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Date : 20081110

Dossier : IMM‑5062‑07

Référence : 2008 CF 1252

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2008

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

MEFITHU LIBAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Mefithu Liban a sollicité un examen des risques auxquels il serait exposé s’il était renvoyé dans son pays de citoyenneté, l’Éthiopie. Un agent d’immigration s’est penché sur la question et a conclu, sans tenir une audience, que M. Liban n’avait pas démontré qu’il existait plus qu’une simple possibilité de persécution ou de préjudice grave.

 

[2]               Monsieur Liban soutient que la décision de l’agent devrait être annulée parce qu’il s’était engagé à tenir une audience, parce que dans les circonstances une audience était requise suivant la loi et parce qu’il a commis des erreurs dans son examen de la preuve. M. Liban me demande d’ordonner qu’un nouvel examen soit effectué par un autre agent. J’ai conclu que l’agent avait l’obligation de tenir une audience dans les circonstances. Par conséquent, je vais accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre agent effectue un nouvel examen des risques auxquels serait exposé M. Liban.

 

[3]               Compte tenu de ma conclusion selon laquelle une audience était requise selon la loi, je vais circonscrire mes motifs à cette unique question.

 

I.        Le contexte factuel

 

[4]               Monsieur Liban vit au Canada depuis 1995. Il est devenu un résident permanent compte tenu du parrainage de son épouse. Ils ont divorcé depuis. On a ordonné le renvoi du Canada de M. Liban en raison de son dossier criminel. L’appel qu’il a interjeté à l’égard de l’ordonnance de renvoi a été rejeté. À ce moment, il a sollicité un examen des risques avant renvoi. Il a expressément demandé la tenue d’une audience.

 

[5]               L’agent chargé de l’examen a communiqué avec l’avocat de M. Liban en vue d’établir une date qui conviendrait pour la tenue d’une audience. Ils ont discuté de différentes dates. Toutefois, l’agent a rendu sa décision avant qu’une entente intervienne quant à une date d’audience.

 

II.     La décision de l’agent

 

[6]               L’agent a d’abord mentionné que la Section d’appel de l’immigration avait conclu que M. Liban n’avait pas été un témoin digne de foi lors de l’appel de l’ordonnance de renvoi prise à son endroit. Il a en outre mentionné que, dans les circonstances, la tenue d’une audience n’était pas requise selon la loi.

 

[7]               Monsieur Liban avait indiqué que sa crainte d’être renvoyé en Éthiopie était liée à sa bisexualité et à sa dépendance à l’alcool. L’agent a examiné la preuve de M. Liban à l’égard des deux liaisons qu’il avait entretenues avec des hommes, en particulier avec un homme nommé « Jimmy », et a conclu ce que suit : [traduction] « Le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs permettant d’appuyer ses déclarations quant à sa liaison avec Jimmy " ». L’agent a en outre écarté la possibilité que des membres de la collectivité éthiopienne de Toronto, qui connaissaient l’orientation sexuelle de M. Liban, transmettent ce renseignement en Éthiopie.

 

[8]               À l’égard de l’alcoolisme de M. Liban, l’agent a conclu qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour appuyer sa crainte de subir de mauvais traitements en Éthiopie. L’agent n’entendait pas tirer à l’égard de cette question une conclusion quant à la crédibilité. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je souligne que je ne tire pas une conclusion quant à la crédibilité. Je n’ai pas conclu que le demandeur n’a pas une dépendance à l’égard de certains produits; j’ai conclu qu’il ne m’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pouvant me convaincre qu’il souffre d’une dépendance ».

 

[9]               L’agent a reconnu que l’homosexualité constitue une infraction criminelle en Éthiopie et que, selon le Coran, il s’agit d’une infraction passible de mort. Il a en outre semblé reconnaître que des gens souffrant d’une dépendance subissent de mauvais traitements en Éthiopie.

 

[10]           En fin de compte, l’agent a conclu que M. Liban n’était exposé à rien de plus qu’une simple possibilité de préjudice.

 

III.   La tenue d’une audience est-elle requise?

 

[11]           Monsieur Liban soutient que l’agent s’était engagé à tenir une audience. Par conséquent, M. Liban avait une attente légitime à ce qu’une audience soit tenue avant que l’examen des risques soit achevé. Les affidavits respectifs de l’agent et de l’avocat qui représentait auparavant M. Liban énoncent des souvenirs différents à l’égard de leurs communications sur le sujet. Il m’apparaît que l’agent a donné l’impression, à tout le moins, qu’il tiendrait une audience, mais une impression n’est pas suffisante pour créer une attente légitime.

 

[12]           Toutefois, à mon avis, une audience devait être tenue selon la loi. En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, une audience devrait être tenue lorsque certains facteurs réglementaires sont présents (alinéa 113b); voir l’annexe et voir également la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 39 (QL)). Essentiellement, les facteurs à prendre en compte sont les suivants : a) l’existence d’éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur; b) l’importance de ces éléments de preuve pour la demande de protection; et c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, article 167, voir l’annexe).

 

[13]           Je suis convaincu selon les motifs de l’agent qu’une audience devait être tenue en l’espèce. Premièrement, l’agent a semblé mettre considérablement l’accent sur les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Section d’appel de l’immigration. Deuxièmement, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs permettant d’appuyer la prétention de M. Liban selon laquelle il avait une liaison avec Jimmy. Troisièmement, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs permettant d’appuyer la prétention de M. Liban voulant qu’il soit alcoolique. Quatrièmement, l’agent a semblé admettre le fait que des homosexuels et des alcooliques seraient exposés à de mauvais traitements en Éthiopie. Par conséquent, si les éléments de preuve présentés par M. Liban à l’égard de son orientation sexuelle et de son alcoolisme avaient été acceptés, l’agent aurait vraisemblablement accepté la demande.

 

[14]           À mon avis, lorsque l’agent a déclaré qu’il n’y avait pas [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve objectifs » permettant d’appuyer les affirmations de M. Liban, ce qu’il disait en fait c’est qu’il ne croyait pas M. Liban et que ce n’est que si M. Liban avait présenté des éléments de preuve objectifs pouvant corroborer ses affirmations qu’il les aurait crues. À mon avis, ces conclusions portent sur la crédibilité de M. Liban. Elles constituaient des éléments importants pour sa demande. L’agent, s’il avait cru M. Liban, compte tenu des éléments de preuve documentaire qu’il a admis, aurait vraisemblablement conclu que M. Liban était exposé à des risques.

 

[15]           Par conséquent, l’agent devait tenir une audience.

 

IV.  Conclusion et dispositif

 

[16]           Dans les circonstances, l’agent devait tenir une audience. Je vais ordonner qu’un autre agent procède à un examen des risques auxquels serait exposé M. Liban s’il était renvoyé en Éthiopie. L’agent chargé de procéder à un nouvel examen devra tenir une audience. Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé la certification d’une question de portée générale et aucune telle question n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et un nouvel examen des risques auxquels serait exposé M. Liban devra être effectué par un autre agent après la tenue d’une audience.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly « 

Juge

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.

 


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Examen de la demande

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

[…]

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Facteurs pour la tenue d’une audience

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

Consideration of application

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Hearing — prescribed factors

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5062‑07

 

INTITULÉ :                                       MEFITHU LIBAN c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Simone Dahan

POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

REFUGEE LAW OFFICE

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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