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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081014

Dossier : T‑1761‑05

Référence : 2008 CF 1158

Toronto (Ontario), le 14 octobre 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROTONOTAIRE KEVIN R. AALTO

 

ENTRE :

GREGORY J. MCMASTER

demandeur

 

 

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I. Introduction

[1]               « Chacun sait le mieux où son soulier le blesse », dit le proverbe, illustré en l’occurrence par les mésaventures d’un détenu de l’Établissement Fenbrook (Fenbrook) à qui n’allaient pas les nouvelles chaussures de course fournies par la défenderesse et qui n’est pas arrivé sans mal à trouver chaussure à son pied.

 

[2]               Les chaussures en question n’étaient pas de la pointure 13‑4E. En tant que détenu, le demandeur a droit à une nouvelle paire de chaussures chaque année. Les nouvelles chaussures de course commandées pour lui ne lui allaient pas, de sorte qu’il a continué à porter ses vieilles. Un jour qu’il se trouvait au milieu de sa séance d’entraînement habituelle, le pied lui a manqué, il est tombé sur son genou droit et il s’est déchiré le ligament du ménisque médial. Il portait alors ses vieilles chaussures de course, qui étaient considérablement usées. Cet accident a eu pour conséquences des douleurs au genou et une perte de mobilité. Par suite de cette lésion, il est en outre tombé en prenant sa douche, ce qui a aggravé son mal. Il réclame des dommages-intérêts pour ces préjudices.

 

[3]               La cause de la présente action est fondée sur le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. Les faits de la présente espèce soulèvent également les questions suivantes : la négligence de la victime, la quantification des dommages-intérêts et les conclusions défavorables pour la défenderesse qui peuvent être tirées du fait que cette dernière n’a pas cité un témoin important qu’il lui eût été possible de produire. 

 

[4]               La présente instance est une action simplifiée. Quatre témoins ont déposé, et leur preuve principale a été produite sous forme d’affidavits. Le premier de ces témoins était le demandeur, qui a déposé un affidavit aussi long que détaillé, accompagné de nombreuses pièces. Mme Cristol Smyth, docteure en podologie, a proposé à l’appui des prétentions du demandeur une preuve d’expert touchant l’état des chaussures qu’il portait au moment de l’accident. La défenderesse a cité deux témoins : Mme Susan Groody, directrice des Services de santé de Fenbrook, et Mme Annette Allen, directrice adjointe de l’Établissement Fenbrook, Services de gestion. Fait remarquable, Mme Cathy Wherry, le chef par intérim des Services de l’établissement (SE) et la personne la plus directement informée des circonstances de la commande de nouvelles chaussures pour le demandeur, n’a pas été citée comme témoin, bien qu’elle travaille encore pour le Service correctionnel du Canada et aurait apparemment pu témoigner.

[5]               La défenderesse a décidé de ne contre-interroger que le demandeur, et encore très brièvement, à propos de quelques points de détail. Il est à noter que n’ont fait l’objet de contre‑interrogatoire ni le programme d’exercices physiques du demandeur, qui a occasionné la lésion en question, ni la gravité ou la cause de cette lésion. Par conséquent, la preuve principale du demandeur est restée non contredite dans sa quasi-totalité.

 

II. Le contexte

[6]               Une grande partie de l’exposé des faits qu’on va lire est tirée de l’affidavit du demandeur, lequel, comme je le disais, n’a presque pas été contredit. Je donne un caractère passablement détaillé à cet exposé afin d’étayer mes conclusions relatives au délit de faute dans l’exercice d’une charge publique.

 

[7]               Le demandeur est détenu à l’Établissement Fenbrook, près de Bracebridge en Ontario. Il a passé en prison environ 26 années, dont 15 d’abord aux États-Unis, et le reste au Canada. M. McMaster est un homme musclé aux pieds forts, qui chausse du 13‑4E. Bien que cette pointure semble à première vue exceptionnellement forte, la preuve établit qu’elle est néanmoins standard et qu’au moins deux fabricants de chaussures de course la produisent.

 

[8]               Les lignes directrices et directives publiées en application de l’article 70 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prescrivent aux établissements fédéraux de fournir aux détenus une quantité minimale déterminée de vêtements, notamment une paire de chaussures par an. Plus précisément, la Directive du commissaire no 352 (la Directive), publiée sous l’autorité du commissaire du Service correctionnel du Canada, porte les instructions suivantes :

Chaque sous-commissaire régional doit établir les restrictions, la quantité des articles à distribuer et la fréquence de renouvellement.

 

[...]

 

Espadrilles (usage général)

 

En outre, le paragraphe 83(2) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition dispose ce qui suit :

Conditions matérielles

 

83(2) Le Service doit prendre toutes les mesures utiles pour que la sécurité de chaque détenu soit garantie et que chaque détenu :

 

a) soit habillé et nourri convenablement;

 

[. . .]

 

d) ait la possibilité de faire au moins une heure d’exercice par jour, en plein air si le temps le permet ou, dans le cas contraire, à l’intérieur.

 

[9]               Pendant toute la durée de sa détention au Canada ayant précédé l’incident qui a donné lieu à la présente action, on avait fourni chaque année au demandeur une nouvelle paire de chaussures de course de pointure 13‑4E.

 

[10]           En juillet 2003, le demandeur a été transféré de l’Établissement de Collins Bay à Fenbrook, qui est un pénitencier à sécurité moyenne. On lui avait fourni en janvier 2003 une paire de chaussures de courses à sa pointure. Selon la preuve, lorsqu’il était détenu à l’Établissement de Collins Bay, on lui donnait chaque année une paire de chaussures de course 13‑4E de marque New Balance, à peu près invariablement dans les deux semaines suivant le dépôt de sa demande. Ni la pointure requise ni la fourniture de chaussures au demandeur ne faisaient problème.

 

[11]           En mars 2004, après son transfert à Fenbrook, M. McMaster a demandé sa nouvelle paire annuelle de chaussures de course 13-4E. Comme New Balance était le fabricant des chaussures qu’il avait, il a inscrit cette marque dans sa demande. Cependant, ce n’est qu’en décembre 2004 qu’on lui a enfin donné des chaussures qui lui allaient, soit presque deux ans après qu’il eut reçu la paire précédente, en janvier 2003.

