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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080908

Dossier : IMM-4716-07

Référence : 2008 CF 1000

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2008

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

ALEMAYEHU WORKIE GELAW,

ELFINESH ADEM MEHAMED et

YEROME ADEM MEHAMED

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’examen des risques avant renvoi des demandeurs (l’ERAR), citoyens de l’Éthiopie et membres d’une même famille, leur a été défavorable. Ils sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision; ils allèguent que l’agent d’ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte d’une grande partie de la preuve documentaire concernant la situation actuelle en Éthiopie.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que l’agent ait commis l’erreur alléguée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


LE CONTEXTE

 

[3]               Alemayehu Workie Gelaw est un diplomate de carrière qui a commencé à travailler pour le gouvernement de l’Éthiopie en 1987. En 1991, le parti Tigré a pris le contrôle de l’Éthiopie. M. Gelaw n’appuyait pas le parti Tigré, et il a participé à une manifestation contre ce parti en 1991. Malgré le changement de régime, M. Gelaw a tout de même continué d’exercer la fonction de diplomate et, en 1993, il a été affecté à Rome, où il a représenté le gouvernement de l’Éthiopie jusqu’à ce qu’il quitte Rome pour venir Canada en 1997.

 

[4]               M. Gelaw soutient que le gouvernement de l’Éthiopie l’a affecté à Rome pour lui infliger une forme de punition, parce qu’il n’appuyait pas le régime Tigré et parce qu’il est d’ethnie amhara.

 

[5]               En 1994, l’épouse de M. Gelaw, Elfinesh, a été attaquée par un membre du parti Tigré lors d’une tentative d’enlèvement en Italie. Les demandeurs allèguent également que leur automobile a été vandalisée par des membres du parti Tigré en 1995 et qu’ils ont commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces. Selon les demandeurs, le gouvernement de l’Éthiopie a effectivement assigné à résidence M. Gelaw en 1997 alors qu’ils vivaient en Italie.

 

[6]               Les membres de la famille avaient alors fui au Canada, où ils avaient demandé l’asile sur le seul fondement des risques auxquels faisait face M. Gelaw. Ces demandes avaient été rejetées par la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en 1999. La Commission avait conclu que M. Gelaw n’était pas crédible en ce qui concernait les éléments essentiels de sa demande.

[7]               En particulier, la Commission avait souligné que M. Gelaw avait continué d’obtenir des promotions après le changement de gouvernement de 1991. En outre, la Commission avait conclu qu’il était invraisemblable que le gouvernement de l’Éthiopie de l’époque eût affecté M. Gelaw à Rome, poste que la Commission estimait être une « affectation en or », s’il lui avait prêté des opinions politiques contraires aux siennes ou s’il doutait de sa loyauté en raison de son ethnie.

 

[8]               Les demandeurs avaient sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais la Cour avait rejeté la demande d’autorisation.

 

[9]               Une demande d’établissement dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la demande CDNRSRC) et une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) présentées par les demandeurs ont également été rejetées, et les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire de chacune de ces décisions ont été rejetées. Une décision concernant une autre demande CH est manifestement toujours en suspens.

 

 

La demande d’ERAR des demandeurs

 

[10]           Dans le cadre de leur demande d’ERAR, les demandeurs ont allégué que M. Gelaw serait exposé à des risques en Éthiopie en raison de ses opinions politiques et parce qu’il serait perçu comme étant fortuné après avoir vécu pendant plus d’une décennie à l’étranger.

 

[11]           Elfinesh Adem Mehamed affirme que, en plus du risque auquel elle fait face en tant qu’épouse de M. Gelaw, elle serait également exposée à un risque en raison du traumatisme psychologique qu’elle a subi par suite de la tentative d’enlèvement. Elle affirme également que son violent beau-père représente un risque pour elle.

 

[12]           La fille du couple, Yerome, allègue qu’elle fait face à un certain nombre de risques en Éthiopie, risques principalement liés aux piètres conditions de vie dans ce pays. Elle affirme également qu’elle risque de subir une mutilation génitale si elle retourne en Éthiopie.

 

 

La norme de contrôle applicable

 

[13]           Il est de droit constant que la norme de contrôle applicable à une décision d’un agent d’ERAR est la raisonnabilité. Dans le cadre du contrôle d’une décision où la norme applicable est la raisonnabilité, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision ainsi que de la transparence et de l’intelligilité du processus décisionnel, et elle doit déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47.

 

 

Analyse

 

[14]           Étant donné que les risques allégués par chaque demandeur sont différents, je vais examiner leurs arguments tour à tour.

