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Date : 20080828

Dossier : T‑462‑08

Référence : 2008 CF 975

Toronto (Ontario), le 28 août 2008

En présence de Me Kevin R. Aalto, protonotaire

 

ENTRE :

HARRY WAWATIE, TOBY DECOURSAY, JEANNINE MATCHEWAN ET LOUISA PAPATIE, EN LEUR QUALITÉ DE MEMBRES DU CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK (également appelés les ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE)

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La présente affaire concerne une demande de contrôle judiciaire d’une « décision » du ministre des Affaires indiennes et du Nord (le ministre), décision qui, de dire les demandeurs, a eu pour effet de régler un différend touchant l’équipe dirigeante de la bande.

 

I. Le contexte

 

[2]               Les Algonquins du lac Barrière (les ALB) forment une Première nation reconnue comme bande en vertu de la Loi sur les Indiens. Les ALB choisissent leurs dirigeants d’après leurs coutumes, qui sont codifiées dans le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin (le MAO).

 

[3]               Le principal porte‑parole des demandeurs est Harry Wawatie, qui a produit un affidavit au soutien de cette demande. Il a été chef des ALB jusqu’à sa démission en juillet 2006.

 

[4]               Il semble que les ALB ont conduit en janvier 2008 un processus de sélection de leurs dirigeants qui, affirme‑t‑on, était censé remplacer un conseil antérieur. Le 31 janvier 2008, le chef du conseil nouvellement élu, Casey Ratt, a écrit au ministre pour lui dire que le processus de sélection avait été conduit conformément au MAO et pour lui signaler les nouveaux membres du conseil de la bande des ALB.

 

[5]               Harry Wawatie, qui s’était opposé au processus de sélection, a écrit au ministre le 4 février 2008 pour le prier d’ignorer la lettre de Casey Ratt datée du 31 janvier 2008. Selon Harry Wawatie, [traduction] « aucun nouveau processus de sélection des dirigeants n’a eu lieu au lac Barrière ».

 

[6]               Dans sa lettre, Harry Wawatie faisait état de ce qui, selon lui, constituait les diverses erreurs du processus de sélection et affirmait que ce processus ne s’était pas déroulé conformément aux coutumes en la matière, codifiées dans le MAO. Harry Wawatie informait le ministre que, selon lui, le conseil de la bande des ALB était encore le conseil antérieur.

 

[7]               Aucune démarche n’a été faite par Harry Wawatie ou par l’ancien conseil de la bande pour obtenir le réexamen de l’équipe dirigeante conformément au MAO, et aucune procédure n’a été introduite non plus devant la Cour en vue d’un jugement déclaratoire disant que le conseil choisi à la faveur du processus de sélection de janvier 2008 avait été validement constitué en application des dispositions du MAO.

 

[8]               Plutôt que d’invoquer la procédure exposée dans le MAO pour contester le processus de sélection, les demandeurs ont introduit la présente procédure de contrôle judiciaire contre [traduction] « la décision ou la conduite du ministre communiquée dans la lettre du 10 mars 2008 ». Cette lettre renferme ce qui suit :

[traduction]

 

Au cours des derniers jours, le ministère a reçu et évalué une quantité appréciable de renseignements touchant la conduite d’un processus de sélection de l’équipe dirigeante des Algonquins du lac Barrière. Au vu de tous les renseignements communiqués, le ministère inscrira, dans le Système d’information sur l’administration des bandes, les résultats du processus de sélection qui s’est déroulé le 30 janvier 2008. Je voudrais donc vous informer que, à compter d’aujourd’hui, le ministère traitera avec [le conseil Ratt].

 

 

 

[9]               Les demandeurs admettent que le ministre n’a pas le pouvoir, quel qu’il soit, de s’ingérer d’aucune manière dans le processus coutumier de sélection des dirigeants des ALB qui est décrit dans le MAO ou dans d’autres instruments. Il est admis d’ailleurs que le ministre n’a aucun rôle à jouer dans le processus électoral coutumier des ALB et que ce processus électoral relève exclusivement de la bande parce qu’il a été établi par la bande, qu’il est administré par la bande et qu’il existe indépendamment de la Loi sur les Indiens.

