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Date : 20080820

Dossier : T-1802-07

Référence : 2008 CF 960

Ottawa (Ontario), le 20 août 2008

En présence de madame la juge Snider

 

entre :

MARK MICHAEL KOCHEMS

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

le MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

défendeurs

 

 

 

motifs du jugement et jugemenT

 

 

[1]               Le 11 octobre 2007, M. Mark Michael Kochems (ci‑après M. Kochems ou le demandeur) a intenté une action par le dépôt d’une déclaration contre les défendeurs. La déclaration a été modifiée les 15 et 25 octobre 2007. Le 23 novembre 2007, les défendeurs ont déposé une défense et M. Kochems a déposé une réponse en décembre 2007. Dans la présente requête écrite déposée conformément à l'article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), les défendeurs demandent ce qui suit :

 

a)           une ordonnance fondée sur l'article 75 des Règles par laquelle la Cour permettrait aux défendeurs de modifier leur défense par l’ajout du paragraphe suivant :

[traduction]

23.       De plus ou subsidiairement, l’action du demandeur a été intentée plus de deux ans après que le demandeur a su ou est réputé avoir su qu’il pouvait avoir un droit d’action à l’égard des défendeurs et elle est donc prescrite par l’application conjointe de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, et de la loi de l’Alberta intitulée Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‑12.

 

b)         une ordonnance fondée sur les alinéas 221(1)a) et 221(1)f) et les paragraphes 213(2) et 216(1) des Règles pour la radiation de la déclaration, et pour l’obtention d’un jugement sommaire visant le rejet de l’action.

 

I.          Les questions en litige

 

[2]               Les questions en litige dans la présente requête sont les suivantes :

 

1.                  La présente requête doit-elle être jugée sur dossier ou lors d'une audience?

 

2.                  Faudrait-il que la Cour permette aux défendeurs de modifier leur défense et de plaider la prescription du délai?

 

3.                  L’action de M. Kochems devrait‑elle être radiée ou rejetée pour le motif qu’elle a été intentée après le délai prescrit par la loi ou, sinon, pour le motif qu’elle ne contient aucune cause d’action valable?

 

 

 

II.        Résumé des faits

 

[3]               L’action de M. Kochems vise les mesures de dotation prises par le ministère des Pêches et des Océans (le MPO) au cours de la période qui a commencé au mois d’août 2000.

 

[4]               En août 2000, un concours de dotation fut lancé par le MPO pour des postes de directeurs de district dans différents endroits. Comme le concours était « public », toute personne (peu importait son emploi à l’époque) pouvait postuler. En 2001, M. Kochems a été déclaré qualifié et apparemment il a été inscrit sur une liste d’admissibilité à partir de laquelle, pendant une période d’un an, les candidats admissibles pouvaient être sélectionnés. M. Kochems n’a pas été sélectionné et le 22 novembre 2001, on l’a avisé que la liste d’admissibilité avait expiré. Il semble qu’il n’a effectué aucune démarche pour contester le processus suivi lors de ce concours public.

 

[5]               En juin 2002, un nouveau concours pour le poste de directeur de district fut affiché sur Internet. Ce concours était « interne », c'est-à-dire que seules les personnes employées dans la fonction publique pouvaient postuler. En tant qu’employé de Parcs Canada, M. Kochems n’était pas considéré comme une personne employée dans la fonction publique.

 

[6]               M. Kochems a interjeté appel au Comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le CACFP ou le tribunal) contre la sélection faite dans le cadre du concours interne de 2002. Après une audience à laquelle M. Kochems a assisté, le CACFP a décidé ce qui suit, dans une décision écrite et détaillée du 31 mars 2003 :

 

[traduction]

En tant qu’employé de l’agence Parcs Canada, M. Kochems n’était pas admissible à poser sa candidature dans le cadre de ces concours [internes] puisque qu’il ne satisfaisait pas à la définition de « fonctionnaire » contenue dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP), et toute personne devait d’abord être « fonctionnaire » au sens de la LEFP pour être admissible à poser sa candidature.

 

 

[7]               Ainsi, le CACFP a conclu que M. Kochems n’avait aucun droit d’interjeter appel au tribunal; il a continué disant qu’il [traduction] « n’a pas compétence pour trancher [l]es appels [de M. Kochems] sur le fond ».

 

[8]               Il est important de souligner que M. Kochems n’a pas effectué la démarche suivante, qui était de demander le contrôle judiciaire de la décision du CACFP à la Cour fédérale, comme il aurait pu le faire conformément à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Au contraire, comme il l’a affirmé dans sa déclaration, il a continué longuement et sans succès sa contestation par des voies informelles, par exemple auprès de son député et auprès du président du Conseil du Trésor. À chaque étape, la réparation qu’il demandait (qui semblait être un poste de directeur de district ou un poste équivalent au sein du MPO), lui a été refusée.

