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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081203

Dossier : T-2036-07

Référence : 2008 CF 1344

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

BARRY GERUS

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Barry Gerus a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Gloria Kuffner, commissaire adjointe à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), par laquelle celle‑ci a rejeté la demande de « statut privilégié » qu’il a présentée à l’ARC de l’Île‑du‑Prince‑Édouard (Î.‑P.‑É.) afin de fournir de l’assistance parentale à sa mère malade.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[2]               La décision de Mme Kuffner a été prise en fonction de la Directive sur le statut privilégié qui permet à un employé de l’ARC qui déménage temporairement ou définitivement pour, notamment, s’occuper d’un parent, de demander la priorité dans les affectations offertes dans le lieu de la relocalisation. La Directive sur le statut privilégié a été implantée par l’ARC en vertu de son pouvoir d’organisme gouvernemental distinct d’établir sa politique de dotation.

 

[3]               M. Gerus a demandé un statut privilégié en 2007 en vertu de la Directive sur le statut privilégié. Lorsque sa demande a été rejetée, il a demandé une « rétroaction individuelle », qui est essentiellement un examen de la décision, à Donna May, directrice générale à la Direction des relations avec les clients et de la gestion des activités. Celle‑ci a rejeté sa demande. M. Gerus a ensuite demandé un examen de deuxième niveau, appelé une « révision de la décision », à Gloria Kuffner, commissaire adjointe.

 

[4]               Mme Kuffner a examiné la demande de M. Gerus et a rendu sa décision. Elle n’a accepté aucune observation de la part de M. Gerus qui a demandé qu’on lui donne la possibilité de présenter des observations. Mme Kuffner a confirmé la décision de refuser l’octroi du statut privilégié :

[traduction]

 

J’ai examiné votre demande de révision de la décision, la rétroaction individuelle soumise par Donna May, directrice générale à la Direction des relations avec les clients et de la gestion des activités et la Directive sur le statut privilégié. La décision de Donna May était fondée sur la Directive sur le statut privilégié, qui comprenait l’exigence que l’employé déménage temporairement ou définitivement afin de s’occuper d’un parent. Dans votre cas, vous demeuriez déjà à l’Île‑du‑Prince‑Édouard et votre parent a déménagé par la suite. Mes conclusions sont que vous n’avez pas été traitée de façon arbitraire et je maintiens la décision de refuser l’octroi du statut privilégié afin de s’occuper d’un parent.

 

L’historique

[5]               M. Gerus a commencé à travailler au ministère du Revenu national en 1998. Il est demeuré à l’emploi de cet organisme au cours de restructurations successives et est demeuré à l’emploi de l’organisme qui l’a remplacé, l’ARC, à Ottawa en 2006.

 

[6]               En janvier 2003, la mère du demandeur a subi un accident vasculaire cérébral. Cette même année, elle a eu besoin de soins constants et elle est entrée dans une maison de soins infirmiers. M. Gerus s’est éventuellement rendu compte qu’elle était malheureuse dans la maison de soins infirmiers et il a songé à l’emmener vivre avec sa famille. Sa maison à Vars, qui est situé à environ 30 kilomètres d’Ottawa, était trop petite pour loger sa mère et sa famille. Il a décidé qu’ils n’étaient pas capables d’acheter, dans la région d’Ottawa, une maison plus grande qui serait située à 45 minutes de son travail.

 

[7]               Le demandeur a examiné la possibilité de déménager ailleurs au Canada afin de trouver une maison suffisamment grande, à prix abordable, qui serait située près des bureaux de l’ARC de telle sorte qu’il puisse continuer à travailler. Il a acheté une maison plus grande à l’Î.‑P.‑É. En janvier 2006, la famille a déménagé et le demandeur a entrepris des rénovations afin de rendre la maison accessible aux fauteuils roulants. Le 8 août 2006, M. Gerus a pris un congé sans solde pour des raisons familiales. La mère de M. Gerus a déménagé à la maison des Gerus, à l’Î.‑P.‑É., en avril 2007. M. Gerus affirme que ce qu’il voulait c’était trouver une maison où il pourrait s’occuper de sa mère.

 

[8]               Le 19 juin 2007, M. Gerus a demandé qu’on lui octroie le statut privilégié en vertu du Programme de dotation de l’ARC. Sa demande a été rejetée par la directrice générale, Donna May.

 

[9]               Il a demandé une rétroaction individuelle, qui est la première étape du recours quant à la décision de ne pas lui octroyer le statut privilégié. Le 12 septembre 2007, Mme May a tenu une séance de rétroaction individuelle par téléphone avec M. Gerus. Le jour suivant, elle a rejeté la demande de M. Gerus.

