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Date : 20080725

Dossier : T-543-08

Référence : 2008 CF 902

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

Affaire intéressant la Loi de l’impôt sur le revenu

et

 

une cotisation ou des cotisations établis par le

Ministre du Revenu national en vertu de la

Loi de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada,

ou de la Loi sur l’assurance‑emploi,

 

À L’ÉGARD DE :

JOHN FELIX ALEXANDER

8560, Hélène

LaSalle (Québec) H8N 1Z4

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 7 avril 2008, le demandeur a obtenu un jugement ex parte rendu par la juge Anne Mactavish (ordonnance de recouvrement de protection) contre le défendeur en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) afin de recouvrer et ou de garantir le paiement par le défendeur du montant de 228 377,94 $ dû aux termes d’avis de cotisation datés du 7 avril 2008 à l’égard des années d’imposition 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006.

 

[2]               Le défendeur a déposé une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) de la Loi en vue de faire annuler l’ordonnance de recouvrement de protection.

 

[3]               Les principaux arguments avancés par le défendeur sont les suivants :

-           les affidavits déposés à l’appui de la requête visant à obtenir une ordonnance de recouvrement et de protection ne comportent aucune allégation selon laquelle le recouvrement de l’ensemble ou d’une partie de la cotisation serait compromis par un délai dans le recouvrement;

-           certaines allégations figurant dans les affidavits (lettre de reddition, extradition possible du défendeur aux États‑Unis, transactions commerciales liées à des ventes téléphoniques frauduleuses) sont trompeuses et relèvent de la pure conjecture;

-           l’acte d’accusation prononcée aux États‑Unis contre le défendeur ne fait état que de deux chefs d’accusation de fraude totalisant un montant de 4 000 $ et non pas un montant de 1 956 578,99 $ tel qu’allégué dans les affidavits;

-           les affidavits signés à l’appui des ordonnances de recouvrement de protection ont été signés avant le traitement de la cotisation, rendant ainsi nulle et sans effet la requête visant à obtenir l’ordonnance de recouvrement de protection;

-          le défendeur n’a pas fait à la Cour une divulgation complète de sa situation.

 

[4]               Le demandeur prétend qu'il a satisfait au critère juridique prévu dans la jurisprudence en matière d’obtention de l’ordonnance de recouvrement de protection : le défendeur doit plus de 200 000 $ au demandeur; il est accusé de fraude aux États‑Unis; son avoir net ne se justifie pas au regard de ses revenus déclarés et il a vendu un de ses immeubles en mars 2008, quelques jours avant de recevoir les cotisations. L’ensemble de ces éléments appuient le dépôt de la requête initiale visant à obtenir l’ordonnance de recouvrement de protection.

 

[5]               La Loi prévoit ce qui suit aux paragraphes 225.2(2), 225.2(8) et 244(15) :

225.2(2) Recouvrement compromis

 

Malgré l’article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l’égard du montant d’une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu’il estime raisonnables dans les circonstances, s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

225.2(2) Authorization to proceed forthwith

 

Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.

 

225.2(8) Révision de l’autorisation

 

Dans le cas où le juge saisi accorde l’autorisation visée au présent article à l’égard d’un contribuable, celui-ci peut, après avis de six jours francs au sous-procureur général du Canada, demander à un juge de la cour de réviser l’autorisation.

225.2(8) Review of authorization

 

Where a judge of a court has granted an authorization under this section in respect of a taxpayer, the taxpayer may, on 6 clear days notice to the Deputy Attorney General of Canada, apply to a judge of the court to review the authorization.

 

244(15) Date d’établissement de la cotisation

 

(15) Lorsqu’un avis de cotisation ou de détermination a été envoyé par le ministre comme le prévoit la présente loi, la cotisation est réputée avoir été établie et le montant, déterminé à la date de mise à la poste de l’avis de cotisation ou de détermination.

