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Date : 20081201

Dossier : IMM‑2227‑08

Référence : 2008 CF 1341

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 1er décembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

HUGO FRANKLIN VILLANUEVA CRUZ

alias

HUGO FRANKLIN VILLANEUVA CRUZ

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Hugo Franklin Villanueva Cruz, est citoyen du Salvador; il est entré au Canada en 1997 et on a conclu en 1999 qu’il était un réfugié au sens de la Convention. Le 17 mars 2006, il a été déclaré coupable de trafic de substances désignées et il a été condamné à trois ans et dix mois de prison. Dans une décision datée du 17 octobre 2007, une représentante du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (la représentante du ministre) a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada suivant l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la représentante du ministre.

 

[2]               Le demandeur soulève trois questions :

  1. Lorsqu’elle a évalué le danger, la représentante du ministre a‑t‑elle commis une erreur du fait d’avoir omis de tenir compte d’éléments de preuve portant sur la réhabilitation du demandeur et sur le faible risque de récidive?
  2. Lorsqu’elle a évalué le danger, la représentante du ministre a‑t‑elle imposé au demandeur un fardeau de preuve trop lourd quant à la démonstration à faire pour établir qu’il n’y avait pas de risque de récidive?
  3. Lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir si les motifs d’ordre humanitaire étaient suffisants pour l’emporter sur le renvoi du Canada, la représentante du ministre a‑t‑elle omis de prendre en compte adéquatement l’intérêt supérieur des enfants canadiens du demandeur?

 

[3]               Après avoir examiné le dossier et les observations orales et écrites des parties, je ne suis pas convaincue que la représentante du ministre a commis une erreur par l’imposition d’un fardeau trop lourd ou par l’omission d’avoir pris en compte l’intérêt supérieur des enfants. Cependant, il n’est pas nécessaire de rendre des décisions définitives sur ces deux questions étant donné que je conclus, pour les motifs ci‑après énoncés, que la représentante du ministre a commis une erreur du fait d’avoir omis de prendre en compte certains éléments de preuve se rapportant à l’évaluation du danger faite à l’égard du demandeur. Sur ce fondement, la décision était déraisonnable et elle devrait être annulée.

 

[4]               Dans l’arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), M. le juge Strayer a résumé comme suit, au paragraphe 29, le critère à utiliser par le ministre lorsqu’il délivre un avis de danger :

Dans ce contexte, le sens de l’expression « danger pour le public » n’est pas un mystère : cette expression doit se rapporter à la possibilité qu’une personne ayant commis un crime grave dans le passé puisse sérieusement être considérée comme un récidiviste potentiel. Point n’est besoin de prouver « à vrai dire, on ne peut pas prouver » que cette personne récidivera. Selon moi, cette disposition oriente convenablement la pensée du ministre vers la question de savoir si, compte tenu de ce que le ministre sait de l’intéressé et des observations que l’intéressé a faites en son propre nom, le ministre peut sincèrement croire que l’intéressé est un récidiviste potentiel dont la présence au Canada crée un risque inacceptable pour le public. [Non souligné dans l’original.]

 

[5]               Dans la décision Do c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 493, aux paragraphes 42 et 43, M. le juge Beaudry a fait d’autres commentaires à l’égard de cette norme lorsqu’elle s’applique à des individus déclarés coupables d’infractions en matière de stupéfiants :

La Cour fédérale a toujours estimé, y compris dans les cas portant sur des infractions en matière de stupéfiants, que le simple fait d’avoir été condamné pour une ou plusieurs infractions criminelles ne permet pas à lui seul d’affirmer qu’une personne constitue, peut constituer ou est susceptible de constituer un danger pour le public, encore que certaines infractions puissent, par leur nature, être d’un genre qui invite à une telle conclusion : Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 150 (1re inst.), à la page 159; Thai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 42 Imm. L.R. (2d) 28 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 16; Tewelde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 189 F.T.R. 206 (C.F. 1re inst.).