 

[10]           M. Gerus a demandé une révision de la décision, qui est le dernier recours prévu dans le Programme de dotation de l’ARC pour une décision relative à l’octroi du statut privilégié. Il a demandé qu’on lui donne la possibilité de fournir des éléments de preuve et de soumettre des arguments à Mme Kuffner, commissaire adjointe, dans la révision de la décision. Un examen du dossier ne révèle pas que M. Gerus a été informé que sa demande de présentation d’arguments n’a pas été acceptée.

 

[11]           Le 10 octobre 2007, Mme Kuffner a rejeté l’appel de la révision de la décision interjeté par M. Gerus; cette décision a été transmise à M. Gerus par courrier le 29 octobre 2007.

 

[12]           Le 21 novembre 2007, M. Gerus a demandé le contrôle judiciaire de la révision de la décision. L’un de ses motifs de contrôle judiciaire était qu’il s’était vu refuser la possibilité de présenter des arguments. Après que la demande de contrôle judiciaire de M. Gerus a été faite, le défendeur a proposé, vers le 11 février 2008, que M. Gerus se désiste de sa demande de contrôle judiciaire en contrepartie de la possibilité de présenter des arguments à Mme Kuffner. M. Gerus a refusé l’offre.

 

Les questions en litige

 

[13]           Les questions en litige dans le présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

1.         Y‑a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale envers le demandeur? S’il y a eu manquement à l’équité procédurale, est‑il interdit au demandeur de prétendre qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’il a rejeté l’offre du défendeur de présenter des arguments?

 

                    i.                        La décision de refuser au demandeur le statut privilégié est‑elle déraisonnable?

 

 

La norme de contrôle

 

[14]           La première question en litige a trait à l’équité procédurale. Si le comportement contesté a trait au manquement à l’équité procédurale, alors aucune appréciation de la norme de contrôle applicable n’est exigée (Morneau-Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 74). Un manquement à l’équité procédurale entraînera l’annulation de la décision d’un tribunal.

 

[15]           Le demandeur et le défendeur ont eu recours à l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer que la norme applicable au contrôle de la décision de Mme Kuffner devrait être la norme de la décision raisonnable.

 

[16]           Je souscris à l’opinion du demandeur et du défendeur. Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 52 à 56, la Cour suprême du Canada discute de la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit, aux questions de fait et aux questions de politique ou de pouvoir discrétionnaire. Comme la présente demande traite de questions de fait et de politique, je conclus que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

 

Le droit

[17]           Le législateur, en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (la LARC), a accordé à l’ARC le pouvoir exclusif de doter son organisme en personnel

Pouvoir d’embauche de l’Agence

53. (1) L’Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu’elle estime nécessaire à l’exercice de ses activités.

 

Appointment of employees

53. (1) The Agency has the exclusive right and authority to appoint any employees that it considers necessary for the proper conduct of its business.

 

 

[18]           Le juge Russell, dans la décision Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2004 CF 507, au paragraphe 34, a conclu que le régime de dotation en personnel prévu dans la LARC « doi[t] être souple[…], rapide[…], efficace[…] et axé[…] sur la concertation. Les principes directeurs sont les suivants : résolution diligente et rapide des problèmes, encouragement d'une culture du respect en milieu de travail, communication franche et niveau adéquat de responsabilisation de la direction ».

 

[19]           Les paragraphes 54(1) et  54(2) de la LARC accorde à l’ARC le pouvoir et l’obligation d’élaborer un programme de dotation en personnel.

Programme de dotation

54. (1) L’Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

Exclusion

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

 

Staffing program

54. (1) The Agency must develop a program governing staffing, including the appointment of, and recourse for, employees. (underlining added)

Collective agreements

(2) No collective agreement may deal with matters governed by the programme de dotation.

 

 

Ce programme doit prévoir des recours pour les employés. Les recours ne sont pas définis dans la LARC ni dans le Programme de dotation de l’ARC ni dans ses directives. Toutefois, le mot « recours » indique quelque chose d’autre qu’un simple appel d’une décision.

 

[20]           Le Programme de dotation de l’ARC prévoit des recours. Les énoncés du programme mentionnent que les intéressés ont accès à des mécanismes de recours, depuis la rétroaction individuelle jusqu’à la révision de la décision et à un examen par un tiers indépendant, selon la nature de l’activité de dotation et les dispositions de la Directive sur les recours en matière de dotation.