 

244(15) Date when assessment made

 

(15) Where any notice of assessment or determination has been sent by the Minister as required by this Act, the assessment or determination is deemed to have been made on the day of mailing of the notice of the assessment or determination.

 

 

[6]               C’est au défendeur qu'incombe le fardeau initial prévu au paragraphe 225.2(8). Celui‑ci doit démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2), c'est-à-dire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant, n’a pas été satisfait (Canada (Ministre du Revenu national  – M.R.N.) c. Services M.L. Marengère, [1999] A.C.F. no 1840 (C.F. 1re inst.).

 

[7]               Si le défendeur obtient gain de cause, alors la Cour doit examiner les éléments de preuve qui ont permis l’obtention de l’ordonnance de recouvrement de protection ainsi que les autres éléments de preuve qui démontreraient, selon la prépondérance des probabilités, que l’octroi d’un délai compromettrait le recouvrement (Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) c. 144945 Canada Inc., 2003 CFPI 730, [2003] A.C.F no 937, au paragraphe 9) :

Dans l'arrêt Canada (ministre du Revenu national) c. Moss, [1997] A.C.F. no 1583 (QL), le juge Muldoon a déclaré aux paragraphes 10 à 11, que (i) le contribuable est tenu à la charge initiale de faire valoir par des motifs raisonnables que le ministre ne s'est pas acquitté de l'obligation de produire les éléments de preuve à l'appui de sa requête ex parte devant la Cour; (ii) auquel cas la Cour doit examiner les éléments de preuve produits devant le juge qui a accordé l'autorisation et toute autre preuve pour juger si, par prépondérance des probabilités, le recouvrement serait compromis par le délai.

 

[8]               Dans la décision Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Thériault-Sabourin, 2003 CFPI 124, [2003] A.C.F. no 168, la juge Layden-Stevenson résume la jurisprudence en pareille matière et a ajouté, au paragraphe 14, des remarques incidentes formulées par d’autres juges :

J'ajouterais aux principes énoncés par le juge Lemieux, les opinions suivantes :

 

a)         La vente des actifs par elle-même ne justifie pas une ordonnance de protection : voir l'arrêt Canada (Ministre du Revenu national) c. Landru (1993), 1 C.T.C. 93 (C.A. Sask.).

 

b)         L'incapacité du contribuable de payer au moment de l'ordonnance le montant de la cotisation n'est pas en soi concluante ou déterminante : voir la décision Danielson, précitée.

 

c)         La nature même de la cotisation peut soulever un doute raisonnable selon lequel la contribuable ne se serait pas occupée de ses affaires d'une façon qu'on pourrait qualifier d'orthodoxe et pourrait par conséquent contribuer à soulever des motifs raisonnables de croire qu'un délai compromettrait le recouvrement du montant de la cotisation : voir les décisions Canada (Ministre du Revenu national) c. Laframboise, [1986] 3 C.F. 521 (1re inst.) et Canada (Ministre du Revenu national) c. Rouleau, [1995] 2 C.T.C. 42 (C.F. 1re inst.).

 

 

[9]               En l’espèce, selon moi, le défendeur a satisfait au critère initial.

 

[10]           Même si en fin de compte, comme nous le verrons, je donne gain de cause au défendeur, je ne souscris pas à son interprétation du paragraphe 244(15) de la Loi. Il prétend que parce que les cotisations portent une date postérieure à celle de la signature des affidavits à l’appui de la requête sollicitant la délivrance de l’ordonnance de recouvrement de protection, et que parce que les cotisations sont réputées avoir été établis à la date de mise à la poste, les cotisations n’existaient pas au moment de la signature des affidavits.

 

[11]           Selon moi, le paragraphe 244(15) crée une présomption quant à la date à laquelle débute le calcul des intérêts. Même si je suis dans l’erreur sur ce point, la preuve révèle que, au moment où Annie Najm (la personne chargée de la vérification) a signé son affidavit, elle avait les cotisations en main (Réponse du demandeur, aux pages 13 à 18).

