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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080729

Dossier : IMM-4489-07

Référence : 2008 CF 927

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2008

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

SARANGA KODITHUWAKKU M. WEERASINGHE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un citoyen cinghalais de 27 ans du Sri Lanka, sollicite le contrôle judiciaire de la décision que la Section de la protection des réfugiés (la Commission) a rendue en septembre 2007 et dans laquelle elle a déclaré que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi de façon assez convaincante la crédibilité de son allégation. Pour les motifs qui suivent, je vais rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


I. Faits

 

[2]               Le demandeur a quitté le Sri Lanka en avril 2004 pour aller travailler au Royaume-Uni. Il  est rentré au Sri Lanka en février 2006. À son retour, le demandeur, qui suivait les traces de membres de sa famille qui sont des militants politiques, a commencé à travailler pour la campagne municipale de Sirisena Cooray, un ancien ministre du Parti de l’union nationale (UNP) et un bon ami de son père. Comme la Commission des élections a empêché l’UNP de participer aux élections municipales en raison d’un détail technique, l’UNP a conclu une alliance avec le Parti indépendant, et tous les militants politiques de l’UNP ont travaillé pour le Parti indépendant.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’il a commencé à recevoir des menaces dès que l’entente a été négociée. Le 15 mars 2006, des policiers se sont rendus chez lui la nuit et l’ont passé à tabac. Le demandeur soutient que les hommes de main de M. Silva, le ministre du Travail et un membre du Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP), parti qui dirige le Sri Lanka depuis 1994, accompagnaient les policiers. En outre, le demandeur a ajouté ne pas avoir pu se procurer de rapport médical parce qu’il lui fallait un rapport de police, qu’il ne pouvait pas obtenir car c’était des policiers qui lui avaient infligé ses blessures. Sur les conseils de M. Cooray, le demandeur est déménagé à Kolonnawa.

 

[4]               Le 20 mai 2006, le Parti indépendant a remporté les élections municipales à Colombo. Peu après, les hommes de main de M. Silva ont de nouveau agressé le demandeur, qui a perdu connaissance et est revenu à lui chez M. Cooray.

[5]               En août 2006, le demandeur s’est rendu au bureau du conseil municipal où il a surpris une conversation entre le maire et l’un des hommes de main de M. Silva. L’homme de main aurait soudoyé le maire pour qu’il rompe l’alliance de son parti avec l’UNP et forme une nouvelle alliance avec le SLFP. Ils ont constaté que le demandeur avait entendu leur conversation. Le demandeur est parti en courant et s’est immédiatement adressé à M. Cooray.

 

[6]               M. Cooray a appelé le maire, qui a nié avoir accepté de l’argent de l’homme de main. Néanmoins, le maire a dit à M. Cooray qu’il allait dissoudre l’alliance de son parti avec l’UNP et en contracter une nouvelle avec le SLFP parce qu’il craignait pour sa vie. Le maire a également dit à M. Cooray que, si lui ou les hommes de M. Silva voyaient encore le demandeur, ils le tueraient. Le demandeur s’est donc caché conformément aux instructions de M. Cooray. Après que le demandeur eut quitté Kolonnawa, les hommes de main de M. Silva se sont rendus chez lui et ont battu les membres de sa famille.

 

[7]               Le demandeur a quitté le Sri Lanka le 5 octobre 2006 pour venir au Canada, où il a demandé l’asile 13 jours plus tard.

 

II. Décision contestée

 

[8]               La commissaire avait des doutes quant à la crédibilité qui l’ont incitée à rejeter la demande d’asile du demandeur.

 

[9]               Même si les lettres de M. Cooray et de son personnel confirmaient que le demandeur avait  travaillé pour eux, la commissaire a fait remarquer qu’elles ne corroboraient pas les problèmes que les opposants à son parti lui auraient occasionnés. En conséquence, elle a mis en doute la véracité des événements qui ont incité le demandeur à quitter le Sri Lanka. La commissaire ne comprenait pas pourquoi la lettre de M. Cooray ne faisait pas état du vécu du demandeur ou du rôle particulier que celui-ci avait joué auprès de lui. Elle a rejeté les explications du demandeur à cet égard parce qu’elle s’attendait à ce que M. Cooray écrive, compte tenu de leur relation spéciale, plus qu’une lettre de remerciement générique. Elle doutait en outre que M. Cooray, même s’il se cachait en Australie, soit difficile à trouver et elle estimait donc que le demandeur aurait dû se procurer une lettre plus détaillée.

 

[10]           La commissaire a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pu expliquer pourquoi il connaissait le nom de l’homme de main de M. Silva qui a soudoyé le maire. Selon elle, les explications du demandeur étaient incohérentes et insuffisantes. Par conséquent, elle a conclu que l’homme de main était un personnage fictif d’un récit monté de toutes pièces.

 

[11]           La commissaire ne croyait pas que le demandeur avait été témoin de la conversation entre le maire et l’homme de main. Elle ne comprenait pas comment cette conversation avait pu se dérouler en présence du demandeur. Selon elle, ces hommes n’auraient pas eu une conversation secrète à voix haute devant la fenêtre du bureau d’un maire occupé.

