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Date : 20081203

Dossier : IMM-5077-07

Référence : 2008 CF 1347

Montréal (Québec), le 3 décembre 2008

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

GEMMA OLIVARES VARGAS

demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), rendue le 31 octobre 2007, dans le cadre de laquelle la demanderesse s’est vue refuser la qualité de réfugiée au sens de la Convention et de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse, citoyenne du Mexique, est née le 21 juin 1988. Elle allègue essentiellement avoir été victime de violence et avoir été battue par son ancien amoureux, un jeune homme du nom d’Ivan Reyes Guzman, avec qui elle aurait eu une relation à partir du mois de mars 2004.

 

[3]               Après avoir été battue par Ivan le 21 mars 2005, la demanderesse aurait déposé une plainte contre ce dernier deux jours plus tard. Elle aurait alors quitté temporairement l’école, pour n’y retourner qu’à l’automne 2005. 

 

[4]               Le 12 décembre 2005, Ivan se serait présenté à la résidence familiale de la demanderesse et aurait brisé des fenêtres en lançant des pierres. La demanderesse aurait alors déménagé dans une autre résidence familiale, située à Campestre, que son ancien amoureux ne connaissait pas. Pourtant, il l’aurait facilement retracée grâce à ses contacts dans la police, et le 10 janvier 2006, il se serait posté devant chez elle avec deux de ses amis et l’aurait de nouveau menacée. Effrayée, la demanderesse est revenue vivre chez ses parents.  

 

[5]               Le 22 mai 2006, Ivan et deux de ses amis auraient cette fois tenté de kidnapper la demanderesse, bousculant sa mère et frappant son père avec un pistolet. Alertés par les cris de ses sœurs, les policiers seraient arrivés sur les lieux, mais auraient laissé Ivan s’enfuir parce que la mère de la demanderesse aurait refusé de leur donner de l’argent.

 

[6]               La demanderesse prétend avoir par la suite reçu des notes anonymes et des menaces de mort. Le 24 juin 2006, elle a quitté le Mexique en direction du Canada et a revendiqué le statut de réfugiée à son arrivée ici.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]               La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse en raison de l’absence de crédibilité de son récit et de la possibilité d’un refuge interne. Le tribunal a également conclu au rejet de sa demande sous l’article 97 de la LIPR.

 

[8]               Après avoir entendu le témoignage de la demanderesse, la SPR a conclu que cette dernière n’était pas crédible du fait :

- qu’elle s’était contredite quant à la date où elle aurait pris la décision de quitter le Mexique. D’après les notes d’entrevue au point d’entrée, la demanderesse aurait déclaré avoir décidé de quitter le Mexique la première semaine du mois de juin 2006, après que son ex-amoureux l’eut retrouvée et tenté de la kidnapper. Par contre, elle a indiqué lors de son témoignage avoir pris la décision de quitter son pays le 22 mai 2005; confrontée à cette incohérence, elle a alors rectifié en disant qu’il s’agissait plutôt de 2006.

- que son comportement était incompatible avec celui d’une personne ayant une crainte bien fondée de persécution, dans la mesure où elle est retournée vivre à la résidence familiale avec ses parents après avoir été menacée à Campestre;

- qu’il était invraisemblable que son ex-amoureux, âgé de 17 ans, ait pu la retrouver à Campestre grâce à ses contacts dans la police.

 

[9]               La SPR a également conclu que la demanderesse avait une possibilité de refuge interne à Monterrey ou à Leon, deux grandes villes mexicaines. Ayant examiné l’ensemble des circonstances, le tribunal s’est dit d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour la demanderesse d’aller chercher refuge dans l’une ou l’autre de ces deux villes.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Le présent litige soulève essentiellement trois questions de fond : 1) La SPR a-t-elle erré en omettant de considérer les Directives concernant les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives)?  2) La SPR a-t-elle erré en concluant que la demanderesse n’était pas crédible?  3) La SPR a-t-elle erré en concluant à l’existence d’un refuge interne au Mexique?

 

ANALYSE

La norme de contrôle

 

[11]            Il est bien établi que la Cour doit faire preuve de déférence eu égard aux décisions de la SPR touchant à des questions de crédibilité et d’évaluation de la preuve. La décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, n’a pas modifié le texte de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales en vertu duquel cette Cour n’interviendra que si la décision d’un tribunal est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou encore si la décision a été rendue sans que le tribunal ne tienne compte des éléments de preuve dont il disposait.

 

[12]           Il en va de même en ce qui concerne la possibilité de refuge interne. La jurisprudence de cette Cour antérieure à l’arrêt Dunsmuir était à l’effet qu’il fallait appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable en semblable matière. Cette norme ayant été écartée, il nous faut maintenant avoir recours à la norme de la décision raisonnable. Est-ce à dire que la Cour doit maintenant faire preuve d’un plus grand interventionnisme? Pas nécessairement. La Cour suprême n’a pas manqué de rappeler que les cours ne devaient jamais perdre de vue les motifs qui sous-tendent la création d’organismes administratifs par le législateur. Comme elle l’écrivait au paragraphe 49 de l’arrêt Dunsmuir :

La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.

 

[13]           Par conséquent, la Cour doit se garder d’intervenir à moins que la décision contestée soit déraisonnable. Cette évaluation doit se faire au niveau tant de la forme que du fond. Il faut donc examiner la justification de la décision, sa transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, d’une part, et se demander d’autre part si la décision fait partie des solutions possibles acceptables compte tenu des faits et du droit (Dunsmuir, par. 47).

