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Date : 20080911

Dossier : IMM-525-08

Référence : 2008 CF 1020

Toronto (Ontario), le 11 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

DECA IGNATHA LESMOND (alias Lesmond, Ignatha Deca)

KERDEJHA MARISSA EDOLE (alias Edole, Kerdejha Mariss)

(représentée par sa tutrice à l’instance Deca Ignatha Lesmond)

demanderesses

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne la demanderesse principale (la demanderesse), une citoyenne de Sainte-Lucie, qui demande l’asile pour le motif qu’elle craint d’être persécutée en raison de son sexe si elle devait retourner à Sainte-Lucie. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile des demanderesses. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision est entachée d’une erreur fondamentale susceptible de contrôle.

 

[2]               Deux conclusions de fait exigent l’annulation de la décision de la SPR : une conclusion défavorable à l’endroit de la demanderesse qui repose sur la perception que la demande d’asile a été déposée tardivement, la conclusion qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve convaincants pour justifier la crainte de la demanderesse de retourner à Sainte-Lucie.

 

[3]               La conclusion défavorable est fondée sur les faits non contestés suivants : la demanderesse et sa fille, ainsi que son conjoint de fait, le père de l’enfant, sont entrés au Canada respectivement en mai 2001 et en novembre 2000. Ils étaient alors munis de visas de visiteur à court terme et ont prolongé leur séjour sans autorisation. Alors qu’ils se trouvaient au Canada, le conjoint de fait s’est montré violent envers la demanderesse. Par conséquent, il a été arrêté en 2003 et une ordonnance de protection a été prononcée contre lui. En mars 2006, l’ex‑conjoint de fait a été expulsé à Sainte-Lucie, en tant que demandeur d’asile débouté. En août 2006, après avoir appris qu’il avait été expulsé et qu’il rejetait sur elle la responsabilité de son expulsion, la demanderesse a demandé l’asile par crainte d’être forcée de retourner à Sainte‑Lucie. La demanderesse demande l’asile pour le motif qu’elle craint subjectivement d’être encore victime de violence par son ex‑conjoint de fait si elle devait retourner à Sainte-Lucie.

 

[4]               La conclusion défavorable de la SPR se lit comme suit :

Le tribunal est convaincu que même si les demandeures d’asile ignoraient qu’elles avaient la possibilité de demander l’asile, si elles craignaient de retourner à Sainte‑Lucie, elles auraient effectué des tentatives pour régulariser leur statut afin d’éviter d’être renvoyées du Canada, si elles craignaient la persécution et craignaient pour leur vie. La demandeure d’asile principale a su comment s’adresser aux autorités canadiennes pour obtenir une protection contre son mari durant son séjour au Canada.

 

Le retard à demander l’asile n’est pas en soi un facteur décisif. Toutefois, il s’agit d’un facteur pertinent et potentiellement important, lorsque la demandeure d’asile a attendu avant de demander l’asile à son arrivée au Canada.

 

Le tribunal tire une conclusion négative du moment choisi par la demandeure d’asile pour demander l’asile, et il tire également une conclusion négative du fait que les actions de la demandeure d’asile ne sont pas cohérentes avec les actions d’une personne qui éprouve une crainte de persécution subjective.

 

(Décision, à la page 3.)

 

À mon avis, cette conclusion est erronée. Selon la preuve non réfutée de la demanderesse, celle‑ci n’a pas demandé l’asile avant 2006, lorsqu’elle s’est aperçue qu’elle risquait d’être expulsée à Sainte-Lucie et, par conséquent, d’avoir à faire face à la violence de son ex‑conjoint de fait, qui était déjà là-bas et rejetait sur elle la responsabilité de son expulsion. Il est évident qu’avant ce moment‑là elle n’avait aucune raison de demander l’asile. De plus, il est évident que la SPR a négligé cet élément essentiel de la demande d’asile de la demanderesse en tirant une conclusion défavorable fondamentalement importante. À mon avis, cette conclusion est une erreur susceptible de contrôle.

 

[5]               La conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour justifier sa crainte subjective et objective d’être persécutée si elle devait retourner à Sainte-Lucie est formulée en ces termes :

Le tribunal reconnaît qu’il s’agit d’un critère prospectif. Lorsqu’il analyse la situation de la demandeure d’asile dans le contexte de ses problèmes passés, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que son ex‑conjoint de fait l’a effectivement maltraitée physiquement à Sainte‑Lucie, avant qu’elle ne vienne au Canada et admette qu’il était violent avec elle au Canada, où elle a été en mesure d’obtenir une ordonnance de protection contre lui. Le tribunal constate que la demandeure d’asile n’a pas fourni d’éléments de preuve convaincants établissant qu’il y a une possibilité sérieuse ou raisonnable qu’il continue d’être violent avec elle si elle devait retourner à Sainte‑Lucie, simplement parce qu’il a été expulsé lorsqu’il a été établi qu’il n’était pas réfugié. La demandeure d’asile principale ne faisait pas partie de la demande d’asile de celui‑ci; elle n’a pas vu ou n’a pas parlé à son ex‑conjoint depuis 2003, et elle ignore tout de son existence depuis trois ans. Le tribunal est informé du fait que la mère de la demandeure d’asile principale a allégué qu’elle avait vu l’ex‑conjoint de fait de la demandeure d’asile principale à Sainte‑Lucie, qu’elle l’avait vu boire de l’alcool à l’occasion, et qu’elle a déclaré que si la demandeure d’asile principale devait retourner à Sainte‑Lucie, il la retrouverait, parce qu’il rejette sur elle la responsabilité de leur séparation et du fait qu’il a été expulsé à Sainte‑Lucie. Le tribunal relève que la demandeure d’asile n’a nullement l’intention de reprendre leur relation et que son ex‑conjoint de fait s’est conformé aux conditions de l’ordonnance de protection au Canada. Le tribunal a conclu que, même s’il était dans l’erreur et que la demandeure d’asile devait avoir des problèmes avec son ex‑conjoint de fait, il existe une protection de l’État adéquate pour la demandeure d’asile principale et sa fille à Sainte‑Lucie, dont l’option d’obtenir une ordonnance de protection contre son ex‑conjoint de fait dans ce pays. [Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, à la page 5.)

 

 

[6]               À mon avis, cette déclaration est contradictoire au point de faire ressortir une très mauvaise compréhension de la preuve qui constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[7]               Dans la déclaration précitée, la SPR accepte que : l’ex-conjoint de fait est un auteur de violence; il est à Sainte-Lucie; la demanderesse risque de devoir y retourner; l’auteur de violence la menace de [traduction] « lui faire du mal » si elle retourne à Sainte-Lucie. À la lumière de cette preuve, rien ne justifie la conclusion de la SPR que « la demandeure d’asile n’a pas fourni d’éléments de preuve convaincants établissant qu’il y a une possibilité sérieuse ou raisonnable qu’il continue d’être violent avec elle si elle devait retourner à Sainte-Lucie, simplement parce qu’il a été expulsé lorsqu’il a été établi qu’il n’était pas réfugié ».

 

 

ORDONNANCE

 

En conséquence, j’annule la décision faisant l’objet du contrôle et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-525-07

 

 

INTITULÉ :                                       DECA IGNATHA LESMOND (alias Lesmond, Ignatha Deca) et KERDEJHA MARISSA EDOLE (alias Edole, Kerdejha Mariss) (représentée par sa tutrice à l’instance  Deca Ignatha Lesmond) c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION                                                                             

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 septembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Campbell

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 11 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Simone Dahan

 

POUR LES DEMANDERESSES

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Carole Simone Dahan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

John H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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