 

[12]           Comme le passeport du demandeur indique que celui-ci est entré au Sri Lanka le 8 février 2006, mais pas qu’il est parti en octobre 2006, la commissaire a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que le demandeur vivait à Colombo lorsque, selon ses dires, il a vu le maire recevoir un pot-de-vin en août 2006. Le demandeur n’avait pas de titre de voyage et son permis de conduire ainsi que sa carte d’identité nationale avaient tous deux été délivrés avant 2004.

 

[13]           La commissaire a ensuite conclu que les trois tentatives que le demandeur avait faites pour se procurer un visa de visiteur afin de venir au Canada confirmaient le manque de crédibilité de son récit. Bien que cet élément ne soit pas déterminant en soi, la commissaire a signalé qu’il était pertinent au vu de l’absence générale de crédibilité.

 

[14]           Comme elle a conclu au manque de vraisemblance d’éléments cruciaux du récit du demandeur, la commissaire a rejeté sa demande d’asile.

 

III. Question en litige

 

[15]           Bien que l’avocat du demandeur ait contesté bon nombre des conclusions de la Commission, on peut résumer la question à trancher en l’espèce de la façon suivante : La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a apprécié la crédibilité du demandeur et la vraisemblance de son récit?

 

IV. Analyse

 

[16]           Avant le prononcé de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 329 N.B.R. (2d) 1 par la Cour suprême du Canada, la Cour appliquait la norme de la décision manifestement déraisonnable aux conclusions de fait qu’elle examinait. Cependant, à la suite de cet arrêt, les normes du manifestement déraisonnable et du raisonnable ont été fondues en une seule norme, soit celle de la raisonnabilité, comme on reconnaissait qu’il était souvent difficile, en pratique, d’opérer une distinction entre ces normes. Cela dit, la Cour suprême a souligné que l’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvrait pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire et que la déférence était toujours inhérente à la norme de raisonnabilité. Pour citer les motifs du juge Bastarache (au paragraphe 47),

[…] Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[17]           Il faut d’autant plus tenir compte de cet avertissement que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7) n’a pas été écarté par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir; en fait, la Cour suprême ne s’est pas penchée sur l’interaction entre cette disposition et les normes de contrôle de la common law parce que cette question ne se posait pas dans Dunsmuir. En conséquence, la Cour ne peut intervenir que si elle estime que le tribunal administratif a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait (se reporter à Da Mota c. Canada (MCI), 2008 CF 386, [2008] A.C.F. no 509, paragraphe 14 (QL); Obeid c. Canada (MCI), 2008 CF 503, [2008] A.C.F. no 633 (QL); Naumets c. Canada (MCI), 2008 CF 522, [2008] A.C.F. no 655 (QL); Mendez c. Canada (MCI), 2008 CF 584, [2008] A.C.F. no 771 (QL)).

 

[18]           Il n’est pas nécessaire d’examiner un à un les divers motifs que la commissaire a invoqués pour conclure que le demandeur n’était pas crédible. Bien qu’une présomption de vérité se rattache sans aucun doute aux allégations qu’un demandeur fait sous serment (Maldonado c. Canada (M.E.I.), [1980] 2 C.F. 302, 31 N.R. 34), il est tout à fait raisonnable que la Commission en vienne à une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur si son récit est contradictoire et incohérent ou s’il est tout simplement invraisemblable.

 

[19]           La Commission a examiné les deux lettres que le demandeur a produites, soit celle de M. Cooray et celle de son secrétaire particulier. Bien que le demandeur ait affirmé avoir été un adjoint spécial de M. Cooray, ces lettres ne sont que de simples lettres de remerciement génériques qui ont été envoyées à toutes les personnes ayant participé à la campagne.

 

[20]           Le demandeur a précisé dans son exposé circonstancié qu’il était déménagé conformément aux instructions de M. Cooray, qu’il avait été amené d’une façon quelconque chez M. Cooray après que des hommes de main l’eurent agressé et qu’il s’était caché jusqu’à ce qu’il quitte le Sri Lanka,  une fois de plus, selon les instructions de M. Cooray. Compte tenu de ces liens prétendument spéciaux entre le demandeur et M. Cooray, et du fait que ce dernier était un ami intime de la famille, la Commission pouvait conclure à juste titre qu’il était peu vraisemblable que ces lettres ne fassent aucunement état des événements auxquels le demandeur a été mêlé en août ou du rôle qu’il aurait joué auprès de M. Cooray.

 

[21]           Compte tenu de la relation étroite qu’entretenaient le demandeur et M. Cooray, il semble aussi peu vraisemblable que le demandeur n’ait pu trouver M. Cooray en Australie pour obtenir une lettre plus détaillée à l’appui de sa demande. À défaut de cette lettre, on s’attendrait à ce qu’il ait au moins sollicité une lettre plus explicite d’un autre représentant de l’UNP. Tous ces faits, ainsi que l’absence de toute preuve quant aux traitements qu’il aurait subis par suite des nombreuses agressions dont il prétend avoir été victime, ont nui à sa crédibilité.