 

III. La commande des chaussures

[12]           Ce sont les Services de l’établissement (SE) qui fournissent tous les articles distribués par le pénitencier aux détenus, y compris les chaussures. Le chef par intérim des SE à Fenbrook au moment de ces événements était Mme Cathy Wherry. Dans une note adressée à M. McMaster le 4 mars 2004 en réponse à sa demande de nouvelles chaussures en date de l’avant-veille, Mme Wherry le priait de venir se faire mesurer les pieds, étant donné que les dossiers des ES ne contenaient [TRADUCTION] « aucun renseignement concernant d’autres chaussures que celles fournies par l’établissement ». M. McMaster s’est donc présenté comme on le lui demandait au bureau des ES, où la mesure de ses pieds a permis d’établir qu’il avait besoin d’une pointure 13‑4E. Il est surprenant que ce renseignement ne figurât pas dans les dossiers de Fenbrook, étant donné que chaque établissement où le demandeur avait été en détention tenait une fiche sur les vêtements fournis, ainsi qu’une fiche médicale, qui spécifiait sa pointure. En outre, il y avait sur la languette des chaussures que le demandeur portait une étiquette indiquant clairement que la pointure en était du 13‑4E. Quoi qu’il en soit, selon la preuve du demandeur, Mme Wherry lui a dit qu’on allait commander pour lui des chaussures de courses 13‑4E et lui a conseillé de revenir deux semaines plus tard pour voir si elles seraient arrivées.

 

[13]           Le demandeur est donc retourné au bureau des SE après deux semaines pour voir si ses nouvelles chaussures étaient arrivées. On les attendait toujours. Mme Wherry lui a alors répété que les chaussures étaient en commande, ajoutant qu’elle l’appellerait lorsqu’elles arriveraient.

 

[14]           Après que deux autres semaines eurent passé sans qu’il reçût de nouvelles, le demandeur a de nouveau contacté les SE, et Mme Wherry, encore une fois, lui a dit que les chaussures n’étaient pas arrivées et l’a assuré que la commande avait bien été passée. Apparemment, au cours de son entretien avec Mme Wherry, le demandeur a émis des doutes sur le point de savoir si l’on avait effectivement commandé les chaussures, évoquant la possibilité que cette dernière attendît pour ce faire l’entrée en vigueur du nouveau budget annuel à la fin d’avril. Mme Wherry lui a affirmé qu’elle n’attendait pas le budget d’avril et que les chaussures de course avaient bel et bien été commandées.

 

IV. La première paire de chaussures

[15]           Début mai, M. McMaster a demandé encore une fois où l’on en était avec ses chaussures de course. Il est retourné au bureau de Mme Wherry, qui lui a proposé une paire de chaussures de course Brooks de pointure 13 standard, et non de largeur 4E. La boîte de ces chaussures ne portait pas la mention 4E. Au cours de cet entretien, Mme Wherry a essayé de convaincre le demandeur que ces chaussures étaient en fait de largeur 4E, son fournisseur, disait-elle, l’ayant assuré qu’elles l’étaient. Or, rien sur la boîte ni sur les chaussures elles-mêmes n’indiquait qu’elles fussent en fait de largeur 4E. Le demandeur a produit des étiquettes de pointure provenant des boîtes d’une paire de chaussures de course Brooks 13‑4E et d’une paire de New Balance de même pointure comme preuve que les étiquettes de cette nature portent bien visiblement la mention 4E. La boîte des chaussures que Mme Wherry a proposées au demandeur ne portait aucune étiquette de cette nature. Mme Wherry a insisté pour que le demandeur acceptât ces chaussures. Cependant, elles ne lui allaient pas, n’étant pas assez larges. Mme Wherry a ensuite émis la remarque suivante : [TRADUCTION] « Mon budget ne me permet pas d’acheter des New Balance. Si vous voulez des New Balance, il va falloir les acheter vous-même. » Elle a conclu l’entretien en informant le demandeur qu’elle relancerait son fournisseur et commanderait de nouveau une pointure 13-4E.

 

[16]           Plus tard en mai, le demandeur s’est encore une fois présenté au bureau des SE pour essayer une autre paire de chaussures de course. Mme Wherry lui a alors proposé des Brooks de pointure 14. Au cours de cet entretien, elle a essayé de convaincre le demandeur de prendre ces chaussures en invoquant le fait que son fournisseur l’avait assurée qu’elles étaient extra-larges. Le demandeur a essayé les chaussures et constaté qu’elles ne lui allaient pas. La fiche de mesure des pieds du demandeur qu’on trouve dans les dossiers des SE porte la note suivante : [TRADUCTION] « Commander de nouveau des Brooks 4E 04/05/07 reçu des 14 au lieu de 13‑14E. »

 

[17]           Mme Wherry, au cours de cet entretien, a encore une fois assuré le demandeur qu’elle avait commandé du 13-4E et a expliqué que son fournisseur s’était trompé en lui expédiant du 14. Elle a reconnu que ces chaussures 14 n’étaient pas de la bonne pointure, encore qu’elle ait essayé de convaincre le demandeur de les accepter au titre de la paire annuelle de chaussures de course à laquelle il avait droit.

 

[18]           Le 7 juin, le demandeur s’est de nouveau présenté au bureau des SE, où Mme Wherry lui a proposé une autre paire de chaussures de courses Brooks de pointure 13, rien n’indiquant qu’elles fussent extra-larges ou de la largeur 4E demandée. Mme Wherry a alors fait remarquer que la boîte de ces chaussures portait la mention 13W [13 large]. Cependant, le W avait été ajouté au feutre noir : il ne faisait pas partie de la mention imprimée par le fabricant. Le demandeur a essayé ces chaussures, pour constater encore une fois qu’elles ne lui allaient pas.

 

[19]           Au cours de cet entretien, Mme Wherry a encore essayé de convaincre le demandeur d’accepter ces chaussures et lui a dit : [TRADUCTION] « Vous aurez de la chance si vous recevez une paire de chaussures qui vous aille avant votre libération. »

 

[20]           M. McMaster a produit un nombre considérable d’éléments de preuve sous la forme d’exemplaires de diverses formules de commande montrant que l’on paraissait avoir commandé des chaussures 13 standard et 13 large, mais que, au moins jusqu’à la fin juin 2004, soit plusieurs mois après qu’il eut demandé de nouvelles chaussures, Mme Wherry avait omis de commander explicitement une pointure 13‑4E.

 

[21]           En juin 2004, le demandeur a présenté un grief concernant ses chaussures. Malheureusement, cette procédure n’a pas permis de régler le problème. Le demandeur a continué de déployer des efforts assez vigoureux pour obtenir de nouvelles chaussures, efforts qui se sont heurtés à la résistance de Mme Wherry et d’autres employés de Fenbrook. Le demandeur a déclaré dans sa preuve qu’il avait eu avec Mme Wherry un certain nombre d’autres entretiens, dont un au cours duquel elle lui avait dit que les Services de santé devraient acheter les chaussures en question. Il a également reçu d’un autre employé de Fenbrook un courriel selon lequel on avait dit à cet employé [TRADUCTION] « qu’on ne passait pas de commande à une autre compagnie parce qu’on n’avait pas les fonds nécessaires ».

 

V. La lésion au genou

[22]           Le demandeur s’entraîne vigoureusement, en moyenne une heure par jour, cinq jours par semaine. Pendant ces séances, il fait de l’haltérophilie, de l’étirement, de l’aérobique, de l’entraînement asymétrique de base, des exercices de boxe sur sac lourd et sur sac de vitesse, et de l’entraînement d’endurance cardiovasculaire. Apparemment, il est bien connu pour sa passion des exercices physiques et son intelligence des principes de l’entraînement. Il s’entraîne régulièrement depuis le début de sa détention. Pendant toutes ces années, il ne s’est pas blessé une seule fois en cours d’entraînement avant juillet 2004.