 

[15]           Cependant, avant de procéder à l’examen des arguments, je souligne que les décisions au sujet des demandes d’asile des demandeurs ont été rendues avant la promulgation de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), laquelle a créé une restriction quant au type de preuve qui peut être déposée dans le cadre d’un ERAR : un demandeur peut seulement présenter une nouvelle preuve ou une preuve qui n’aurait pas pu être déposée devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié même en faisant preuve de diligence raisonnable (voir l’alinéa 113a) de la LIPR). Par conséquent, les demandeurs n’étaient pas limités à présenter seulement de nouveaux éléments de preuve en appui à leur demande d’ERAR, et ils ont effectivement déposé de nombreux documents au sujet de la situation en Éthiopie.

 

Les risques auxquels serait exposé M. Gelaw

 

[16]           Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, M. Gelaw a allégué qu’il serait exposé à un risque en Éthiopie en raison de ses opinions politiques et parce qu’il serait perçu comme étant fortuné.

 

[17]           En ce qui concerne M. Gelaw, l’agent d’ERAR a noté les réserves exprimées par la Section du statut de réfugié quant à la crédibilité de M. Gelaw, réserves dues à l’improbabilité de différents éléments de son récit.

 

[18]           L’agent a par la suite examiné les rapports au sujet de la situation en Éthiopie tels que ceux produits par le Département d’État des États-Unis et le Home Office du Royaume-Uni. L’agent a également tenu compte des différents documents déposés par les demandeurs à ce sujet; il a examiné le contenu de chaque document et, pour chacun d’entre eux, il a expliqué pourquoi il leur a accordé peu de poids.

 

[19]           Après avoir procédé à cet examen, l’agent a conclu que la preuve n’établissait pas que M. Gelaw avait participé à des activités politiques après 1991 ou avait exprimé quelque opinion politique que ce soit qui aurait pu faire en sorte d’attirer sur lui l’attention des autorités de l’Éthiopie.

 

[20]           L’agent était également d’avis que M. Gelaw n’avait pas établi qu’il était d’un intérêt quelconque pour les autorités, que de penser qu’il serait persécuté à son retour en Éthiopie était par conséquent pure conjecture et que ses craintes n’étaient pas objectivement fondées.

 

[21]           Les demandeurs allèguent que l’agent n’a donné aucun poids aux renseignements déposés dans le cadre de la demande de M. Gelaw concernant la situation au pays, au motif que ces renseignements ne mentionnaient pas explicitement M. Gelaw, ce qui, selon eux, constitue une erreur. Je n’accepte pas cette allégation. Il ressort clairement d’une interprétation juste de la décision que l’agent n’a pas donné beaucoup de poids à la preuve documentaire parce que M. Gelaw n’avait pas le profil des personnes qui, selon les rapports, sont ciblées par le gouvernement actuel de l’Éthiopie.

 

[22]           M. Gelaw conteste particulièrement le fait que la décision n’accorde pas beaucoup de poids à un article paru le 17 juin 2006 concernant la persécution de diplomates par le gouvernement de l’Éthiopie. L’agent a examiné le contenu de l’article de façon assez détaillée, et il n’y a pas accordé beaucoup de poids au motif que M. Gelaw n’a pas occupé la fonction de diplomate depuis 1997. Il était raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion, et il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’ERAR, de réévaluer la preuve dont disposait l’agent.

 

[23]           Je partage l’avis de M. Gelaw selon lequel l’agent a commis une erreur en affirmant que l’auteur de l’article [traduction] « Crime et aliments » ne mentionnait pas les sources sur lesquelles il s’était fondé, étant donné que les sources étaient clairement citées dans les notes en fin d’article. Cette erreur, par contre, ne constitue que l’un des nombreux motifs sur lesquels s’est fondé l’agent pour accorder peu de poids à l’article, et elle ne justifie pas en soi que la décision soit annulée.

 

 

Les risques auxquels serait exposée Elfinesh Adem Mehamed

 

[24]            En plus du risque auquel elle affirme être exposée en tant qu’épouse de M. Gelaw, Mme Adem Mehamed soutient que sa vulnérabilité psychologique résultant de la tentative d’enlèvement l’exposerait à un risque en Éthiopie. Elle affirme également que son violent beau-père représente un risque pour elle.

 

[25]           L’agent d’ERAR a noté que malgré qu’une évaluation psychologique eût été fournie en appui à la demande CDNRSRC présentée par Mme Adem Mehamed, aucun rapport d’évaluation de ce type n’avait été déposé dans le cadre de la demande d’ERAR. L’agent a donc conclu que Mme Adem Mehamed n’avait pas établi qu’elle souffrait de trouble de stress post-traumatique (le TSPT).

