurs font valoir qu’il existe une différence évidente entre les services sociaux auxquels Inder serait admissible et ceux qu’il utiliserait ou qu’il pourrait raisonnablement utiliser s’il venait au Canada. Il n’est pas suffisant que la SAI note les services auxquels le demandeur pourrait avoir accès. Elle doit plutôt préciser les services que le demandeur utiliserait ou dont il aurait besoin, ou qu’il pourrait raisonnablement utiliser ou dont il pourrait raisonnablement avoir besoin. Les motifs de la SAI sont insuffisants, d’après les demandeurs, parce qu’ils ont été rendus sans tenir compte de la preuve et qu’ils ne précisaient pas les services sociaux dont Inder aurait besoin ou pourrait raisonnablement avoir besoin.

 

[24]           Le défendeur soutient que les faits que les demandeurs ont présentés entraînent inévitablement la conclusion qu’il existerait un risque de fardeau excessif. Le défendeur fait valoir que la SAI a tenu compte de toute la preuve qui lui a été présentée mais qu’elle a donné l’importance à la preuve du médecin qui soutient que l’état de santé d’Inder nécessite le recours aux services sociaux. Le défendeur soutient que la SAI a fondé sa décision sur l’avis du médecin, qui selon elle était raisonnable, et sur le fait que les demandeurs n’ont pas démontré ni laissé entendre qu’ils étaient en mesure de payer pour les services recommandés ou pour une partie de ceux‑ci.

 

[25]           Le paragraphe 38(1) de la LIPR prévoit :

 

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

 

[…]

 

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

 

 

[26]           Cette disposition légale exige une évaluation de l’état de santé d’un étranger et du risque que cette personne entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux. Le concept même de « fardeau excessif » fait intervenir la notion selon laquelle un certain niveau de demande est acceptable et n’empêche pas l’admissibilité d’un étranger : Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282, au paragraphe 4 (Colaco).

 

[27]           Pour examiner le risque et la portée du fardeau qu’un demandeur pourrait imposer aux services sociaux, il faut nécessairement tenir compte de certains facteurs. Au paragraphe 55 de l’arrêt Hilewitz, la juge Abella a noté qu’il faut tenir compte de critères médicaux et non médicaux — comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés. La Cour d’appel fédérale a appliqué ce concept dans l’arrêt Colaco, précité. Au paragraphe 5 de cet arrêt, le juge Létourneau a écrit :

À notre avis, la capacité et la volonté de l’étranger de payer les services sont des facteurs qu’il faut prendre en considération lorsqu’on évalue le risque de fardeau et l’importance de celui‑ci. Ces facteurs ne sont pas nécessairement concluants ou déterminants, mais ils doivent être pris en compte parce qu’ils peuvent influer sur l’importance du risque et du fardeau pour les services sociaux.

 

 

[28]           L’avocat des demandeurs fait valoir que l’arrêt Colaco n’appuie pas la proposition selon laquelle il faut qu’il existe des preuves de la capacité de payer pour les services s’il y a un autre moyen de les obtenir. J’en conviens. Dans son analyse de conclusion, le juge Létourneau, dans l’arrêt Colaco, a soutenu que si un demandeur de la catégorie des travailleurs qualifiés peut établir que son admission au Canada ne risque pas d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux, il n’y a aucune raison d’exclure ce demandeur pour ce motif.

 

[29]           Comme la juge Abella l’a aussi expliqué dans l’arrêt Hilewitz, tout fardeau anticipé pour les finances de l’État doit être lié aux réalités de la situation des demandeurs, y compris la portée de la volonté et de la capacité de la famille de contribuer en fait de temps et de ressources. En l’espèce, la famille d’Inder a déclaré qu’elle était prête à prendre des mesures pour qu’il obtienne un emploi sur une ferme, ce qui diminuerait tout fardeau anticipé ou fardeau excessif pour les services sociaux. Dans ses motifs, la SAI a mentionné que Mme Vashishat n’avait pas soutenu ni démontré qu’elle était en mesure d’assumer « la pleine responsabilité des coûts des services sociaux qui seraient nécessaires pour son frère s’il était admis au Canada ». En l’espèce, la SAI a mis l’importance sur la capacité de la famille de payer, sans tenir compte des autres mesures qu’elle avait prises pour Inder. Je conclus que la SAI a mal tenu compte de la situation réelle des demandeurs lorsqu’elle a déterminé le « fardeau » qui serait imposé aux services du Canada.

 

[30]           Les demandeurs ont aussi soutenu que la SAI a appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a mis l’importance sur l’admissibilité et sur le droit aux services, plutôt que sur la possibilité qu’Inder en ait besoin, en fonction de l’état de santé de ce dernier. Cette question a été résolue dans l’arrêt Hilewitz. Au paragraphe 54, la juge Abella a noté que le libellé de la disposition (qui se trouve maintenant à l’article 38) précise que le médecin doit évaluer la demande probable pour les services sociaux, et non pas la simple admissibilité. Dans ses motifs, la SAI a soutenu que « [l]’appelante n’a peut‑être pas, en ce moment, l’intention d’avoir recours aux services sociaux auxquels son frère serait admissible. Le demandeur, cependant, aurait droit à ces services financés par l’État ». Cette justification ne respecte pas le critère prévu pour conclure que l’état de santé d’Inder entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux.

 

[31]           Par conséquent, la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à une formation différemment constituée de la SAI pour nouvel examen. Les parties n’ont présenté aucune question pour la certification lorsqu’elles en ont eu la chance, et aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et l’affaire soit renvoyée à une formation différemment constituée de la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1144‑08

 

INTITULÉ :                                       PARATIMA VASHISHAT

                                                            TARSEM LAL JALPAT

                                                            INDER KUMAR JALPAT

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LES DEMANDEURS

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LORNE WALDMAN

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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