 

[23]           L’un des exercices que pratique le demandeur est la frappe sur sac lourd. Cet exercice exige qu’il pose les pieds fermement sur le sol, en particulier le pied arrière, pour donner des coups de poing sur le sac. Il pratique cette forme particulière d’entraînement depuis l’adolescence. 

 

[24]           Le demandeur a déclaré dans son témoignage que, le 1er juillet 2004, pendant sa séance d’entraînement ordinaire, il travaillait sur le sac lourd comme d’habitude, quand soudain le pied lui a manqué, il est tombé sur le sol, il a entendu un craquement sonore et il a senti une douleur aiguë à l’articulation du genou droit. Apparemment, il s’est alors aperçu que le bas de sa jambe droite à partir du genou était tourné vers le côté gauche de son corps selon un angle de 90 degrés.

 

[25]           Comme c’était la fête du Canada, le personnel de Fenbrook, notamment celui des Services de santé, était réduit au strict minimum. Le demandeur a alors décidé de ne pas aller aux Services de santé, mais plutôt de retourner à son logement et d’appliquer de la glace sur son genou blessé pour le reste de la journée.

 

[26]           Le 2 juillet, comme il se trouvait incapable de marcher, il a demandé de l’aide pour se rendre aux Services de santé. Un agent de correction de son unité résidentielle qui avait communiqué avec les Services de santé lui a alors expliqué : [TRADUCTION] « Ils m’ont dit que, comme c’est un week-end férié, il faut être mourant pour qu’ils s’occupent de vous. » Après une autre communication avec les Services de santé, le demandeur y a été emmené et examiné par l’infirmier de service, qui l’a adressé au South Muskoka Memoral Hospital, où un urgentiste l’a examiné à son tour. Au cours de cet examen, le médecin a manipulé le genou droit du demandeur, ce qui lui a causé une vive douleur. Il lui a posé des questions sur la façon dont il s’était blessé, et le demandeur lui a répondu qu’il s’entraînait avec un sac lourd et faisait des tacles volants.

 

[27]           Comme l’urgentiste ne paraissait pas comprendre ce qu’est un sac lourd, le demandeur a essayé de lui donner au moyen d’analogies une idée de l’exercice auquel il se livrait. Cependant, le demandeur déclare maintenant de la manière la plus catégorique que l’analogie des tacles volants était inappropriée et que ce qu’il essayait en fait de dire au médecin au milieu de la douleur qui le tenaillait était que son exercice consiste à pousser le sac lourd pour lui imprimer un mouvement pendulaire : lorsque le sac revient, il donne des coups de poing dessus, les pieds fermement posés sur le sol, comme s’il était un boxeur aux prises avec son adversaire dans l’arène. Étant donné que le demandeur pèse quelque 270 livres, un véritable tacle volant l’aurait entraîné au‑delà du sac et ne l’aurait pas fait tomber sur son genou de la manière qu’il a décrite. Le demandeur ajoute qu’il n’a pas exécuté de tacle volant depuis l’époque où il jouait au football organisé, il y a plus de 15 ans.

 

[28]           Le demandeur, après s’être ainsi blessé au genou, a subi un certain nombre d’examens médicaux visant à établir la gravité de sa lésion. En mai 2005, on a effectué à l’hôpital de Barrie un examen d’IRM de son genou droit, qui a révélé une déchirure en anse de seau de la corne dorsale du ménisque médial, avec déplacement latéral du tissu minuscule. On a noté au dossier qu’il s’agissait d’une [TRADUCTION] « déchirure complexe ». À l’issue d’un examen de suivi de l’IRM effectué en juin 2005, on a noté que M. McMaster devrait être inscrit sur la liste d’attente en vue d’une arthroscopie du genou droit et qu’il faudrait environ un an ou deux avant qu’on pût opérer son genou pour réparer la déchirure.

 

[29]           Le demandeur a donc continué de vivre avec les effets résiduels de la déchirure en anse de seau de son ménisque médial et a suivi un programme de thérapie. Cependant, les autorités n’ont pris aucune mesure pour faire en sorte que son genou fût opéré. Un autre examen, effectué par un chirurgien orthopédiste, a révélé que la blessure avait guéri spontanément jusqu’à un certain point, et le demandeur a admis qu’il ne voulait pas d’intervention sur son genou. Afin de compenser les difficultés qu’il éprouvait avec son genou droit, il a commencé à faire plus d’entraînement aux poids avec son genou gauche, ce qui a ravivé une vieille blessure de celui‑ci. Le demandeur a déclaré que, au cours de sa dernière consultation du chirurgien orthopédiste, c’est ce dernier qui lui avait suggéré d’envisager sérieusement de différer de sa propre initiative toute opération de son genou droit jusqu’à ce que les symptômes dont il souffrait, tels que le blocage de l’articulation et la présence d’un cartilage flottant, ne lui laissent plus le choix. Le demandeur a accepté de suivre ce conseil. Il apparaît que son état exigera une intervention chirurgicale à un moment ou un autre.

 

VI. Les entretiens avec Annette Allen

[30]           En juillet 2004, alors qu’il attendait encore ses chaussures, le demandeur a été convoqué par Mme Annette Allen, directrice adjointe de l’Établissement Fenbrook, Services de gestion. Au cours de cet entretien, Mme Allen lui a proposé ce qui lui est apparu comme étant exactement la même paire de chaussures de course Brooks de pointure 13 que Mme Wherry lui avait auparavant offerte et qu’il avait refusée. Il a essayé ces chaussures et dit à Mme Allen qu’elles ne lui allaient pas. Le demandeur a exposé à Mme Allen le contexte de l’affaire et lui a expliqué que les SE lui avaient mesuré les pieds et avaient établi qu’il chaussait du 13‑4E . Mme Allen a alors essayé de le convaincre d’accepter les chaussures en question, au motif que son fournisseur avait déclaré dans une télécopie : [TRADUCTION] « Notre service de conception et de fabrication nous informe que cette chaussure ne comporte pas d’échelle de largeur. Il explique en outre qu’elle peut très bien aller à un pied large parce que sa largeur est supérieure à toutes celles que prévoient nos spécifications habituelles. » Le demandeur a néanmoins refusé ces chaussures.