 

[10]           Le ministre n’a pas non plus le pouvoir d’interpréter la coutume de la bande ou de décider si la coutume a ou non été observée, et il n’exerce aucun rôle de surveillance à l’égard du processus électoral. Il ne peut pas s’ingérer dans les résultats de l’élection et ne règle pas les différends se rapportant aux coutumes des ALB.

 

[11]           Normalement, une bande informe le ministre des résultats électoraux. Dès réception de ces résultats, le ministre en prend acte et les consignes dans le Système d’information sur l’administration des bandes et il poursuit ses relations avec la bande par l’entremise du conseil nouvellement élu.

 

[12]           Comme le ministre n’est pas partie au processus électoral coutumier et n’intervient pas dans le choix de l’équipe dirigeante des ALB, il dit que les différends se rapportant aux élections coutumières doivent être réglés au sein de la bande ou de la collectivité. Le ministre peut aider la bande à régler un différend, mais il n’a pas le pouvoir d’imposer une équipe dirigeante à la bande.

 

II. La position des demandeurs

 

[13]           Les demandeurs font valoir que le ministre a examiné les documents reçus du conseil Ratt. Il a alors décidé que le conseil Ratt serait inscrit dans le Système d’information sur l’administration des bandes. Les demandeurs disent que cela équivaut à une décision qui est susceptible d’un contrôle judiciaire devant la Cour.

 

[14]           Ils font valoir que le ministre est un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales et que, en application du paragraphe 18.1 (1), la Cour a par conséquent le pouvoir de réformer cette décision.

 

[15]           L’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales définit ainsi un office fédéral :

Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale […]

 

 

La compétence et les pouvoirs conférés au ministre à l’égard du processus de sélection qui est appliqué au sein d’une bande doivent donc être conférés par une loi fédérale, en l’occurrence la Loi sur les Indiens. La procédure électorale coutumière n’est pas régie par la Loi sur les Indiens. Il s’agit d’un pouvoir inhérent de la bande aux termes de la Loi sur les Indiens. Sauf si le ministre en ordonne autrement en vertu de l’article 74, une bande gère elle‑même son processus électoral. Tel est le cas ici. Tout différend portant sur le processus électoral est une affaire interne des ALB et doit être réglé au niveau interne par les ALB.

 

 

[16]           Dans la présente requête en radiation, la question est donc de savoir si le ministre a exercé un pouvoir discrétionnaire sur l’issue du processus électoral conduit au sein des ALB, ou si le ministre a rendu une décision purement administrative en consignant tout simplement l’information qui lui avait été communiquée au nom des ALB. Dans le premier cas, alors la requête en radiation ne sera pas recevable parce que la demande de contrôle judiciaire n’est pas vouée à l’échec. Dans le deuxième cas, la requête en radiation sera accueillie, parce qu’il n’y a pas de « décision » à soumettre à un contrôle judiciaire et la demande de contrôle judiciaire n’a donc « aucune chance d’être accueillie ». Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que, puisqu’il n’y a pas de « décision », la demande est vouée à l’échec et doit être radiée.

 

[17]           Il convient de noter qu’aucun des membres du conseil Ratt ni le nouveau chef de la bande ne sont défendeurs dans la présente instance, et cela, alors que l’avis de demande vise à obtenir un jugement déclaratoire disant que tous les actes du nouveau conseil sont nuls et sans effet.

 

III. Analyse

 

[18]           La question de savoir si le fait pour le ministre de consigner dans le Système d’information sur l’administration des bandes les noms des membres du conseil constitue une décision d’un office fédéral a été étudié par la Cour à plusieurs reprises auparavant. À mon avis, la jurisprudence en la matière est applicable. Les deux précédents les plus à propos sont les décisions Algonquins du lac Barrière c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. n° 175, et Première nation Wood Mountain c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. n° 1638.