 

[21]           Le Programme de dotation de l’ARC prévoit également qu’un statut privilégié peut être octroyé aux employés qui désirent déménager pour des raisons d’assistance parentale. La Directive sur le statut privilégié prévoit ce qui suit :

Programme de dotation – Directive sur le statut privilégié

1.                  Octroi du statut privilégié

 

1.3              Le statut privilégié peut être octroyé dans les situations suivantes :

 

c) L’employé qui veut se rapprocher de son parent pour en prendre soin de façon temporaire ou permanente;

 

3.3             L’employé qui veut se rapprocher de son parent pour en prendre soin de façon temporaire ou permanente

 

L’employé dont un parent a besoin de soins ou d’un soutien sur une base temporaire ou permanente (à cause d’une convalescence, par exemple) peut bénéficier d’un congé non payé afin de s’occuper à temps plein de son parent, tel qu’il est précisé dans les conventions collectives qui s’appliquent […] Lorsque l’employé est toujours disponible pour travailler pendant les heures normales de travail, il peut quand même obtenir un statut privilégié pour faciliter son déménagement et pour lui permettre de continuer de travailler sans avoir à prendre congé. Le cas échéant, les mêmes modalités s’appliquent, c’est‑à‑dire celles qui sont exposées ci-dessous.

 

3.3.1    Rapprochement permanent

 

a.       Condition requise pour l’obtention du statut privilégié :

 

Sur présentation d’un certificat médical attestant que le parent a besoin de soins ou d’un soutien sur une base permanente, l’employé bénéficiera d’un statut privilégié pour une nomination permanente.

 

 

[22]           La Directive sur le statut privilégié prévoit des recours en cas de refus ou d’annulation d’un statut privilégié, d’abord la rétroaction individuelle, puis la révision de la décision. Elle précise que les recours serviront à déterminer « si la personne a fait l’objet d’un traitement arbitraire », selon la définition fournie dans la Directive sur les recours en matière de dotation

 

L’analyse

Le demandeur a‑t‑il été privé de l’équité procédurale? S’il y a eu manquement à l’équité procédurale, est‑il interdit au demandeur d’invoquer le manquement à l’équité procédurale parce qu’il a refusé l’offre du défendeur de présenter des arguments au décideur?

 

[23]           Le défendeur admet que M. Gerus n’a pas eu l’occasion de présenter des arguments à Mme Kuffner dans le cadre du processus de révision de la décision. Toutefois, le défendeur prétend que M. Gerus a eu l’entière possibilité de présenter des arguments et qu’il a bel et bien présenté des arguments au cours de la rétroaction individuelle et que Mme Kuffner était saisie de ces arguments.

 

[24]           Selon la jurisprudence, les règles de la justice naturelle et de l’équité procédurale s’appliquent au mécanisme de recours de l’ARC (Institut professionnel, aux paragraphes 88 à 92). Dans la décision Anderson c. Canada (Agence des douanes et du Revenu), 2003 CFPI 667, au paragraphe 46, la juge Dawson a déclaré ce qui suit :

46     L'équité procédurale s'entend d'une occasion réelle de présenter les faits pertinents et de faire étudier pleinement et objectivement sa position par le décideur. Ainsi que l'écrivait le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, précité, à la page 837, l'objet des droits de participation contenus dans le devoir d'équité est de « garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur » .

 

[25]           Le défendeur n’offre aucune règle du Programme de dotation de l’ARC ni aucune jurisprudence à l’appui de l’affirmation que les arguments présentés par un employé à la rétroaction individuelle sont suffisants pour une révision de la décision ultérieure. Selon moi, ils ne sont pas suffisants parce que la Directive sur les recours en matière de dotation fait expressément mention d’une possibilité pour l’employé de participer aux étapes de la rétroaction individuelle et de la révision de la décision.

 

[26]           Quant à l’étape de la rétroaction individuelle, la directive mentionne en partie ce qui suit :

L’employé :

                     i.Devra indiquer clairement la nature de ses questions ou appréhensions.

                   ii.Est incité à participer activement au processus de rétroaction individuelle dans le but de gérer son cheminement de carrière.

 

À l’étape de la révision de la décision, la directive mentionne en partie ce qui suit :

La personne autorisée responsable de l’activité de dotation :

                  iii.Devra faire parvenir à son superviseur, ou son délégué, qui procédera à la révision de la décision, une copie de la demande écrite de révision de la décision, de même qu’un sommaire des faits et des résultats de la rétroaction individuelle.

 

Le réviseur de la décision (superviseur de la personne autorisée responsable de l’activité de dotation ou du processus de sélection, ou son délégué).

