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Date : 20080905

Dossier : T-2086-05

Référence : 2008 CF 981

Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2008

En présence de L'honorable Max M. Teitelbaum 

 

ENTRE :

L'HONORABLE ALFONSO GAGLIANO

demandeur

et

 

L'HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

et

 

 

LA CHAMBRE DES COMMUNES

 

intervenante

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par l’honorable Alfonso Gagliano (le demandeur) à l’encontre du rapport de la Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission), daté du 1er novembre 2005, intitulé Qui est responsable? – Rapport factuel (le rapport de la phase I).

 

[2]               Le Procureur général du Canada (le Procureur général) et le commissaire John H. Gomery, ès qualité ex-commissaire (le commissaire), contestent la demande.

 

[3]               La Chambre de communes (la Chambre) était intervenante dans le cadre des requêtes interlocutoires.

 

LE CONTEXTE

[4]               La Commission a été créée par le décret C.P. 2004-110 le 19 février 2004, en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11. C’est par ce décret qu’a été nommé l’honorable John Howard Gomery – alors juge – à titre de commissaire et qu’a été fixé le cadre de référence de l’enquête. Le commissaire s’est vu attribuer un double mandat : faire enquête et rapport sur le Programme de commandites et les activités publicitaires du gouvernement du Canada, et formuler ensuite des recommandations fondées sur ses conclusions de fait en vue de prévenir la mauvaise gestion des futurs programmes de commandites ou activités publicitaires.

 

[5]               La Commission a été établie à la suite de questions soulevées aux chapitres 3 et 4 du rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale du Canada (le rapport de la vérificatrice générale), qui faisait état de problèmes posés par la gestion du Programme de commandites du gouvernement fédéral, le choix d’agences de communication pour les activités publicitaires du gouvernement, la gestion de contrats, ainsi que les activités de mesure et de déclaration relatives à l’optimisation des ressources. Dans son rapport, la vérificatrice générale signalait également le manque de transparence du processus décisionnel, l’absence de lignes directrices écrites concernant le programme, de même que l’omission d’informer le Parlement du Programme de commandites, y compris ses objectifs, ses dépenses et les résultats obtenus.

 

[6]               Conformément à son mandat, le commissaire était tenu de soumettre deux rapports à la gouverneure générale. Dans le premier (le rapport de la phase I), il devait présenter ses conclusions de fait à l’issue des audiences relatives à la phase I de son mandat, qui était définie comme suit :

a.         de faire enquête et de faire rapport sur les questions soulevées, directement ou indirectement, par les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes, novembre 2003, concernant le programme de commandites et les activités publicitaires du gouvernement du Canada, notamment :

 

i.          la création du programme de commandites,

ii.          la sélection d’agences de communication et de publicité,

iii.         la gestion du programme de commandites et des activités publicitaires par les responsables à tous les niveaux,

iv.         la réception et l’usage, par toute personne ou organisation, de fonds ou de commissions octroyés à l’égard du programme de commandites et des activités publicitaires,

v.         toute autre question directement liée au programme de commandites et aux activités publicitaires que le commissaire juge utile à l'accomplissement de son mandat;

 

[7]               Le second rapport (rapport de la phase II) devait être produit dans le contexte de la phase II du mandat et avait pour but de présenter les recommandations du commissaire. Cette seconde phase était définie comme suit :

b.           de formuler les recommandations qui lui semblent opportunes, d'après les faits révélés par l'enquête faite au titre de l’alinéa a), en vue de prévenir la mauvaise gestion des futurs programmes de commandites ou activités publicitaires, en tenant compte des mesures que le gouvernement du Canada a annoncées le 10 février 2004, notamment :

 

i.          le dépôt d’un projet de loi visant à protéger les « dénonciateurs », projet fondé en partie sur le rapport du Groupe de travail sur la divulgation des actes fautifs,

ii.          l’instauration de changements à la gestion des sociétés d’État visées par la partie X de la Loi sur la gestion des finances publiques afin de donner plus de pouvoir aux comités de vérification,

iii.         l’examen des questions suivantes :

A.        la possibilité d’appliquer la Loi sur l'accès à l’information à toutes les sociétés d’État,

B.         l’efficacité du régime actuel de reddition de comptes en ce qui concerne les sociétés d’État,

C.        l’application uniforme de la Loi sur la gestion des finances publiques à toutes les sociétés d’État,

iv.         l’établissement d’un rapport sur les changements à apporter à la Loi sur la gestion des finances publiques pour en favoriser le respect et le contrôle d’application, notamment pour permettre :

A.        le recouvrement de fonds détournés,

B.         l’examen de l'opportunité d’infliger des sanctions aux anciens fonctionnaires, employés des sociétés d’État et titulaires de charges publiques,

v.         l’établissement d’un rapport sur la responsabilité des ministres et des fonctionnaires, selon la recommandation de la vérificatrice générale du Canada.

 

[8]               Le mandat confié au commissaire était vaste, mais le cadre de référence de l’enquête comportait une limite expresse : le commissaire devait « exercer ses fonctions en évitant de formuler toute conclusion ou recommandation à l’égard de la responsabilité civile ou criminelle de personnes ou d’organisations et […] veiller à ce que l’enquête dont il [était] chargé ne compromette aucune autre enquête ou poursuite en matière criminelle en cours; » (alinéa k) du mandat).

 

[9]               Pour l’aider à exécuter ce mandat, le commissaire a bénéficié de l’appui d’un personnel administratif et de conseillers juridiques. Me Bernard Roy, c.r., a été nommé procureur en chef de la Commission. M. François Perreault a agi comme conseiller en communications pour la Commission et il était chargé des relations avec les médias.

 

[10]           Les audiences publiques ont eu lieu du 7 septembre 2004 au 17 juin 2005, période au cours de laquelle 172 témoins ont été entendus. Les audiences se sont déroulées en deux phases : celles de la première ont duré de septembre 2004 à février 2005, celles de la seconde, de février à mai 2005. Les rapports concernant les phases I et II ont été présentés à la gouverneure générale et rendus publics le 1er novembre 2005 et le 1er février 2006, respectivement. Comme je l’explique plus loin dans mes motifs, le présent contrôle judiciaire se limite au rapport de la phase I de la Commission et n’inclut pas le rapport de la phase II.

 

Le Programme de commandites

[11]           Avant d’aborder les questions soulevées dans la présente demande, il est nécessaire de donner quelques détails sur les origines du Programme de commandites.

 

[12]           En 1993, le Parti libéral du Canada, dirigé par le très honorable Jean Chrétien, a remporté une majorité de sièges au sein de la Chambre des communes. À l’époque, le Bloc québécois était le parti d’opposition officiel. L’année suivante, le Parti québécois, dirigé par l’honorable Jacques Parizeau, est arrivé au pouvoir au Québec et a annoncé peu de temps après qu’un référendum provincial allait être tenu en octobre 1995 afin de décider si le Québec devait se séparer ou non du Canada. Le camp du « Non » l’a emporté par une très mince majorité. Le Québec n’allait donc pas tenter de se séparer du Canada et continuerait de faire partie de la fédération canadienne. M. Parizeau a démissionné comme premier ministre et a été remplacé par l’honorable Lucien Bouchard, qui a promis de tenir un autre référendum lorsqu’il y aurait des « conditions gagnantes ».

 

[13]           À la suite du résultat serré du référendum ainsi que de cette promesse de M. Bouchard, un comité du Cabinet, présidé par l’honorable Marcel Massé (à l’époque ministre des Affaires intergouvernementales), a été établi pour formuler des recommandations sur l’unité nationale. Sur la base des recommandations figurant dans le rapport du comité du Cabinet, et après avoir tenu une réunion du Cabinet les 1er et 2 février 1996, le gouvernement du Canada a décidé de prendre des mesures spéciales pour contrer le mouvement souverainiste au Québec. Ces mesures spéciales ont été baptisées la « stratégie d’unité nationale » ou le « dossier de l’unité nationale ». Comme l’a mentionné M. Chrétien dans sa déclaration d’ouverture devant la Commission, l’unité nationale était sa toute première priorité en sa qualité de premier ministre. Il a donc confié à son directeur de cabinet, M. Jean Pelletier, la responsabilité du dossier de l’unité nationale.

 

[14]           La stratégie d’unité nationale avait pour but de rehausser la visibilité et la présence du gouvernement fédéral sur l’ensemble du territoire canadien, mais surtout au Québec. Cela devait se faire de nombreuses façons, et l’une d’elles était d’annoncer de manière visible, systématique et répétée divers programmes et initiatives du gouvernement fédéral par l’entremise d’un programme de commandites. Les commandites étaient des ententes dans le cadre desquelles le gouvernement du Canada fournissait à des organismes des ressources financières en vue de soutenir des activités de nature culturelle, communautaire et sportive. En échange, ces organismes procuraient au gouvernement une certaine visibilité en distribuant des documents de promotion et en affichant des symboles tels que le drapeau canadien ou le mot « Canada ». Selon le rapport de la vérificatrice générale, entre 1997 et le 31 mars 2003, le gouvernement du Canada a dépensé environ 250 millions de dollars pour « commanditer » 1 987 activités.

 

[15]           La responsabilité de l’administration du Programme de commandites a été confiée au Secteur de la publicité et de la recherche sur l’opinion publique (SPROP), un élément du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (TPSGC), qui est plus tard devenu la Direction générale des services de coordination des communications (DGSCC) après la fusion du SPROP et d’autres secteurs de TPSGC en octobre 1997. M. Joseph Charles Guité a été directeur du SPROP de 1993 à 1997, et directeur exécutif de la DGSCC de 1997 jusqu’à sa retraite, en 1999. M. Pierre Tremblay, alors directeur de cabinet du demandeur, l’a remplacé à la tête de la DGSCC. Le demandeur a été ministre de TPSGC de 1997 à 2002.

 

[16]           Le SPROP (et plus tard la DGSCC) ne disposait pas du personnel, de la formation ou de la compétence nécessaires pour gérer et administrer les commandites. C’est ainsi que des contrats ont été attribués à des agences de publicité et de communication pour accomplir ces tâches et, en contrepartie de ces services, les agences étaient rémunérées sous la forme de commissions et de frais de production. Une tranche de plus de 100 millions de dollars des dépenses totales du Programme de commandites a été versée à des agences de communication sous la forme de commissions et d’honoraires de production.

 

[17]           En mars 2002, le nouveau ministre de TPSGC, l’honorable Don Boudria, a demandé au Bureau de la vérificatrice générale de vérifier la façon dont le gouvernement avait traité trois contrats, d’un montant total de 1,6 million de dollars, qui avaient été adjugés à Groupaction Marketing, une agence de communication dont le siège social se trouvait à Montréal. Les lacunes relevées dans le processus de gestion des contrats ont mené à une enquête de la GRC ainsi qu’au lancement d’une vérification pangouvernementale du Programme de commandites et les activités de publicité et de sondage du gouvernement du Canada. Les résultats de cette vérification ont été publiés dans le rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale qui a donné naissance à la Commission et à la production du rapport qui est en litige dans la présente demande.

 

Les conclusions du rapport quant à la responsabilité du demandeur

[18]           Dans la section sur l’attribution de la responsabilité du rapport de la phase I, le commissaire a conclu à la responsabilité du demandeur de la manière suivante. Il a d’abord conclu que le demandeur avait rencontré M. Guité pour lui donner des instructions en personne, écartant ainsi M. Ranald Quail, sous-ministre de TPSGC de juin 1993 à avril 2001, de la direction et de la supervision de M. Guité, un fonctionnaire de son propre ministère. Il a également conclu que le demandeur n’avait pas fait suffisamment attention à la nécessité d’adopter des lignes directrices pour l’attribution des commandites aux agences de publicité, et qu’il n’avait pas surveillé ce que faisaient M. Guité et son successeur à la tête de la DGSCC à partir de 1999, M. Tremblay, alors qu’ils contournaient systématiquement M. Quail qui aurait normalement dû être en charge de cette surveillance. Le commissaire a aussi conclu que le demandeur avait pris directement part aux décisions concernant le financement d’événements et de projets à des fins partisanes davantage qu’à des fins d’unité nationale. Enfin, le commissaire a conclu que le demandeur devait accepter la responsabilité des actes et décisions des membres de son personnel exonéré, tels que M. Tremblay et M. Jean-Marc Bard, qui furent tour à tour ses directeurs de cabinet (le « personnel exonéré », ou « personnel ministériel exclu », signifie les employés politiques du ministre qui relèvent de lui directement, tel son directeur de cabinet, par opposition aux fonctionnaires de son ministère, employés de la fonction publique, qui relèvent du sous-ministre).

 

 

 

LES REQUÊTES INTERLOCUTOIRES

[19]           Cinq requêtes interlocutoires ont été présentées dans le dossier : deux de la part du demandeur, une de la part du Procureur général, et deux de la part de la Chambre. Je vais les traiter dans l’ordre dans lequel elles ont été déposées à la Cour.