 

[31]           À la même époque, M. McMaster a demandé des renseignements sur les chaussures de pointure 13 au service à la clientèle de Brooks Canada, qui l’a informé que la pointure 13 correspond à une largeur standard et n’est pas conçue pour les pieds extra-larges. Il y a eu apparemment d’autres entretiens concernant la fourniture de chaussures conformes aux besoins du demandeur. À un moment donné, Mme Allen a envoyé à un enquêteur correctionnel un courriel où elle lui demandait de recontacter le fabricant de Brooks et d’en obtenir une déclaration sans ambiguïté comme quoi [TRADUCTION] « la pointure de ces chaussures est équivalente à un 13EEEE ». C’est au cours de cette série d’entretiens que le demandeur a dit à Mme Allen et à un enquêteur correctionnel qu’il s’était blessé au genou et qu’il s’inquiétait de l’usure des chaussures de course qu’il portait. L’enquêteur correctionnel a noté que les chaussures que portait le demandeur étaient effectivement usées. L’usure de ses chaussures de course inquiétait le demandeur d’autant plus qu’il pensait qu’elle avait pour effet d’aggraver sa lésion au genou.

 

[32]           Le demandeur a produit des pièces et éléments de preuve concernant d’autres entretiens, communications et griefs afférents aux points de savoir si les chaussures de pointure 13 étaient de la bonne largeur et quand on lui fournirait ses nouvelles chaussures. En septembre 2004, le demandeur s’était assuré que Brooks Canada fabrique deux catégories de chaussures de pointure 13‑4E. Il a informé Mme Allen de ce fait. Il semble ne s’être rien passé touchant les nouvelles chaussures du demandeur jusqu’en novembre. Le 22 novembre 2004, Mme Allen a envoyé à Mme Wherry un courriel portant ce qui suit : [TRADUCTION] « Pouvons-nous commander à un fournisseur différent une autre paire de chaussures pour M. McMaster? Veuillez prendre les mesures nécessaires et m’informer quand cette affaire sera réglée. » Mme Wherry ne semble pas avoir répondu à ce courriel. Dans un autre courriel, daté du 23 novembre 2004, Mme Allen s’adressait dans les termes suivants au Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui avait demandé des renseignements au nom de M. McMaster :

[TRADUCTION] Je m’excuse encore une fois des retards et du temps qu’il a fallu pour régler cette affaire. S’il est vrai que je n’ai pas d’excuse, je suis aux prises avec un problème de ressources humaines aux SE. La nomination de notre chef par intérim n’a pas été prolongée au‑delà du 30 septembre, de sorte que les SE n’ont pas de chef depuis cette date. Les deux employés de ce service doivent satisfaire les besoins hebdomadaires essentiels de produits d’entretien, d’articles de toilette et de vêtements pour les détenus. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de commander les chaussures de M. McMaster. Il m’a été confirmé qu’un des agents des SE passera chercher les chaussures de course New Balance cette semaine et qu’elles seront remises à M. McMaster. Ce problème est attribuable en partie à l’étiquetage de pointure; en effet, deux compagnies seulement inscrivent la pointure 13EEEE sur leurs étiquettes. Les autres compagnies déclarent que leurs chaussures conviennent aux pieds larges, mais ne spécifient pas la largeur EEEE. Je voudrais régler ce problème une fois pour toutes, de sorte que j’ai ordonné aux SE d’acheter les chaussures New Balance. [Non souligné dans l’original.]

 

Ce courriel est daté du 23 novembre 2004, mais ce n’est que presque un mois plus tard que le demandeur a enfin obtenu ses chaussures.

 

[33]           C’est seulement le 24 novembre 2004 qu’on a commandé des chaussures de la bonne pointure pour M. McMaster, soit quelque huit mois après qu’il en eut fait la demande. Le 26 novembre 2004, Mme Wherry a signé le récépissé de livraison à Fenbrook des chaussures commandées. Après un autre retard consternant dans la fourniture des chaussures au demandeur, ce n’est que le 16 décembre 2004 que le bureau de Mme Allen a enfin émis une note portant : [TRADUCTION] « Les chaussures de course ont été achetées. À remettre au détenu cet après-midi. » Le demandeur n’a été informé de ce fait que le lendemain et s’est alors rendu au bureau des SE pour prendre possession de ses chaussures de course. Un agent l’y a informé que, effectivement, les SE avaient reçu une paire de chaussures de course New Balance de pointure 13‑4E qui devait lui être remise, mais que comme Mme Wherry était absente, il préférait ne pas s’en mêler et le priait de revenir quand cette dernière serait de retour.

 

[34]           Le 20 décembre 2004, le demandeur est retourné au bureau des SE et y a trouvé Mme Wherry, qui lui a remis la nouvelle paire de chaussures de course New Balance de pointure 13‑4E. Cette pointure était inscrite aussi bien sur les languettes des chaussures que sur leur boîte. Le demandeur a accepté cette paire de chaussures.

 

[35]           À chacune des années qui ont suivi, M. McMaster a commandé sa paire annuelle de chaussures de course de pointure 13‑4E et l’a reçue dans le délai normal après en avoir fait la demande.

 

VII. La preuve d’expert

[36]           Il a été fait appel à un seul témoin expert, à savoir Mme Cristol Smyth, docteur en podologie. Elle a examiné les vieilles chaussures de course (pièce 5) et a présenté à ce sujet un rapport daté du 25 juillet 2007. Le rapport de Mme Smyth était annexé à son affidavit avec son curriculum vitae. Elle n’a pas été contre-interrogée, et ses qualités professionnelles n’ont pas été contestées. Me fondant sur la lecture de son curriculum vitae et étant donné que la défenderesse n’a pas contesté qu’elle possède les compétences requises d’un expert dans le domaine de la santé du pied, je conclus qu’elle est effectivement un expert dans ce domaine en tant que docteur en podologie. Son rapport analyse les vieilles chaussures de course. Elle en décrit l’état, et ajoute que la pointure mesurée du demandeur n’est pas anormalement forte et qu’elle la rencontre couramment dans sa pratique. Elle note que cette pointure devrait se trouver facilement. Elle constate enfin que les vieilles chaussures présentent à l’évidence une usure considérable et qu’elles se caractérisent par un défaut de rigidité, de stabilité et de soutien.

 

[37]           Se fondant sur ses observations, elle conclut que [TRADUCTION] « l’usure excessive de la semelle et le défaut de soutien et de stabilité de la chaussure pourraient avoir amené M. McMaster à renverser son pied dans une mesure anormale et à fatiguer ainsi son genou droit ». Son rapport ne va pas jusqu’à dire que les chaussures aient causé la lésion au genou, mais il étaye jusqu’à un certain point l’affirmation du demandeur selon laquelle le pied lui a manqué parce que ces chaussures étaient considérablement usées. Il est à noter que le demandeur a continué de porter ces chaussures durant environ cinq mois après l’accident et que Mme Smyth les a examinées en juillet 2007. Une part de leur usure a dû être produite entre juillet et décembre 2004, mais il paraît raisonnable de conclure qu’elles étaient considérablement usées en juillet 2004, étant donné que le demandeur pèse environ 270 livres, s’entraînait régulièrement, et les a portées tous les jours pendant presque 18 mois avant de se blesser.