 

[19]           Dans la décision Algonquins du lac Barrière, le juge McGillis écrivait ce qui suit :

5     Au soutien de la requête visant à retirer l’avis de requête introductif d’instance, l’avocate des requérants a allégué que, par suite de la décision du ministère de reconnaître la légitimité du conseil de bande intérimaire, sa demande est devenue théorique. L’avocat du procureur général du Canada a contesté la requête au motif que la décision du ministre était purement administrative et visait simplement à permettre au ministre d’exercer ses fonctions à l’endroit de la Bande. Il a donc soutenu que la question de la légalité de la sélection des membres du conseil de bande intérimaire selon la coutume n’a pas été tranchée. En conséquence, la réparation demandée dans l’avis de requête introductif d’instance n’est pas devenue théorique. L’avocat des autres intimés, sauf M. Papatie, a appuyé la position soutenue par l’avocat du procureur général du Canada. M. Papatie s’est représenté lui‑même à l’audience et a consenti au retrait proposé de l’avis de requête introductif d’instance.

 

6     Après avoir examiné les arguments des avocats et les documents déposés en l’espèce, j’en suis arrivée à la conclusion que la requête visant à retirer l’avis de requête introductif d’instance doit être rejetée. À mon avis, la question de la légalité de la sélection des membres du conseil de bande intérimaire selon la coutume n’a pas été tranchée. Dans les circonstances, il ne convient pas de permettre le retrait de l’avis de requête introductif d’instance.

 

 

 

[20]           Essentiellement, dans ce précédent, le demandeur, le conseil de bande intérimaire des ALB, voulait se désister de son avis de requête introductif d’instance au motif qu’il était théorique. Le conseil de bande intérimaire était reconnu par le ministre et avait été enregistré en conséquence après l’émission de l’avis de requête introductif d’instance. L’avocat du conseil de bande intérimaire des ALB avait exprimé l’avis que la reconnaissance du conseil de bande intérimaire par le ministre constituait la réponse à l’avis de requête introductif d’instance, parce qu’elle avait pour effet de régler le différend relatif à l’équipe dirigeante, et cette reconnaissance rendait la procédure théorique. L’avocat du procureur général s’était opposé au rejet de la procédure au motif que la décision était de nature purement administrative et avait été prise uniquement aux fins de permettre au ministre de s’acquitter des ses obligations envers les ALB. Selon le procureur général, la question de la légalité de la sélection du conseil de bande intérimaire selon la coutume n’avait pas été tranchée et il n’était donc pas opportun de rejeter la procédure au motif qu’elle était théorique. Comme je l’ai dit, le juge McGillis a estimé que la question de la légalité de la sélection du conseil de bande intérimaire n’avait pas été tranchée. Ce qui découle de ce précédent, c’est que l’acte du ministre consistant à enregistrer le conseil de bande intérimaire dans le Système d’information sur l’administration des bandes n’était pas une décision sur la légitimité du processus de sélection.

 

[21]           La décision Wood Mountain concernait une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre d’une lettre d’un représentant du ministre qui prenait acte des résultats d’une élection coutumière censément tenue par la Première nation Wood Mountain Lakota. Comme dans la présente affaire, les demandeurs sollicitaient le contrôle judiciaire de la décision du ministre d’enregistrer les résultats dans le Système d’information sur l’administration des bandes. Comme les ALB, la Première nation Wood Mountain organise ses élections d’après la coutume de la bande. Le ministre avait reçu une résolution censément adoptée par le conseil de bande, ainsi que le rapport du président des élections sur les résultats électoraux. Un représentant du ministre avait ensuite enregistré les résultats électoraux. Dans leur demande, les demandeurs voulaient que soient produits de volumineux documents se rapportant à la décision prétendue du ministre d’enregistrer les résultats électoraux. Les défendeurs s’opposaient à la production des documents au motif que le ministre n’était pas un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales et qu’aucune décision susceptible de contrôle n’avait été rendue par lui ou en son nom. Le juge Strayer a estimé que la décision du ministre d’enregistrer les résultats électoraux n’était pas susceptible de contrôle car il ne s’agissait pas de la décision d’un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Il s’est exprimé ainsi :

