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Date : 20080923

Dossier : IMM-589-08

Référence : 2008 CF 1066

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

QIAO YING ZHU

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Est-il raisonnable de conclure qu’une chrétienne de la Chine peut satisfaire ses croyances en fréquentant une église approuvée par l’État en raison de son niveau peu élevé de connaissances religieuses?

 

CONTEXTE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 janvier 2008 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne chinoise âgée de 32 ans, originaire de la ville de Fuzhou, dans la province de Jiangxi. Elle est arrivée au Canada le 1er août 2006 et y a immédiatement présenté une demande d’asile. Son mari et son fils de 10 ans résident toujours en Chine. Son niveau d’instruction est très limité et elle est illettrée.

 

[4]               Selon les allégations, la demanderesse s’est jointe à l’assemblée des fidèles d’une maison‑église clandestine au début de mai 2006, après qu’on l’ait forcé à subir un avortement conformément aux règlements chinois sur la planification familiale. Cette épreuve l’a amenée à s’interroger sur le sens de la vie. Une amie l’a alors initiée à l’église. La demanderesse ne fréquentait l’église que depuis environ un mois lorsqu’il y a eu une descente et que la cérémonie a été interrompue par des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) le 28 mai 2006. Elle s’est enfuie et s’est cachée chez un membre de sa famille. Pendant qu’elle se tenait cachée, elle a appris que des agents du BSP s’étaient rendus chez elle et qu’ils avaient interrogé des membres de sa famille pour savoir où elle se trouvait. Elle a aussi appris que cinq membres de l’assemblée des fidèles avaient été arrêtés.

 

[5]               Lors de l’instruction de sa demande le 2 octobre 2007, la demanderesse a témoigné qu’elle ne savait rien du christianisme avant que son amie ne lui fasse connaître l’assemblée des fidèles de la maison-église. Elle a déclaré qu’elle fréquentait la maison-église plutôt qu’une des églises enregistrées, c’est-à-dire les églises approuvées par l’État, parce qu’elle croyait que ces dernières plaçaient le gouvernement en premier, alors que son église plaçait Jésus-Christ en premier. Sa connaissance de l’Évangile tient à ce qu’elle a appris des sermons prononcés et des prières récitées pendant la brève période où elle a fréquenté l’église. Durant son engagement dans l’église, la demanderesse n’a été en mesure d’assister qu’à quatre offices avant la prétendue descente par le BSP.

 

[6]               Dans sa décision, la SPR a rejeté certains aspects du récit de la demanderesse, puisqu’elle a conclu que son témoignage n’était pas entièrement crédible, principalement en raison des divergences importantes entre le récit qu’elle avait offert aux autorités de l’Immigration au point d’entrée et le témoignage qu’elle avait donné par la suite à l’audience et dans le récit de son FRP. En raison de ces divergences et omissions, la SPR a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que la prétendue descente de la maison-église avait été fabriquée. Cependant, la SPR a accepté que la demanderesse avait embrassé le christianisme de façon véritable et elle a affirmé que « la demandeure d’asile a[vait] fortement apprécié la courte expérience religieuse qu’elle a[vait] vécue en Chine avant de quitter le pays ». Pour ce motif, et ayant accepté la sincérité du désir de la demanderesse de fréquenter l’église clandestine, la SPR a analysé la validité de sa demande, malgré les réserves qu’elle avait quant à la véracité d’autres aspects de son témoignage. 

 

[7]               Dans son analyse, la SPR a souligné que le gouvernement chinois reconnaissait cinq religions. Elle a cité de la preuve documentaire indiquant que la liturgie et les rites des églises protestantes approuvées par l’État étaient comparables à ceux des églises occidentales, et elle a accordé peu de poids à une source documentaire selon laquelle les doctrines protestantes clés étaient supprimées et contestées par les églises approuvées par l’État.

 

[8]               Après avoir examiné de façon approfondie la preuve documentaire, la SPR a jugé que la compréhension par la demanderesse du christianisme n’était pas assez poussée pour qu’il ne soit possible de répondre à ses besoins religieux dans le cadre de la structure de l’église approuvée par l’État, étant donné que ses croyances se limitaient à la croyance en Dieu et au rôle de Jésus le Sauveur. Par conséquent, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait aucune raison de craindre d’être persécutée en Chine. Plus précisément, la SPR a indiqué :

 

La religion en soi est largement reconnue comme étant un droit fondamental. Chacune de ses manifestations (musulmane, catholique, protestante, etc.) comporte des croyances fondamentales. Cela ne veut pas dire que chaque aspect de chacune des religions revêt un caractère « fondamental » et qu’il bénéficie de ce fait de la protection de la Convention […] L’observation du conseil de la demandeure d’asile, selon laquelle la nature fondamentale d’une religion englobe certains aspects, comme le choix de fréquenter une église en particulier plutôt qu’une église enregistrée ou le choix d’un pasteur en particulier, n’est pas convaincante en ce qui concerne la croyance religieuse de cette demandeure d’asile en particulier, croyance qui découle de sa brève exposition au christianisme et de son niveau de connaissance religieuse.