 

[38]           Même le regard non éclairé par un avis d’expert peut constater dès l’abord que les chaussures en question sont effectivement de forte pointure et que leurs semelles extérieures sont usées. On ne peut non plus s’empêcher de remarquer l’usure considérable des semelles aux niveaux du talon et de la partie antérieure. À l’intérieur, on peut voir que le poids du demandeur a comprimé les premières semelles et qu’elles n’offrent pratiquement plus de soutien faute de rembourrage. Il est à noter que les languettes portent une étiquette où est inscrite la mention 13‑4E.

 

VIII. La preuve de la défenderesse

[39]           La défenderesse a déposé des affidavits de Mme Susan Groody, chef des Services de santé des Établissements Fenbrook et de Beaver Creek, ainsi que de Mme Allen. Elle n’a pas fait appel au témoignage de Mme Wherry, bien que celle‑ci travaille encore au Service correctionnel du Canada.

 

[40]           La preuve de Mme Allen porte principalement sur trois questions : la politique et la procédure de fourniture de chaussures au Service correctionnel du Canada, les multiples priorités des SE et la commande des chaussures du demandeur. Pour ce qui concerne la politique de fourniture de chaussures, Mme Allen parle tout au long de son témoignage de [TRADUCTION] « pointure non standard » et de [TRADUCTION] « chaussures non standard ». Or, aucun élément de preuve ne tend à établir que les chaussures du demandeur ne fussent pas de pointure standard. En fait, la preuve montre au contraire qu’au moins deux fabricants bien connus produisent des chaussures de la pointure du demandeur. En tout état de cause, Mme Allen déclare bien ce qui suit dans son témoignage : [TRADUCTION] « Si le détenu a besoin de chaussures d’une pointure non standard, les SE essaient de les trouver chez les fournisseurs de l’extérieur. Ils se renseignent par téléphone pour établir quels sont les fournisseurs qui en ont en stock et combien elles coûtent. »

 

[41]           Mme Allen fait aussi remarquer dans son témoignage que, du milieu à la fin de 2004, les SE étaient à court de personnel pour des raisons budgétaires et que Mme Wherry avait des priorités plus pressantes que la fourniture de vêtements aux nouveaux détenus. 

 

[42]           Pour ce qui concerne les chaussures du demandeur, la preuve de Mme Allen repose en grande partie sur des renseignements tenus pour véridiques qu’elle a obtenus de Mme Wherry. Elle se réfère à des entretiens avec cette dernière et à des mesures prises par celle‑ci. Il est apparu au cours de l’instruction que Mme Wherry était encore employée par le Service correctionnel du Canada. Par conséquent, dans la mesure où les déclarations de Mme Allen reposent sur des renseignements tenus pour véridiques qu’elle a obtenus de Mme Wherry, j’écarte sa preuve au profit de celle du demandeur. En outre, j’ai constaté que Mme Allen témoignait quelque peu sur la défensive et manifestait une certaine tendance à prendre la tangente au cours de son contre‑interrogatoire.

 

[43]           Mme Allen a essayé de justifier le retard dans la fourniture de nouvelles chaussures au demandeur par le fait que les SE avaient d’autres priorités, c’est‑à‑dire que le Service correctionnel du Canada était en proie à l’agitation syndicale et que les SE étaient à court de personnel. Cependant, s’il est vrai que c’était là le contexte dans lequel Mme Allen et son personnel devaient travailler, il suffisait en fin de compte d’un simple coup de fil à un fournisseur pour obtenir des chaussures de la bonne pointure.

 

[44]           L’autre témoin produit par la défenderesse était Mme Susan Groody, chef des Services de santé aux Établissements Fenbrook et de Beaver Creek. Sa preuve portait principalement sur la lésion subie par le demandeur le 1er juillet 2004. La teneur en est que M. McMaster a déclaré que, pendant sa séance d’entraînement, [TRADUCTION] « le pied droit lui avait manqué » et que « sa jambe avait heurté le sol ». Mme Groody examine en outre dans sa preuve la déclaration du demandeur au personnel soignant comme quoi, au moment de son accident, il travaillait avec le sac lourd et faisait des « tacles volants » sur celui‑ci.

 

IX. Les questions en litige

La présente espèce soulève les questions suivantes :

1.                  Les critères dont dépend l’établissement du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique sont‑ils remplis?

2.                  Le demandeur a‑t‑il contribué par négligence à son préjudice en continuant à s’entraîner avec des chaussures qui s’usaient de plus en plus?

3.                  Convient‑il de tirer une conclusion défavorable pour la Couronne du fait qu’elle n’a pas cité Mme Wherry comme témoin?

4.                  Si le délit est établi, quel est le quantum des dommages-intérêts qu’il convient d’accorder au demandeur?

 

X. Analyse

A.                 La faute dans l’exercice d’une charge publique

[45]           La faute dans l’exercice d’une charge publique est un délit intentionnel. La Cour suprême du Canada a tout récemment examiné les éléments constitutifs de ce délit dans l’arrêt Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263. Le juge Iacobucci y formulait les observations suivantes :

22.    Quels sont alors les éléments essentiels du délit – du moins dans la mesure où il est nécessaire de définir les questions que soulèvent les actes de procédure dans le présent pourvoi? Dans l’arrêt Three Rivers, la Chambre des lords a statué qu’il y avait deux façons – que je regrouperai sous les catégories A et B – de commettre le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. On retrouve dans la catégorie A la conduite qui vise précisément à causer préjudice à une personne ou à une catégorie de personnes. La catégorie B met en cause le fonctionnaire public qui agit en sachant qu’il n’est pas habilité à exécuter l’acte qu’on lui reproche et que cet acte causera vraisemblablement préjudice au demandeur. Bon nombre de tribunaux canadiens ont souscrit à cette interprétation du délit : voir par exemple Powder Mountain Resorts, précité; Alberta (Minister of Public Works, Supply and Services) (C.A.), précité; et Granite Power Corp. c. Ontario, [2002] O.J. No. 2188 (QL) (C.S.J.). Il importe cependant de garder à l’esprit que ces deux catégories ne représentent que deux façons différentes pour le fonctionnaire public de commettre le délit; dans chaque cas, le demandeur doit faire la preuve des éléments constitutifs du délit. Il est donc nécessaire de se pencher sur les éléments communs à chacune des formes du délit.

 

23.    Il existe à mon avis deux éléments communs. Premièrement, le fonctionnaire public doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée. Deuxièmement, le fonctionnaire public doit avoir été conscient du caractère non seulement illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. C’est la manière dont le demandeur prouve les éléments propres au délit qui permet de distinguer les formes que prend la faute dans l’exercice d’une charge publique. Dans la catégorie B, le demandeur doit établir l’existence indépendante des deux éléments constituant le délit. Dans la catégorie A, le fait que le fonctionnaire public ait agi expressément dans l’intention de léser le demandeur suffit pour établir l’existence de chaque élément du délit, étant donné qu’un fonctionnaire public n’est pas habilité à exercer ses pouvoirs à une fin irrégulière, comme le fait de causer délibérément préjudice à un membre du public. Dans les deux cas, le délit se caractérise par une insouciance délibérée à l’égard d’une fonction officielle conjuguée au fait de savoir que l’inconduite sera vraisemblablement préjudiciable au demandeur.

