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Date : 20081006

Dossier : IMM-783-08

Référence : 2008 CF 1120

Toronto (Ontario), le 6 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

NAI QIANG ZHANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une requête mal rédigée visant à rouvrir une demande d’asile dont la réponse a été tout aussi mal rédigée.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et j’annule la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 29 janvier 2008, dans laquelle la requête du demandeur visant à faire rouvrir sa demande d’asile avait été rejetée.

 

CONTEXTE

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Chine qui a quitté Hong Kong et est arrivé au Canada le 1er avril 2005. Quelques jours plus tard, il a présenté une demande d’asile, dans laquelle il alléguait craindre d’être persécuté par le corps de police du Bureau de la sécurité publique de la Chine du fait de son appartenance à une église chrétienne clandestine. Sa demande a été rejetée le 12 avril 2006, au motif qu’il n’avait pas clairement établi son identité en tant que résident de la Chine continentale.  Aucune demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision n’a été déposée.

 

[4]               Au cours de l’audience, il y a eu un désaccord entre l’avocate du demandeur et la commissaire sur la façon dont cette dernière avait traité un document original. La commissaire avait utilisé un surligneur pour indiquer à l’interprète un passage sur lequel elle voulait qu’il attire l’attention du demandeur. L’avocate a reproché à la commissaire d’avoir « défiguré » le document. Une plainte officielle relativement à la conduite de la commissaire a ensuite été déposée auprès de la Commission. La plainte a été déposée avant que la commissaire ne rende sa décision quant à la demande.

 

[5]               Plusieurs mois après que la commissaire eut rendu sa décision, le demandeur a sollicité des titres de voyage auprès de l’ambassade de Chine. Lorsqu’il a obtenu les documents en question, le demandeur a présenté une requête pour faire rouvrir sa demande d’asile en vertu de l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés DORS 2002/228. D’après le demandeur, cette nouvelle pièce établissait son identité en tant que citoyen de la Chine continentale. De toute évidence, il souhaitait que sa demande d’asile soit entendue sur le fond.

 

[6]               La demande de réouverture a été rejetée sans motif écrit. Une mention au dossier, datée du 20 janvier 2008, se lit comme suit :

[traduction]

La demande de réouverture présentée par l’avocate est rejetée. L’avocate savait que le demandeur devait établir son identité ce qui, selon la commissaire qui a présidé l’audience, n’a pas été fait. En outre, le demandeur aurait pu solliciter une demande d’autorisation et de contrôle auprès de la Cour fédérale mais a choisi de ne pas le faire. La requête est rejetée.

 

QUESTION EN LITIGE

[7]               Dans son mémoire, le demandeur a soutenu que la question était de savoir si la Commission avait commis une erreur par son omission de fournir des motifs écrits à l’appui de sa décision. Cette question a été débattue par les avocats et sera examinée plus loin mais, à la lumière des observations orales présentées à la Cour, la véritable question est de savoir si les motifs fournis étaient suffisants selon la loi.

 

ANALYSE

[8]               Le demandeur soutient que la Commission ne s’est pas conformée à l’alinéa 169b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui exige que les décisions autres qu’interlocutoires soient motivées par écrit. Il allègue que la décision de ne pas rouvrir sa demande est de nature définitive et non interlocutoire. L’alinéa 169b) est ainsi rédigé :

169. Les dispositions qui suivent s’appliquent aux décisions, autres qu’interlocutoires, des sections :

a) (…)

     b) elles sont motivées;

169. In the case of a decision of a Division, other than an interlocutory decision:

 

       (a) (…)

      (b) reasons for the decision

           must be given;

 

Le demandeur soutient également que la mention au dossier ne peut être considérée comme des motifs.