 

                 iv.Décidera comment se déroulera la révision. Ce processus peut comprendre la conduite de la révision par écrit, téléconférence ou en personne. On préférera la révision par écrit lorsque cela est possible.

 

                   v.S’assurera que la révision est faite de façon impartiale et que la personne autorisée et l’employé qui fait la demande de révision aient la chance d’exprimer leurs points de vue.

 

 

L’employé :

 

                 vi.Devra s’assurer que ses appréhensions soient suffisamment détaillées afin de permettre au superviseur de la personne autorisée de pouvoir y répondre. Les demandes de recours à une révision de la décision jugées incomplètes par le superviseur du gestionnaire, ne seront pas acceptées.

 

                vii.Pourra choisir d’être accompagné par une personne de son choix lors du processus de révision.

 

 

[27]           Il serait inutile de répéter l’exigence d’une possibilité de présenter des arguments à l’étape de la révision de la décision si les arguments initiaux qui ont été présentés à l’étape de la rétroaction individuelle étaient tout ce à quoi on pouvait s’attendre. Une personne peut décider de renoncer à la possibilité de présenter d’autres arguments et d’invoquer les arguments initiaux mais ce n’est pas le cas en l’espèce. 

 

[28]           Même si la procédure de la révision de la décision exige que l’employé voie à ce que les préoccupations soient suffisamment détaillées pour permettre au superviseur de la personne autorisée d’y répondre et même si le formulaire de demande de révision de la décision précise que les demandes doivent être suffisamment détaillées, elles n’éliminent pas l’obligation du réviseur de la décision de donner à l’employé la possibilité d’exprimer ses opinions. Encore une fois, une personne peut choisir de n’invoquer que les renseignements fournis dans le formulaire de demande; M. Gerus ne l’a pas fait.

 

[29]           Les règles du Programme de dotation de l’ARC concernant le processus de la révision de la décision ne prévoient pas nécessairement la tenue d’une audience mais elles prévoient que l’on doit donner à l’employé qui exerce un recours la possibilité de présenter ses opinions comme bon lui semble lors de la révision de la décision.

 

[30]           Le défendeur invoque principalement sa prétention selon laquelle M. Gerus s’est vu offrir la possibilité de présenter d’autres arguments s’il se désistait de sa demande. Comme M. Gerus a refusé cette offre, le défendeur prétend que, selon l’arrêt McConnell c. Commission canadienne des droits de la personne et l’ARC, 2005 CAF 389, il lui est interdit de soulever cet argument. Toutefois, dans l’arrêt McConnell, la situation factuelle était différente. Dans cette affaire, le demandeur avait été informé de la possibilité d’examiner la défense du défendeur et d’y répondre avant et non pas après que la décision fut rendue. En l’espèce, la révision de la décision a été faite le 10 octobre 2007 et elle a été transmise à M. Gerus le 29 octobre 2007. Celui‑ci a présenté sa demande de contrôle judiciaire le 21 novembre 2007. L’offre du défendeur à M. Gerus a été faite environ trois mois après que la révision de la décision a été faite.

 

[31]           Le défendeur fait état d’une autre situation semblable : l’omission hypothétique de la personne de déposer un avis de comparution ou une défense après qu’on lui a signifié un acte introductif d’instance en vertu des Règles des Cours fédérales (les Règles). La personne ne peut pas ensuite se plaindre de ne pas avoir reçu avis de la procédure. Encore une fois, les Règles envisagent une personne qui reçoit d’abord l’acte introductif d’instance.

 

[32]           La troisième analogie offerte par le défendeur était celle de personnes qui se sont retirées d’un processus, puis qui se sont plaints de ne pas avoir reçu d’avantages supplémentaires (Hembruff c. Commission du régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario, [2005] O.J. no 4667, aux paragraphes 123 et 124). Selon moi, cette analogie n’est pas convaincante car M Gerus ne s’est pas retiré du processus et il a expressément demandé la possibilité de présenter ses opinions.

 

[33]           L’exigence de donner la possibilité de présenter des arguments dans le cadre de la révision de la décision découle du Programme de dotation de l’ARC. L’ARC est présumée connaître d’entrée de jeu ses propres règles. De plus, le défendeur n’offre aucune explication quant à savoir pourquoi il a attendu deux mois et demi après le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire pour faire l’offre de présentation d’arguments dans le cadre du processus de révision de la décision.

