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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081028

Dossier : IMM-1875-08

Référence : 2008 CF 1208

ENTRE :

DARIA GLUKHOVA

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON

 

I.  Introduction

[1]               Les présents motifs découlent d’une audience tenue le 21 octobre 2008 concernant le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 mars 2008 par la Section de la protection des réfugiés (le Tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle le Tribunal a conclu que la demanderesse n’avait, au Canada, ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.  

 

 

II.  Le contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Russie, et elle avait 21 ans au moment de l’audience de la Cour.

 

[3]               La demanderesse a affirmé dans son témoignage devant le Tribunal et dans un affidavit présenté à la Cour que, entre 12 et 14 ans, elle s’est rendu compte qu’elle était « différente » de ses amies. Dès l’âge de 14 ans, a‑t‑elle affirmé, elle a eu des fantasmes d’ordre sexuel envers une autre fille. Elle en a déduit qu’elle était lesbienne. En outre, elle a estimé que la Russie était un endroit dangereux pour les gais et les lesbiennes, et elle a donc décidé de cacher son orientation sexuelle et de n’en parler à personne, pas même à ses parents.

 

[4]               Avant de terminer ses études en Russie, la demanderesse a fait deux voyages à l’étranger pendant son adolescence. Une fois ses études terminées en Russie, elle est venue au Canada en janvier 2006 munie d’un permis d’études. Pendant son séjour Canada, elle s’est efforcée d’améliorer ses aptitudes langagières en anglais et, de façon semblable, elle a estimé que les Canadiens, en général, avaient une attitude bien plus tolérante envers les gais et lesbiennes que les Russes.

 

[5]               Lorsqu’elle a terminé ses études au Canada, la demanderesse est retournée en Russie en août 2006. Elle a révélé son orientation sexuelle à ses parents qui ont appuyé les efforts qu’elle déployait pour rester maître de la situation difficile dans laquelle elle se trouvait. Moins d’un mois après être retournée en Russie, soit le 20 septembre 2006, la demanderesse est revenue au Canada, appuyée par ses parents, et elle a demandé l’asile le 13 octobre 2006.     


III.  La décision contestée

[6]               Dans les premiers paragraphes de sa décision, le Tribunal a écrit ce qui suit :

Afin de rendre une décision, j’ai pris en considération les directives données par le président, l’âge et le niveau d’éducation de la demandeure d’asile et le fait qu’en Russie, un État homophobe, l’homosexualité est considérée comme de la perversion ou un trouble mental. L’attitude à l’égard de l’homosexualité évolue progressivement, en particulier dans les régions urbaines, mais la plupart des gais et lesbiennes ne peuvent pas vivre librement et ouvertement.

 

 

[7]               Le Tribunal a néanmoins conclu que la demanderesse n’avait, au Canada, ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger, étant donné que sa crainte d’être persécutée en Russie n’était pas fondée sur l’un des motifs prévus à la Convention.

 

[8]               Le Tribunal a conclu que l’identité de la demanderesse, en tant que citoyenne de la Russie, avait été établie, et que son identité, en tant que lesbienne, constituait un facteur déterminant dans le rejet de sa demande. Il a conclu que les gestes de la demanderesse ne semblaient pas correspondre à ceux d’une personne fuyant la persécution.

 

[9]               Le Tribunal a écrit ce qui suit :

La demandeure d’asile a quitté la sécurité que lui offrait le Canada en août 2006, après un séjour de huit mois, sans avoir demandé l’asile; elle a quitté le pays volontairement pour rentrer en Russie, son pays natal. La demandeure d’asile a également soutenu qu’elle craignait pour sa sécurité en Russie depuis 2001, en raison de son orientation sexuelle. La Section de la protection des réfugiés (SPR) reconnaît que certains demandeurs d’asile se sentent tenus de retourner dans leur pays d’origine en dépit des risques apparents auxquels ils font face, mais seulement dans des circonstances exceptionnelles, comme un décès ou une maladie grave dans la famille proche, ou encore d’autres urgences familiales graves. En l’espèce, la demandeure d’asile s’est réclamée de nouveau de la protection sans de tels motifs ni de telles urgences.

