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Date : 20081103

Dossier : T-1215-07

Référence : 2008 CF 1220

Toronto (Ontario), le 3 novembre 2008

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

STANLEY LEONARD POMFRET

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Stanley Pomfret allègue qu’un sous-commissaire principal (le SCP) du Service correctionnel du Canada (le SCC) a à tort rejeté sa demande qui visait à obtenir le remboursement de certains objets d’artisanat dont il avait subi la perte en 2006, lors de son transfert d’établissement.

 

[2]               M. Pomfret me demande d’annuler la décision du SCP. Je suis d’avis que le SCP a commis une erreur et j’ordonnerai que l’affaire soit réexaminée par un autre décideur.

 

[3]               La question est de savoir si la décision du SCP était déraisonnable.

 

I.        Contexte factuel

 

[4]               En mars 2006, M. Pomfret a été transféré de l’établissement Mountain à l’établissement Kent. Ses effets personnels ont été empaquetés par des codétenus du SCC. En juin 2006, M. Pomfret a fait une réclamation pour effets personnels perdus en invoquant la perte d’une grande quantité d’objets d’artisanat de valeur – 650 paquets de billes et 80 paquets d’aiguilles. Il prétend que la valeur de ces objets s’élevait à environ 2 000 $.

[5]               En août 2006, la directrice intérimaire de l’établissement Mountain était d’accord avec M. Pomfret pour dire que la politique du SCC avait été violée du fait que ses effets personnels avaient été empaquetés par des détenus plutôt que par le personnel du SCC. Cependant, elle a refusé la réclamation de M. Pomfret au motif que ces articles, une fois empaquetés, lui avaient bel et bien été expédiés.

 

[6]               M. Pomfret a interjeté appel de la décision de la directrice intérimaire et, en novembre 2006, un sous-commissaire adjoint a encore une fois rejeté sa réclamation. Ce dernier a souligné que M. Pomfret n’avait pas produit de reçus pour les articles réclamés. En outre, les dossiers montraient qu’une grande quantité d’objets d’artisanat lui avaient bel et bien été expédiés à Kent.

 

[7]               M. Pomfret a porté sa réclamation au palier suivant et le SCP l’a rejetée de nouveau le 17 mai 2007. Le SCP a conclu que M. Pomfret avait reçu contre signature une grande quantité de billes et d’aiguilles à l’établissement Kent. De plus, il a précisé que M. Pomfret n’avait pas réussi à prouver qu’il possédait ces objets à l’établissement Mountain avant son transfert. Enfin, le SCP a ajouté que les objets en question étaient des « effets de consommation » et, par conséquent, qu’ils ne faisaient normalement pas l’objet d’un dédommagement en vertu de la Directive du commissaire (DC – 234 – Réclamations contre l’état et programme d’indemnisation des délinquants en cas d’accident, au paragraphe 29 (voir annexe « A »)).

 

II.     La décision du SCP était-elle raisonnable?

 

[8]               Je peux annuler la décision du SCP que si je conclus qu’elle était déraisonnable.

[9]               Les observations élaborées de M. Pomfret soulèvent trois grandes questions en ce qui concerne la décision du SCP. Premièrement, le SCP a conclu, comme l’avaient fait les décideurs antérieurs, que M. Pomfret avait reçu de nombreux articles de loisirs, dont des billes et des aiguilles, à Kent après son transfert de l’établissement Mountain. En effet, sa liste d’articles de loisirs est assez longue, mais elle ne semble pas indiquer une quantité de billes et d’aiguilles qui soit le moindrement proche de celle réclamée par M. Pomfret. Aucun des décideurs n’a trouvé les objets précisément en cause sur sa liste d’articles de loisirs.