 

24.    S’agissant de la nature de l’inconduite, la question est essentiellement de savoir non pas si le fonctionnaire a exercé de manière illégitime un pouvoir qu’il détenait réellement, mais bien si l’inconduite alléguée revêt un caractère illégitime et délibéré. Comme lord Hobhouse l’a écrit dans l’arrêt Three Rivers, précité, p. 1269 :

 

[TRADUCTION] L’acte qui nous intéresse (ou l’omission, selon le sens décrit) doit être illégitime. Ce peut être le cas lorsqu’il y a contravention pure et simple aux dispositions législatives pertinentes, ou lorsque l’acte outrepasse les pouvoirs conférés ou sert une fin irrégulière.

 

Lord Millett est arrivé à une conclusion similaire, savoir que le défaut d’agir peut équivaloir à une faute dans l’exercice d’une charge publique, mais uniquement lorsque le fonctionnaire public a l’obligation légale d’agir. Lord Hobhouse a énoncé le principe en ces termes, à la p. 1269 : [TRADUCTION]  « S’il existe une obligation légale d’agir et que la décision de ne pas agir équivaut à un manquement à cet égard, l’omission peut constituer une faute [dans l’exercice d’une charge publique]. » Voir également R c. Dytham, [1979] Q.B. 722 (C.A.). Ainsi, au Royaume-Uni, le défaut d’agir peut constituer une faute dans l’exercice d’une charge publique, mais uniquement dans la mesure où il correspond à un manquement délibéré à une fonction officielle.

 

[...]

 

32.    Pour résumer, j’estime que la faute commise dans l’exercice d’une charge publique constitue un délit intentionnel comportant les deux éléments distinctifs suivants : (i) une conduite illégitime et délibérée dans l’exercice de fonctions publiques; et (ii) la connaissance du caractère illégitime de la conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. À cela s’ajoute l’exigence pour le demandeur d’établir l’existence des autres conditions communes à tous les délits. Plus précisément, le demandeur doit démontrer que les préjudices qu’il a subis ont pour cause juridique la conduite délictuelle, et que ces préjudices sont indemnisables suivant les règles de droit en matière délictuelle.  

 

[46]           C’est la mort d’un homme sous les balles de policiers qui a donné naissance à l’affaire Odhavji. Les agents mêlés à l’événement ne se sont pas conformés à certaines instructions de l’Unité des enquêtes spéciales (UES), qui leur avait demandé de ne pas communiquer entre eux, de produire les notes de leur quart de travail et des prélèvements sanguins, etc. Cependant, malgré le fait que ces agents ne se fussent pas conformés à ses instructions, l’UES les a lavés de tout soupçon. La succession du défunt a alors intenté une action contre les policiers en cause, ainsi que contre le chef de police et d’autres personnes. Le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique et la négligence comptaient parmi les causes d’action. Les demandeurs soutenaient que le fait pour les policiers en question de ne pas avoir coopéré avec l’UES et de ne pas avoir suivi ses instructions équivalait à une faute dans l’exercice d’une charge publique. Le juge des requêtes a radié cette cause d’action, et sa décision a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario. La Cour suprême a fait droit au pourvoi sur ce point et a permis l’instruction de l’action au motif qu’il n’était pas évident et manifeste que celle‑ci fût vouée à l’échec.

 

[47]           Pour qu’il y ait faute dans l’exercice d’une charge publique, il faut d’abord qu’il y ait exercice illégitime d’un pouvoir délégué ou d’une prérogative par un fonctionnaire public. Le fonctionnaire public est en l’occurrence Mme Wherry. Celle‑ci était en situation d’autorité et avait l’obligation légale de se conformer à la Directive. En fait, c’est à son service qu’il incombait de fournir au demandeur les chaussures dont il avait besoin. Il ne fait aucun doute qu’elle est un fonctionnaire public. Il reste à répondre à la question plus difficile de savoir si elle a exercé de manière illégitime le pouvoir d’origine législative dont elle était revêtue. Il convient à mon sens de répondre à cette dernière question par l’affirmative. 

 

[48]           La preuve a été récapitulée dans le détail. Le commun dénominateur des événements entourant la commande de chaussures pour le demandeur est le fait – reconnu du début à la fin – que M. McMaster avait besoin d’une pointure 13‑4E. C’est Mme Wherry qui a mesuré les pieds du demandeur, étant donné que la pointure de ce dernier ne figurait pas dans les dossiers dont elle disposait, encore qu’il ne fût pas nécessaire de le faire puisque la pointure du demandeur était clairement inscrite sur ses vieilles chaussures. Elle savait dès le départ qu’il avait besoin de cette pointure particulière, qu’il était facile de se procurer. Cependant, plutôt que de simplement commander les bonnes chaussures dès le départ, elle a délibérément essayé de forcer le demandeur à accepter une pointure qui ne lui allait pas et lui a adressé des menaces au cours de leurs entretiens. Mme Wherry, n’ayant pas témoigné, n’a pas donné d’explications sur cette conduite.

 

[49]           Le paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales est libellé comme suit :

Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

 

 

[50]           Ni l’affidavit de Mme Groody ni celui de Mme Allen n’expliquent pourquoi Mme Wherry n’a pu venir témoigner et pourquoi la meilleure preuve n’a pas été produite devant la Cour. En conséquence, dans la mesure où Mme Groody et Mme Allen se fondent sur des renseignements tenus pour véridiques qu’elles ont obtenus de Mme Wherry, je n’accorde aucun poids à leurs déclarations. En outre, je tire du fait que cette dernière n’ait pas déposé devant la Cour, comme j’en ai le droit, la conclusion défavorable pour la défenderesse que le témoignage de Mme Wherry n’aurait pas étayé la légitimité de ses actions. Par conséquent, me fondant sur la preuve, je conclus sans réserve que Mme Wherry s’est conduite de manière illégitime, en dérogation à ses obligations légales en tant que fonctionnaire public. 

 

[51]           L’avocat de la défenderesse a fait valoir que le demandeur devait prouver que Mme Allen aussi bien que Mme Wherry avaient eu l’intention d’agir de manière illégitime. Je ne pense pas que ce soit le cas. Les actes de Mme Wherry suffisent à fonder la cause d’action.