 

[20]           Mais tout d’abord, la requête de la Chambre visant à faire radier le paragraphe 2b) de l’avis de demande de contrôle judiciaire du demandeur daté du 22 novembre 2005 sur la base de l’immunité parlementaire a déjà fait l’objet d’une décision en faveur de la Chambre (Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 261). Je n’en traiterai donc pas ici. La conséquence de ma décision dans le cadre de cette requête a été d’éliminer la nécessité pour la Chambre de comparaître et de soumettre des arguments sur le fond du dossier concernant le principe d’immunité parlementaire qu’elle entendait invoquer à l’encontre des arguments du demandeur au soutien du paragraphe 2b) de son avis de demande de contrôle judiciaire. Dans la mesure où j’ai déclaré, dans la décision précitée (2008 CF 261), que le principe d’immunité parlementaire s’appliquait en l’espèce et que le demandeur devait radier le paragraphe 2b) de son avis de demande, la Chambre n’a pas eu besoin de comparaître sur le fond.

 

[21]           Pour cette raison, je n’élaborerai donc pas non plus sur la deuxième requête interlocutoire de la Chambre, qui visait à déposer de la preuve complémentaire sur le principe d’immunité parlementaire en vertu de la règle 312 des Règles des Cours fédérales. Cette requête a été acceptée sur consentement à l’audience du 8 février 2008, mais elle est par la suite devenue sans objet vu ma décision sur la première requête.

 

1. Requête du Procureur général visant à faire expurger du dossier l’affidavit de Me Anouk Fournier

 

[22]           Le Procureur général a présenté une requête visant à faire radier du dossier l’affidavit souscrit le 29 mai 2007 par l’un des procureurs du demandeur, Me Anouk Fournier, sur la base de la règle 82 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) (les Règles), qui se lit comme suit :

82. Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

 

Le Procureur général allègue que dans la mesure où Me Anouk Fournier n’a pas obtenu l’autorisation de la Cour en vertu de la règle 82, il ne lui était pas permis de souscrire l’affidavit puisqu’elle est également l’un des procureurs du demandeur.

 

[23]           De manière subsidiaire, le Procureur général soutient que si j’en viens à la conclusion que l’affidavit souscrit par Me Anouk Fournier peut demeurer au dossier, je dois à tout le moins ordonner la radiation des quatre catégories de paragraphes et pièces suivantes de l’affidavit : les paragraphes introduisant des pièces qui font double emploi de la preuve déjà versée au dossier en format électronique (paragraphes 3, 9, 10 et 11), le paragraphe introduisant des pièces relatives au rapport de la phase II des travaux de la Commission (paragraphe 10), le paragraphe introduisant des pièces relatives au livre de M. Perreault intitulé Gomery – L’enquête (paragraphe 10), et les paragraphes introduisant des pièces relatives au dossier de M. Chrétien et qui sont étrangères à la cause du demandeur (paragraphes 16 et 17).

 

[24]           Le demandeur prétend que l’affidavit souscrit par Me Anouk Fournier rencontre les exigences de la règle 82 puisque Me Anouk Fournier ne présentera pas d’arguments fondés sur son affidavit. Le procureur du demandeur en charge de plaider le dossier sera son associé, Me Pierre Fournier. Pour cette raison, le demandeur est d’avis que l’affidavit respecte la règle 82 et devrait demeurer au dossier. De manière subsidiaire, le demandeur conteste que certains paragraphes doivent être radiés et certaines pièces expurgées de l’affidavit. S’il concède que les paragraphes 3, 9, 10 et 11 de l’affidavit introduisent effectivement des pièces qui font double emploi de la preuve déjà au dossier, le demandeur prétend par ailleurs que le rapport de la phase II des travaux de la Commission, le livre de M. Perreault, et les pièces relatives au dossier de M. Chrétien sont pertinents à sa demande de contrôle. Le demandeur mentionne également que dans l’hypothèse où l’affidavit souscrit par Me Anouk Fournier devait être radié, il déposerait alors au dossier son propre affidavit.

 

[25]           Pour les raisons qui suivent, je rejette en partie la requête du Procureur général.

 

[26]           Bien qu’il ne s’agisse pas d’une très bonne pratique de faire souscrire un affidavit par l’un des avocats du même cabinet que celui qui plaide le dossier, la règle 82 prévoit que l’interdiction ne s’applique que lorsque le même avocat souscrit l’affidavit et présente également des arguments fondés sur cet affidavit (Agustawestland International Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2006 CF 1371, juge Kelen, au para. 16). L’affidavit de Me Anouk Fournier peut donc demeurer au dossier, sujet cependant aux modifications suivantes. Je note ici que l’affidavit que le demandeur suggérait de déposer – le sien – dans l’hypothèse où celui souscrit par Me Anouk Fournier serait radié introduit les mêmes catégories de pièces. Pour cette raison, il aurait été sujet aux mêmes modifications que celles que j’ordonne pour l’affidavit présentement au dossier, et donc la substitution d’affidavits aurait été inutile.

 

[27]           D’une part, les pièces qui font double emploi de la preuve déjà au dossier doivent être expurgées. Mon collègue le juge Simon Noël a rendu une ordonnance le 18 janvier 2006 stipulant que la preuve introduite par le Procureur général emportait automatiquement son inclusion dans le dossier du demandeur. Du reste, le demandeur lui-même concède que certains paragraphes introduisent des pièces qui font double emploi de la preuve déjà au dossier sous format électronique. Pour cette raison, les paragraphes 3, 9, 10 et 11 sont radiés de l’affidavit de Me Anouk Fournier et les pièces qu’ils introduisent sont expurgées. Dans les faits cependant, je n’exige pas que ces modifications soient véritablement apportées à l’affidavit.

 

[28]           Ensuite, le paragraphe 10 de l’affidavit de Me Anouk Fournier, qui vise à introduire le rapport de la phase II des travaux de la Commission (pièce « J ») ainsi que des articles de journaux ayant trait à ce rapport (pièces « E » et « F »), doit être radié, et ces pièces expurgées. Je suis tout à fait d’accord avec le Procureur général que ces pièces ne sont pas pertinentes aux fins de la demande de contrôle judiciaire. La pertinence des pièces est déterminée par le test établi par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 10 de la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.) [ci-après Pathak] :

[10]  Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s’il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l’intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit produits par l'intimé.

 

[29]           Comme je l’ai mentionné dans les décisions Chrétien c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 802, au paragraphe 23 [ci-après Chrétien] et Pelletier c. Canada (Procureur général), 2008 CF 803, au paragraphe 23 [ci-après Pelletier], je ne crois pas que la Cour d’appel, dans Pathak, ait eu l’intention d’énoncer un test qui limite obstinément l’examen de la pertinence des éléments de preuve aux motifs au soutien de la demande de contrôle judiciaire ni qui admette comme pertinent tout ce qui se rapproche de près ou de loin au contenu de l’avis de demande de contrôle. Certes, la pertinence des éléments de preuve doit être évaluée en fonction des motifs au soutien de la demande (Pathak, au para. 10). Ceci dit, je crois tout de même être investi du rôle discrétionnaire qui consiste à « établir » ou « déterminer » (ce sont les mots utilisés par la Cour d’appel au paragraphe 10 de Pathak) ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas. C’est investi de ce pouvoir discrétionnaire que je conclus que le paragraphe 10, qui cherche à introduire le rapport de la phase II ainsi que des articles de journaux en lien avec la phase II des travaux de la Commission, doit être radié, et les pièces « E », « F » et « J » expurgées de l’affidavit de Me Anouk Fournier. Or, comme mentionné précédemment, je n’exige pas, à cette étape-ci, que l’affidavit soit véritablement modifié. Je me contenterai uniquement de ne pas considérer cette preuve lors de mon analyse du dossier.

 

[30]           Le Procureur général cherche également à faire radier le paragraphe 10 et le livre de M. Perreault (pièce « K ») pour le motif que ce livre constitue du ouï-dire. Le demandeur croit que le livre de M. Perreault devrait se retrouver en preuve parce que le commissaire Gomery a attesté, dans la préface du livre, de l’exactitude de la manière dont M. Perreault relate le « fonctionnement interne de la Commission ». Le Procureur général soutient que ce constat du commissaire ne devrait pas être assimilé à un aveu que l’ensemble du livre est exact.

 

[31]           Je suis d’accord avec le demandeur que l’affirmation du commissaire Gomery, dans la préface du livre, selon laquelle M. Perreault « relate de manière captivante et exacte le fonctionnement interne de la Commission », laisse fortement supposer qu’il atteste ainsi de l’exactitude de l’ensemble du livre. Je suis porté à croire que le commissaire Gomery aurait lu le livre dans son entier avant d’accepter d’en rédiger la préface. Il est donc logique de croire que si l’un ou l’autre passage lui était sauté aux yeux comme étant inexact, il aurait suggéré à M. Perreault de le modifier, ou à tout le moins se serait-il distancié de ce passage en n’utilisant pas le terme « exact » quant à la manière dont M. Perreault a relaté le fonctionnement interne de la Commission. Pour cette raison, je suis d’avis que le livre de M. Perreault est recevable en preuve. La portion du paragraphe 10 de l’affidavit de Me Anouk Fournier, qui cherche à introduire le livre de M. Perreault en pièce « K », peut donc demeurer à l’affidavit.

 

[32]           En dernier lieu, le Procureur général s’oppose à la production des pièces « L » et « M », que le demandeur cherche à introduire aux paragraphes 16 et 17 de l’affidavit de Me Anouk Fournier, pour le motif qu’il s’agit de documents étrangers à la cause du demandeur. Pour la même raison, le Procureur général s’oppose également à la production des pièces « C » et « D » au paragraphe 10 de l’affidavit. Le demandeur soutient que ces pièces sont pertinentes à sa cause puisqu’elles appuient sa prétention selon laquelle le commissaire Gomery entretient un préjugé défavorable à l’endroit de la classe politique et des membres du Parti libéral.

 

[33]           Bien que ce ne soit pas mon rôle à ce stade de me prononcer sur la validité de cette prétention aux fins de la demande de contrôle, je conclus néanmoins que la pièce « C » est pertinente à la cause du demandeur. Cette pièce consiste en un article de journal daté du 12 janvier 2005 qui traite des commentaires faits par le commissaire lors des entrevues qu’il a accordées en décembre 2004 et des inquiétudes que ces commentaires ont soulevées auprès des demandeurs. S’il est vrai que le nom de M. Chrétien est celui qui apparaît principalement, le nom du demandeur apparaît aussi et son procureur est également cité dans l’article. Pour cette raison, je suis d’avis que cette pièce est pertinente à la cause du demandeur. Quant à l’article en pièce « D », bien qu’il traite des mêmes événements et fasse allusion à la même inquiétude soulevée par les commentaires du commissaire Gomery, une lecture attentive ne me permet pas de conclure qu’il s’applique directement à la cause du demandeur. Pour cette raison, je doute fortement de sa pertinence et je conclus qu’il ne devrait pas être produit au dossier du demandeur. De la pièce « L », qui représente près de 2000 pages de preuve dans le dossier de M. Chrétien, les seules parties pertinentes à la cause du demandeur sont les pages 33 à 44, qui traitent d’articles de journaux en lien avec des déclarations que le commissaire a faites dans le cadre d’entrevues accordées aux médias en décembre 2004 durant la pause des Fêtes des travaux de la Commission. La pièce « M » introduit des articles de journaux qui font état du scandale financier du Programme de commandites, et plus particulièrement des allégations selon lesquelles des membres du Parti libéral du Canada auraient profité de pots-de-vin dans la sélection des agences de publicité. Bien que ces articles traitent d’un effet du scandale des commandites, ils ne concernent pas directement l’objet de la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi, et conséquemment, ne sont pas pertinents à la cause du demandeur.

 

[34]           En résumé, l’affidavit de Me Anouk Fournier peut demeurer au dossier. Cependant, ses paragraphes 3, 9, 11 et 17 doivent être radiés, et les pièces qu’ils introduisent, expurgées. Les pièces « D », « E », « F » et « J » du paragraphe 10 doivent aussi être expurgées. La pièce « L », introduite par le paragraphe 16, ne peut être conservée que pour les pages 33 à 44 (articles de journaux). Enfin, le paragraphe 17 doit être radié, et la pièce « M », qu’il introduit, expurgée.

 

[35]           Vu le résultat partagé de la présente requête, elle sera rejetée sans frais.

 

2. Requête du demandeur visant à déposer de la preuve complémentaire (règle 312)

[36]           Le demandeur a présenté une requête en vertu de la règle 312 des Règles pour être autorisé à déposer un dossier de preuve complémentaire. La règle 312 se lit comme suit :

 

312. Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

 

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

 

b) effectuer des contre-interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

 

c) déposer un dossier complémentaire.

312. With leave of the Court, a party may

 

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

 

 

(b) conduct cross-examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

 

 

(c) file a supplementary record.

 

 

[37]           La preuve complémentaire que le demandeur entend déposer au soutien de sa demande consiste en un article paru dans le journal La Presse en date du 15 novembre 2007 intitulé : «  Le juge Gomery prêt à partager son expérience avec David Johnston ». Dans cet article, le commissaire Gomery mentionne qu’il aurait refusé de présider la commission publique sur l’affaire Mulroney-Schreiber si on le lui avait proposé, mais qu’il serait néanmoins prêt à partager son expérience avec David Johnston, conseiller du gouvernement dans la création de la commission en question. Le commissaire Gomery mentionne également que l’une des raisons pour lesquelles il refuserait de siéger à cette commission est son association étroite avec Me Roy, qui est un ami et confident de M. Mulroney, et le fait que sa fille, Me Sally Gomery, travaille au même cabinet que M. Mulroney et Me Roy. Le demandeur soutient que cet article est utile à l’appui de son argument selon lequel le procureur de la Commission, Me Roy, aurait eu une conduite empreinte de partialité à son endroit.