 

[9]               Le défendeur soutient que la mention au dossier fait partie de la décision et qu’elle constitue des motifs écrits. Il fait valoir que, bien que brève, la mention informe le demandeur des motifs pour lesquels sa demande de réouverture a été rejetée. Le défendeur se fonde sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, et en particulier sur les paragraphes 33, 46 et 53, pour appuyer sa proposition selon laquelle l’exigence de motiver une décision devrait recevoir une interprétation fonctionnelle et fondée sur l’objet. Le rôle et l’objet des motifs, selon le défendeur, est d’informer les parties que les questions ont été examinées et qu’elles peuvent faire valoir tout droit d’appel ou de contrôle judiciaire. Il soutient que la mention répond à ces critères.

 

[10]           Le juge Simpson, dans Shahid c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1607, a conclu que la décision d’un commissaire de rejeter une requête visant à faire rouvrir une demande d’asile est définitive, et qu’elle doit donc être motivée conformément à l’alinéa 169b) de la Loi. Le juge Mosley est arrivé à une conclusion contraire dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1153 et Vranici c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1417. Bien que je sois d’avis que l’analyse du juge Simpson est correcte et qu’une décision de ne pas rouvrir une demande est définitive, je suis aussi d’avis que la question de savoir si la décision est définitive ou interlocutoire importe peu. Il faut motiver une décision peu importe sa nature. Le juge Mosley dans Ali et Vranici a conclu que, compte tenu de l’incidence du rejet d’une demande de réouverture, qui peut pour ainsi dire mettre un terme à une demande d’asile, « le demandeur doit […] pouvoir obtenir des motifs écrits ». 

 

[11]           Je suis d’accord avec lui. De plus, à mon avis, la mention constitue les motifs de la décision faisant l’objet du présent contrôle. C’est pour cette raison que j’estime que la véritable question en litige est de savoir si la mention constitue des motifs suffisants pour justifier le rejet de la demande. Cette question exige, en retour, que l’on analyse le fondement de la requête visant à faire rouvrir la demande d’asile.

 

[12]           La demande de réouverture fondée sur l’article 55 a été présentée par l’avocate dans une lettre accompagnée d’un affidavit du demandeur. L’avocate n’a pas précisément exposé les motifs sur lesquels elle se fondait pour demander la réouverture de la demande d’asile. Elle a écrit : [traduction] « Le demandeur veut faire rouvrir son dossier pour les motifs suivants : […]. » Elle a ensuite rédigé onze paragraphes qui traitent de la décision de la SPR, de la preuve dont celle-ci disposait, de la conduite de la commissaire liée à un document surligné et de la nouvelle pièce prouvant l’identité du demandeur, à savoir, les titres de voyage chinois que le demandeur avait obtenus. Elle a terminé en affirmant : [traduction] « Étant donné que la Commission n’a entendu aucune preuve quant au fond de la demande d’asile et qu’elle a conclu que le demandeur n’était pas de nationalité chinoise, je fais respectueusement valoir qu’il y a lieu de rouvrir la demande pour que la Section du statut de réfugié puisse l’examiner au fond. »

 

[13]           Il est impossible de déterminer avec certitude les motifs qui ont été exactement invoqués à l’appui de la demande de réouverture. Il semble que la commissaire qui a rejeté la demande de réouverture ait été d’avis que le seul motif invoqué était l’existence d’un nouvel élément de preuve pour établir l’identité du demandeur, puisque c’est tout ce dont il a été question dans la mention.

 

[14]           Si ce motif était le seul invoqué à l’appui de la demande de réouverture, la mention de la commissaire est insatisfaisante pour deux raisons. Premièrement, il a été décidé que la Commission ne peut rouvrir une demande fondée sur l’article 55 que s’il y a eu manquement à l’équité procédurale : voir Krishnamoorthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 237, outre les décisions citées plus haut. L’allégation relative à l’existence d’un nouvel élément de preuve ne constituait pas une allégation de manquement à l’équité procédurale. Ainsi, si ce motif était le seul invoqué pour soutenir la demande de réouverture, la commissaire aurait dû tout simplement indiquer que l’existence d’un nouvel élément de preuve ne constituait pas un motif permettant de rouvrir la demande. 