 

[52]           L’avocat de la défenderesse a soutenu avec véhémence que cette dernière avait déployé des efforts raisonnables pour répondre à la demande de chaussures de M. McMaster, puisqu’elle en avait commandé trois fois pour lui et qu’elle ne savait pas que ses vieilles chaussures étaient usées. Je rejette ce moyen. La preuve montre plutôt que la défenderesse a fait preuve de mauvaise volonté s’agissant de commander des chaussures qui iraient au demandeur et qu’elle s’est mise dans son tort en essayant de le convaincre d’en accepter qui ne lui allaient pas alors qu’elle savait de toute évidence qu’elles ne lui allaient pas et ne pouvaient pas lui aller. En outre, la Directive prescrit la fourniture annuelle de nouvelles chaussures aux détenus. M. McMaster a fait une demande de nouvelles chaussures parce qu’il portait les siennes depuis plus d’un an, et Mme Wherry le savait.

 

[53]           Qui plus est, Mme Wherry et Mme Groody étaient tout à fait au courant de la nécessité et de l’obligation de fournir de nouvelles chaussures aux détenus. En plus de ses rapports avec Mme Wherry, le demandeur a aussi eu un certain nombre d’entretiens avec Mme Groody. Après l’accident du demandeur, cette dernière a écrit ce qui suit dans une importante note en date du 21 février 2006 intitulée [TRADUCTION] : « Chaussures et lésion au genou droit subie le 1er juillet 2004 » :

[TRADUCTION] La présente fait suite à l’entretien du 21 février 2006 où nous avons discuté du problème de vos chaussures. Les dossiers indiquent que vous portez des chaussures de pointure 13‑4E. Comme c’est là une pointure standard et que vous n’avez pas besoin de chaussures orthopédiques, je vous ai adressé aux SE au printemps 2004. C’est à eux qu’il incombe de vous fournir des chaussures qui vous aillent en application de la DC 352.

 

[54]           Dans une note ultérieure en date du 27 février 2007, Mme Groody a de nouveau adressé le demandeur aux SE :

[TRADUCTION] Vous et moi avons eu de nombreux entretiens concernant vos efforts pour obtenir des chaussures qui vous aillent. Je vous alors informé que la fourniture de chaussures conformes aux besoins ne relève pas de la compétence des Services de santé. Ce sont les SE qui distribuent les vêtements et les chaussures. Je vous ai conseillé de vous adresser de nouveau aux SE à ce sujet et j’ai rappelé à ceux‑ci que le Service correctionnel du Canada est tenu de fournir des chaussures conformes aux besoins à tous les détenus.

 

 

Le deuxième volet du critère est le point de savoir si le fonctionnaire public est conscient du caractère illégitime de ses actes et du fait que ceux‑ci auront pour effet de porter préjudice au demandeur. La preuve produite étaie‑t‑elle la thèse que ce volet du critère est rempli? Mon interprétation de cette preuve me fait penser que oui.

 

[55]           Les agents de la défenderesse connaissaient la pointure dont le demandeur avait besoin. Ils savaient aussi que la Directive leur prescrivait, entre autres obligations, de fournir des chaussures. En omettant de commander des chaussures de la bonne pointure et en essayant de forcer le demandeur à accepter une pointure qui ne lui allait pas, Mme Wherry s’est conduite de manière illégitime. La preuve permet aussi de conclure – et j’en tire cette conclusion – que la défenderesse savait également que la conduite illégitime consistant à ne pas commander les chaussures qu’il fallait aurait pour effet de porter préjudice au demandeur. On trouve à ce sujet le passage suivant dans la note précitée de Mme Groody en date du 27 février 2007 :

[TRADUCTION] Il est écrit partout dans les données fichées qui vous concernent que vous avez besoin de chaussures 13 EEEE. La question n’est pas ici la fourniture de chaussures orthopédiques, mais la pointure. À l’extérieur, on mesurerait votre pointure comme il convient et on vous conseillerait de porter des chaussures qui vous aillent. Vous n’avez pas besoin d’un spécialiste des soins de santé pour vous apprendre que vous aurez des problèmes podologiques si vous portez des chaussures qui ne vous vont pas. Le fait est simplement qu’il faut porter des chaussures de la pointure qui convient.

 

[56]           La défenderesse ne peut faire valoir qu’elle ne savait pas que la conduite illégitime pouvait porter préjudice au demandeur. Les vieilles chaussures de ce dernier étaient considérablement usées, ce qui pouvait lui causer du tort et lui en a effectivement causé, et les diverses paires de nouvelles chaussures qu’on lui a proposées n’étaient pas de la bonne pointure.

 

[57]           L’avocat de la défenderesse a soutenu que la constitution en délit de la faute dans l’exercice d’une charge publique visait à permettre de sanctionner les abus de pouvoir graves et intentionnels. Je ne pense pas que l’arrêt Odhavji étaie cette proposition. Selon l’exposé du juge Iacobucci sur les éléments du délit, il n’est pas nécessaire que l’on constate au préalable des [TRADUCTION] « abus graves et intentionnels », mais seulement un abus intentionnel. Or, la preuve produite devant moi établit l’existence d’un abus intentionnel.

 

[58]           La défenderesse a également allégué que le fait de ne pas avoir acheté des chaussures de la bonne pointure était l’effet de contraintes budgétaires et des autres priorités qui incombaient à Mme Wherry à Fenbrook. Par conséquent, le fait de ne pas avoir commandé les chaussures dans le délai normal ne serait pas une conduite illégitime au motif qu’il serait attribuable à des facteurs indépendants de la volonté de Mme Wherry. Le juge Iacobucci formule à ce sujet les observations suivantes, toujours dans l’arrêt Odhavji :

26  [...] N’est pas non plus visé le fonctionnaire public se trouvant dans la même situation [c’est‑à‑dire omettant de s’acquitter convenablement des obligations propres à ses fonctions] en raison de contraintes budgétaires ou d’autres facteurs hors de son contrôle. Le fonctionnaire qui ne peut s’acquitter convenablement de ses fonctions en raison de contraintes budgétaires ne fait pas preuve d’insouciance délibérée à l’égard de ses fonctions. Le délit ne vise pas le fonctionnaire public qui est incapable de s’acquitter de ses obligations en raison de facteurs hors de sa volonté, mais plutôt celui qui pouvait s’en acquitter, mais qui a délibérément choisi d’agir autrement.

 

 

[59]           La preuve décrédibilise cependant ce moyen sous des aspects importants. Mme Allen, témoin de la défenderesse, a concédé que l’incidence budgétaire des chaussures en question était [TRADUCTION] « peu importante ». On voit mal en effet comment ferait entrer en jeu les contraintes budgétaires l’achat d’une paire de chaussures dont le prix tout compris était, selon la preuve, de l’ordre de 123,00 $. Qui plus est, la preuve de la défenderesse n’explique pas pourquoi Mme Wherry a tout simplement omis de commander les chaussures au départ, après son entretien avec le demandeur en mars, et pourquoi, quelque temps plus tard, elle a commandé des chaussures qu’elle savait manifestement ne pas être de la bonne pointure.

 

[60]           Par conséquent, selon la preuve produite devant moi, le fait de ne pas avoir commandé des chaussures de la bonne pointure dans un délai normal est un acte illégitime et n’est pas attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté de Mme Wherry.