 

[22]           Dans ces circonstances, il était raisonnable que la Commission conclue que ces lettres n’établissaient pas que le demandeur était plus qu’un simple travailleur ayant participé à la campagne de M. Cooray et qu’elles ne corroboraient aucunement le récit de persécution alléguée du demandeur.

 

[23]           Au paragraphe 20 de son mémoire, le demandeur invoque la décision Amarapala c. Canada (MCI), 2004 CF 12, 128 A.C.W.S. (3d) 358, à l’appui de son argumentation :

Il est bien établi qu’un tribunal ne peut tirer de conclusions négatives du seul fait qu’un demandeur d’asile n’a pas transmis de documents extrinsèques pour corroborer sa demande. Cependant, lorsqu’un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d’un demandeur, le fait que celui-ci n’ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s’il n’accepte pas l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a as transmis ces documents. Voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. 755, paragraphe 9, le juge O'Reilly.

 

 

[24]           Il est bien établi en droit que la Commission dispose du pouvoir discrétionnaire d’apprécier la vraisemblance du récit ou du témoignage d’un demandeur d’asile et de tirer une conclusion  défavorable quant à la crédibilité sur ce fondement. La Commission peut clairement établir le degré de crédibilité à attribuer au témoignage d’un demandeur ainsi qu’aux éléments de preuve qu’il a produits à l’appui de sa cause. En l’espèce, la décision de la Commission repose sur divers éléments invraisemblables, dont la lettre de M. Cooray qui a été jugée insuffisante pour appuyer la demande du demandeur.

 

[25]           L’incapacité du demandeur d’expliquer de façon crédible et plausible comment il a eu connaissance du nom de l’homme de main qui avait soudoyé le maire dans son bureau et le contexte dans lequel il aurait été témoin de cette situation constituait un autre facteur important dans la décision de la Commission. Après avoir lu attentivement la transcription, je ne suis pas en mesure de conclure que la conclusion de la commissaire quant à ces deux points ne fait pas partie des issues possibles et acceptables au regard des faits dont elle était saisie. Je dois, à la lumière de cette transcription, me ranger du côté de la commissaire lorsqu’elle dit que le demandeur semblait s’embrouiller dans ses explications relatives à la façon dont il avait appris le nom de l’homme de main. Le récit du demandeur selon lequel il aurait entendu, lorsqu’il se trouvait dans la salle d’attente du bureau du maire, l’homme de main crier et menacer le maire et il l’aurait aussi vu ouvrir une serviette remplie d’argent est encore moins vraisemblable. Une fois de plus, on ne saurait blâmer la commissaire d’avoir eu de la difficulté à croire que ces hommes aient été si imprudents et auraient parlé d’une transaction si secrète devant une fenêtre où le personnel et d’autres personnes qui attendaient de rencontrer le maire auraient pu les apercevoir à travers le store ouvert.

 

[26]           En outre, la Commission a vu d’un mauvais œil l’incapacité du demandeur de prouver qu’il se trouvait effectivement à Colombo en août 2006, lorsqu’il aurait vu le maire se faire soudoyer. Le passeport du demandeur indique que celui-ci est entré au Sri Lanka en février 2006, mais pas qu’il est parti en octobre 2006, comme il le prétend. Le demandeur n’a pu produire de billet d’avion ou de carte d’embarquement à l’appui de sa prétention et toutes les pièces d’identité qu’il a soumises ont été délivrées avant 2004.

 

[27]           Pour apprécier la demande d’asile du demandeur, la Commission a pris en considération son manque général de crédibilité ainsi que les trois tentatives infructueuses qu’il avait faites au Sri Lanka pour obtenir un visa canadien afin de venir visiter son frère au Canada. À la lumière de ces faits, il n’était pas déraisonnable que la Commission se demande si le demandeur avait effectivement quitté l’Angleterre pour retourner au Sri Lanka et s’y établir, comme il le prétend, ou s’il avait quitté le Sri Lanka avant août 2006, lorsque les actes de persécution auraient eu lieu.

 

[28]           Bien que le demandeur puisse ne pas être d’accord avec l’appréciation que la Commission a faite de la preuve produite et aurait préféré une appréciation plus favorable à sa demande d’asile, il n’a pas réussi à démontrer que l’appréciation de la Commission était abusive, arbitraire ou déraisonnable.

[29]           La commissaire a effectivement commis une erreur de fait lorsqu’elle a déclaré que le demandeur était persécuté par le JVP plutôt que le SLFP. Cependant, cette erreur ne justifie pas en soi l’accueil de la demande de contrôle judiciaire. En effet, cette erreur était sans conséquence sur l’issue de l’affaire.

 

[30]           Pour tous ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4489-07

 

INTITULÉ :                                       SARANGA KODITHUWAKKU M. WEERASINGHE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 29 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

Kinga Janik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan Bohbot

4979A, chemin de la Côte Sainte-Catherine

Montréal (Québec)  H3W 1M5

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                   

 

 

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