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Date : 20080917

Dossier : IMM-64-08

Référence : 2008 CF 1040

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

ROSEMARY OYEYEMI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               La demanderesse, Mme Rosemary Oyeyemi, est une citoyenne du Nigeria qui est entrée au Canada en avril 2006. Après que sa demande d’asile ait été rejetée par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) et une demande en vue d’obtenir une dispense de l’application des critères de sélection au Canada pour des considérations humanitaires (CH). La même agente d’immigration a examiné et rejeté les deux demandes – la demande d’ERAR a été rejetée dans une décision datée du 1er novembre 2007 et la demande CH a été rejetée dans une décision datée du 2 novembre 2007. Dans la présente demande, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision relative à la demande CH. Une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR a été abandonnée.

 

II.        Questions en litige

 

[2]               Les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

 

1.                  L’agente CH a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère lors de l’évaluation de la demande CH?

 

2.                  L’agente a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve en ne tenant pas compte d’éléments de preuve dont elle disposait, plus précisément de la preuve médicale se rapportant à l’état de santé mentale de la demanderesse?

 

III.       Analyse

 

A.        Qu’est-ce que la demanderesse a présenté à l’agente?

 

[3]               Je commence par un aperçu de la demande CH présentée par la demanderesse.

 


[4]               La demande CH présentée par la demanderesse est très brève, n’étant composée que d’une seule page manuscrite. La demanderesse invoque quatre moyens à l’appui de sa demande :

 

·                    Elle s’est établie au Canada et elle s’est [traduction] « intégrée à la société canadienne, de telle sorte que [lui] demander de partir maintenant [lui] causerait des difficultés excessives et inhabituelles »;

 

·                    Elle a perdu [traduction] « tout lien raisonnable avec le Nigeria »;

 

·                    Elle a perdu son [traduction] « moyen de subsistance »; et

 

·                    Elle a été [traduction] « persécutée et maltraitée au Nigeria, de sorte qu’[elle] crai[gnait] toujours d’y retourner, particulièrement parce que la police ne pourrait pas [la] protéger ».

 

[5]               Aucun document n’a été joint à la demande CH. Cependant, les documents qui accompagnaient la demande d’ERAR et dont l’agente disposait comprenaient :

 

·                    Une note, d’une date non connue, rédigée par un médecin d’une clinique médicale, lequel indique que la demanderesse prend des médicaments pour [traduction] « dépression et anxiété grave ». Le médecin y [traduction] « recommande [également] fortement » que la demanderesse se voie accorder le statut de réfugiée;

 

·                    Un affidavit présenté par le mari de la demanderesse, au Nigeria, dans lequel il décrit les menaces proférées contre la demanderesse et sa famille, et l’agression lors de laquelle la fille de la demanderesse a été violée et il a été battu. Ces événements se sont produits après que la SPR ait rendu sa décision dans laquelle elle a affirmé ne pas être convaincue de la crédibilité de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait été persécutée par des tribus locales; et

 

·                    Un rapport médical d’un directeur médical nigérian selon lequel la fille de la demanderesse avait été violée.

 

B.         L’agente a-t-elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère de risque pour la demande CH?

 

[6]               Des quatre moyens qu’elle a invoqués et que l’agente a examinés, la demanderesse ne conteste pas l’analyse de l’agente en ce qui concerne son degré d’établissement au Canada, ses liens avec le Nigeria ou sa capacité de gagner sa vie au Nigeria. Cependant, selon la demanderesse, l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation du risque allégué. La demanderesse soutient que, dans l’analyse de la demande CH, l’agente a appliqué le critère d’évaluation du risque applicable dans le contexte d’un ERAR lorsqu’elle s’est penchée sur les réserves qu’elle avait au sujet du risque, et n’a pas examiné l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives découlant de la crainte de persécution de la demanderesse.

 

[7]               La question de savoir si le bon critère a été appliqué par l’agente est contrôlable suivant la norme de la décision correcte.