 

XI. La cause de la lésion au genou

[61]           Existe‑t‑il un lien de causalité entre la non-fourniture au demandeur de nouvelles chaussures de la bonne pointure et la lésion qu’il a subie au genou? Ici encore, sur la foi de la preuve produite devant moi, je réponds par l’affirmative. 

 

[62]           Il est à noter qu’on n’a pas contre-interrogé le demandeur sur la question de savoir comment il s’était blessé. Les dossiers médicaux et la preuve directe du demandeur sont les seuls éléments dont je dispose à ce sujet. Les deux parties se sont accordées à reconnaître que les rapports médicaux pouvaient être admis pour établir la véridicité de leur contenu. Selon ces rapports, la cause de la lésion est un [TRADUCTION] « tacle volant ». On n’y trouve cependant aucune explication du sens de cette expression. Le demandeur, qui a déposé de manière franche et directe, a décrit le souvenir qu’il gardait des circonstances de son accident. Il admet avoir employé l’expression [TRADUCTION] « tacle volant », mais il ajoute qu’il a voulu ainsi recourir à une analogie que le médecin pourrait comprendre au moment où il était examiné et se trouvait en proie à la douleur produite par sa blessure. Dans le cadre de sa séance d’entraînement ordinaire, il pousse le sac lourd de manière à lui imprimer un mouvement pendulaire, puis se met devant comme ferait un boxeur. Lorsqu’il s’est ainsi placé devant le sac au moment du retour de celui‑ci, explique‑t‑il de manière plausible, le pied lui a manqué parce que la semelle de sa chaussure était usée. Compte tenu des circonstances, ces déclarations du demandeur établissent un lien entre sa lésion et les vieilles chaussures usées qu’il portait.

 

[63]           L’avocat de la défenderesse soutient qu’il n’y a pas de lien entre l’acte en question et la lésion, alléguant que le demandeur n’est pas un expert et qu’il convient de donner plus de poids à la preuve médicale qu’à la sienne. Cependant, la preuve médicale produite dans la présente espèce n’est pas une preuve médicale « d’expert » sur le lien de causalité, et la défenderesse n’a pas contesté les déclarations du demandeur concernant ledit lien, se contentant d’invoquer les rapports médicaux, lesquels, bien que la véridicité en soit admise, ont été nuancés par une explication convaincante de M. McMaster. Les rapports médicaux n’exposent pas la manière dont la lésion a été subie, mais ne font que reprendre une expression descriptive employée par le demandeur et expliquée par lui de manière plus détaillée dans sa preuve sans que la défenderesse conteste cette explication. J’accepte à ce sujet la preuve du demandeur.

 

XII. La négligence de la victime

[64]           Le demandeur s’est‑il rendu coupable de négligence concourante en s’entraînant avec ses chaussures usées? Aurait‑il dû savoir qu’il convenait de réduire l’intensité de son entraînement, étant donné qu’il portait des chaussures considérablement usées? La preuve m’amène à conclure que le demandeur aurait dû savoir que l’entraînement vigoureux auquel il se soumettait exigeait vraisemblablement qu’il eût les pieds solidement posés sur le sol. Par conséquent, il doit assumer une part de responsabilité pour s’être livré à ce genre d’activité avec des chaussures usées. J’évalue la négligence concourante du demandeur à 33 %. 

 

XIII. Les dommages-intérêts

[65]           Il reste à établir le montant des dommages-intérêts à accorder au demandeur. Les conclusions des parties n’offrent guère de propositions pouvant servir de points de repère : la défenderesse se contente de soutenir qu’il ne devrait rien être versé à M. McMaster, qui demande des dommages-intérêts généraux et exemplaires de 50 000,00 $. 

 

[66]           Il ne semble y avoir aucune jurisprudence sur la fixation des dommages-intérêts en cas de faute dans l’exercice d’une charge publique. À mon sens, lorsque le délit a été prouvé, comme c’est le cas dans la présente espèce, le demandeur devrait recevoir en dommages-intérêts le montant correspondant aux souffrances et douleurs découlant directement de la conduite illégitime. Bien qu’elle soit illégitime, la conduite ayant causé le préjudice ne commande pas nécessairement l’adjonction d’une composante punitive aux dommages-intérêts. 

 

[67]           Le demandeur, immédiatement après l’accident, souffrait beaucoup et se trouvait incapable de marcher. En outre, il n’a pas pu se faire soigner immédiatement. Il a depuis subi plusieurs examens et, s’il est vrai que l’état de son genou s’est amélioré, il aura néanmoins besoin d’une intervention chirurgicale selon les médecins qui l’ont examiné. Qui plus est, le demandeur a déclaré que, du fait de sa lésion, il avait dû imposer une fatigue supplémentaire à son autre genou et était tombé de surcroît en prenant une douche, aggravant ainsi ladite lésion.

[68]           J’ai examiné un certain nombre de décisions concernant l’ordre de grandeur des dommages‑intérêts généraux correspondant aux préjudices de la nature qui nous occupe, notamment Maher c. Beaton, [1999] N.B.J. No. 33, Coffey c. Dalin Investments Ltd. (1997), 176 N.B.R. (2d) 148, et Hickey v. Canada Safeway, 1998 CanLII 4874 (C.S.C.‑B.). J’estime que, compte tenu de toutes les circonstances, le demandeur devrait recevoir un montant de 9 000,00 $ en dommages au titre de ses souffrances et douleurs. Après soustraction de la proportion de 33 % attribuée à la négligence concourante de la victime, le montant à payer s’établit à 6 000,00 $. Le demandeur a aussi droit aux intérêts avant jugement, ainsi qu’aux dépens, à taxer selon la colonne médiane du tarif B, sauf autres facteurs à prendre en considération dont la Cour n’aurait pas connaissance. S’il existe de tels autres facteurs ayant une incidence sur l’adjudication des dépens, les parties peuvent présenter sur ce sujet à la Cour des observations écrites de trois pages au maximum dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.      


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

1.                  Il sera versé au demandeur la somme de 6 000 $ en dommages généraux pour souffrances et douleurs.

2.                  Le demandeur a droit aux intérêts avant et après jugement sur le montant des dommages accordés.

3.                  Le demandeur a droit aux dépens afférents à la présente instance, à taxer suivant la colonne médiane du tarif B. S’il existe des facteurs ayant une incidence sur l’adjudication des dépens dont la Cour n’aurait pas connaissance, les parties peuvent lui présenter sur ce sujet des observations écrites de trois pages au maximum dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.      

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                               T‑1761‑05

 

INTITULÉ :                                                              GREGORY J. MCMASTER

                                                                                   c.

                                                                                   SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      Le 8 avril 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                              LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS :                                             Le 14 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

John L. Hill

 

POUR LE DEMANDEUR

Susan Keenan

Natalie Henein

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John L. Hill

Avocat

Cobourg (Ontario)

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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