 

[26]           En ce qui concerne l’allégation de la crainte de Mme Adem Mehamed envers son beau-père, l’agent a conclu que la preuve ne montrait pas qu’elle serait exposée à un risque à cet égard, étant donné qu’elle n’avait pas communiqué avec lui depuis 13 ans.

 

[27]           Mme Adem Mahamed n’a pas contesté la décision de l’agent concernant le risque que représente son beau-père, mais elle affirme que l’agent a commis une erreur en concluant qu’elle ne souffrait pas de TSPT. L’agent connaissait parfaitement l’existence de l’évaluation psychologique qui avait eu lieu en juillet 1999, selon laquelle Mme Adem Mehamed souffrait de TSPT, comme en témoignent les extraits du rapport d’évaluation cités dans la décision relative à la demande CDNRSRC, lesquels ont été mentionnés dans la décision de l’agent d’ERAR. Mme Adem Mehamed soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des conclusions du rapport, car, selon elle, rien dans la preuve dont disposait l’agent n’établit qu’elle ne souffre plus de TSPT.

 

[28]           Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent a commis une erreur à cet égard. Il incombait aux demandeurs d’établir qu’ils seraient exposés à un risque s’ils retournaient en Éthiopie, et les demandeurs devaient donc fournir à l’agent toute preuve qui, selon eux, pouvait appuyer leur demande d’ERAR. Par conséquent, il incombait aux demandeurs d’établir que Mme Adem Mehamed était encore vulnérable psychologiquement. Ils ont choisi de ne fournir aucune preuve à l’agent au sujet de l’état psychologique actuel de Mme Adem Mehamed.

 

[29]           Bien que les demandeurs n’eussent pas fourni à l’agent le rapport d’évaluation psychologique vieux de huit ans concernant Mme Adem Mehamed, l’agent a clairement tenu compte du contenu du rapport produit en 1999. L’agent a conclu que la preuve dont il disposait n’établissait pas que Mme Adem Mehamed souffrait encore de TSPT au moment de l’examen de la demande d’ERAR. Vu l’absence de preuve au sujet de l’état psychologique actuel de Mme Adem Mehamed, il était raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion.

 

 

Les risques auxquels serait exposée Yerome Alemayehu Workie

 

[30]           Yerome Alemayehu Workie allègue qu’elle serait exposée à un certain nombre de risques en Éthiopie, risques découlant principalement des piètres conditions de vie dans ce pays. Devant la Cour, les allégations de Yerome portaient essentiellement sur le risque d’être victime de mutilation génitale si elle retournait en Éthiopie.

 

[31]           En ce qui concerne la question de la mutilation génitale, l’agent d’ERAR a conclu que rien dans la preuve ne donnait à penser que les parents de Yerome lui feraient subir une mutilation génitale ou qu’elle pourrait subir une telle mutilation sans le consentement de ses parents.

 

[32]           Les demandeurs ont présenté à la Cour une preuve documentaire qui montre que la mutilation génitale des femmes est très répandue en Éthiopie. À mon humble avis, le fait que la mutilation génitale des femmes puisse être très répandue dans la société en Éthiopie n’affaiblit aucunement la conclusion de l’agent selon laquelle le risque auquel serait exposée Yerome n’avait pas été établi, parce que rien dans la preuve ne donnait à penser que ses propres parents lui feraient subir cette mutilation.

 

 

L’allégation de partialité

 

[33]           Bien qu’ils ne l’aient pas allégué dans leurs plaidoiries, les demandeurs ont allégué dans leur mémoire des faits et du droit que le [traduction] « rejet systématique» de toute la preuve documentaire qu’ils avaient déposée suscite une crainte raisonnablement de partialité de la part de l’agent.

 

[34]           J’ai conclu que, outre la conclusion de l’agent que l’un des articles déposés par les demandeurs ne mentionnait pas les sources sur lesquelles il était fondé, l’agent n’avait pas commis d’erreur dans l’appréciation de la preuve. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas établi qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, estimerait que l’agent a suscité une crainte raisonnable de partialité.

 

Conclusion

 

[35]           Pour ces motifs, je suis convaincue que la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable parce qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

La certification

 

[36]            Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

           

            LA COUR STATUE que :

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4716-07

 

INTITULÉ :                                                   ALEMAYEHU WORKIE GELAW ET AL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                        

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 2 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rekha McNutt

Peter W. Wong

 

POUR LES DEMANDEURS

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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