 

[9]               Comme je l’ai noté, M. Kochems a intenté son action le 11 octobre 2007, conformément à l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

III.       Première question en litige : la présente requête doit-elle être jugée sur dossier ou lors d'une audience?

 

 

[10]           Les défendeurs ont déposé la présente requête conformément à l’article 369 des Règles, qui dispose que le requérant peut, dans l’avis de requête, demander que la décision à l’égard de la requête soit prise uniquement sur la base de ses prétentions écrites. Dans ses observations écrites en réponse à la requête, M. Kochems a demandé une audience. Toutefois dans sa réponse, M. Kochems n’a pas donné de raisons justifiant l’audition, comme cela est exigé au paragraphe 369(2) des Règles.

 

[11]           Je suis d’avis que les deux parties ont saisi l’occasion de présenter des observations écrites adéquates sur les questions en litige. Dans ces circonstances, une audience n’est pas nécessaire.

 

 

IV.       Deuxième question : faudrait-il que la Cour permette aux défendeurs de modifier leur défense et de plaider la prescription du délai?

 

 

[12]           Dans leur requête, les défendeurs demandent qu’il leur soit permis d’ajouter un acte de procédure selon lequel l’action du demandeur est prescrite. Bien que l’ajout envisagé apporte un nouveau moyen de défense, les faits sur lesquels ce moyen précis repose font déjà partie des actes de procédures. Ces faits (dont la plupart figurent dans la déclaration de M. Kochems) révèlent que M. Kochems savait que la liste d’admissibilité relative au concours public avait expiré sans nomination en 2001, et que le MPO l’avait exclu du concours interne à une date indéterminée en 2002. Les actes de procédures font aussi état de l’appel interjeté par M. Kochems au CACFP et de la décision du 31 mars 2003 de ce tribunal. La modification envisagée ne change ni n’ajoute rien aux faits qui sont à la base de l’action.

 

[13]           La raison pour laquelle M. Kochems s’oppose à l’ajout concernant la prescription du délai comme moyen de défense repose simplement sur le fait que : [traduction] « cela fait un bon six mois (le 23 novembre 2007) depuis que la défense a été enregistrée à la Cour fédérale ». M. Kochems n’avance aucune raison de principe pour le rejet de la requête. Bien que l’obligation de diligence puisse être un facteur pertinent, dans la présente affaire, elle ne peut pas être décisive. De même, le moment de la présentation de la modification envisagée ne porte pas non plus de préjudice indu à M. Kochems.

 

[14]           La modification envisagée est la conséquence évidente et logique des faits invoqués. Selon moi, elle doit être admise.

 

V.        Troisième question : les actes de procédure de la déclaration devraient-ils être radiés ou l’action devrait‑elle être rejetée?

 

[15]           La première question qui doit être réglée est de savoir si l’action devrait être rejetée parce qu’il s’agit en fait d’une contestation indirecte de mesures de dotation et que ce type de contestation doit être mené par la voie du contrôle judiciaire. La réponse à cette question découle de la compréhension des actes de procédure de M. Kochems.

 

[16]           Le juge Décary a déclaré ce qui suit au paragraphe 16 de l’arrêt Canada c. Roitman, 2006 CAF 266, 2006 D.T.C. 6514 :

Une déclaration ne doit pas être prise au pied de la lettre. Le juge doit aller au‑delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée, et il doit s’assurer que la déclaration ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour fédérale un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de cette cour. Pour reprendre les remarques que la Cour suprême du Canada a faites récemment dans l’arrêt Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, au paragraphe 11, lesquelles ont été appliquées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Prentice c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2005 CAF 395, au paragraphe 24, autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême du Canada, 19 mai 2006, CSC 31295, le demandeur n’est pas autorisé à présenter son action de façon un peu artificielle, quant au délit fondé sur la négligence, afin de contourner l’application d’une loi.

 

[17]           L’examen de la déclaration montre que l’action de M. Kochems est née en raison des processus de dotation du MPO. C’est ce qui ressort d’un certain nombre de paragraphes de sa déclaration modifiée. Par exemple, au paragraphe 30, M. Kochems déclare qu’il [traduction] « soutient qu’on lui a refusé une perspective de carrière au ministère des Pêches et des Océans ». Au paragraphe 31, il déclare qu’il estime que les mesures prises pendant le processus n’étaient  [traduction] « ni transparentes ni respectueuses ni éthiques au regard des politiques du Conseil du Trésor, des lignes directrices de la Commission de la fonction publique sur la dotation et d’autres protocoles établis de la fonction publique ».

 

[18]           M. Kochems décrit aussi les difficultés qu’il a rencontrées dans le cadre de la procédure et il évoque la conclusion du CACFP. Au paragraphe 25, il déclare qu’on a [traduction] « refusé de lui accorder un recours approprié à la Commission de la fonction publique ». Au paragraphe 19, il fait référence [traduction] « aux opinions incidentes trompeuses et inexactes énoncées au cours d’une audience d’appel et où le président du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique a déclaré dès le début que le tribunal n’était pas compétent pour entendre l’appel du demandeur ».