 

[38]           Le test approprié pour déterminer si de la preuve complémentaire peut être déposée au dossier a été établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Atlantic Engraving Ltd. c. Rosenstein, 2002 CAF 503, aux paragraphes 8 et 9 [ci-après Atlantic Engraving]. Il s’agit d’un test à quatre volets qui consiste à examiner si 1) les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice, 2) s’ils aideront la Cour, 3) s’ils ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse, et 4) s’ils n’étaient pas disponibles auparavant. Bien que l’affaire dans Atlantic Engraving concernait le dépôt d’affidavits complémentaires (312a)) et non pas d’un dossier complémentaire (312c)), le même test à quatre volets s’applique dans ce cas-ci. En effet, j’ai précisé, dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) et al., 2006 CF 984, [2007] 2 R.C.F. 371, aux paragraphes 19 et 22, que le test établi dans Atlantic Engraving s’appliquait à toutes les requêtes présentées sous la règle 312 :

[19]  […] Bien que l’arrêt Atlantic Engraving portait sur une affaire de marque de commerce, les observations de la Cour d’appel fédérale touchant les règles qui régissent le dépôt d’affidavits complémentaires s’appliquent à mon sens à toutes les requêtes formées sous le régime de l'article 312 des Règles.

 

[39]           Sur la base du test à quatre volets établi dans Atlantic Engraving, je rejette la requête du demandeur. J’ai donné ma décision à l’audition du 8 février 2008 et j’ai alors mentionné que l’article visé par la requête n’avait aucune valeur aux fins de la demande de contrôle judiciaire et qu’il n’allait pas être utile à la Cour dans son analyse du dossier. Le demandeur n’a donc pas réussi à me convaincre que tous les volets du test d’Atlantic Engraving étaient réunis. Plus précisément, c’est le deuxième volet qui fait défaut dans ce cas-ci. Je ne crois pas qu’il soit requis à ce stade d’ajouter des explications à la décision que j’ai rendue sur le banc.

 

[40]           La présente requête est rejetée, avec dépens accordés au Procureur général.

 

3. Requête du demandeur visant à assigner M. Perreault (règle 316)

[41]           Le demandeur a présenté une requête en vertu de la règle 316 des Règles afin d’enjoindre M. Perreault à témoigner si son livre était admis dans le cadre de la requête du Procureur général. La règle 316 dispose de ceci :

316. Dans des circonstances particulières, la Cour peut, sur requête, autoriser un témoin à témoigner à l’audience quant à une question de fait soulevée dans une demande.

316. On motion, the Court may, in special circumstances, authorize a witness to testify in court in relation to an issue of fact raised in an application.

 

[42]           Dans une lettre datée du 5 décembre 2007, le commissaire, par l’entremise de son procureur, a reconnu avoir signé la préface et a également reconnu l’exactitude du contenu de la préface. Le commissaire a toutefois précisé que cette admission se limitait à la préface et ne s’étendait pas au contenu du livre de M. Perreault.

 

[43]           Le demandeur présente la nécessité de sa requête sous la règle 316 en deux étapes. D’abord, il soutient que si je conclus, dans le cadre de la requête en radiation du Procureur général, que le livre de M. Perreault n’est pas pertinent à la demande de contrôle judiciaire, la requête devient forcément sans objet puisque le livre ne sera pas déposé en preuve et qu’il ne sera ainsi pas nécessaire de faire témoigner son auteur. À l’inverse, le demandeur soutient que si je conclus que le livre est pertinent, je dois passer à la deuxième étape de l’analyse, qui consiste à déterminer si le livre de M. Perreault constitue du ouï-dire. Si je conclus que le livre ne constitue pas du ouï-dire, j’en reviens à reconnaître l’exactitude de son contenu sur la base de l’affirmation du commissaire dans la préface, et il devient alors inutile de faire témoigner son auteur sur la question de savoir si le contenu de son livre est bel et bien exact. À l’inverse, le demandeur soutient que si je conclus que le livre constitue du ouï-dire, mais qu’il est tout de même recevable en preuve sur la base de sa pertinence, la présente requête sous la règle 316 permettra de poser la question à M. Perreault de confirmer ou d’infirmer l’exactitude du contenu de son livre.

 

[44]           Le Procureur général soutient que la requête du demandeur devrait être rejetée pour deux raisons principales. D’une part, il prétend qu’il ne sera pas nécessaire de faire témoigner M. Perreault, puisque même si je conclus à la pertinence du livre à ce stade des procédures, il lui sera toujours loisible de débattre de la pertinence de ce document sur le fond de l’affaire. D’autre part, le Procureur général allègue que le demandeur ne fait pas état des « circonstances particulières » exigées par la règle 316 pour permettre le témoignage de M. Perreault.

 

[45]           J’ai déjà décidé, à l’audition du 8 février 2008, que j’accordais cette requête du demandeur si elle devenait nécessaire. À la lumière de ma décision rendue ci-dessus sur la requête du Procureur général quant au traitement réservé au livre de M. Perreault, je précise maintenant cette décision. Dans la mesure où j’ai conclu que le livre de M. Perreault était pertinent à la demande de contrôle judiciaire, et qu’il ne constituait pas du ouï-dire puisque le commissaire avait attesté de son exactitude dans la préface, la présente requête sous la règle 316 devient sans objet. Pour cette raison, je la rejette, mais sans frais, vu les circonstances.

 

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[46]           Le demandeur soulève deux arguments principaux au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, que je résume de la manière suivante. Premièrement, il allègue que le commissaire a violé l’équité procédurale en limitant son droit au contre-interrogatoire de M. Guité dont il a retenu en partie le témoignage au détriment du demandeur; en outrepassant son mandat d’enquête; en lui imposant des règles qui n’existaient pas lorsqu’il était ministre; et en suscitant une crainte raisonnable de partialité, principalement en raison de sa conduite lors des audiences de la Commission. Deuxièmement, le demandeur allègue que le commissaire a erré quant à son appréciation de la preuve, entre autres en concluant en l’absence de preuve et en faisant défaut d’apprécier la preuve qui lui était favorable.

 

[47]           Le Procureur général est le défendeur responsable de répondre aux allégations concernant les violations d’équité procédurale.

 

[48]           Le commissaire est également représenté dans la présente demande, non pas à titre personnel de John H. Gomery, mais bien à titre d’ex-commissaire de la Commission. C’est dans ce sens que j’utilise, dans l’analyse qui suit, le terme « commissaire » lorsque je réfère aux « arguments du commissaire » ou à ce que « le commissaire allègue ou prétend ». La position du commissaire est limitée à argumenter que les conclusions du rapport de la phase I sont fondées sur la preuve.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[49]           Au regard des soumissions des parties, les questions en litige soulevées par la présente demande de contrôle sont les suivantes :

1. Quelles sont les normes de contrôle applicables?

2. Quel est le degré d’équité procédurale auquel avaient droit les personnes ayant comparu devant la Commission?

3. Le commissaire a-t-il violé l’équité procédurale à l’égard du demandeur?

4. Le commissaire a-t-il erré en concluant en l’absence de preuve ou en ne tenant pas compte de la preuve au dossier?

 

ANALYSE

1. Les normes de contrôle applicables dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[50]           Essentiellement, le demandeur sollicite l’intervention de cette Cour pour deux motifs principaux : d’abord quant aux violations de l’équité procédurale, et ensuite quant à l’absence de preuve au soutien des conclusions du commissaire.

 

[51]           Il est bien établi que l’analyse de la norme de contrôle ne s’applique pas aux questions d’équité procédurale (Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539). Ces questions sont toujours contrôlées en tant que questions de droit et, par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] 3 R.C.F. 392 (C.A.F.), au para. 46; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). Si je conclus à un manquement à l’équité procédurale pour l’un des motifs soulevés par le demandeur, les conclusions du rapport de la phase I le concernant devront être annulées, sans qu’il soit nécessaire de poursuivre l’analyse des autres motifs (Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, p. 645 [ci-après Newfoundland Telephone]).

 

[52]           En ce qui concerne les conclusions du rapport, la norme de contrôle est celle établie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.), au paragraphe 46 [ci-après Morneault] :

Étant donné qu’il s’agit de conclusions tirées par une commission d’enquête, je préfère examiner ces conclusions en me demandant si elles sont étayées jusqu’à un certain point par la preuve versée au dossier de l’enquête. Dans l’arrêt Mahon, précité, à la page 814, lord Diplock a noté les différences qui existent entre une enquête et un litige civil ordinaire et, à la page 820, il a énoncé les deux règles de justice naturelle mentionnées dans le passage précité. Il a ensuite ajouté ce qui suit, à la page 821:

 

[TRADUCTION] Les règles techniques de preuve applicables aux litiges civils ou criminels ne font pas partie des règles de justice naturelle. La première règle exige que la décision de tirer la conclusion en question soit fondée jusqu'à un certain point sur des éléments qui tendent logiquement à montrer l’existence de faits compatibles avec la conclusion et que le raisonnement qui est fait au sujet de la conclusion, s’il doit être divulgué, ne soit pas en bonne partie contradictoire en soi.

 

[Je souligne]

 

[53]           La norme de contrôle applicable aux conclusions factuelles d’une commission d’enquête contient donc trois éléments cumulatifs : 1) la conclusion doit être fondée jusqu’à un certain point sur des éléments de preuve, 2) ces éléments de preuve doivent tendre logiquement à montrer l’existence de faits compatibles avec la conclusion, et 3) le raisonnement fait au sujet de la conclusion ne doit pas être en bonne partie contradictoire en soi.

 

[54]           Cette norme a d’ailleurs subséquemment été reprise par cette Cour dans la décision Beno c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 142, [2002] 3 C.F. 499 (1ère inst.), juge Heneghan, aux paragraphes 110 à 115 [ci-après Beno (2002)].

 

2. Le degré d’équité procédurale auquel avaient droit les personnes ayant comparu devant la Commission.

 

[55]           Le degré d’équité procédurale auquel ont droit des parties apparaissant devant des décideurs administratifs ou judiciaires varie selon le contexte (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, p. 837). C’est pourquoi il est important de déterminer le degré d’équité procédurale auquel avaient droit les parties ayant comparu devant la Commission avant d’examiner si ce droit a été brimé dans le cas du demandeur. Cependant, comme j’ai déjà établi ce degré d’équité procédurale dans les décisions Chrétien, ci-dessus (aux paragraphes 39 à 61), et Pelletier, ci-dessus (aux paragraphes 37 à 59), je ne crois pas qu’il soit nécessaire que je me prête à la même analyse détaillée de la détermination du degré d’équité procédurale en l’espèce. En effet, puisqu’il s’agit de la même commission d’enquête, ce que j’ai décidé quant à l’obligation d’équité procédurale du commissaire Gomery dans les dossiers de M. Chrétien et M. Pelletier s’applique de la même façon ici. Que les allégations de M. Gagliano quant au fond de sa demande de contrôle soient différentes ou différemment structurées de celles de M. Chrétien et M. Pelletier n’influe pas sur le degré d’équité procédurale dont il était en droit de s’attendre du commissaire Gomery.

 

[56]           Par souci de concision, je me contente donc de rappeler qu’en vertu des cinq critères énoncés dans l’arrêt Baker, ci-dessus, à savoir (i) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, (ii) la nature du régime législatif, (iii) l’importance de la décision pour les personnes visées, (iv) les attentes légitimes des parties, et (v) les choix de procédure que fait l’organisme décisionnel, le demandeur avait droit à un degré élevé d’équité procédurale devant la Commission.

 

3. Le commissaire Gomery a-t-il violé l’équité procédurale à l’égard du demandeur?

[57]           Le demandeur allègue que le commissaire a violé l’équité procédurale de quatre manières : 1) en suscitant une crainte raisonnable de partialité, 2) en outrepassant son mandat d’enquête, 3) en imposant au demandeur des règles qui n’existaient pas lorsqu’il était ministre, et 4) en limitant son droit au contre-interrogatoire.

 

[58]           Selon le demandeur, les éléments 2), 3) et 4) constituent non seulement des motifs de contrôle judiciaire en soi, mais ils sont également des illustrations de la partialité du commissaire. Le demandeur me suggère donc de tenir compte de ces éléments lorsque je déterminerai s’il existe une crainte raisonnable de partialité, en plus des autres éléments plus précis qu’il soulève au soutien de cette allégation et dont je traite plus spécifiquement à la section « Application du test de la crainte raisonnable de partialité en l’espèce », ci-dessous.

 

1) L’allégation quant à la crainte raisonnable de partialité

Le test de la crainte raisonnable de partialité

[59]           L’équité procédurale exige que les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité (Baker, ci-dessus, para. 45). Le critère de l’impartialité attendue d’un décideur varie, suivant le rôle et la fonction du décideur en question (Newfoundland Telephone, ci-dessus). Dans Newfoundland Telephone, la Cour suprême, sous la plume du juge Cory, a établi une échelle pour évaluer les allégations de partialité visant les membres de commissions ou d’organismes administratifs :

De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C’est‑à-dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. À l’autre extrémité se trouvent les commissions dont les membres sont élus par le public. C’est le cas notamment de celles qui s’occupent de questions d’urbanisme et d’aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux. Pour ces commissions, la norme est nettement moins sévère. La partie qui conteste l’habilité des membres ne peut en obtenir la récusation que si elle établit que l’affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s’occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l’application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur.