 

[9]               La SPR a également souligné que les lois qui exigent l’enregistrement des églises ne permettaient pas de conclure qu’il y avait persécution religieuse et elle a fait remarquer que, même au Canada, les confessions religieuses souhaitant s’établir sous leur propre nom ou être en mesure de mener leurs affaires devaient être enregistrées à titre d’entités juridiques. Elle a conclu que, pourvu que ces lois n’empêchent pas la pratique des croyances religieuses fondamentales, elles ne violent pas ces dernières.

 

QUESTION EN LITIGE

[10]           Selon la demanderesse, la SPR a commis une erreur dans son analyse du risque de persécution auquel elle serait exposée en Chine en se demandant si son retour dans ce pays l’empêcherait de pratiquer ses croyances religieuses fondamentales.

 

ANALYSE

[11]           La SPR a accepté que la profession de foi de la demanderesse et son désir de fréquenter une église clandestine étaient sincères. Son examen de la question de savoir si ces convictions exposeraient ou non la demanderesse à un risque de persécution si elle devait retourner en Chine doit pouvoir résister à un contrôle et, à mon avis, il n’y résiste pas.

 

[12]           L’approche adoptée par la SPR à l’égard de la liberté religieuse et de la persécution pour des motifs religieux est fondamentalement erronée. L’approche est erronée puisque la SPR a jugé que la compréhension par la demanderesse de la doctrine chrétienne n’était pas assez poussée pour qu’elle ait une raison valable de préférer une église clandestine à une église approuvée par l’État; selon la SPR, la demanderesse pouvait donc respecter ses croyances religieuses sans craindre d’être persécutée.

 

[13]           Premièrement, ayant conclu que la demanderesse était chrétienne, la SPR n’avait pas à évaluer ses croyances. Ayant accepté la preuve de la demanderesse selon laquelle elle était chrétienne, la SPR devait trancher la question de savoir si sa foi chrétienne l’exposerait à un risque si elle devait retourner en Chine.

 

[14]           Deuxièmement, la SPR n’a pas tenu compte de la conviction principale exprimée par la demanderesse selon laquelle l’église approuvée par l’État était redevable au gouvernement, alors que l’église clandestine plaçait Dieu en premier. Il s’agissait de la raison invoquée par la demanderesse à l’appui du fait qu’elle ne voulait pas fréquenter une église approuvée par l’État. Ce type d’église ne respectait pas une de ses croyances principales. Il s’agit de la conviction qui aurait dû être examinée par la SPR. La question de savoir si les églises approuvées par l’État embrassent les enseignements protestants traditionnels n’est absolument pas pertinente. 

 

[15]           La demanderesse s’est fondée sur la décision Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 182, rendue par la Cour. Dans cette décision, qui a été citée avec approbation par la juge Sharlow dans Irripugge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 29 et, plus récemment, par le juge Phelan dans Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, la Cour a fait remarquer que la persécution du fait de la religion pouvait inclure l’interdiction de célébrer le culte en privé et que la Commission avait restreint indûment la notion de pratique religieuse en la limitant aux prières et à l’étude de la Bible :

Il m’apparaît qu’en l’instance, une analyse minutieuse de la preuve et de la décision m’oblige à intervenir. J’estime en effet que la Section du statut a restreint indûment la notion de pratique religieuse, la limitant au fait « de prier Dieu ou d’étudier la Bible ». Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l’interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en œuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion. En l’occurrence, j’estime que l’interdiction prononcée contre les Témoins de Jéhovah de se réunir pour la pratique de leur culte pouvait équivaloir à de la persécution. C’est précisément ce qu’avait à analyser la Section du statut.

 

[16]           Cette approche adoptée relativement à la notion de persécution religieuse est conforme et complémentaire à la notion de liberté religieuse par la suite approuvée dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, où la Cour suprême du Canada a mis l’accent sur le caractère subjectif de la conviction religieuse et a formulé l’observation pertinente suivante au paragraphe 43 : « [C]eux qui invoquent la liberté de religion ne devraient pas être tenus d’établir la validité objective de leurs croyances en apportant la preuve que d’autres fidèles de la même religion les reconnaissent comme telles, il ne convient pas non plus que les tribunaux se livrent à cette analyse […] » La Cour suprême a aussi souligné ce qui suit au paragraphe 50 :

[…] [L]’État n’est pas en mesure d’agir comme arbitre des dogmes religieux, et il ne devrait pas le devenir.  Les tribunaux devraient donc éviter d’interpréter — et ce faisant de déterminer —, explicitement ou implicitement, le contenu d’une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d’ordre religieux.  Statuer sur des différends théologiques ou religieux ou sur des questions litigieuses touchant la doctrine religieuse amènerait les tribunaux à s’empêtrer sans justification dans le domaine de la religion.

 

[17]           Cela ne veut pas dire que la sincérité de la conviction religieuse du demandeur ne peut être évaluée au regard de sa bonne connaissance du dogme ou de la croyance invoqué. À mon avis, en l’espèce, après avoir accepté la sincérité de la conviction de la demanderesse, la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a ensuite exprimé une conception plutôt complexe de la liberté de religion, conception qui rejetait entièrement l’aspect subjectif des croyances religieuses, en jugeant que la légitimité des croyances d’une personne pouvait et devait être évaluée en fonction de son niveau de connaissances religieuses.

 

[18]           Par conséquent, la présente décision ne peut être maintenue et doit être annulée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

                                                                                                                  « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-589-08

 

INTITULÉ :                                       QIAO YING ZHU c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                                                        

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 23 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sharon Stewart Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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