[8]        La Cour a conclu que la mention d’élections tenues selon la coutume de la bande dans la définition de « conseil de bande » qui figure à l’article 2 de la Loi ne crée pas la compétence pour des élections coutumières mais ne fait que les définir pour ses propres fins : voir Bone c. Conseil de la bande indienne no 290, 107 F.T.R. 133, paragraphes 31 et 32. Par conséquent, de telles élections ne sont pas tenues en vertu d’une compétence prévue par une loi fédérale. L’avocat des demandeurs n’a porté à mon attention aucune disposition dans la Loi qui accorde au MAINC la compétence de décider qui a gagné l’élection. Le juge Paul Rouleau a conclu au paragraphe 4 de la décision Première nation du Lac des Mille‑Lacs et al. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1998] A.C.F. no 94 (QL), que le ministre n’a aucun pouvoir sur ces élections. Le MAINC ne joue aucun rôle quant à savoir ce qui est une coutume de la bande aux fins de la gestion d’une élection : voir Chingee c. Chingee, [1999] 153 F.T.R. 257, paragraphe 13.

 

[9]        Pour le même motif, les demandeurs ne peuvent demander aucun document aux défendeurs en vertu du paragraphe 317(1) des Règles parce qu’il n’autorise qu’une demande de transmission de documents qui sont en la possession de « l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande ». Pour les motifs exposés, il n’y avait aucune ordonnance en l’espèce : voir Gaudes c. Canada (Procureur général), 2005 CF 351; [2005] A.C.F. no 434 (QL), paragraphe 16.

 

                        […]

 

[11]      Les défendeurs ont demandé que, pour les mêmes motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire sans préjudice aux droits des demandeurs d’introduire une autre instance contre d’autres parties et de peut‑être intenter des recours différents. Les demandeurs demandent, à titre subsidiaire, dans le cas où je tirerais une conclusion défavorable quant à leur position principale, que je ne rejette pas la demande de contrôle judiciaire mais que je permette qu’elle soit modifiée en conservant les mêmes parties et en ajoutant d’autres parties et peut‑être d’autres recours. Je ne vois aucun avantage à cela car je viens tout juste de décider que les défendeurs ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans la présente affaire telle qu’elle est actuellement plaidée. Je crois qu’il est dans l’intérêt de la justice que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens, sans préjudice aux droits des demandeurs de chercher d’autres recours contre les parties appropriées. Il semble qu’une déclaration ou un bref de quo warranto pourraient être demandés à la Cour contre des parties qui, selon les demandeurs, exercent illégalement un pouvoir. Cela ne doit toutefois pas être considéré comme étant une prorogation du délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour demander le contrôle judiciaire. Une telle prorogation devra être demandée par une requête à cet effet.

 

Finalement, dans la décision Wood Mountain, le juge Strayer a rejeté la demande, mais sans préjudice du droit des demandeurs d’exercer d’autres recours contre les parties pertinentes.

 

