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Date :  20080730

Dossier :  IMM-179-08

Référence :  2008 CF 908

Montréal (Québec), le 30 juillet 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

KIRPAL SHARMA

SANTI SHARMA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application de l’article 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 13 décembre 2007, qui leur refuse la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.                   Les faits

[2]               Le demandeur principal, M. Kirpal Sharma, et son épouse Santi Sharma, sont nés à Delhi et possèdent tous les deux la citoyenneté indienne.

 

[3]               Suite à l’explosion  d’une voiture du demandeur, à l’entreprise de location de voitures  du demandeur et de son fils, le 29 octobre 2005, la police arrête ce dernier et  les demandeurs dès lors perdent tout contact avec leur fils, malgré de vains efforts pour le retracer.

 

[4]               Ayant reçu un appel d’un l’hôpital, le 13 novembre 2005, les demandeurs vont identifier le corps de leur fils. Malgré qu’on indique comme cause officielle de son décès une hémorragie cérébrale, les demandeurs soutiennent que leur fils a été torturé.

 

[5]               Le 21 novembre 2005, la police arrête le demandeur au bureau de son entreprise, l’accuse d’être impliqué dans l’explosion du 29 octobre 2005, menace de le tuer de la même façon que son fils, et par la suite le questionne et le torture. 

 

[6]               Le demandeur aurait été relâché le 26 novembre 2005, pour des motifs médicaux sur  l’intervention d’un représentant politique de la région, et moyennant le paiement d’un pot-de-vin aux policiers et la promesse de ne pas quitter la ville.

 

[7]               Après sa libération, le demandeur se serait réfugié avec son épouse chez un ami, pendant qu’il entreprenait des démarches pour quitter le pays par crainte que la police le retrace.

 

[8]               Les demandeurs quittent Delhi le 4 juin 2006 et transitent par Paris avant d’arriver à Montréal le même jour et par la suite réclamer le statut de réfugié.

 

[9]               En raison d’un doute sur leur identité, sur la véracité de leurs récits et l’authenticité de leurs documents, l’Agence des services frontaliers du Canada décide, le 12 juin 2006, de détenir les demandeurs.

 

[10]           Le 4 juillet 2007, un procureur dépose une requête en leur nom demandant qu’on leur désigne un représentant d’office pour l’audition de leur demande, conformément au paragraphe 167(2) de la Loi. Faute d’une preuve à l’effet que les demandeurs ne sont pas en mesure de comprendre la nature de la procédure, tel que le prévoit la Loi, cette demande est rejetée. Considérant toutefois la vulnérabilité des demandeurs dont fait état la preuve médicale, le tribunal n’en ordonne pas moins qu’ils puissent être accompagnés lors de l’audition par une personne de leur choix pour les soutenir moralement.

 

[11]           La Commission entend la requête des demandeurs pour l’obtention du statut de réfugié, et la rejette. D’où la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision négative.

 

II.        Décision contestée

[12]           Après avoir retenu plusieurs contradictions et incohérences dans le récit des demandeurs, la Commission conclut comme suit :

Based on all the foregoing, PC [Principal Claimant] was found not to be credible. FC’s claim fell as her claims was based on her husband’s, PC, claim. They failed to establish the well-foundedness of their fear with credible evidence.

The panel therefore has determined the claimants, Kirpal SHARMA and Santi SHARMA, not to be “Convention refugees’ and that they are not “persons in need of protection”. Hence, it rejects their claims for refugee protection.

 

III.       Question en litige

[13]           La seule question en litige impose de vérifier si la Commission a manqué à l’équité procédurale. Plus particulièrement, est-ce que la Commission dans sa procédure et sa décision tient compte de la vulnérabilité des demandeurs ainsi que des directives du président concernant les personnes vulnérables?

 

IV.       Norme de contrôle

[14]            Il n’existe plus que deux normes de contrôle, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9). La norme de la décision correcte s'applique aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit (voir Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 50). La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n'acquiesce pas au raisonnement du décideur. Elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si oui ou non la décision du tribunal est correcte.