 

Lorsqu’il s’agit de décider si un individu constitue un danger pour le public, les principes de justice naturelle et d’équité procédurale obligent plutôt le ministre à tenir compte de l’ensemble des circonstances propres à chaque cas, et les circonstances du cas doivent, outre la condamnation elle-même, indiquer un danger pour le public : Fairhurst c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 124 F.T.R. 142 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 10; Thompson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 41 Admin. L.R. (2d) 10 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 19.

 

[6]               Lorsqu’elle a tiré sa conclusion selon laquelle le demandeur constituait un danger actuel et futur pour le public, la représentante du ministre a écrit ce qui suit :

[traduction]

[Le demandeur] a commis un crime majeur pour lequel il a été déclaré coupable – le trafic. Bien qu’il ait exprimé des remords pour ses actes et qu’il semble démontrer un comportement exemplaire dans le milieu carcéral, je ne suis pas convaincue que cet acte unique ne puisse pas se produire de nouveau. La peine de 46 mois imposée par le juge est importante et elle indique le caractère très sérieux de l’infraction du demandeur. Avant l’infraction, M. Villanueva Cruz ne semblait pas avoir un style de vie stable qu’aurait démontré le fait de vivre toujours dans un certain endroit ou d’occuper un emploi régulier dans un domaine donné pour un certain temps. Après son entrée au Canada, il a reçu des prestations d’aide sociale, puis il a eu un emploi saisonnier dans une compagnie de clôtures où il travaillait chaque été pendant 4 mois, puis il a eu divers emplois d’ouvriers. […]

 

Je rends ma décision selon laquelle M. Villanueva Cruz constitue un danger pour le public au Canada en étant tout à fait consciente qu’elle est fondée sur une déclaration de culpabilité unique. Bien qu’il y ait dans la vie de M. Villanueva Cruz certains facteurs de renforcement positif, comme le soutien de son ex-belle-mère, ses enfants et un employeur potentiel, ces facteurs ne sont pas suffisants pour le mettre à l’abri d’un acte criminel grave. Je suis d’avis, selon les renseignements dont je dispose, qu’il pourrait récidiver et faire du trafic de drogue en promouvant une drogue indésirable et dangereuse dans la collectivité et la société. Cela demeure au premier plan de mes préoccupations lorsqu’il s’agit de conclure qu’il constitue un danger actuel et futur pour le public au Canada.

 

[7]               La preuve dont la représentante disposait incluait ce qui suit :

  • Le demandeur a été déclaré coupable de trafic une fois, et une peine de 46 mois lui a été imposée; il n’avait aucune déclaration de culpabilité antérieure.
  • À la suite de son arrestation en 2004, il a été libéré sous caution et il est resté dans la collectivité pendant plus d’un an et demi sans qu’un incident ne se produise; il a respecté toutes les conditions de sa liberté sous caution.
  • On a accordé au demandeur une libération conditionnelle totale après qu’il eut purgé seulement 15 des 46 mois de sa peine. Selon ce qui est indiqué dans le « Rapport sur le profil criminel », le service correctionnel a conclu que le demandeur était un bon candidat à la réinsertion sociale. Le rapport contenait en outre les conclusions suivantes :
    • ses activités criminelles étaient liées principalement à ses difficultés financières et à la manipulation qu’il subissait de la part de ses associés du monde criminel;
    • il n’était pas membre d’un gang et n’avait pas de liens avec un gang;
    • il démontrait des tendances à caractère sociable et une forte motivation pour suivre son plan correctionnel.
  • Le demandeur n’avait été accusé d’aucune autre infraction depuis sa libération conditionnelle.

 

[8]               La décision de la représentante était axée sur les motifs que le demandeur avait de commettre le crime. Compte tenu de la preuve, la représentante a conclu (de manière raisonnable à mon avis) que des difficultés financières avaient poussé le demandeur à commettre le crime. Étant donné que sa situation financière n’était pas meilleure au moment où l’avis de danger a été délivré, la représentante du ministre a estimé qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve permettant de conclure qu’il ne récidiverait pas. Cependant, à mon avis, cette conclusion ne tient pas compte de la preuve démontrant que le demandeur avait pris des dispositions pour s’employer à résoudre les difficultés financières qui l’avaient mené à commettre l’infraction initiale de trafic; plus précisément, il envisageait d’accepter un emploi (un emploi apparemment assuré) dans l’industrie de la construction.