 

 

[10]           En résumé, le Tribunal a conclu que le choix de la demanderesse de retourner en Russie pour aller révéler son orientation sexuelle à ses parents et la peur qu’elle avait ressentie dans cette situation et qui l’avait motivée à fuir la Russie n’équivalait pas à des « circonstances exceptionnelles », à une « maladie grave » ou à « d’autres urgences familiales graves ».

 

[11]           Le Tribunal a également noté que l’omission de la demanderesse de se réclamer de la protection d’autres pays, lorsqu’elle en avait eu l’occasion, à l’adolescence, et de quitter définitivement la Russie, équivalait à se réclamer de nouveau de la protection de la Russie de façon injustifiée.

 

[12]           Après avoir conclu que le fait que la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de la Russie établissait que sa crainte n’était pas bien fondée, le Tribunal a formulé des commentaires au sujet d’autres réserves appuyant la conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. Le Tribunal a mentionné une « omission substantielle majeure » lors d’une « entrevue avec CIC » concernant une relation homosexuelle qu’elle avait entamée alors qu’elle était au Canada. Le Tribunal a clairement mal interprété les faits dont il disposait à ce sujet étant donné que la relation n’a débuté qu’au début de 2007, après que la demanderesse eut déposé son FRP et passé l’entrevue avec CIC. Néanmoins, la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas modifié son FRP avant le début de l’audience en l’espèce afin de dévoiler sa relation homosexuelle.

 

[13]           Le Tribunal a exprimé des réserves concernant l’omission de la demanderesse de fournir des éléments de preuve corroborant sa prétention d’être homosexuelle, et la preuve documentaire déposée à cet égard ne l’a pas convaincu.

 

IV.  Les questions en litige

[14]           L’avocat de la demanderesse a soulevé un éventail de problèmes concernant l’analyse du Tribunal, lesquels, soutient‑il, rendent la décision contestée indéfendable. Ces problèmes sont notamment la non‑prise en compte par le Tribunal de l’âge de la demanderesse et de son lien de dépendance avec ses parents – ce qui fausserait l’analyse aboutissant à la conclusion que la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de la Russie –, qu’il aurait mal compris ou mal interprété la preuve dont il disposait et qu’il aurait procédé à une analyse trop pointilleuse de certains éléments de preuve dont il disposait.

 

V.  Analyse

[15]           Je suis convaincu que certains éléments de la décision contestée sont discutables. En particulier, je considère comme étant discutable l’omission du Tribunal de reconnaître le lien de dépendance de la demanderesse envers ses parents lorsque la demanderesse, alors adolescente, voyageait en Europe, ainsi que l’incidence de son âge et de cette dépendance sur le fait qu’elle s’était alors réclamée de nouveau de la protection de la Russie. À l’opposé, je trouve particulièrement difficile de justifier que la demanderesse ait choisi de retourner en Russie en avril 2006 pour révéler son orientation sexuelle à ses parents et pour leur expliquer la peur qu’elle ressentait sans d’abord avoir présenté une demande d’asile au Canada étant donné la crainte qu’elle prétendait avoir. En Russie, la demanderesse n’a rien révélé qui aurait pu être interprété comme corroborant le bien‑fondé de sa crainte. De façon semblable, sa conduite la première fois qu’elle est venue au Canada et, lorsqu’elle est revenue – à savoir qu’elle n’avait pas réellement tenté d’ajouter du poids à sa demande –, pouvait légitimement être interprétée par le Tribunal comme étant incompatible avec une crainte légitime de persécution qu’aurait pu avoir la demanderesse si elle avait dû retourner en Russie dans des circonstances où son orientation sexuelle pourraient très bien être connue du public.

 

[16]           Selon la prépondérance de la preuve, et au regard de la norme applicable, la raisonnabilité, ou d’une analyse des conclusions de fait fondée sur l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, je suis convaincu qu’il était loisible au Tribunal de rendre la décision contestée. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


VI.  La certification d’une question

[17]           Les avocats ont été informés de la décision de Cour à la clôture de l’audience. Ils n’ont proposé aucune question aux fins de certification. La Cour est convaincue qu’aucune question grave de portée générale, qui pourrait être déterminante si l’on interjetait appel de la présente décision, ne découle de l’espèce. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge suppléant

 

 

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 octobre 2008

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1875-08

 

INTITULÉ :                                                   DARIA GLUKHOVA c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 21 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 OCTOBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yerzy

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

David Yerzy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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