 

[10]           Deuxièmement, M. Pomfret a remis au SCP la lettre d’un codétenu, M. Gray, qui affirmait avoir vu à l’établissement Mountain des détenus échanger les billes de M. Pomfret contre du tabac. Sachant que ces billes appartenaient à M. Pomfret, M. Gray en a saisi 400 flacons à lui seul. Étant donné qu’il avait aussi été transféré à l’établissement de Kent, il a laissé entendre que les billes auraient dû figurer sur la liste du contenu de sa cellule. Un analyste du SCC a examiné cette lettre et, dans une recommandation au SCP concernant la réclamation de M. Pomfret, il a affirmé que  [traduction]  « même s’il a fourni une déclaration signée par un autre détenu, la validité de cette déclaration est incertaine ». Le SCP n’a pas fait référence à cette déclaration ni donner les motifs pour lesquels il la discréditait.

 

[11]           Troisièmement, le SCP n’explique pas sa conclusion selon laquelle les billes et les aiguilles sont des « effets de consommation » et, par conséquent, qu’elles ne justifient pas un dédommagement. La Directive applicable énonce que les réclamations ayant trait à des objets « périssables ou de consommation ne sont normalement pas admises ». Cependant, une exception s’applique lorsque les « circonstances entourant la perte de ces effets ou les dommages causés à ceux-ci justifient le paiement d’un dédommagement (p.ex., si l’objet n’a pu être consommé ou utilisé avant sa perte ou son endommagement) ».

 

[12]           Cette Directive semble viser des articles qui peuvent facilement être consommés. Elle n’indique pas clairement si elle s’applique aux objets d’artisanat. De plus, comme l’a signalé lui‑même le SCP, les effets personnels de M. Pomfret ont été empaquetés contrairement à la politique du SCC. Le SCP ne répond pas à la question de savoir si les circonstances permettaient de justifier le paiement d’un dédommagement, même si les billes et les aiguilles pouvaient être considérés comme des effets de consommation. Il ne me semble pas non plus que ces objets pouvaient être « consommé[s] ou utilisé[s] » si rapidement. Enfin, le permis de loisirs de M. Pomfret énonce expressément que les effets de consommation ne devraient pas figurer à la liste des effets personnels, ce qui explique en partie pourquoi M. Pomfret a été dans l’impossibilité d’établir de manière satisfaisante qu’il avait été en possession des objets réclamés.

 

[13]           Compte tenu de tous ces facteurs, je conclus que la décision du SCP n’est pas raisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

III.   Conclusion et décision

 

[14]           Je conclus que le SCP a omis de tenir compte d’importants éléments de preuve produits par M. Pomfret et d’analyser la question de savoir ce dernier devait recevoir un dédommagement pour la perte de ses effets personnels, même ceux-ci pouvaient être considérés comme des effets de consommation.

[15]           J’ordonnerai qu’un autre décideur réexamine la réclamation de M. Pomfret. Ayant agi pour son propre compte, M. Pomfret n’a pas droit à des honoraires d’avocat, mais il a droit aux débours.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour réexamen.

2.                  Le demandeur a droit aux débours.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 

 


Annexe « A »

Directive du commissaire – 234 – Réclamations contre l’état et programme d’indemnisation des délinquants en cas d’accident, datée du 15 avril 2003

 

Effets périssables et de consommation

 

29.  Les réclamations ayant trait à des objets périssables ou de consommation ne sont normalement pas admises. Une offre de règlement ne doit être faite que lorsque les circonstances entourant la perte de ces effets ou les dommages causés à ceux-ci justifient le paiement d’un dédommagement (p.ex., si l’objet n’a pu être consommé ou utilisé avant sa perte ou son endommagement).

Commissioner’s Directive -234 – Claims Against the Crown and the Offender Accident Compensation Program, dated April 15, 2003

 

 

Perishable and Consumable Effects

 

29.  Claims regarding perishable and consumable effects shall normally not be accepted. A settlement offer may only be made for these items when the circumstances of the loss or damage justify the payment of compensation (e.g. the property could not have been consumed or used prior to its loss or damage).

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1215-07

                                                           

 

INTITULÉ :                                       STANLEY LEONARD POMFRET c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stanley Leonard Pomfret

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Lisa Laird

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STANLEY LEONARD POMFRET

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

JOHN SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LE DÉFENDEUR

 

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