 

[8]               La jurisprudence établit clairement que l’agent qui, dans son évaluation des facteurs de risque d’une demande CH, applique le critère de risque se rapportant aux demandes d’ERAR, plutôt que le critère des difficultés se rapportant aux demandes CH, commet une erreur de droit (voir les décisions Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296, 44 Imm. L.R. (3d) 118, aux paragraphes 3 à 5; Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, 304 F.T.R. 136, aux paragraphes 43 à 46). Dans la décision Pinter, précitée, le juge en chef Lutfy a fait la distinction entre les deux critères aux paragraphes 3 et 4 :

Dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le demandeur a le fardeau de convaincre le décideur qu’il y aurait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.

 

Dans un examen des risques avant renvoi en vertu des articles 97, 112 et 113 de la LIPR, la protection peut être accordée à une personne qui, suivant son renvoi du Canada vers son pays de nationalité, serait exposée soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités.

 

[9]               En l’espèce, l’agente fait référence au bon « critère » dans ses motifs. Plus précisément, sous la rubrique [traduction] « Décision et motifs », l’agente commence par affirmer ce qui suit :

[traduction] La demanderesse tente d’obtenir une dispense de l’application des critères de sélection au Canada pour des considérations humanitaires […] Il incombe à la demanderesse de convaincre le décideur que sa situation personnelle est telle que les difficultés qu’elle éprouverait si elle devait obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives. [Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Il ressort clairement de cette affirmation que l’agente était consciente du fardeau reposant sur la demanderesse. L’agente a ensuite examiné les observations présentées par la demanderesse et chacun des quatre moyens qu’elle avait invoqués. Selon la demanderesse, l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle en ce qui a trait à son allégation de risque. L’agente a traité de cette question comme suit :

[traduction] En ce qui concerne les déclarations faites quant à la persécution et aux mauvais traitements, je souligne que la demanderesse a allégué dans ses observations relatives à l’ERAR avoir été maltraitée par des membres de la communauté Uube et non par l’État. Mon propre examen de la situation actuelle au Nigeria révèle que ce pays connaît des problèmes dans le domaine des droits de la personne ainsi que dans d’autres domaines, mais que le gouvernement ne prive pas de façon continue et générale ses citoyens de leurs droits fondamentaux de la personne. Bien que la protection de l’État ne soit jamais parfaite, je juge que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objective indiquant que la protection de l’État ne lui serait pas offerte au Nigeria.

 

 

[11]           L’agente a ensuite conclu son analyse comme suit :

[traduction] Après avoir examiné tous les documents dont je dispose, je ne suis pas convaincue que la demanderesse serait personnellement exposée à une menace à sa vie ou à la sécurité de sa personne si elle devait retourner au Nigeria. Je ne suis pas d’avis que la décision d’accorder la dispense demandée est justifiée pour des considérations humanitaires. La demanderesse ne m’a pas convaincue que sa situation personnelle est telle que les difficultés qu’elle éprouverait si elle devait présenter une demande de visa de résident permanent de l’extérieur du Canada seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives. [Non souligné dans l’original.]

 

[12]           Je constate que l’agente énonce de nouveau le bon « critère » dans son paragraphe final. Je suis consciente que la simple référence à des « difficultés » ne signifie pas nécessairement que l’agent a procédé à l’analyse appropriée (voir, par exemple, la décision Rebaï c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 24, au paragraphe 8). Cependant, en l’espèce, je ne suis pas convaincue que l’agente a commis une telle erreur. Je tire cette conclusion sur le fondement d’un examen attentif de l’ensemble de la [traduction] [d]écision et [des] motifs de l’agente dans le contexte du dossier dont elle disposait.