[22]           À mon avis, ces deux précédents régissent l’issue de la présente affaire. L’avocate des demandeurs a vivement engagé la Cour à conclure que le ministre avait en réalité rendu une décision qui était susceptible de contrôle, puisqu’il avait [traduction] « reçu et évalué une quantité appréciable de renseignements touchant la conduite d’un processus de sélection de l’équipe dirigeante des Algonquins du lac Barrière », mais il ne s’agit pas là d’une décision susceptible de contrôle selon les articles 2 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Selon moi, la présente situation ne se distingue pas de l’affaire Wood Mountain. Le ministre n’a pas rendu une décision susceptible de contrôle. Le fait que le ministre a enregistré les résultats électoraux ne permet pas de dire si l’élection a ou non été régulièrement tenue d’après le MOA. L’enregistrement des résultats électoraux est tout simplement une décision administrative selon laquelle le ministre traitera dorénavant avec les ALB par l’entremise du conseil nouvellement élu. Si les demandeurs croient que les procédures fixées par le MOA n’ont pas toutes été observées ou que certaines dispositions du MOA ont été transgressées, alors leur recours se trouve ailleurs. Il leur appartient d’obtenir au sein même de la bande le réexamen de l’équipe dirigeante actuellement en place ou d’exercer les autres recours qui leur sont offerts à la faveur du processus très détaillé de sélection de l’équipe dirigeante, tel que ce processus est fixé dans le MOA ou dans un autre instrument. Essentiellement, les demandeurs cherchent à faire indirectement ce qu’ils n’ont pas fait directement. Plus exactement, ils voudraient faire annuler le processus de sélection en invitant la Cour à réformer la décision du ministre, plutôt qu’en invoquant le processus fixé par le MOA.

 

[23]      La requête en radiation d’une demande fait reposer sur la partie requérante un très lourd fardeau [voir par exemple l’arrêt David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc. et al., [1995] 1 CF 588]. Récemment, les principes régissant les requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire ont été très utilement analysés dans le détail, puis résumés, par la juge Mactavish dans la décision Amnistie Internationale Canada et al. c. Le chef de l’état‑major de la défense et al., 2007 CF 1147. Le résumé que fait la juge Mactavish se présente ainsi :

Les principes juridiques régissant les requêtes en radiation

 

[22]      Les demandes de contrôle judiciaire sont censées être des procédures sommaires et les requêtes en radiation d’un avis de demande ajoutent considérablement au coût et au temps que requiert l’examen de telles questions.

 

[23]      En outre, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1994] A.C.F no 1629, le processus de radiation est plus facile à exécuter dans le cadre d’une action que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, car il existe de nombreuses règles régissant les actions qui requièrent des actes de procédure précis quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits sur lesquels la demande est fondée. Il n’y a pas de règle comparable qui régisse les avis de demande de contrôle judiciaire.

 

[24]      En conséquence, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’il est nettement plus risqué pour un tribunal de radier un avis de demande de contrôle judiciaire qu’un acte de procédure classique. Par ailleurs, dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, par opposition à une action, des questions d’ordre économique différentes entrent en jeu. C’est‑à‑dire que les demandes de contrôle judiciaire ne comportent pas d’enquête préalable ni d’instruction – mesures qu’une radiation permet d’éviter dans les actions : David Bull, au paragraphe 10.

 

[25]      Par contraste, l’audition complète d’une demande de contrôle judiciaire se déroule en grande partie de la même façon qu’une requête en radiation de l’avis de demande, c’est‑à‑dire sur la foi des preuves par affidavit produites et des arguments invoqués devant un juge de la Cour.

 

[26]      C’est la raison pour laquelle la Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’y a pas lieu de radier une demande de contrôle judiciaire avant la tenue de l’audience sur le fond, à moins que la demande soit « manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie ».

 

[27]      La Cour d’appel fédérale indique de plus que « [c]es cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations […], où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête » : David Bull, au paragraphe 15.

 

[28]      À moins qu’une partie requérante puisse satisfaire à cette norme fort stricte, « le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même » : David Bull, au paragraphe 10. Voir aussi Addison & Leyen Ltd. c. Canada, [2006] A.C.F no 489, 2006 CAF 107, au paragraphe 5, inf. pour d’autres motifs par [2007] A.C.S. no 33, 2007 CSC 33.

 

[29]      Si le critère est aussi strict, c’est qu’il est habituellement plus efficace pour la Cour de traiter d’un argument préliminaire à l’audition de la demande de contrôle judiciaire elle‑même, plutôt que sous la forme d’une requête préliminaire : voir les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Addison & Leyen, au paragraphe 5.