 

[15]           Quant à l'obligation d'agir équitablement en matière de procédure, la norme de contrôle applicable demeure celle de la décision correcte, de sorte qu’un manquement à l'obligation d'agir équitablement en matière de procédure entraîne l'annulation de la décision.

 

[16]           Compte tenu de la nature de l’unique question en litige, la norme de contrôle retenue sera celle de la décision correcte.

 

V.        Analyse

[17]            Les demandeurs soulèvent essentiellement deux types d’arguments. Dans un premier temps, ils affirment que la Commission n’a pas pris en compte leur vulnérabilité psychologique, malgré le rapport de certains intervenants, ainsi que la demande à la Commission de leur procureur de leur désigner un représentant au motif qu’ils n’étaient pas en état de se représenter adéquatement lors de l’audition. Les demandeurs soutiennent de plus que malgré le refus de la Commission de leur désigner un représentant, celle-ci n’aurait prévu aucune mesure particulière pour tenir compte de leur état vulnérabilité.

 

[18]            Dans un deuxième temps, les demandeurs s’appuient sur les Directives n° 8 du président de la Commission (Directives n° 8) pour soutenir que la Commission était tenue de tenir compte de leur vulnérabilité, ce que celle-ci n’aurait pas fait. Ils soutiennent que la Commission a complètement ignoré leur vulnérabilité psychologique, lors de son appréciation de leur récit. Ainsi, la Commission aurait automatiquement attribué certaines incohérences dans leur récit à un manque de crédibilité, alors que ces incohérences auraient fort bien pu être attribuées à la fragilité phycologique des demandeurs.

 

[19]            Il ne faut toutefois pas confondre la vulnérabilité psychologique des demandeurs à celle de celui qui n’est pas en mesure devant la Commission de comprendre la nature de la procédure et des questions. Il revient à la Commission de déterminer si un demandeur requiert ou non un représentant désigné, selon la compréhension qu’il paraît avoir ou ne pas avoir de la procédure ou des questions.

 

[20]            Si la Commission n’a pas jugé nécessaire de désigner un représentant pour représenter les demandeurs lors de l’audition de leur demande, un membre coordonnateur intérimaire de celle-ci n’en a pas moins retenu que les demandeurs demeuraient des personnes vulnérables;  c’est pourquoi  il a été ordonné que les demandeurs, lors de l’audition, puissent être accompagnés par une personne de leur choix devant agir pour eux à titre de support moral, et ce conformément au paragraphe 4.2 des Directives n° 8.

 

[21]            Lors de l’audience, les demandeurs ont bénéficié de ce support moral. De plus, leur procureur n’a adressé à la Commission aucune autre demande d’accommodement procédural ou de toute autre mesure susceptible de palier à la vulnérabilité psychologique de ses clients. Les demandeurs peuvent difficilement soutenir aujourd’hui que la Commission a omis de considérer leur vulnérabilité alors que pendant l’audition tous les intervenants, y compris les demandeurs, ont paru satisfaits de la procédure adoptée.

[22]            L’article 167 de la Loi prévoit que:

167. (1) L’intéressé peut en tout cas se faire représenter devant la Commission, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

 

167. (1) Both a person who is the subject of Board proceedings and the Minister may, at their own expense, be represented by a barrister or solicitor or other counsel.

(2) Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix-huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure.

(2) If a person who is the subject of proceedings is under 18 years of age or unable, in the opinion of the applicable Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate a person to represent the person.

[Emphase ajoutée.]

[Emphasis added.]

 

Ainsi, la Commission désigne un représentant lorsque le réclamant n’a pas dix-huit ans ou n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure. Tel ne semble pas être le cas ici.