[…]

En outre, le membre d’une commission qui remplit une fonction d’élaboration des politiques ne devrait pas être exposé à une accusation de partialité du seul fait d’avoir exprimé avant l’audience des opinions bien arrêtées. Cela ne veut pas dire, évidemment, que la conduite des membres d’une commission n’est assujettie à aucune restriction. Il s’agit plutôt de la simple confirmation du principe suivant lequel les tribunaux doivent faire preuve de souplesse face à ce problème, de manière que la norme appliquée varie selon le rôle et la fonction de la commission en cause. En dernière analyse, cependant, les commissaires doivent fonder leur décision sur la preuve qui leur a été présentée. Bien qu’ils puissent faire appel à leur expérience, à leurs connaissances et à leur compréhension du domaine, cela doit se faire dans le cadre de la preuve produite devant la commission.

 

(Newfoundland Telephone Co., pp. 638-639)

 

[60]           Le juge Cory, conduit par cette règle de souplesse, a ensuite conclu que la norme qu’il y a lieu d’appliquer pour évaluer l’impartialité de la commission, au stade de l’enquête, est celle de l’« esprit fermé ». Il a également conclu que, lorsque l’affaire atteignait le stade de l’audition, le rôle de la commission avait changé et, de ce fait, la norme appliquée pour examiner la conduite de la commission à ce stade était la crainte raisonnable de partialité.

 

[61]           Dans l’arrêt Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527 (C.A.F.) [ci-après Beno (C.A.F.)], la Cour d’appel fédérale a pris en considération la nature, le mandat et la fonction de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie et a décrété que la Commission se situait quelque part entre les extrémités législative et juridictionnelle de l’échelle, déclarant ce qui suit aux paragraphes 26 et 27 :

Pour les fins du présent appel, il n’est pas nécessaire d’indiquer de façon précise en quoi consiste le critère d’impartialité applicable aux membres des commissions d’enquête. Selon sa nature, son mandat et sa fonction, la Commission d’enquête sur la Somalie doit, par rapport à l’échelle énoncée dans Newfoundland Telephone, se situer entre les extrémités législatives et juridictionnelles. Compte tenu des différences notables qui distinguent cette enquête d’une instance civile ou criminelle, l’extrémité juridictionnelle ne conviendrait pas en l’espèce. Par ailleurs, vu les graves conséquences que le rapport d’une commission peut entraîner pour les personnes qui ont reçu signification du préavis que prévoit l’article 13, la norme permissive de l’«esprit fermé» à l’extrémité législative ne conviendrait guère également. Nous sommes d’avis que les membres de la Commission d’enquête sur la Somalie doivent exercer leurs fonctions d’une façon qui, eu égard à la nature particulière de celles-ci, ne suscite pas une crainte raisonnable de partialité. Tout comme dans Newfoundland Telephone, le critère de la crainte raisonnable de partialité doit s’appliquer avec souplesse. Le juge Cory a statué ainsi (aux pages 644 et 645):

 

Si, au stade de l’enquête, c’était le critère de l’«esprit fermé» qui s’appliquait, à l’audience la norme devait être plus sévère. Aussi l’équité procédurale commandait-elle alors que les commissaires se comportent de façon à ne susciter aucune crainte raisonnable de partialité. Il faut appliquer ce critère avec souplesse. Il n’a pas à être aussi sévère dans le cas de la Commission en cause, qui traite de questions de principe, qu’il le serait dans le cas d’une commission remplissant des fonctions purement juridictionnelles. Cette norme de conduite n’empêchera évidemment pas les commissaires de soumettre à l’interrogatoire le plus rigoureux possible témoins et avocats.

 

Si nous appliquons ce critère, nous ne pouvons souscrire aux conclusions du juge de première instance. Un commissaire ne doit être déclaré inhabile pour cause de partialité que s’il existe une crainte raisonnable qu’il décide sur un fondement autre que la preuve. Ici, une application souple du critère de la crainte raisonnable de partialité exige que le tribunal d’appel tienne compte du fait que les commissaires agissaient en qualité d’enquêteurs dans le contexte d’une enquête longue, ardue et complexe. Le juge n’a pas tenu compte de ce contexte en appliquant le critère.

 

[62]           Le Procureur général soutient que la Commission Gomery est de nature similaire à celle dont traite la Cour d’appel dans Beno (C.A.F.) et que, contrairement à la situation dans Newfoundland Téléphone, ci-dessus, la Commission Gomery est toujours demeurée au stade de l’enquête. Pour cette raison, le Procureur général allègue que le critère applicable est celui de l’« esprit fermé », qui consiste à déterminer s’il y a une crainte raisonnable que le commissaire tirerait une conclusion sur un fondement autre que la preuve. Le Procureur général reconnaît que le test de la crainte raisonnable de partialité basé sur le critère de la personne raisonnable existe, mais il ne l’a pas allégué de manière subsidiaire.

 

[63]           Le demandeur prétend que le test applicable est celui de la crainte raisonnable de partialité, tel qu’énoncé par le juge de Grandpré, dissident, dans l’arrêt de la Cour suprême Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 [ci-après Committee for Justice and Liberty] (test endossé ultérieurement par la Cour suprême, entre autres dans R. c. S.(R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 [ci-après R.D.S.]).

 

[64]           Après avoir examiné la jurisprudence que les parties ont citée, je conclus que la Commission se situe quelque part entre le milieu et l’extrémité supérieure de l’échelle décrite dans l’arrêt Newfoundland Telephone. Par conséquent, en recourant à une application souple du critère de la crainte raisonnable de partialité, je conclus que le test applicable est celui de la crainte raisonnable de partialité que le juge de Grandpré a énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe [le commissaire], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

(Committee for Justice and Liberty, p. 394)

 

 

[65]           Comme l’a déclaré le juge Cory dans R.D.S., ci-dessus, le critère de la crainte raisonnable de partialité « comporte un double élément objectif : la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire » (R.D.S., para. 111). Et, signale-t-il par ailleurs, « [l]a personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris [traduction] “des traditions historiques d’intégrité et d’impartialité, et consciente aussi du fait que l’impartialité est l’une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter” » (ibid., souligné dans l’original). De plus, « [p]eu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente » et « […] il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant » (R.D.S., para. 112-113).

 

[66]           Il existe une présomption selon laquelle un décideur agira de manière impartiale et, pour écarter cette présomption, « [i]l faut plus qu’un simple soupçon ou des réserves émanant d’“une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne” » (Beno (C.A.F.), ci-dessus, para. 29, citant Committee for Justice and Liberty, ci-dessus, p. 395). C’est à la personne qui allègue l’existence de la partialité qu’il appartient d’en faire la preuve, et la barre à atteindre pour conclure à une crainte raisonnable de partialité est élevée.

 

Application du test de la crainte raisonnable de partialité en l’espèce

[67]           Je souligne d’entrée de jeu que les arguments soulevés par le demandeur sur la question de la crainte raisonnable de partialité sont différents de ceux soulevés par M. Chrétien et M. Pelletier dans les décisions que j’ai rendues précédemment (Chrétien, ci-dessus, et Pelletier, ci-dessus). En effet, le procureur du demandeur en l’espèce a affirmé que les déclarations publiques du commissaire Gomery qui ont été au cœur des dossiers Chrétien et Pelletier ne s’appliquaient pas à son client.

 

[68]           Lors de l’audience, voyant que le procureur du demandeur avait terminé ses représentations sans aborder l’effet des déclarations publiques du commissaire Gomery sur l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’endroit de son client, je lui ai demandé s’il désirait traiter de la question. Il m’a répondu que dans la mesure où les remarques du commissaire n’étaient pas adressées à son client, celui-ci n’en avait souffert aucun préjudice. Par souci de clarté, je reproduis le passage pertinent de la transcription de l’audience :

LE JUGE :

Et ça c’est votre preuve, vous n’avez  pas d’autres choses à me dire?

 

Me PIERRE  FOURNIER :

Non, Votre Seigneurie, à moins que vous ayez des questions à me poser auquel cas il me fera plaisir d'y répondre.

 

LE JUGE :

Non, c’est pas à moi de vous dire comment vous devez diriger votre cause, sauf que je suis un peu surpris que vous ne parliez pas des questions de préjudice en ce qui concerne les remarques que monsieur Gomery a déjà faites par les journaux en décembre 2004.

 

Me PIERRE  FOURNIER :

Je comprends.

 

LE JUGE :

Vous êtes pas obligé de parler de ça du tout si vous êtes satisfait que ça montre rien, mais ça c’est pourquoi je vous demande. Est-ce que vous l’avez oublié ou...

 

Me PIERRE  FOURNIER :

Non.

 

LE JUGE :

... est-ce que vous êtes prêt à laisser?

 

Me PIERRE  FOURNIER :

Non, ni l’un et l'autre, Votre Seigneurie, mais c’est parce que là, il faut s’entendre sur le mot « préjudice ». Les remarques faites par le commissaire Gomery, j’en ai parlé, sont pour moi la preuve de partialité de sa part, point.

 

Vous vous rappellerez que ces remarques-là à l’époque n’étaient pas adressées à mon client; il y a pas eu de préjudice causé à mon client par ces remarques-là. C’est des remarques qui étaient principalement adressées à monsieur Chrétien.

 

Monsieur Chrétien peut peut-être dire le commissaire a sorti de son domaine et [«] il m’a causé un préjudice [»]. Moi, tout ce que je peux dire à partir de ces remarques, en fait, je pense que tout ce que je peux dire à partir de ces remarques, c’est qu’elles indiquent, elles font la démonstration de la partialité du commissaire à l’égard de la classe politique, de sa volonté de trouver une victime expiatoire. Mais je peux pas aller plus loin que ce que j'ai dit à ce sujet-là.

 

LE JUGE :

Merci, merci  bien. […]

 

[69]           En raison de cette admission de la part du procureur du demandeur, je ne peux pas tenir compte de certaines des déclarations publiques du commissaire Gomery dans mon analyse du motif soulevé par le demandeur basé sur la crainte raisonnable de partialité. Le demandeur faisait bien évidemment partie de la classe politique durant la période que le commissaire était chargé d’enquêter, mais le test de la crainte raisonnable de partialité est un test personnalisé, c’est-à-dire un test qui doit s’évaluer en fonction de la personne qui allègue être « victime » de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. C’est pour cette raison d’ailleurs que si j’en venais à conclure qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire à l’endroit du demandeur, seules les conclusions du rapport de la phase I concernant le demandeur devraient être annulées. Ainsi, afin que les déclarations du commissaire (celles contestées par M. Chrétien et M. Pelletier dans leur dossier respectif) puissent s’ajouter comme éléments de la crainte raisonnable de partialité à l’endroit du demandeur, celui-ci aurait eu besoin de les rallier à sa cause en soutenant qu’elles lui avaient porté préjudice. En l’absence d’une telle prétention, je dois omettre cet aspect de mon analyse.

 

[70]           Le demandeur fonde plutôt son allégation de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité sur les éléments suivants : i) le comportement du commissaire Gomery lors des audiences de la Commission, plus précisément ses nombreuses interventions et interruptions, ainsi que le ton de ses interventions, tant lors du témoignage du demandeur que lors du témoignage d’autres témoins en relation avec l’implication du demandeur dans le Programme de commandites; ii) le livre et le rôle de M. Perreault, porte-parole de la Commission, qui reflètent l’importance que le commissaire accordait aux médias et à l’opinion publique; iii) les articles de journaux; et iv) le rôle de Me Roy. J’ai déjà statué dans le cadre des requêtes interlocutoires que le motif basé sur Me Roy était sans fondement; je n’en traiterai donc pas dans l’analyse sur le fond.

 

[71]           Comme je l’ai mentionné plus haut, le demandeur soutient que, en plus de ces éléments précis, il existe également une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire en raison des autres motifs de violation à l’équité procédurale. Le demandeur m’enjoint donc à garder une vue d’ensemble dans mon analyse et de considérer ces motifs comme un tout démontrant une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire à son endroit. Par souci de clarté, cependant, je vais traiter de ces questions séparément. Je vais d’abord examiner les éléments plus précis de la crainte raisonnable de partialité, et je traiterai des motifs de violation à l’équité procédurale l’un à la suite de l’autre, en prenant soin de me rappeler que le demandeur les considère comme des éléments additionnels de la crainte raisonnable de partialité.

 

i) Les interventions du commissaire

[72]           Le demandeur allègue que les interventions du commissaire lors de son témoignage et lors du témoignage d’autres témoins sur la question du degré de son implication dans le Programme de commandites, ainsi que la fréquence et le ton de ces interventions, indiquent que le commissaire avait une idée préconçue du rôle du demandeur dans le programme, et qu’il tentait de minimiser toute preuve favorable au demandeur qui serait allée à l’encontre de cette idée préconçue. Selon le demandeur, le commissaire le considérait comme un adversaire plutôt que comme un témoin l’aidant dans son mandat d’enquête. Le demandeur soutient également que le commissaire s’est à maintes reprises montré impatient à son égard, a adopté un ton accusateur, a fait des remarques agressives et désobligeantes, l’a interrompu, et, de manière générale, lui a manqué de respect.