 

 

            Les directives

[14]           La demanderesse a prétendu que la SPR avait omis de prendre en considération les Directives, même si le tribunal a mentionné explicitement en avoir tenu compte à la fin de son analyse. On en veut pour preuve le fait que l’on y fasse allusion comme une formalité obligée, et que l’on n’ait pas tenu compte du jeune âge de la demanderesse, de son inexpérience et de sa méconnaissance d’autres pays que le Mexique dans l’évaluation de son témoignage.

 

[15]           Il est vrai que la simple mention des Directives par la SPR ne permettra pas de conclure qu’il en a véritablement été tenu compte dans la décision. La sensibilité dont doit faire preuve la SPR à l’égard des femmes ayant fait l’objet de persécution en raison de leur sexe doit se matérialiser autrement que par une simple référence formelle et rituelle aux Directives. En revanche, le seul fait que la SPR n’ait pas jugé la demanderesse crédible ne suffira pas pour démontrer son insensibilité à l’égard du sort des femmes. En l’occurrence, je suis d’avis que le tribunal pouvait conclure à l’absence de crédibilité de la demanderesse sur la base des contradictions, omissions et invraisemblances qu’il a relevées dans son témoignage. 

 

[16]           Il est sans doute vrai que la demanderesse était vulnérable et pouvait être ébranlée compte tenu de ce qu’elle dit lui être arrivé. Cela ne permet cependant pas d’expliquer pourquoi elle est retournée vivre chez ses parents après avoir reçu des menaces à Campestre, là même où elle pouvait facilement être retracée, plutôt que de trouver refuge dans une autre grande ville du pays. Si ses parents ont pu obtenir un prêt pour l’envoyer au Canada, sans doute auraient-ils pu également financer sa relocalisation ailleurs au Mexique. Une telle conclusion n’est pas le reflet d’une insensibilité face à sa situation mais découle plutôt d’une appréciation des faits.

 

L’appréciation de la preuve

[17]           La demanderesse a fait valoir que le tribunal avait erré en ne tenant pas compte de la preuve déposée, et notamment de la preuve documentaire abondante relative à l’absence de protection offerte par l’État mexicain. Elle a également soutenu qu’il n’était pas invraisemblable qu’un jeune de 17 ans puisse avoir des amis dans la police, et qu’il puisse retracer la demanderesse partout au Mexique.

 

[18]           Je note tout d’abord que la preuve documentaire ne peut être d’aucun secours à la demanderesse si son récit n’est pas jugé crédible. Le revendicateur du statut de réfugié doit non seulement faire la preuve d’une crainte objective mais également d’une crainte subjective. La situation des femmes victimes de violence conjugale au Mexique n’était pertinente que dans la mesure où la demanderesse pouvait établir qu’elle craignait véritablement d’être persécutée pour ce motif. C’est ce qu’elle n’a pas réussi à établir.

 

[19]           Le procureur de la demanderesse a tenté de convaincre la Cour qu’il était tout à fait possible pour un jeune de 17 ans d’avoir des relations dans la police. C’est là, possiblement, une évaluation qui pourrait être faite. Mais la Cour n’a pas pour mandat de substituer sa discrétion à celle de la SPR, à moins que les conclusions de cette dernière ne puissent être supportées par la preuve ou soient tirées de façon abusive ou arbitraire. Je ne peux en arriver à cette conclusion à la lecture du dossier. Même si j’aurais pu en arriver à une conclusion différente, il ne s’agit pas là du test que je me dois d’appliquer. La SPR a eu l’avantage de voir et d’entendre la demanderesse, de soupeser son témoignage et ses déclarations antérieures, d’examiner son comportement et de considérer ses explications. Elle en est arrivée à la conclusion que son récit ne tenait pas la route. On ne m’a pas convaincu que cette conclusion était déraisonnable au vu de la preuve.

 

Le refuge interne

[20]           La SPR a conclu que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge interne dans d’autres grandes villes du Mexique, notamment à Monterey et à Leon. Ce faisant, le tribunal n’a pas retenu les arguments de la demanderesse selon lesquels son ex-amoureux aurait pu la retracer n’importe où au Mexique grâce aux registres scolaires.

 

[21]           La Cour d’appel fédérale a précisé qu’il appartient au demandeur du statut de réfugié d’établir qu’il ne pourrait se relocaliser dans son pays. Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal devait être convaincu que la demanderesse ne risquait pas sérieusement d’être persécutée dans les villes présentées comme une possibilité de refuge interne, et qu’il n’était pas déraisonnable pour elle compte tenu des circonstances de s’y déplacer. À cet égard, le fardeau du demandeur d’asile est élevé. Comme la Cour d’appel fédérale l’a rappelé dans l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, au par. 15 :

Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions.

 

[22]           Or, la demanderesse n’a pas contesté les conclusions de la SPR au sujet de la possibilité d’un refuge interne. À elle seule, cette conclusion était suffisante pour rejeter la demande d’asile. En effet, la possibilité de refuge interne est inhérente à la notion même de réfugié et de personne à protéger. Quant à l’allégation vague suivant laquelle la demanderesse pourrait être retrouvée partout au Mexique à partir des registres scolaires, elle m’apparaît sans fondement et n’a été corroboré par aucune preuve.

 

[23]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soumise pour fins de certification, et aucune ne mérite d’être certifiée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5077-07

 

INTITULÉ :                                       GEMMA OLIVARES VARGAS c. M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 2 décembre 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Manuel Centurion

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Manuel Centurion

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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