 

[23]            Comme en l’espèce, le demandeur et la demanderesse ont plus que dix-huit ans, il s’agit donc de savoir s’ils étaient en mesure de comprendre la nature de la procédure, alors que leur argumentation repose essentiellement sur le refus de la Commission de leur avoir désigné un représentant pour l’audition en raison de leur état psychologique fragile, et non pas parce qu’il  n’étaient pas en mesure de comprendre.

 

[24]            À l’encontre de leurs prétentions la Commission note d’ailleurs dans ses motifs que :

The panel noticed no significant problems in the manner both claimants delivered their testimonies. PC [Principal Applicant] provided all the answers with no hesitation, had good eye contact and was confident in the way he testified.

 

Nul autre que la personne qui présidait l’audition pouvait le mieux apprécier la façon de témoigner des demandeurs, vérifier si leur vulnérabilité psychologique les empêchait de répondre correctement aux questions ou de les comprendre, et nul autre que cette personne pouvait le mieux apprécier leur crédibilité.

 

[25]            La Cour retient aussi que l’intervenant qui accompagnait les demandeurs à titre de support moral, ainsi que leur procureur,  n’ont formulé aucune objection pouvant laisser croire que les demandeurs ne comprenaient ni les questions, ni la procédure ou qu’il y avait lieu pour la Commission de prévoir d’autres accommodements à leur situation.

 

[26]            Ayant pris connaissance de la transcription des témoignages, la Cour  se doit de conclure que les demandeurs paraissent avoir bien compris tant les questions que la nature de la procédure. Assistés d’un procureur qui veillait à leurs intérêts, et épaulés d’un soutien moral ordonné par la Commission, ils ont pu répondre aux questions en toute connaissance de cause. Par ailleurs, il était ouvert à la Commission de refuser la demande de leur désigner un représentant, et de maintenir cette décision, faute d’une preuve avant ou durant l’audition à l’effet que les demandeurs n’étaient pas en état de comprendre la nature de la procédure ou les questions.

 

[27]            Notons que les Directives n°8 « ont pour objet de mettre en place des adaptations d’ordre procédural pour les personnes que la Commission identifie comme étant vulnérables. » Les adaptations visent à prendre en compte la vulnérabilité de certaines personnes « afin de s’assurer qu’elles ne soient pas désavantagées lorsqu’elles présentent leur cas. »

 

[28]            Le paragraphe 4.2 des Directives n° 8 prévoit que la « Section dispose d’un large pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’adapter les procédures aux besoins particuliers d’une personne vulnérable. » Par ailleurs, parmi les différents moyens pour adapter les procédures, on y retrouve « permettre à une personne de lui fournir son appui en participant à une audience ». Cet appui fut fourni par la Commission lorsque l’intervenant Woodbury obtint la permission de celle-ci d’assister à l’audience à titre de support moral des demandeurs.

 

[29]            À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la Commission a considéré l’état psychologique des demandeurs et a mis en oeuvre les adaptations nécessaires envisagées par les Directives n° 8. La Commission paraît par l’attitude et les remarques du commissaire, avoir été sensible à la situation des demandeurs et avoir ajusté la procédure en conséquence et avoir été prête à l’ajuster davantage pour  faciliter leur témoignage et bonne compréhension. La Commission  n’avait pas l’obligation d’en faire une mention expresse dans ses motifs, mais a tout de même noté que les demandeurs n’avaient pas eu de difficulté à témoigner. Ainsi, la Cour peut difficilement conclure à une violation de l’équité procédurale. Pour ces motifs, la Cour ne voit pas en quoi la Commission a pu manquer à l’équité procédurale.

 

[30]            Pour le reste, les demandeurs n’ont pas su démontrer en quoi la décision de la Commission pourrait être déraisonnable. Au contraire, celle-ci appartient aux issues possibles acceptables et pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il faut donc accorder déférence à cette décision. La requête des demandeurs sera donc rejetée.

 

[31]            Les demandeurs n’ayant proposé aucune question pour certification, aucune question ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

Rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-179-08

 

INTITULÉ :                                       KIRPAL SHARMA ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Kinga Janik

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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