 

[9]               La représentante du ministre ne s’est pas penchée adéquatement sur cet élément de preuve. Elle ne mentionne l’emploi potentiel du demandeur que dans sa conclusion suivante : [traduction] « Bien qu’il y ait dans la vie de M. Villanueva Cruz certains facteurs de renforcement positif, comme le soutien de son ex-belle-mère, ses enfants et un employeur potentiel, ces facteurs ne sont pas suffisants pour le mettre à l’abri d’un acte criminel grave ». Il semble à la lecture de cette partie de la décision que la représentante a interprété erronément la preuve parce qu’elle a tenu pour acquis que le demandeur avait des possibilités d’emploi au moment où il a commis l’infraction. En fait, rien dans la preuve n’appuie sa conclusion. De manière plus importante, cela indique que la représentante n’a pas correctement examiné cette preuve lorsqu’elle a tiré sa conclusion selon laquelle la situation financière du demandeur ne s’était pas améliorée à la suite de son incarcération.

 

[10]           La décision de la représentante comporte d’autres problèmes. La représentante du ministre, lorsqu’elle conclut que le demandeur [traduction] « pouvait récidiver et faire du trafic de drogue », ne mentionne pas la plupart des éléments de preuve appuyant sa prétention voulant qu’il soit réhabilité. Par exemple, le demandeur était en liberté sous caution, dans la collectivité, et n’avait pas commis d’infraction depuis 18 mois, avant sa déclaration de culpabilité. Le « Rapport de profil criminel », préparé pour l’évaluation initiale à son incarcération, mentionne la faible probabilité qu’il récidive. Il a obtenu une libération anticipée, en partie compte tenu du faible risque de récidive.

 

[11]           Finalement, il semble également que la représentante du ministre s’est fondée sur sa conclusion selon laquelle le demandeur [traduction] « était englouti parmi des individus associés au commerce de la drogue » pour appuyer sa conclusion générale selon laquelle le demandeur se livrerait probablement de nouveau à des actes criminels liés à la drogue. À mon avis, la conclusion selon laquelle le demandeur était « englouti » dans le commerce de la drogue est arbitraire ou a été tirée sans tenir compte des éléments de preuve. Bien que le demandeur ait pu, au moment où il a commis son acte criminel, être associé à des individus mêlés au commerce de la drogue, et qu’il ait fait usage de cocaïne, rien ne démontre qu’il ait déjà été « englouti » dans ce monde criminel. Quoi qu’il en soit, il y a encore moins d’éléments de preuve pouvant amener la représentante à conclure que, après son incarcération, il avait maintenu ces associations.

 

[12]           Pour les motifs énoncés, je conclus que la décision de la représentante du ministre était déraisonnable, et la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[13]           Je tiens à établir clairement que, par ma décision, je ne conclus pas à l’impossibilité que le présent demandeur puisse être reconnu comme constituant un danger au Canada. Je n’estime pas non plus qu’il soit impossible de délivrer un avis de danger après une unique déclaration de culpabilité. Cependant, pour ce faire, il est impératif qu’un représentant du ministre prenne en compte la preuve dont il dispose. Dans la présente affaire, cela n’a pas été fait.

 

[14]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question aux fins de la certification.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE CE QUI SUIT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au ministre afin qu’un autre de ses représentants rende une nouvelle décision.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2227‑08

 

INTITULÉ :                                       HUGO FRANKLIN VILLANUEVA CRUZ c. MCI et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 novembre 2008

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brenda J. Wemp

 

POUR LE DEMANDEUR

Edward Burnet

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brenda J. Wemp

Avocate

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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