 

[15]           Ce qui m’amène maintenant à la deuxième raison pour laquelle la mention est insatisfaisante. La mention ne dit rien de plus que ce que le demandeur savait déjà, à savoir qu’il devait établir son identité, et qu’il ne l’avait pas fait à la satisfaction de la commissaire ayant présidé l’audience. Rien n’indique au demandeur pourquoi son nouvel élément de preuve n’était pas suffisant pour rouvrir sa demande. La mention indique aussi que le demandeur aurait pu solliciter une demande d’autorisation et de contrôle auprès de la Cour mais qu’il ne l’a pas fait. Si cette mention visait à informer le demandeur de l’impossibilité de rouvrir sa demande faute d’avoir présenté une demande d’autorisation et de contrôle de la décision, elle est erronée. Une demande peut être rouverte par la SPR s’il y a eu manquement à l’équité procédurale peu importe si la Cour a ou non examiné la décision initiale.

 

[16]           La Cour suprême, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 43, a déclaré que les motifs, en matière administrative, constituent une « explication écrite de la décision ». Dans l’affaire qui nous occupe, la  question qu’il faut se poser, dans le cas où la demande de réouverture ne visait qu’à présenter le nouvel élément de preuve, est la suivante : [traduction] « La mention explique-elle au demandeur les raisons pour lesquelles ce nouvel élément de preuve était insuffisant pour rouvrir sa demande? » À mon avis, il n’y a aucun doute que la mention ne donne absolument aucune explication quant aux raisons pour lesquelles la demande ne pouvait être rouverte compte tenu de l’existence du nouvel élément de preuve. La mention ne renferme pas des motifs insuffisants; elle n’en renferme absolument aucun.

 

[17]           Pour ce seul motif, la demande d’annulation doit être accueillie.

 

[18]           Cependant, j’estime que la demande de réouverture présentée à la Commission reposait sur  plus que la simple allégation de l’existence d’un nouvel élément de preuve, puisqu’elle reposait aussi, en partie, sur la conduite de la commissaire. La requête soulevait une question d’équité procédurale et de justice naturelle qui, si elle était fondée, exigeait que la Commission ordonne la réouverture de la demande.

 

[19]           J’ai déjà mentionné que la lettre de l’avocate, bien qu’elle décrive le désaccord qui existait avec la première commissaire au sujet du document surligné, n’indique pas clairement qu’il y aurait eu manquement à l’équité procédurale. Cependant, je suis d’avis que l’affidavit du demandeur qui accompagnait la requête le précisait clairement. Dans son affidavit M. Zhang a affirmé : [traduction] « Je crois que le désaccord entre mon avocate et la commissaire a dû influencer cette dernière dans sa décision défavorable à mon égard […]. » [Non souligné dans l’original.] À mon avis, cette affirmation était suffisante pour alerter la SPR du fait qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle par la commissaire saisie de l’affaire. L’affirmation constituait une allégation de partialité portée contre la commissaire ou, subsidiairement, une allégation selon laquelle la commissaire n’avait pas rendu la décision qu’à partir de la preuve dont elle disposait, mais qu’elle avait été influencée par des considérations inappropriées. Autrement dit, le demandeur faisait valoir que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale n’avaient pas été respectées à son égard.

 

[20]           Comme je l’ai dit précédemment, cet aspect de la demande n’a absolument pas été traité dans la mention par laquelle la commissaire a rejeté la requête visant à faire rouvrir la demande d’asile. Par conséquent, les motifs sont insuffisants selon la loi et la décision doit être annulée.

 

[21]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question aux fins de certification et, compte tenu des faits, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande de réouverture est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour réexamen.

 

                                                                                                             « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-783-08

 

INTITULÉ :                                       NAI QIANG ZHANG c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay

POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEWIS & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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