 

[34]           L’offre ultérieure de l’ARC à M. Gerus était la possibilité de présenter des arguments à Mme Kuffner, la personne même qui avait refusé sa demande dans le cadre de la révision de la décision. Une demande administrative peut être renvoyée au même décideur pour nouvel examen. J’adopte cette opinion compte tenu de la décision de la juge Dawson dans Anderson où elle a déclaré ce qui suit : 

48        L'équité procédurale requiert aussi que les décisions soient rendues par un décideur objectif et ne donnent prise à aucune crainte raisonnable de partialité. Il ne va pas de soi à mon avis que le responsable d'un jury de sélection ne sera pas, de par cette position, enclin à modifier la décision du jury de sélection si on lui montre qu'une erreur a été commise. En droit, hormis une restriction législative, les décisions de nature non juridictionnelle peuvent être réexaminées et modifiées. (Voir Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles (Canvasback Publishing : Toronto, 1998), page 12:6100.) Étant donné l'absence évidente d'un intérêt pécuniaire ou matériel chez le gestionnaire qui a mené la séance de rétroaction individuelle dans l'affaire qui nous occupe, et vu la nature de la décision contestée, il me semble que la norme d'impartialité qui s'impose est moins rigoureuse que celle qui est appliquée aux décisions de nature judiciaire. La preuve ne montre pas que les responsables des séances de rétroaction individuelle afficheront de ce seul fait une fermeture d'esprit inacceptable. [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           Dans un processus de recours, un nouvel examen doit comporter une volonté ou une directive d’examiner de nouveau le sujet de la décision antérieure. Il n’est pas évident que l’offre du défendeur à M. Gerus était qu’il pouvait présenter des arguments dans le cadre d’un nouvel examen approfondi de sa demande, ou que l’offre a été limitée en ce sens qu’on ne lui a permis que de présenter des arguments dans le contexte plus difficile qui consiste à surmonter une décision qui a déjà été rendue.

 

[36]           Compte tenu que l’offre du défendeur de donner à M. Gerus la possibilité de présenter des arguments était ambiguë quant à un nouvel examen de la révision de la décision, je suis d’avis que son refus ne l’empêche pas de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire.

 

[37]           Le juge Russell a déclaré ce qui suit au paragraphe 88 de Institut professionnel :

88        Les règles de la justice naturelle ne sont pas, dans le texte de la Loi sur l'ADRC, écartées par déduction nécessaire. Par conséquent, en l'absence d'une disposition législative contraire expresse, il faut présumer que le législateur voulait que l'Agence établisse en matière de dotation un système de recours qui soit conforme aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale.

 

L’ARC doit respecter les règles de l’équité procédurale dans son processus de recours car c’est la volonté du législateur. L’ARC n’a pas respecté ses propres règles d’équité procédurale en matière de recours. 

 

[38]           Je conclus que le droit de M. Gerus à l’équité procédurale a été violé. On ne lui a pas donné la possibilité d’exprimer ses opinions comme l’exigent les Directives sur les recours en matière de dotation.

 

La décision était‑elle raisonnable?

 

[39]           Comme j’ai conclu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, je n’ai pas à discuter de la question du caractère raisonnable de la décision.

 

Conclusion

[40]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[41]           Il ne me reste qu’une question à régler : dois‑je renvoyer l’affaire au même décideur ou à un remplaçant comme le prévoit la Directive sur le statut privilégié. Dans le dossier du défendeur dont je suis saisi, il y a un courriel émanant de Mme May daté du 13 septembre 2007 dans lequel elle a transmis un projet de réponse à M. Gerus quant à l’exercice de rétroaction individuelle au siège social de l’ARC pour rétroaction et conseil. Ce courriel comprend le paragraphe suivant :

[Traduction]

 

Je vous ai informé qu’une demande de révision de la décision devrait m’être envoyée et je la transmettrai à Gloria Kuffner. Je vous ai également informé que Gloria avait été informée sur ce dossier et qu’elle appuiera également la position de la direction des ressources humaines.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           Dans la lettre envoyée à M. Gerus, la deuxième phrase a été supprimée. Je m’arrête pour souligner que la phrase supprimée dans le projet de lettre ne peut pas servir de preuve comme quoi Mme Kuffner avait déjà tranché la révision de la décision. Néanmoins, compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis qu’il serait préférable de renvoyer la révision de la décision à un autre réviseur pour nouvelle décision.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         L’affaire est renvoyée à un autre réviseur pour nouvelle décision.

3.         Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2036-07

                                                           

 

INTITULÉ :                                       BARRY GERUS

                                                            c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA        

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 novembre 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT              

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT:                        Le 3 décembre 2008   

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dougald Brown                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Agnieszka Zagorska                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien                                   POUR LE DEMANDEUR

Payne S.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)

 

 

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