 

[30]      Par analogie avec le processus prescrit par les Règles des Cours fédérales à propos de la radiation des déclarations, en règle générale aucune preuve ne peut être produite dans le cadre d’une requête en radiation d’un avis de demande. En outre, il faut tenir pour avérés les faits allégués par le demandeur dans l’avis de demande : Addison & Leyen Ltd. et al., précité, au paragraphe 6.

 

[31]      Toutefois, la Cour n’est pas tenue de considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. Elle n’est pas non plus tenue d’accepter comme vraies des allégations qu’il est impossible de prouver : voir Operation Dismantle Inc. c. R., [1985] 1 R.C.S. 441, au paragraphe 27.

 

[32]      Il y a une exception au principe général selon lequel aucune preuve ne peut être produite dans le cadre d’une requête semblable à celle dont il est question en l’espèce. C’est‑à‑dire que lorsqu’il y a contestation de la compétence de la Cour, celle‑ci doit être convaincue que des faits juridictionnels ou des allégations de tels faits étayent une attribution de compétence : MIL Davie Inc. c. Société d’exploitation et de développement d’Hibernia Ltée (1998), 226 N.R. 369.

 

[33]      Finalement, pour décider s’il y a lieu de radier une demande de contrôle judiciaire parce qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie, il convient d’interpréter l’avis de demande de manière aussi libérale que possible, d’une façon qui remédie à tout vice de forme imputable à une carence rédactionnelle qui aurait pu se glisser dans les allégations : Operation Dismantle, au paragraphe 14.

 

[24]           Gardant à l’esprit l’avertissement donné par la juge Mactavish dans la décision Amnistie Internationale à propos du lourd fardeau qui repose sur la partie requérante, ainsi que la nécessité d’interpréter l’avis de demande d’une manière aussi libérale que possible, je ne suis pas persuadé que les demandeurs puissent ici obtenir gain de cause. Compte tenu des décisions Wood Mountain et Algonquins du lac Barrière, la présente demande n’a aucune chance d’être accueillie et doit être radiée. Cependant, afin de préserver les droits que pourraient avoir les demandeurs, la demande est radiée, mais sans préjudice de leur droit d’introduire une autre instance et d’exercer d’autres recours contre les parties pertinentes, sous réserve des exigences du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[25]           La partie requérante vise à obtenir ses dépens afférents à la requête. Normalement, en tant que partie requérante qui a obtenu gain de cause, le défendeur a droit à ses dépens. Les demandeurs ont plaidé l’impécuniosité. Leur impécuniosité n’a pas été établie devant la Cour, si ce n’est l’affirmation qui apparaît dans leurs conclusions écrites, encore que, durant son argumentation orale, l’avocate des demandeurs ait informé la Cour de leur manque de ressources. Les avocates du ministre sollicitent les dépens parce que, comme elles l’ont soutenu, il était clair en droit que la décision du ministre n’était pas susceptible de contrôle judiciaire. Dans ces conditions, le défendeur a droit à ses dépens taxés, s’il les exige.

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :

1.                                          La demande est radiée, sans préjudice du droit des demandeurs d’introduire une autre instance et d’exercer d’autres recours contre les parties pertinentes, sous réserve des conditions du paragraphe 18.1 (2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

2.                                          Le défendeur a droit à ses dépens taxés, s’il les exige.

 

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑462‑08

 

INTITULÉ :                                       HARRY WAWATIE, TOBY DECOURSAY, JEANNINE MATCHEWAN ET LOUISA PAPATIE, EN LEUR QUALITÉ DE MEMBRES DU CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK (également appelés les ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE) c.

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 août 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       Le protonotaire Aalto

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 28 août 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole Richmond

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Hernandez

Me Cantave

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nahwegahbow, Corbiere

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Ministère de la Justice

Bureau régional du Québec (Ottawa)

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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