 

[19]           Des éclaircissements supplémentaires sur le véritable but de la déclaration de M. Kochems ressortent des réparations demandées. En plus des dommages‑intérêts punitifs, M. Kochems demande seulement une indemnisation pour des sommes équivalentes au salaire (passé et futur) et la différence de prestations de retraite entre la classification actuelle de son poste et celle d’un poste de directeur de district.

 

[20]           Les commentaires de M. Kochems, dans sa réponse à la présente requête, sont aussi révélateurs, lorsqu’il déclare ce qui suit :

 

[traduction]

À cette fin, on a refusé au demandeur une perspective de carrière au ministère des Pêches et des Océans (le MPO), une grande organisation gouvernementale. Le plein potentiel de ce que le demandeur aurait pu accomplir en tant qu’employé du MPO ne sera jamais connu. Par conséquent, le demandeur a subi des pertes économiques et sociales.

 

 

[21]           Ainsi, après avoir examiné la déclaration modifiée dans l’action et la réponse de M. Kochems à la présente requête, je suis convaincue que le seul objet de la réclamation de M. Kochems est son mécontentement par rapport au processus de nomination pour l’obtention d’un poste au sein de la fonction publique. En résumé, l’action n’est rien de plus qu’une contestation indirecte des décisions administratives prises pendant les deux concours de dotation. M. Kochems conteste la légalité des deux concours de dotation et rien de plus.

 

[22]           À mon avis, les faits de la présente affaire sont pour l’essentiel identiques à ceux soumis à la Cour d’appel dans l’affaire Grenier c. Canada, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287. Dans cette affaire, M. Grenier, un détenu, a essayé d’intenter une action relativement à la décision prise par le directeur du pénitencier de lui imposer une mesure disciplinaire. M. Grenier n’a pas contesté la décision par la voie du contrôle judiciaire. Quelque trois ans après la décision, M. Grenier a intenté une poursuite en dommages‑intérêts; il alléguait que cette décision était illégale. La Cour d’appel a décidé que M. Grenier ne pouvait pas indirectement contester la légalité de la décision par une action en dommages‑intérêts; il devait demander directement la nullité ou l’infirmation de la décision par la voie du contrôle judiciaire (la décision Grenier précitée, au paragraphe 35). L’action de M. Grenier fut rejetée.

 

[23]           La juge Layden-Stevenson est parvenue à la même conclusion relativement à des faits semblables, dans la décision Graham c. Sa Majesté la reine, 2007 CF 210. Dans cette décision, comme dans la présente affaire, la requérante avait omis d’exercer les autres voies de recours.

 

[24]           Dans la présente affaire, comme je l’ai noté ci‑dessus, l’essence de l’action de M. Kochems trouve son origine dans les mesures prises pendant les concours public et interne tenus pour la dotation au sein du MPO. Contrairement aux allégations de M. Kochems dans sa réponse à la présente requête, il n’a pas épuisé toutes les autres voies de recours. En ce qui a trait au concours public, il y avait des démarches que M. Kochems aurait pu entreprendre pour contester le processus; il appert que M. Kochems n’a entrepris aucune démarche formelle. Quant au concours interne, M. Kochems a déposé une plainte au CACFP et il a été entendu par ce tribunal; il n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue. Par conséquent, l’action de M. Kochems sera rejetée. Comme le juge Létourneau l’a noté dans l’arrêt Grenier précité, au paragraphe 33 :

Il est d'autant plus important de ne pas permettre un recours sous l'article 17 comme mécanisme de contrôle de la légalité d'une décision d'un organisme fédéral que cette procédure de contestation indirecte de la décision permet de contourner les dispositions impératives du paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[25]           Puisque je suis convaincue de devoir rejeter l’action pour les motifs que je viens d’énoncer, je n’ai pas besoin de trancher la question de savoir si le délai était prescrit.

 

 

VI.       Conclusion

 

[26]           La déclaration de M. Kochems sera radiée et son action sera rejetée avec dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  les défendeurs sont autorisés à modifier leurs actes de procédure par l’ajout du paragraphe 23 comme il est énoncé dans les présents motifs;

 

2.                  la déclaration est radiée;

 

3.                  l’action est rejetée et les dépens sont alloués aux défendeurs.

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 

 


cour fédérale

 

avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOssier :                                               T-1802-07

 

intitulé :                                              MARK MICHAEL KOCHEMS c. SA MAJESTÉ

                                                                   LA REINE DU CHEF DU CANADA et le

                                                                   MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

motifs du jugement

et jugement :                                     La juge SNIDER

 

DATE des motifs :                             Le 20 août 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Michael Kochems

 

pour le DEMANDEUR

(Pour son propre compte)

 

Doreen Mueller

 

pour les défendeurs

 

avocats inscrits au dossier :

 

Mark Michael Kochems

Calgary (Alberta)

 

pour le DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

pour les défendeurs

 

 

 

 

 

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