 

[73]           En réponse, le commissaire précise d’abord qu’une commission d’enquête possède une fonction inquisitoire grâce à laquelle il était justifié d’intervenir, quitte à poser lui-même les questions aux témoins, afin d’éclaircir la preuve et de découvrir les faits. En ce sens, le commissaire souligne que la commission qu’il dirigeait était bien différente d’une instance civile ou criminelle.

 

[74]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, au paragraphe 34 [ci-après Krever], la Cour suprême a bien distingué une commission d’enquête d’un procès civil ou criminel :

Une commission d’enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l’appréciation de la responsabilité.  Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l’égard de dommages.  Il s’agit plutôt d’une enquête sur un point, un événement ou une série d’événements.  Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d’une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l’enquête.  Elles n’ont aucun lien avec des critères judiciaires normaux.  Elles tirent leur source et leur fondement d’une procédure qui n’est pas assujettie aux règles de preuve ou de procédure d’une cour de justice.  Les conclusions d’un commissaire n’entraînent aucune conséquence légale.  Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet.  La nature et les conséquences limitées des enquêtes ont été correctement décrites dans l’arrêt Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2  C.F. 527, au par. 23:

 

Une enquête publique n’est pas du tout un procès civil ou criminel [...]  Dans un procès, le juge assume un rôle juridictionnel et seules les parties ont la responsabilité de présenter la preuve. Dans une enquête, les commissaires sont dotés de vastes pouvoirs d’enquête pour accomplir leur mandat d’enquête [...] Les règles de preuve et de procédure sont donc considérablement moins contraignantes dans le cas d’une commission d’enquête que dans le cas d’une cour de justice. Les juges décident des droits visant les rapports entre les parties, une commission d’enquête ne peut que «faire enquête» et «faire rapport» [...] Les juges peuvent imposer des sanctions pécuniaires ou pénales; la seule conséquence susceptible de découler d’une conclusion défavorable de la Commission d’enquête [...] est que des réputations pourraient être ternies.

 

Par conséquent, même si les conclusions d’un commissaire peuvent avoir un effet sur l’opinion publique, elles ne peuvent entraîner de conséquences ni au pénal ni au civil.  En d’autres termes, même s’il se peut qu’elles soient perçues par le public comme des déterminations de responsabilité, les conclusions d’un commissaire ne sont ni ne peuvent être des déclarations de responsabilité civile ou pénale.

 

[75]           Je crois que la nature inquisitoire d’une commission d’enquête explique le rôle qu’avait à jouer le commissaire Gomery dans la recherche des faits. À mon avis, ses interventions et interruptions étaient nécessaires afin de discerner la preuve pertinente de celle qui ne l’était pas et de maintenir l’ordre au cours des audiences. Il est même établi qu’un commissaire peut être tenu d’intervenir afin de clarifier les incohérences constatées dans la preuve (Beno (C.A.F.), ci-dessus, para. 30). À mon avis, les interventions du commissaire n’établissent pas une crainte raisonnable de partialité au sens du test établi dans les arrêts Committee for Justice and Liberty et R.D.S., ci-dessus. Au contraire, une personne raisonnable et bien informée, étudiant la question en profondeur, de manière réaliste et pratique, saurait que le commissaire Gomery, de par les termes de son mandat et de par son rôle de commissaire plus généralement, était maître de ses procédures et qu’il devait parfois intervenir pour assurer le bon fonctionnement des audiences de la Commission.

 

[76]           Par ailleurs, les interventions et la fréquence des interventions peuvent être appropriées sans que le ton avec lequel elles sont faites le soit pour autant. À quelques reprises, le demandeur m’a indiqué que le commissaire, de par son ton accusateur et irrespectueux, avait conduit à son endroit une enquête adversative plutôt que simplement inquisitoire. J’ai examiné avec minutie les passages litigieux soulevés par le demandeur, et j’ai été incapable d’arriver à la conclusion qu’ils suffisaient, à la fois pris isolément ou dans leur ensemble, à établir une crainte raisonnable de partialité. Je constate bien à quelques occasions de l’impatience chez le commissaire à l’endroit du demandeur, mais comme l’a rappelé la Cour suprême dans l’arrêt Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, [2003] 1 R.C.S. 303, [ci-après Miglin (C.S.C.)], le test de la personne raisonnable établi dans Committee for Justice and Liberty et R.D.S., ci-dessus, exige davantage pour établir une crainte raisonnable de partialité :

M. Miglin demande à la Cour d’ordonner un nouveau procès au motif que les interventions du juge de première instance, par leur fréquence, leur contenu, leur ton et le moment choisi, ont donné au procès une apparence incontestable d’iniquité.

 

Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité est bien établi. Comme en fait état la juge Abella [alors à la Cour d’appel de l’Ontario], il s’agit de savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la conduite du juge fait naître une crainte raisonnable de partialité : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 111, le juge Cory; Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394‑395, le juge de Grandpré.  Une allégation ne suffit pas pour conclure à une partialité réelle ou perçue.  La personne qui allègue la partialité doit en établir  l’existence (S. (R.D.), par. 114).  Comme le souligne la juge Abella, la question est difficile à évaluer et nécessite un examen méticuleux et complet de l’instance.  Il faut considérer l’ensemble du dossier afin de déterminer l’effet cumulatif des transgressions ou irrégularités.  Nous ne voyons aucune raison de modifier l’évaluation du dossier par la Cour d’appel, ou sa conclusion que les commentaires du juge de première instance, bien que regrettables, et ses interventions, trahissant parfois l’impatience, n’ont pas atteint le niveau requis pour établir une crainte raisonnable de partialité.

 

(Miglin (C.S.C.), para. 25-26)

 

[77]           Je suis d’avis que ce raisonnement s’applique au cas sous étude devant moi. Pour reprendre les termes utilisés par Mme le juge Abella (alors à la Cour d’appel de l’Ontario) dans le jugement qui était en appel devant la Cour suprême (Miglin c. Miglin (2001), 53 O.R. (3d) 641 (C.A.O.), au para. 31 [ci-après Miglin (C.A.O.)]; décision renversée en appel devant la Cour suprême, mais pas sur la question de la crainte raisonnable de partialité), je suis d’avis que par ses interventions et ses signes d’impatience, le commissaire Gomery [TRADUCTION] « a risqué de déclencher la perception qu’il avait préjugé la crédibilité » du demandeur (Miglin (C.A.O.), para. 31). Cependant, comme le juge Abella, je conclus qu’en bout de ligne, ce comportement n’a pas donné naissance à une crainte raisonnable de partialité au sens du test établi par Committee for Justice and Liberty et R.D.S., ci-dessus.

 

ii) Le livre et le rôle de M. Perreault

[78]           J’ai conclu dans le cadre des requêtes interlocutoires que lorsque le commissaire avait écrit, en préface de Gomery – L’enquête, que M. Perreault « relat[ait] de manière captivante et exacte le fonctionnement interne de la Commission », il attestait en réalité de l’exactitude du livre en entier.

 

[79]           Sur la base de certains passages du livre de M. Perreault, le demandeur soutient que le commissaire était davantage préoccupé à obtenir et à conserver l’attention du public que de conduire son enquête sur les faits, et qu’il recherchait de la population un endossement moral qui n’était aucunement relié à son mandat d’enquête. Le demandeur m’a indiqué à quelques reprises que ces éléments étaient inappropriés et qu’ils donnaient naissance à une crainte raisonnable de partialité.

 

[80]           Si je suis d’accord qu’il était peut-être inapproprié que les procureurs de la Commission dévoilent à M. Perreault, à chaque matin d’audience, leur stratégie d’interrogatoire et les aveux qu’ils espéraient soutirer aux témoins, et que M. Perreault présente ensuite aux médias les faits saillants du jour sur la base de ces confidences, ou qu’il était peut-être inapproprié que le commissaire croie devoir donner écho à l’intérêt que le public portait à l’égard de la Commission (Gomery – L’enquête, p. 207), je ne suis pas convaincu que ces éléments, comme les autres soulevés par le demandeur, donneraient naissance, dans l’esprit d’une personne raisonnable et bien informée, étudiant la question en profondeur, de manière réaliste et pratique, à une crainte raisonnable de partialité. Je rappelle qu’aux fins du test applicable, la personne raisonnable et bien informée ne doit pas être de « nature scrupuleuse ou tatillonne » (Committee for Justice and Liberty, ci-dessus, p. 396). Il faut s’assurer de bien appliquer le test de la personne raisonnable et de se demander si cette personne en arriverait à la conclusion que le commissaire, en raison de sa préoccupation pour l’opinion publique, ne rendrait pas, selon toute vraisemblance, consciemment ou non, une décision juste.

 

[81]           Je crois qu’il y a une marge entre être préoccupé par l’opinion publique et ne pas rendre une décision juste. La personne raisonnable et bien informée ne devrait pas combler cette marge sur la base de simples soupçons (R.D.S., ci-dessus, para. 112).

 

[82]           J’insiste ici que les allégations du demandeur quant à la préoccupation du commissaire avec les médias et l’opinion publique sont différentes de celles soulevées dans les dossiers Chrétien et Pelletier, ci-dessus. Dans les décisions que j’ai rendues dans ces deux affaires, j’ai conclu que les exemples soulevés par les demandeurs quant à la préoccupation du commissaire pour les médias et l’opinion publique avaient eu un effet préjudiciable sur l’équité des procédures relativement aux demandeurs. Je faisais alors surtout référence aux déclarations publiques que le commissaire avait faites dans le cadre d’entrevues accordées aux médias en décembre 2004, lors de la pause des Fêtes des travaux de la Commission, avant que toute la preuve n’ait été entendue. Or, comme je l’ai mentionné plus tôt, le procureur du demandeur en l’espèce a affirmé que son client n’avait souffert aucun préjudice de ces commentaires. Il ne peut pas maintenant me convaincre que la conclusion à laquelle j’en suis venu sur ce point dans les dossiers Chrétien et Pelletier devrait s’appliquer également à son client.

 

[83]           Pour revenir au terme « inapproprié » utilisé à plusieurs reprises par le demandeur, je note que ce qui est inapproprié ne crée pas forcément une crainte raisonnable de partialité, puisque ces deux notions répondent à des critères différents. La détermination de ce qui est approprié dépend d’une multitude de facteurs variables et hautement subjectifs. Du reste, il ne s’agit pas d’un test juridique. À l’inverse, la détermination d’une crainte raisonnable de partialité est un test juridique objectif (R.D.S., ci-dessus, para. 111) qui répond à des critères précis. Mon rôle n’est pas de me prononcer sur la question de savoir si les faits rapportés par M. Perreault dans son livre sont appropriés ou non. Mon rôle est de déterminer si une personne raisonnable et bien informée, étudiant la question en profondeur, de manière pratique et réaliste, en viendrait à la conclusion que ces faits indiquent que le commissaire ne rendrait pas une décision juste. Je conclus que non. Les éléments en lien avec le livre et le rôle de M. Perreault ne créent pas une crainte raisonnable de partialité.

 

iii) Les articles de journaux

[84]           Je rappelle d’abord que les articles de journaux auxquels le demandeur fait référence ne sont pas les mêmes que ceux sur lesquels se sont basés M. Chrétien et M. Pelletier pour alléguer une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire à leur égard. J’ai accepté dans le cadre de la requête en radiation du Procureur général que soient admis en preuve ces articles de journaux (production partielle de la pièce « L »). Cependant, en plus d’avoir fait l’admission dont j’ai discuté plus haut quant aux déclarations litigieuses du commissaire qui ne s’appliquaient pas à son client, le procureur du demandeur ne s’est fondé à l’audience que sur les deux articles suivants.

 

[85]           Le premier article, intitulé « Scandale des commandites – Les Canadiens appuient le juge Gomery », traite du nombre de courriels reçus par la Commission en une journée, ainsi que de la déclaration de M. Perreault selon laquelle les gens donnent leur appui au commissaire et s’interrogent sur ce que M. Chrétien a à cacher en voulant faire ombrage au commissaire.

 

[86]           Dans la décision Chrétien, ci-dessus, j’ai traité de la question des courriels reçus par la Commission et du commentaire de M. Perreault quant au prétendu message contenu dans ces courriels concernant ce que M. Chrétien aurait à cacher au commissaire. J’ai alors conclu deux choses. Premièrement, il n’était pas pertinent que le commissaire Gomery n’ait pas lui-même fait cette déclaration à propos de M. Chrétien. En effet, à titre de porte-parole de la Commission, M. Perreault était, aux dires même du commissaire, « le seul autorisé à parler au nom de la Commission » (rapport de la phase I, p. 546, « Déclaration préliminaire »). Pour cette raison, ses paroles pouvaient dans une large mesure être assimilées à celles du commissaire et ce, même si le commissaire avait affirmé par la suite que le commentaire de M. Perreault par rapport aux courriels avait été fait à son insu. Deuxièmement, j’ai conclu que ce commentaire avait entaché la réputation de M. Chrétien et avait eu un effet préjudiciable, en ce qui le concernait, sur l’équité des procédures.