 

[12]            Je ne souscris également pas à l’affirmation du défendeur selon laquelle il appartenait à la personne qui faisait la vérification d’obtenir les documents étayant son allégation qu’il avait hérité d’un montant d’environ 80 000 $ de son père. Le défendeur a fourni les renseignements quant à l’endroit où se trouvaient probablement les documents, mais, selon moi, c’est lui qui était tenu, et non pas la personne qui faisait la vérification, de se procurer les renseignements pertinents et de les transmettre à Mme Najm.

 

[13]           En l’espèce, la preuve révèle que le défendeur faisait l’objet d’une vérification depuis septembre 2007. Dans son affidavit, Mme Najm n’allègue pas que le défendeur a refusé de fournir ou n’a pas fourni les documents ou les renseignements qu’elle avait demandés.

 

[14]           Le 4 avril 2008, le défendeur a appelé Mme Najm afin de s’informer où en était rendu son dossier et lui a dit qu’il avait vendu un de ses immeubles parce qu’il n’avait aucun revenu et qu’il voulait rembourser ses dettes à intérêts élevés et améliorer sa situation financière. Il ne savait pas à ce moment‑là qu’il recevrait prochainement des cotisations (datées du 7 avril 2008) de la part du demandeur.

 

[15]           Le défendeur a déposé auprès de la Cour un document faisant état des mouvements de son compte à TD Canada Trust entre le 31 mars 2008 et le 7 avril 2008 (Pièce H, avis de requête en révision, aux pages 61 et 62). Ce document indique que, du montant net de la vente de son immeuble (environ 119 000 $), de nombreux montants importants ont été transférés ou versés à Visa et TD mortgage relativement à une marge de crédit et à des prêts consentis par des institutions bancaires. Je souscris donc à l’affirmation du défendeur selon laquelle la vente de son immeuble ne pouvait pas avoir été faite et n’a pas été faite en réaction aux cotisations et ne visait pas à compromettre le recouvrement des impôts dus au demandeur.

 

[16]           Le demandeur savait depuis décembre 2007 que le défendeur avait été accusé, aux États‑Unis, de ventes téléphoniques frauduleuses pour un montant de 4 000 $. Le défendeur est présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie et je ne peux pas conclure que le recouvrement des impôts cotisés à son égard a été compromis par sa conduite antérieure. Rien ne prouve qu’il a tenté ou qu’il tente de quitter le pays sans payer ses dettes.

 

[17]           Le défendeur prétend qu’il a droit aux dépens sur la base avocat‑client. Je ne souscris pas à cette prétention. Selon moi, rien dans le présent dossier ne prouve que le demandeur s’est conduit de façon abusive, répréhensible ou outrageante.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie. L’ordonnance accordée le 8 avril 2008 par la juge Anne Mactavish est annulée. Le certificat portant le numéro ITA-4211-08 enregistré à l’égard de l’immeuble du défendeur dont la désignation cadastrale correspond au lot no 1 500 163 du cadastre du Québec, inscrit le 8 avril 2008 au bureau d’enregistrement de Montréal sous le numéro 15099040, est annulé et radié. Toutes les procédures effectuées dans le cadre de l’exécution de ladite ordonnance, en particulier la saisie‑arrêt, le ou vers le 7 avril 2008, du compte no 6250068 détenu par le défendeur à TD Canada Trust , sont annulées. Le demandeur versera au défendeur un montant forfaitaire de 2 000 $ au titre des dépens.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-543-08

 

INTITULÉ :                                       Affaire intéressant la Loi de l’impôt sur le revenu

et

une cotisation ou des cotisations établis par le

Ministre du Revenu national en vertu de la

Loi de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada, ou de la Loi sur l’assurance‑emploi,

 

À L’ÉGARD DE :                              JOHN FELIX ALEXANDER

8560, Hélène

LaSalle (Québec) H8N 1Z4

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julie Mousseau                                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

John Glazer                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Leithman & Glazer                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

 

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