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Date :  20080626

Dossier :  IMM-5305-07

Référence :  2008 CF 809

Montréal (Québec), le 26 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

JORGE CESAR GUTIERREZ OLMOS

ELIZABETH BARRERA OCHOA

BRANDON GUTIERREZ BARRERA

BRENDA SOFIA GUTIERREZ BARRERA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au Préalable

[1]               Le décideur des faits, le tribunal de première instance a l’avantage de son expérience. Plus qu’un tribunal spécialisé analyse attentivement, méticuleusement une réalité selon les conditions d’un pays particulier, le tribunal se fixe comme objet de ne pas se tromper sur son sens de voir clair à travers le récit et de l’harmoniser avec la vie réelle du pays en question sans la détourner. En effet, c’est d’étudier, analyser et considérer la ligne de démarcation entre la frontière de ce qui est vraisemblable de celle qui est invraisemblable.

[2]               La Cour comprend qu’un tribunal spécialisé ne répond pas nécessairement à l’idée des conditions de pays (pays par pays) que le monde au sens large sans connaissances spécialisées approfondies s’en font; mais, néanmoins, un tribunal spécialisé doit démontrer d’une façon claire, nette et précise, la logique inhérente de ses propos à l’égard de ses propres conclusions.

 

II.  Procédure judiciaire

[3]               Le 22 novembre 2007, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs en raison de la possibilité d’un refuge interne au Mexique pour les demandeurs et du manque de crédibilité des allégations de monsieur Jorge Cesar Gutierrez Olmos. C’est cette décision que les demandeurs contestent par la voie d’une Demande d’autorisation présentée aux termes du paragraphe 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Ils soulèvent uniquement des questions de faits.

 

III.  Faits

            a)  Le fondement de la demande de protection

[4]               Les demandeurs, citoyens du Mexique, fondent tous leur demande sur les faits invoqués par monsieur Jorge Cesar Gutierrez Olmos, qui allègue craindre d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social en particulier. Ils prétendent également être des « personnes à protéger » dans la mesure où ils seraient personnellement exposés au risque de torture et à une menace à leur vie, ou au risque de traitements ou peines cruelles et inusitées au Mexique.

 

[5]               Monsieur Gutierrez Olmos a également été désigné représentant des enfants mineurs, Brandon et Brenda Sofia Gutierrez Barrera, pour les besoins de leur demande d’asile.

 

[6]               Madame Elizabeth Barrera Ochoa est l’épouse de monsieur Gutierrez Barrera et elle fonde sa demande sur le récit de ce dernier.

 

[7]               Le 21 octobre 2004, monsieur Gutierrez Olmos aurait été victime d’un vol effectué à son local commercial pour une valeur de 11 000 $.

 

[8]               Le 21 octobre 2004, monsieur Gutierrez Olmos serait allé dénoncer le vol auprès du Ministère public, mais n’aurait jamais eu de nouvelles par la suite.

 

[9]               En février 2006, monsieur Gutierrez Olmos aurait reçu cinq appels téléphoniques, où l’on menaçait de séquestrer son fils, Brandon, à moins qu’une rançon de 50 000 pesos soit versée.

 

[10]           En mars 2006, monsieur Gutierrez Olmos et sa conjointe auraient placé leurs enfants dans une nouvelle école.

 

[11]           En juillet 2006, les demandeurs auraient déménagé.

 

[12]           Le 15 novembre 2006, monsieur Gutierrez Olmos aurait dénoncé ses agresseurs, dont un dénommé, monsieur Rafael Arzate, se trouvant à être un de ses anciens employés devenu policier. Il l’a déclaré aux autorités policières étant possiblement la personne responsable.

 

[13]           Monsieur Gutierrez Olmos allègue que, suite à sa dénonciation, monsieur Arzate lui aurait dit, lors d’appels téléphoniques, qu’il allait payer les conséquences de sa dénonciation.

 

[14]           Craignant pour leur vie, les demandeurs auraient quitté le Mexique, le 10 janvier 2007, pour le Canada, où ils revendiquèrent l’asile deux jours plus tard.

 

b)  Décision de la Commission

[15]           La Commission a rejeté la demande d’asile en concluant que les demandeurs n’avaient pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention », ni de « personne à protéger » en raison qu’il existait pour eux une possibilité de refuge interne ailleurs au Mexique, et de la non-crédibilité des allégations de monsieur Gutierrez Olmos.

 

[16]           La décision de la Commission s’appuie sur la preuve présentée, s’en infère raisonnablement et respecte les principes de droit applicables.

 

IV.  Point en Litige

[17]           La décision de la Commission est-elle entachée d’une erreur de fait justifiant l’intervention de cette Cour?

V.  Analyse

            (i)  Possibilité de refuge interne

[18]           En ce qui a trait au refuge interne, dans l’affaire Isufi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 880, 237 F.T.R. 161, au paragraphe 23, la Cour a reconnu qu’un demandeur d’asile devait démontrer qu’il existait, sur l’ensemble du territoire, un risque pour sa vie ou un risque de peines cruelles et inusitées.