 

[87]           Or, en l’espèce, cette deuxième conclusion ne s’applique aucunement au demandeur. Je suis convaincu qu’une personne raisonnable et bien informée, étudiant la question en profondeur, de manière réaliste et pratique, ne penserait pas que le commissaire, en raison du commentaire de M. Perreault sur le contenu des courriels quant à M. Chrétien, ne rendrait pas une décision juste à l’égard du demandeur. Pour cette raison, je conclus qu’aucune crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire à l’endroit du demandeur ne découle de ce premier article.

 

[88]           Le deuxième article, intitulé « Rapport sur la Commission Gomery – Les fuites seraient fausses », traite de la fuite alléguée dans le journal Toronto Star de la conclusion du rapport de la phase I qui blâmerait tantôt M. Chrétien « et son entourage », tantôt « le gouvernement Chrétien », pour le scandale des commandites. L’article traite également du commentaire de M. Perreault que les fuites étaient fausses, et que « n’importe quel Canadien qui a suivi [la Commission] devant sa télévision aurait pu se transformer à l’improviste en juge Gomery et écrire ce qu’a écrit le Star ».

 

[89]           Si j’admets que ce deuxième article concerne davantage – bien qu’indirectement – le demandeur que le premier article, je ne suis pas du tout certain qu’il donne naissance à une crainte raisonnable de partialité pour autant. Je suis d’accord qu’une personne bien informée saurait que le demandeur était membre du « gouvernement Chrétien » au moment du scandale des commandites. Or, la réaction de M. Perreault, telle que rapportée dans cet article, consiste justement à nier les allégations de fuite et à banaliser la rumeur des prétendues conclusions du rapport de la phase I. Je n’interprète pas son commentaire comme confirmant l’évidence de la culpabilité de M. Chrétien « et de son entourage » ou du « gouvernement Chrétien », ni comme donnant un indice de la conclusion à laquelle va arriver le commissaire. Je l’interprète plutôt comme voulant dire qu’il était loisible à toute personne ayant visionné les audiences de la Commission d’en venir à une conclusion telle que celle faussement relatée par le Toronto Star. M. Perreault n’a pas dit que c’était là la seule conclusion possible à laquelle devait en venir toute personne ayant visionné les audiences. Il a simplement dit, dans une tentative de banaliser la rumeur, que toute personne aurait pu se prétendre commissaire et en arriver à sa propre conclusion.

 

[90]           Je suis convaincu qu’une personne raisonnable et bien informée, de nature ni scrupuleuse, ni tatillonne, étudiant la question en profondeur, de manière réaliste et pratique, ne penserait pas que le commissaire, en raison du commentaire de M. Perreault, ne rendrait pas une décision juste à l’égard du demandeur. Pour cette raison, je conclus qu’aucune crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire à l’endroit du demandeur ne découle de ce deuxième article.

 

[91]           Je vais maintenant déterminer si le commissaire a violé l’équité procédurale sur la base des autres motifs soulevés par le demandeur, et je vais également me demander, en cours de route, si ces motifs créent également une crainte raisonnable de partialité.

 

2) L’allégation quant aux limites du mandat et la portée du mot « programme »

[92]           Le demandeur reproche au commissaire d’avoir excédé sa compétence « en fixant arbitrairement les paramètres temporels de son enquête » et en choisissant d’enquêter sur la période qui précède supposément la création véritable du Programme de commandites en septembre 2001. Le demandeur allègue que le commissaire a de ce fait excédé les termes de son mandat et démontré sa partialité à son encontre. Selon le demandeur, le commissaire aurait également omis de constater un élément qui lui est favorable, à savoir que sous son règne comme ministre, il y avait eu une diminution des coûts de production (commissions) que les agences de publicité facturaient au gouvernement, et donc une amélioration dans la gestion du Programme. De plus, le demandeur soutient que si le commissaire s’en était tenu à enquêter sur le Programme de commandites à proprement parler, c’est-à-dire supposément la période post-septembre 2001, il n’aurait constaté aucun problème majeur dans la gestion du Programme, puisque des lignes directrices ont été mises en place avec la création de Communication Canada en septembre 2001 (par l’amalgame de la DGSCC et le Bureau d’information du Canada).

 

[93]           Le commissaire soutient que l’argument du demandeur fondé sur la signification terminologique du mot « programme », et plus précisément sur la question de savoir s’il existait bel et bien un « programme » avant la création de Communication Canada en septembre 2001, est sans fondement. Selon lui, il avait la compétence, de par les termes de son mandat, d’enquêter sur la période pré-2001. De plus, le commissaire nuance l’argument du demandeur selon lequel une enquête limitée à la période post-2001 aurait montré une amélioration du fonctionnement du Programme de commandites de deux façons : premièrement, le dérapage du Programme n’est pas uniquement attribuable aux sommes reçues par les agences de publicité, et deuxièmement, l’amélioration alléguée par le demandeur est bien relative puisque les lignes directrices encadrant le Programme n’ont été mises en place qu’à la toute fin de son mandat comme ministre.

 

[94]           Je rejette l’argument du demandeur selon lequel le commissaire a outrepassé son mandat en enquêtant sur la période pré-2001. Selon moi, il s’agit essentiellement d’un argument qui joue sur la terminologie du mot « programme ».

 

[95]           Le mandat du commissaire Gomery était basé sur les conclusions du rapport de la vérificatrice générale qui couvrait la période de novembre 1997 (date de création de la DGSCC) au 31 mars 2003 (un nouveau régime de responsabilisation et de gestion est entré en vigueur pour le Programme de commandites le 1er avril 2003). Je rappelle que le mandat du commissaire pour la phase de l’enquête des travaux de la Commission (la phase I) était « a. de faire enquête et de faire rapport sur les questions soulevées, directement ou indirectement, par les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice générale du Canada… » (rapport de la phase I, p. 469). Aux paragraphes 3 et 4 de son rapport, la vérificatrice générale réfère précisément à la période de 1997 à 2003 (rapport de la phase I, p. 481, para. 3.7, et p. 482, para. 3.11). En procédant à l’enquête, le commissaire Gomery a constaté que les problèmes notés par la vérificatrice générale prenaient leur source dans des événements qui remontaient au lendemain du référendum d’octobre 1995, c’est-à-dire dès l’année 1996. C’est la raison pour laquelle il a décidé d’étendre la période ciblée par son enquête à partir de l’année 1996. Selon moi, il lui était permis de procéder ainsi en raison des termes de son mandat qui réfèrent aux « questions soulevées, directement ou indirectement, par les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice générale » [je souligne]. Le fait que le commissaire ait constaté que certaines questions soulevées par la vérificatrice générale pré-dataient la période de son enquête relève de son appréciation de la preuve, à l’égard de laquelle je dois témoigner beaucoup de retenue.

 

[96]           En terminant sur ce point, je souligne que le demandeur ne s’est pas objecté, dans le cadre des travaux de la Commission, à ce que le commissaire enquête sur la période pré-2001.

 

[97]           Comme le commissaire n’a pas outrepassé son mandat en enquêtant sur la période pré-2001, je conclus également que ce faisant, il n’a pas soulevé une crainte raisonnable de partialité dans l’esprit d’une personne raisonnable et bien informée.

 

3) L’allégation quant aux règles qui n’existaient pas lorsque le demandeur était ministre

[98]           Le demandeur allègue que le commissaire a violé l’équité procédurale en redéfinissant le concept de « responsabilité ministérielle », c’est-à-dire en lui imposant une responsabilité qui ne lui incombait supposément pas, et en le blâmant sur la base de règles qui n’étaient pas encore en vigueur lorsqu’il était ministre.

 

[99]           La question de la responsabilité du demandeur pour les faits et gestes de son personnel exonéré et de ses fonctionnaires est importante puisque le demandeur soutient qu’il n’existe aucune preuve qu’il a rencontré personnellement M. Guité, et qu’il ne peut être tenu responsable si des membres de son cabinet l’ont rencontré. Je traiterai des deux volets de cette prétention du demandeur dans la section sur la suffisance de la preuve, ci-dessous, sous les rubriques concernant la fréquence des rencontres et le caractère irrégulier de celles-ci. À mon avis, si je conclus alors qu’il existait de la preuve qui étayent jusqu’à un certain point les conclusions du commissaire sur la responsabilité du demandeur, cela emportera forcément la conclusion que le commissaire n’a pas violé l’équité procédurale en concluant de cette façon.

 

 

4) L’allégation quant au droit au contre-interrogatoire

[100]       Le demandeur allègue que le commissaire a violé l’équité procédurale en limitant son droit au contre-interrogatoire de M. Guité sur la base de l’alinéa k) de son mandat, qui se lit comme suit :

k.         que le commissaire reçoive instruction d’exercer ses fonctions en évitant de formuler toute conclusion ou recommandation à l’égard de la responsabilité civile ou criminelle de personnes ou d’organisations et de veiller à ce que l’enquête dont il est chargé ne compromette aucune autre enquête ou poursuite en matière criminelle en cours;

 

(Rapport de la phase I, p. 472)

 

[101]       Pour un rappel du contexte, lorsque le procureur du demandeur a voulu contre-interroger M. Guité sur trois contrats litigieux, le procureur de M. Guité a soulevé une objection parce que son client était parallèlement accusé au criminel, entre autres en raison de ces trois contrats. Le commissaire Gomery a maintenu l’objection du procureur de M. Guité sur la base de l’alinéa k) de son mandat. En bout de ligne, le commissaire s’est basé entre autres sur le témoignage de M. Guité pour conclure à la responsabilité du demandeur. Pour l’ensemble, le commissaire a trouvé M. Guité non crédible, mais il a néanmoins retenu une partie de son témoignage qui attestait du caractère interventionniste du demandeur dans le Programme de commandites.

 

[102]       Le demandeur voit dans la décision du commissaire de maintenir l’objection du procureur de M. Guité une limitation indue de son droit au contre-interrogatoire, avec la conséquence néfaste qui en a résulté pour lui. Le demandeur allègue donc qu’il n’a pas eu l’occasion de véritablement démontrer le manque de crédibilité de M. Guité en le contre-interrogeant.

 

[103]       Je rappelle que pour l’ensemble, le commissaire a trouvé M. Guité non crédible, ce qui illustre bien qu’il possédait suffisamment d’éléments de preuve pour évaluer la crédibilité de M. Guité. Comme je le mentionne plus bas, la décision du commissaire de retenir une mince portion du témoignage de M. Guité pour appuyer, avec l’aide d’autres éléments de preuve, sa conclusion de blâme à l’égard du demandeur relève de son appréciation de la preuve, à l’égard de laquelle je dois témoigner beaucoup de retenue.

 

[104]       L’alinéa k) est clair. Selon moi, le commissaire aurait risqué de compromettre les procédures criminelles parallèles s’il avait accepté que le demandeur contre-interroge M. Guité sur les trois contrats litigieux. La décision du commissaire de maintenir l’objection du procureur de M. Guité en raison des limites de l’alinéa k) de son mandat était donc bien fondée. Je note que le demandeur n’a pas contesté les termes du mandat du commissaire par aucune autre voie appropriée.

 

[105]       Le demandeur soutient également que son droit de contre-interroger certains témoins a été brimé par les interventions du commissaire. Au soutien de cette prétention, le demandeur cite l’arrêt R. c. Lyttle, 2004 CSC 5, [2004] 1 R.C.S. 193 [ci-après Lyttle], où la Cour suprême a statué que le droit au contre-interrogatoire, dans le contexte d’un procès criminel, était un élément essentiel de la défense pleine et entière d’un accusé, et que le fait d’interrompre le rythme d’un contre-interrogatoire était injustifié (Lyttle, aux para. 1, 2 et 7). Le demandeur soutient que l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Lyttle s’applique également au contexte de la Commission.

 

[106]       Je ne suis pas d’accord. Je ne crois pas que ce que la Cour suprême a dit dans l’arrêt Lyttle s’applique intégralement et automatiquement au contexte de la Commission Gomery, ni aux commissions d’enquête en général. Nous avons vu au paragraphe 34 de l’arrêt Krever, ci-dessus, que les commissions d’enquête constituaient des instances différentes des procès civils ou criminels. Dans cette citation, la Cour suprême cite avec approbation la Cour d’appel fédérale dans Beno (C.A.F.), qui a corrigé ce que cette Cour avait dit dans Brigadier général Ernest B. Beno c. L’honorable Gilles Létourneau, [1997] 1 C.F. 911 (C.F. 1ère inst.), au paragraphe 74, juge Campbell [ci-après Beno (1997)], qu’une commission d’enquête possédait des « fonctions analogues à celles d’un procès ». La Cour d’appel a rappelé qu’au contraire, une commission d’enquête se distinguait d’un procès civil ou criminel pour diverses raisons, dont des règles procédurales assouplies (Beno (C.A.F.), au para. 23), et la Cour suprême a entériné ce principe dans l’arrêt Krever. Les commissions d’enquête sont également de nature inquisitoire, et les commissaires qui les dirigent sont maîtres de leur procédure (Beno (2002), ci-dessus, aux para. 113-114). Du reste, le droit au contre-interrogatoire n’est pas un droit absolu. Ce principe a été réitéré par cette Cour à quelques occasions dans le contexte d’une commission d’enquête, entre autres dans la décision Boyle c. Canada (Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie – Commission Létourneau), [1997] A.C.F. no. 942, juge Dubé, au paragraphe 37, et dans la décision Beno (2002), ci-dessus, où ma collègue le juge Heneghan a mentionné ce qui suit :

[113]  Il n’est pas contesté que le lieutenant-général Reay n’a pas été contre-interrogé par le demandeur. L’absence de possibilité de contre-interroger ce témoin et d’autres témoins était une question relevant de la procédure établie par la Commission. Le fait que certains éléments de preuve n’ont pas été examinés au moyen d’un contre-interrogatoire influe sur la valeur probante, ce qui est une question relevant clairement de la compétence des commissaires. Le choix de la procédure n’est pas assujetti au contrôle de la Cour, dans la mesure où l’équité procédurale a été respectée envers le demandeur.