 

[13]           La seule allégation de risque présentée par la demanderesse était qu’elle avait été [traduction] « persécutée et maltraitée au Nigeria, de sorte qu’[elle] crai[gnait] toujours d’y retourner, particulièrement parce que la police ne pourrait pas [la] protéger ». En d’autres mots, selon la demanderesse, elle serait exposée à une menace à sa vie ou à la sécurité de sa personne si elle devait retourner au Nigeria. La demanderesse n’a présenté aucune observation faisant mention des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives qu’elle éprouverait en raison de sa situation personnelle si elle tentait d’obtenir la protection de l’État (comme elle semble maintenant le soutenir), ni aucune observation faisant mention de toute autre difficulté. Par conséquent, en se penchant sur l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle ne pourrait pas obtenir la protection de la police, l’agente a à juste titre conclu que la demanderesse pourrait obtenir la protection de l’État au Nigeria. L’agente n’était pas tenue d’examiner des questions n’ayant pas été soulevées.

 

[14]           À mon avis, rien au dossier n’indique que l’agente a appliqué le critère plus rigoureux applicable à l’ERAR, plutôt que le critère moins rigoureux applicable aux demandes CH. Il ressort clairement de la décision dans son ensemble que l’agente a pris sa décision en tenant compte des facteurs et des arguments pertinents présentés par la demanderesse et qu’elle a appliqué le bon critère pour une demande CH. L’agente n’a commis aucune erreur.

 

C.        L’agente a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve dont elle disposait?

 

[15]           Quelle que soit la norme de contrôle applicable, et même s’il procède à l’analyse appropriée, le tribunal commet une erreur s’il rend une décision sans tenir compte des éléments dont il dispose (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, au paragraphe 18.1(4)). Selon la demanderesse, l’agente a commis une telle erreur à l’égard de la note du médecin canadien. L’agente ne fait aucune mention de cette note ou de son contenu dans ses motifs. La demanderesse soutient que cette note fait état des difficultés qu’elle éprouverait si elle devait retourner au Nigeria. Compte tenu de l’importance de la note, la demanderesse est d’avis que l’agente a commis une erreur en n’en tenant pas compte dans son analyse (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.)).

 

[16]           Le problème que pose l’argument présenté par la demanderesse sur ce point est que la demanderesse n’a indiqué nulle part dans sa demande CH comment ses problèmes de santé mentale entraîneraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Par conséquent, la note du médecin n’avait aucun lien avec sa demande CH. L’agente n’a commis aucune erreur en ne mentionnant pas la note ou la santé mentale de la demanderesse. Je souligne également que la note semble avoir été rédigée pour la demande d’asile présentée par la demanderesse, demande que la SPR a rejetée, ce qui nuit à la pertinence de la note quant à une demande CH présentée ultérieurement. Dans ces circonstances, l’omission par l’agente de faire mention de la note du médecin canadien ne constituait pas une erreur.

 

IV.       Conclusion

 

[17]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[18]           La demanderesse me demande de certifier la question suivante :

[traduction] Lorsqu’il examine une demande CH, l’agent doit-il se demander si une conclusion selon laquelle il existe une protection adéquate de l’État, quoique imparfaite, pourrait entraîner des difficultés?

 

[19]           J’interprète cette question comme signifiant que la demanderesse se demande s’il faut appliquer un critère différent dans l’évaluation d’une demande CH que celui qui est appliqué dans l’évaluation d’une demande d’asile ou d’une demande d’ERAR. Comme je l’ai souligné ci-dessus, la réponse à cette question est de toute évidence « oui ». Toutefois, cette réponse ne change rien au fait qu’il incombe à la demanderesse d’établir qu’elle éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. En l’espèce, la demanderesse ne s’est tout simplement pas acquittée de son fardeau. La question proposée par la demanderesse aux fins de certification n’est pas déterminante quant à l’issue de la présente demande et, quoi qu’il en soit, la jurisprudence existante y a répondu. La question ne sera donc pas certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-64-08

 

INTITULÉ :                                       ROSEMARY OYEYEMI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 17 SEPTEMBRE 2008      

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Tie

 

POUR LA DEMANDERESSE

Brian Harvey

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services juridiques communautaires du Sud d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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