 

[107]       De manière plus particulière, le commissaire Gomery avait, en l’espèce, le pouvoir d’établir sa propre procédure en vertu de l’alinéa e) de son mandat, qui se lit comme suit :

e.         que le commissaire soit autorisé à adopter les procédures et méthodes qui lui paraîtront indiquées pour la conduite de l’enquête et à siéger aux moments et aux endroits au Canada qu’il jugera opportuns;

 

[108]       Pour ces raisons, je conclus que le commissaire n’a pas violé l’équité procédurale en limitant prétendument le droit au contre-interrogatoire du demandeur.

 

4. Le commissaire a-t-il erré en concluant en l’absence de preuve ou en ne tenant pas compte de la preuve au dossier?

 

[109]       Conformément à la norme de contrôle établie par la Cour d’appel fédérale dans Morneault, ci-dessus, je dois déterminer, dans l’analyse de la présente section, si les conclusions factuelles du commissaire quant à la responsabilité du demandeur sont étayées jusqu’à un certain point par la preuve au dossier. Il s’agit d’une norme de contrôle qui exige un degré de retenue élevé.

 

[110]       À quelques reprises durant l’audience de la présente demande, le commissaire m’a rappelé les similitudes entre le dossier dont je suis présentement saisi et la décision de la Cour suprême du Canada dans Krever, ci-dessus. Il a soulevé cette similitude entre autres dans le contexte de la norme applicable aux conclusions de faits afin de m’enjoindre à faire preuve de retenue à l’égard de ces conclusions. Le paragraphe 40 de la décision Krever est particulièrement pertinent :

Les appelants ne semblent pas contester le pouvoir du commissaire de tirer des conclusions de fait; leur objection vise l’évaluation de ces faits par le commissaire. À mon avis toutefois, le pouvoir des commissaires de conclure à l’existence d’une faute doit comprendre non seulement la constatation des faits, mais aussi leur évaluation et leur interprétation.  Cela signifie que les commissaires doivent être en mesure d’apprécier la déposition des témoins qui se présentent devant eux et de juger de leur crédibilité.  Ce pouvoir découle du libellé de l’art. 13 de la Loi, qui renvoie au pouvoir du commissaire d’imputer une «faute» («misconduct» dans le texte anglais).  Selon le Concise Oxford Dictionary (8e éd. 1990), le terme «misconduct» est une [traduction] «mauvaise» conduite ou une [traduction] «gestion irrégulière».  Sans le pouvoir d’évaluer et d’apprécier les dépositions, le commissaire se trouverait dans l’impossibilité de déterminer si la conduite était «mauvaise» par opposition à «bonne», ou encore s’il s’agissait d’une «gestion irrégulière» par opposition à une «saine gestion».  Le pouvoir de procéder à ces évaluations des faits établis au cours d’une enquête doit nécessairement être compris implicitement dans le pouvoir d’imputer une faute prévu à l’art. 13.  De plus, il serait absurde que le gouvernement nomme un commissaire, qui acquiert forcément une connaissance approfondie de tous les aspects des événements visés par l’enquête, et l’empêche ensuite de faire appel à cette connaissance pour procéder à des évaluations éclairées de la preuve produite.

 

[Je souligne]

 

[111]       Selon le commissaire, c’est en raison de cette connaissance approfondie des faits qu’il a acquise lors de son enquête que je dois faire preuve de retenue à l’égard de ses conclusions factuelles.

 

[112]       Le demandeur reproche au commissaire d’être arrivé à des conclusions quant à son implication dans le Programme de commandites qui ne sont pas étayées par la preuve au dossier. Le demandeur reproche entre autres au commissaire d’avoir tenu compte du témoignage de M. Guité au détriment du sien quant au degré de son implication dans le programme. Il déplore que le commissaire ait trouvé M. Guité généralement non crédible, mais qu’il l’ait tout de même cru au détriment de sa propre version.

 

[113]       Sur ce point, les principaux passages contestés du rapport sont les suivants :

En dépit de toutes les dénégations de M. Gagliano, la preuve démontre de façon écrasante qu’il était un gestionnaire interventionniste qui s’intéressait de très près au Programme de commandites et jouait un rôle actif dans sa direction.

 

[…]

 

M. Gagliano n’a pas été un bon témoin ni un témoin convaincant. Il s’est montré parfois évasif et ergoteur et a donné l’impression d’être plus intéressé à se disculper qu’à aider la Commission à mieux comprendre le fonctionnement du Programme de commandites. À cet égard, il a fait moins bonne figure que M. Guité. Quand ce dernier dit que M. Gagliano lui donnait des conseils, des suggestions et des instructions sur le choix des agences auxquelles confier les contrats de commandite, je suis enclin à le croire en dépit des dénégations de M. Gagliano.

 

(Rapport de la phase I, pp. 163-164)

 

[…]

 

Durant toute cette enquête, j’ai été appelé à évaluer la crédibilité du témoignage de M. Guité sur un certain nombre de questions. De manière générale, j’en suis venu à la conclusion qu’il n’a pas toujours été un témoin digne de foi et que toutes ses affirmations doivent être considérées avec prudence. Cela dit, il arrive que certaines affirmations des témoins même les moins fiables soient vraies. Par exemple, si une affirmation est corroborée par d’autres témoins ou par des documents, si elle va à l’encontre des intérêts du témoin, ou si elle concorde avec une explication logique et plausible des circonstances, on peut l’accepter, même si elle émane d’une personne qui n’a pas dit la vérité dans d’autres circonstances.

 

[…]

 

Comme je l’ai dit ailleurs dans ce rapport en analysant la preuve pertinente, et si je tiens compte de la preuve dans son ensemble et que je me fonde sur la simple logique, la vraisemblance et les éléments de corroboration de témoins indépendants comme Isabelle Roy et Joanne Bouvier, il est peu probable que le choix des agences n’ait jamais été discuté lors de ces rencontres [avec M. Gagliano]. En conséquence, et malgré les nombreux cas où M. Guité s’est contredit et n’a pas dit la vérité sur d’autres sujets, j’accepte son témoignage concernant les questions discutées lors de ses rencontres avec [M. Gagliano], malgré les démentis de [M. Gagliano] qui, de manière générale, étai[t] plus [crédible].

 

(Rapport de la phase I, pp. 415-416)

 

[114]       Le demandeur conteste que le commissaire ait préféré appuyer ses conclusions de blâme sur la logique et sur le témoignage d’un témoin généralement non crédible plutôt que sur les preuves au dossier qui, selon lui, pointaient en sa faveur.

 

[115]       En réponse, le commissaire a rappelé qu’il ne s’était pas appuyé uniquement sur la logique et le témoignage de M. Guité, mais sur plusieurs autres éléments de preuve qui corroboraient la version de M. Guité, d’où le caractère logique de cette version. Le commissaire a insisté que mon rôle n’était pas de substituer mon opinion à la sienne quant à l’évaluation de la preuve, mais bien uniquement de déterminer si, conformément au test de Morneault, ci-dessus, ses conclusions étaient étayées jusqu’à un certain point par la preuve au dossier.

 

[116]       Pour les raisons qui suivent, je suis convaincu que le test de Morneault est rencontré et que les conclusions du commissaire sont étayées jusqu’à un certain point sur la preuve.

 

 

1) Fréquence et nature des rencontres avec M. Guité

[117]       Le commissaire a d’abord établi qu’il existait des éléments de preuve qui confirmaient l’existence de rencontres, ainsi que la fréquence et la nature de ces rencontres, entre M. Guité et le demandeur ou des membres de son bureau dont il était responsable. À cette fin, il m’a tout d’abord référé aux éléments de preuve qu’il a expressément cités dans le rapport de la phase I. Ces éléments de preuve comprennent les témoignages de Mme Huguette Tremblay, adjointe de M. Guité de 1987 à 1991, gestionnaire du bureau de 1991 à 1997, et responsable de la procédure de sélection des agences de publicité à TPSGC de 1997 à 1999; de Mme Isabelle Roy, adjointe spéciale au cabinet du demandeur alors qu’il est ministre du Travail en 1996 et 1997, puis à TPSGC de 1997 à 1999, et adjointe à la DGSCC de 1999 à 2004; et de Mme Joanne Bouvier, successeure de Mme Roy au cabinet du demandeur et adjointe de M. Jean-Marc Bard, directeur de cabinet du demandeur; les extraits du MPLog, fichier électronique dans lequel les adjointes au cabinet du demandeur conservaient une trace écrite des décisions prises sur les questions de commandites; la « pièce 201 » qui était devant le commissaire lors des travaux de la Commission et qui consiste en un recueil de plus de 240 pages d’éléments de preuve quant aux interventions directes du demandeur ou de son bureau; ainsi qu’un échange entre un représentant de la GRC et M. Guité.

 

[118]       Le demandeur soutient que les personnes qui ont témoigné sur la fréquence des rencontres entre le demandeur et M. Guité n’ont, dans les faits, jamais assisté à ces rencontres ni vu le demandeur rencontrer M. Guité. Selon le demandeur, tout ce que leurs témoignages révèlent, c’est que M. Guité leur disait qu’il se rendait au bureau du ministre ou voir le ministre, ou qu’il en revenait. Or, vu le manque de crédibilité de M. Guité, le demandeur soutient que le commissaire n’aurait pas dû tenir compte de ces témoignages basés sur les dires de M. Guité.

 

[119]       En réponse, le commissaire précise qu’au moment où M. Guité disait qu’il rencontrait le demandeur ou qu’il se rendait à son bureau, il n’avait aucune raison de mentir. Le Programme de commandites était en opération et rien n’indiquait qu’il allait éventuellement faire l’objet d’une enquête publique. Donc, selon le commissaire, lorsque M. Guité disait à ses adjointes qu’il allait rencontrer le demandeur, c’est que les rencontres avaient effectivement lieu. De plus, le commissaire souligne que Mme Roy et Mme Bouvier ont déjà eu des discussions avec le demandeur, auxquelles M. Guité n’était pas partie, lors desquelles le demandeur prenait des décisions quant à la sélection des événements à commanditer.

 

[120]       De toute manière, il reste le MPLog, qui fait clairement état des interventions du demandeur dans le Programme de commandites. Des mentions au MPLog telles que « Ministre [le demandeur] décide qu’on donne $5,000 », « IR [pour Isabelle Roy] parle avec le Ministre et la réponse reste négative », « IR en parle avec le Ministre. 31-1-99 Ministre parle avec Chuck [M. Guité]. Ministre me confirme qu’on donnera le montant voulu (10,000[$]). », « IR vérifie avec le Ministre et Chuck et la réponse est non. », « La lettre [signée par le demandeur] confirme le montant de $300,000 pour Soirées 1999. », sont des éléments de preuve très clairs que le demandeur et des membres de son bureau, dont il était responsable, sont intervenus activement dans la gestion du Programme de commandites, et que, de manière générale, le demandeur tenait à être informé de quels événements étaient commandités, pour quel montant, et à l’aide de quelle agence de publicité.

 

[121]       En plus des éléments de preuve expressément cités au rapport, il y en a d’autres, non cités, qui ont été produits lors des travaux de la Commission et dont le commissaire s’est inspiré pour supporter ses conclusions sur la question des rencontres. Ces éléments de preuve comprennent entre autres les témoignages de M. Quail et de Mme Ghislaine Ippersiel, adjointe de M. Bard (directeur de cabinet du demandeur), de 1997 à 2001.

 

2) Caractère irrégulier des rencontres

[122]       Dans un deuxième temps, le commissaire a fait la liste des éléments de preuve qui appuyaient sa conclusion selon laquelle ces rencontres entre M. Guité et le demandeur ou des membres de son bureau revêtaient un caractère irrégulier. Le commissaire soutient que le caractère irrégulier des rencontres découle du fait que, d’une part, elles constituaient de l’ingérence politique de la part du demandeur dans la mesure où ses interventions constituaient davantage que de simples suggestions et visaient parfois des fins partisanes, et, d’autre part, elles rompaient la chaîne de communication et de reddition de compte habituelle entre les fonctionnaires du ministère, le sous-ministre adjoint ou le sous-ministre, et le ministre. Au soutien de sa prétention selon laquelle il détenait suffisamment d’éléments de preuve pour fonder ses conclusions quant au caractère irrégulier des rencontres, le commissaire a produit les témoignages de M. Quail; de M. Jim Stobbe, sous-ministre adjoint à TPSGC de 1990 à 2000 (de qui, donc, relevait M. Guité); de M. Ronald Bilodeau, sous-ministre et secrétaire associé du cabinet (relations intergouvernementales au Bureau du Conseil privé de 1994 à 1996 et secrétaire associé et sous-greffier du Bureau du Conseil privé de 1996 à 2003; de l’honorable Marcel Massé, ministre des Affaires intergouvernementales de 1993 à 1996 et président du Conseil du trésor et ministre responsable du Programme d’infrastructures de 1996 à 1999; de Mme Jocelyne Bourgon, greffière du Conseil privé de 1994 à 1999; de l’honorable Diane Marleau, ministre de TPSGC de janvier 1996 à juin 1997; et, bien que le commissaire ne l’ait pas cité expressément dans son rapport, de M. Alex Himelfarb, greffier du Conseil privé de 2002 à 2006.

 

[123]       Les témoignages de M. Quail et M. Stobbe sont au même effet : ils n’étaient pas au courant de toutes les réunions qui avaient lieu entre le demandeur ou son bureau et M. Guité, ni du contenu de ces réunions, et ils ne pouvaient donc pas contrôler le travail de M. Guité. Les témoignages de M. Bilodeau, de M. Massé, de Mme Bourgon, de Mme Marleau et de M. Himelfarb s’accordent également : il existe une chaîne de communication entre les fonctionnaires d’un ministère et le ministre, cette chaîne de communication doit incorporer le sous-ministre adjoint et le sous-ministre, et en bout de ligne, le ministre est responsable des faits et gestes de son personnel exonéré et des fonctionnaires de son ministère.

 

[124]       Le commissaire a également produit deux documents émanant du Bureau du Conseil privé sur lesquels il s’était basé dans le rapport de la phase I, le premier intitulé « Guide du sous-ministre », et le second intitulé « Gouverner de façon responsable : Le guide du ministre et du ministre d’État ». Le premier document réfère d’abord à la chaîne de communication habituelle dans l’administration ministérielle :

Le sous-ministre s’attache à entretenir une bonne relation de travail avec le cabinet du ministre lorsqu’il est appelé à fournir à celui-ci un appui complémentaire. Il convient toutefois de rappeler que le personnel ministériel exclu n’est pas autorisé à donner de directives aux fonctionnaires. Quand il demande de l’information ou transmet les instructions du ministre, il passe normalement par le sous-ministre.

 

(« Guide du sous-ministre », section 3 : Obligation de rendre compte au ministre; rapport de la phase I, p. 45)

 

Le commissaire a conclu que cette chaîne de communication avait été rompue par les rencontres directes entre M. Guité et le demandeur ou des membres de son bureau, hors de la portée et du contrôle du sous-ministre, M. Quail, ou du sous-ministre adjoint, M. Stobbe.

 

[125]       Ce document confirme également la responsabilité du ministre à l’égard des fonctionnaires de son ministère (responsabilité ministérielle) :

Le ministre est responsable individuellement de ses propres actes, de la conduite générale du ministère, des mesures prises (ou non prises) en son nom par les fonctionnaires de son ministère, que le ministre ait été au courant de toute activité au préalable ou non, ainsi que des pratiques financières et administratives du ministère.

 

(« Guide du sous-ministre », section 1 : Responsabilité)

 

[126]       Quant au second document, il confirme la responsabilité du ministre à l’égard de son personnel exonéré :

Les ministres sont personnellement responsables de la bonne marche de leur cabinet, au cœur duquel se trouve le personnel exonéré, aussi appelé personnel politique.

 

(« Gouverner de façon responsable : Le guide du ministre et du ministre d’État », section VI.1 : Le cabinet et le personnel politique des ministres; document cité à la p. 43 du rapport de la phase I)

 

[127]       Certaines précisions sont de mise par rapport à ces deux documents. D’une part, le second document, celui à l’intention des ministres, a depuis été remplacé par des versions plus récentes. D’autre part, à la fois le premier document à l’intention des sous-ministres et le second à l’intention des ministres ont été publiés en 2003. Le demandeur allègue qu’il ne pouvait pas être tenu à des principes qui sont entrés en vigueur postérieurement à son mandat comme ministre, et que le commissaire Gomery a donc violé l’équité procédurale en le liant à ces principes.

 

[128]       Je rejette cet argument pour deux raisons. Premièrement, ces documents ne sont que des éléments de preuve parmi d’autres qui confirment que le demandeur était responsable de son ministère et de son personnel exonéré. Il est important de garder à l’esprit que la norme de contrôle établie par Morneault, ci-dessus, exige que les conclusions du commissaire ne soient étayées que jusqu’à un certain point sur la preuve. À la lumière des nombreux témoignages dont j’ai traité plus haut qui confirment qu’il existe une chaîne de communication dans un ministère et que le demandeur a rompu cette chaîne en rencontrant directement (lui personnellement ou par l’entremise de son personnel exonéré, dont son directeur de cabinet) M. Guité, je conclus que le commissaire avait là des éléments de preuve suffisants pour lui permettre de conclure comme il l’a fait. Ainsi, même en retenant l’hypothèse que ces deux documents n’auraient pas dû être considérés parce qu’ils ont été publiés suite au mandat du demandeur comme ministre, je suis d’avis que le commissaire détenait suffisamment d’éléments de preuve, sans ces documents, pour conclure à la responsabilité du demandeur et au caractère irrégulier de ses interventions dans le Programme de commandites, à la seule lumière des témoignages entendus.

 

[129]       Ma deuxième raison pour rejeter l’argument du demandeur basé sur la date de publication des documents est que le commissaire mentionne en annotation à la page 61 de son rapport que les principes énoncés dans les documents sont immuables. Je suis tout à fait d’accord. En d’autres mots, ces principes de gestion ministérielle ne changent pas et sont intemporels, ils ont une existence et une application qui dépassent la période durant laquelle le demandeur a été ministre. Le demandeur ne peut se rabattre derrière le fait que les documents énonçant les principes de responsabilité à l’égard du ministère et du cabinet n’ont été publiés que suite à son mandat comme ministre, puisque ces principes sont au cœur de notre système gouvernemental – le gouvernement responsable – basé entre autres sur la responsabilité et l’imputabilité des ministres. Que ces principes aient fait l’objet de publications en 2003 ne diminue aucunement l’obligation qu’avait le demandeur de les observer, puisqu’ils existaient, lors de son règne comme ministre quelques années plus tôt. Pour revenir à la rubrique abordée plus haut, le commissaire n’a donc pas violé l’équité procédurale en tenant le demandeur responsable sur la base des documents gouvernementaux publiés en 2003.

 

[130]       Tous ces éléments prouvent l’implication du demandeur et des membres de son bureau dont il était responsable dans le Programme de commandites. Par « implication dans le Programme de commandites », j’entends la sélection des agences de publicité, la sélection des événements à commanditer, et le montant à allouer à ces événements. À mon avis, le commissaire Gomery avait devant lui suffisamment d’éléments de preuve pour étayer ses conclusions. À la lumière de la norme de contrôle établie par la Cour d’appel dans Morneault, ci-dessus, je conclus que mon intervention n’est pas justifiée en l’espèce.

 

3) Défaut allégué du commissaire d’avoir motivé ses conclusions

[131]       La dernière rubrique sous la section de la suffisance de la preuve est l’allégation du demandeur selon laquelle le commissaire n’aurait pas expliqué pourquoi il mettait de côté certains éléments de preuve au profit de certains autres. Le demandeur soulève cet argument à la fois comme exemple d’insuffisance de la preuve au soutien des conclusions du commissaire et comme démonstration de sa partialité à son endroit.

 

[132]       Le commissaire allègue au contraire que les conclusions de son rapport sont fortement motivées par les éléments de preuve, que la décision de favoriser une preuve au profit d’une autre relève de son appréciation de la preuve à l’égard de laquelle je dois témoigner beaucoup de retenue, et que, du reste, l’obligation d’un décideur de motiver ses conclusions peut varier selon un ensemble de circonstances.

 

[133]       Dans l’arrêt Baker, ci-dessus, la Cour suprême a statué que l’obligation pour un décideur de motiver sa décision était modulée par divers facteurs. Ainsi, l’obligation de motiver n’est pas absolue. La Cour suprême, sous la plume du juge L’Heureux-Dubé, a mentionné ceci :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision.  Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise.  Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs.  Les circonstances de l’espèce, à mon avis, constituent l’une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires.  L’importance cruciale d’une décision d’ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l’obligation de donner des motifs.  Il serait injuste à l’égard d’une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

 

J’estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l’espèce par la production des notes de l’agent Lorenz à l’appelante.  Les notes ont été remises à Mme Baker lorsque son avocat a demandé des motifs.  Pour cette raison, et parce qu’il n’existe pas d’autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l’agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision.  L’admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l’ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l’obligation d’équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d’assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l’équité procédurale.  Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu’en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons.  Je conclus qu’en l’espèce les notes de l’agent Lorenz remplissent l’obligation de donner des motifs en vertu de l’obligation d’équité procédurale, et qu’elles seront considérées comme les motifs de la décision.

 

(Baker, aux para. 43-44)

 

[134]       Comme le mentionne la Cour suprême, l’obligation de motiver une décision dans le respect de l’équité procédurale varie selon les circonstances. Or, j’ai mentionné plus haut que j’étais d’avis que le demandeur avait droit à un degré d’équité procédurale élevé devant la Commission. À la lumière des centaines de références qui composent le rapport de la phase I, je suis convaincu que les conclusions du commissaire sont suffisamment motivées. Ceci dit, je suis tout à fait conscient que le nombre de références n’est pas en soi un indice irréfutable qu’une décision est motivée : une section d’une décision peut être abondamment motivée alors qu’une autre, peut-être plus critique pour l’une des parties, peut l’être moins. Or, en l’espèce, force est de constater que le nombre de références est un indice solide que l’ouvrage du commissaire Gomery a fait l’objet d’une attention soutenue pour la preuve entendue. De plus, une lecture attentive du rapport de la phase I me permet de constater que le commissaire explique les raisons pour lesquelles il choisit de favoriser des éléments de preuve au profit de certains autres. Enfin, ces choix relèvent du pouvoir d’appréciation de la preuve du commissaire, à l’égard duquel, toujours en vertu des limites qui me sont imposées par la norme établie dans l’arrêt Morneault, ci-dessus, je dois faire preuve d’une grande retenue.

 

[135]       En terminant, je rappelle que mon rôle dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire ne consistait pas à refaire un examen de la preuve et à substituer ma conclusion à celle du commissaire :

L’examen du dossier de l’enquête que j’ai moi-même effectué me convainc que le dossier renferme des éléments de preuve suffisants à l’appui de chacune des conclusions que le juge des requêtes estimait non étayée, et ce, même si la preuve ne semble peut-être pas tout à fait cohérente car, en fin de compte, il incombait à la Commission, en tirant ses conclusions de fait, de soupeser et d’apprécier la preuve présentée par les divers témoins. Il va sans dire que, même dans les meilleures circonstances, il ne s’agit pas d’une tâche facile, certainement pas dans ce cas-ci, où le sentiment de frustration à l’égard de certains témoignages est manifeste à la lecture du rapport. Par conséquent, à mon avis, il n’incombe certes pas à la cour qui effectue l’examen de s’attribuer le rôle des commissaires en soupesant et en appréciant de nouveau la preuve qui est ici en cause.

 

(Morneault, ci-dessus, aux pp. 66-67)

 

 

[136]       Bien que mon rôle n’était pas de soupeser la preuve à nouveau, je devais néanmoins faire l’exercice de passer au travers des éléments de preuve ayant été produits devant le commissaire afin de déterminer, toujours en fonction de la norme applicable, si les conclusions du commissaire étaient étayées jusqu’à un certain point sur la preuve. À la lumière de l’exercice auquel je me suis prêté dans les présents motifs, je suis convaincu que la norme est rencontrée et que mon intervention n’est pas justifiée en l’espèce. Les éléments de preuve qui appuient les conclusions à l’endroit du demandeur sont nombreux, et je suis d’avis que le commissaire n’a commis aucune erreur en concluant à la responsabilité du demandeur en lien avec le Programme de commandites.

 

[137]       Comme l’équité procédurale n’a pas été violée, et comme les conclusions du commissaire étaient étayées jusqu’à un certain point sur la preuve, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que :

(a) la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

(b) les conclusions qui figurent dans le rapport de la phase I et qui ont trait au demandeur sont confirmées;

(c) les dépens relatifs à la présente demande, de même qu’à la requête interlocutoire présentée par le demandeur sur la base de la règle 312, sont accordés au Procureur général.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-2086-05

 

INTITULÉ :                                                   L’honorable Alfonso Gagliano et l’honorable John H. Gomery, ès qualité d’ex-commissaire de la commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires et le Procureur général du Canada et La Chambre des Communes

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           8 et 9 mai 2008, 26, 27 et 28 mai 2008, et 19 et 20 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        L’honorable Max M. Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                    Le 5 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pierre Fournier

514 843-6748

Me Anouk Fournier

514 843-7932

Pour l’honorable Alfonso Gagliano

 

Me Raynold Langlois

Me Marie Cossette

Me Marie-Geneviève Masson

514 842-9512

 

Me Carole Bureau

514 283-8770

Me Pascale Catherine Guay

514 283-6145

Me André Lespérance

514 283-3525

 

Pour John H. Gomery

 

 

 

 

Pour le Procureur général du Canada

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Fournier et associés

 

Pour l’honorable Alfonso Gagliano

 

Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l.

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Pour John H. Gomery

 

 

Pour le Procureur général du Canada

 

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