 

[19]           Il est reconnu, au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, que la personne doit être exposée à une menace à sa vie ou à un risque de peines cruelles et inusitées en tout lieu de son pays. Ainsi, le refuge interne est un élément constitutif de la notion de personne qui a la qualité de « personne à protéger » prévue au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

 

[20]           Voici comment est libellé le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR :

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

     [...]

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

[...]

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

[...]

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

 

[21]           Or, en espèce, les demandeurs n’ont pas précisément contesté la validité de la partie de la décision portant sur la possibilité de refuge interne, alors qu’il s’agit d’un élément constitutive de la demande d’asile.

 

[22]           Voici comment s’est exprimé le juge Yvon Pinard à ce propos dans l’affaire Fedonin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1684 (QL) :

[2]        Dès le début de son argumentation, l'avocate des requérants a indiqué qu'elle n'était pas en mesure de faire invalider cette partie de la décision du tribunal voulant que les requérants puissent bénéficier d'un refuge interne au nord du Kazakhstan. Ce faisant, comme je le lui ai dit à l'audition, elle écartait toute chance de succès de la demande de contrôle judiciaire...

 

(Voir également : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 709, 295 F.T.R. 108 au par. 18.)

 

[23]           Le refuge interne étant un élément constitutif d’une demande d’asile, et celui-ci n’ayant pas été contesté, cela suffit pour rejeter la présente demande.

 

[24]           Or, en ce qui a trait à la possibilité d’aller vivre ailleurs au Mexique, monsieur Gutierrez Olmos a indiqué à la Commission que sa première pensée a été de quitter le Mexique, en raison de l’insécurité qui y existe. Les problèmes qu’il aurait vécus découlant de la présence de drogue et d’enlèvement d’enfants l’inquiète grandement. De plus, l’un de ses agresseurs, un dénommé Arzate, serait un policier et ainsi, il pourrait le retrouver partout au Mexique. (Motifs, p. 5 aux par. 3 et 4.)

 

[25]           Or, la Commission ayant des doutes quant à la crédibilité de plusieurs allégations de monsieur Gutierrez Olmos; monsieur Gutierrez Olmos n’ayant pas prouvé que monsieur Arzate était policier et, aucune preuve n’ayant été apportée par les demandeurs quant aux autres personnes qui auraient commis des méfaits à leur égard, il était loisible pour la Commission de déterminer que les demandeurs n’ont pas établi par la prépondérance des probabilités qu’ils courraient un risque partout dans leur pays. (Motifs, p. 6, 1er par.)

 

[26]           Cette conclusion en est une de fait pour laquelle la Commission est le mieux placé pour évaluer la preuve et les faits en cause. (Singh c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 1673 (QL); Gilgorri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 559, [2006] A.C.F. no 701 (QL).)

 

[27]           Ainsi, les demandeurs n’ont pas démontré de manière réelle et concrète, qu’il existait un risque pour leur vie ou leur sécurité ailleurs au Mexique. (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, 266 N.R. 380 au par. 15 (C.A.).)

 

(ii)  Absence de crédibilité et de corroboration

[28]           La Commission a relevé des contradictions sur des faits importants sur lesquels les demandeurs se fondent pour demander l’asile.

 

[29]           Les demandeurs prétendent avoir déménagé en juillet 2006, suite à des menaces téléphoniques d’enlever leur fils, qu’ils auraient reçues en février 2006. Cependant, dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP), ils n’ont pas mentionné d’autre lieu de résidence pour cette période. Or, la Commission ne jugea pas raisonnable l’explication donnée par monsieur Gutierrez Olmos quant à cette contradiction. Enfin, la Commission ne trouva pas crédible que les demandeurs aient changé de domicile en juin et juillet 2006 en raison de cette crainte. (Motifs aux pp. 2-3.)

 

[30]           De plus, le fait que monsieur Gutierrez Olmos donna des réponses contradictoires quant au moment où il a appris que son employé, monsieur Arzate, travaillait pour la police fédérale, affecta sa crédibilité. (Motifs à la p. 3, 1ier par.)

 

[31]           Par ailleurs, la crédibilité de monsieur Gutierrez Olmos a été affectée par le fait qu’il n’a pu fournir d’explications satisfaisantes quant à la version contradictoire qui existait entre les éléments de preuve relatifs à la connaissance effective de monsieur Gutierrez Olmos de monsieur Arzate et du travail qu’il accomplissait en tant que policier. (Motifs à la p. 3, dernier par.)

 

[32]           Dans l’affaire Mostajelin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 28 (QL) (C.A.), le juge Robert Décary, de la Cour d’appel fédérale, a rappelé que les questions de crédibilité devaient être laissées à l’appréciation de la Commission, notamment en ce qui concerne les contradictions entre déclarations d’un revendicateur :

La conclusion de la Commission que la preuve de l’appelant n’était pas digne de foi est fondée sur le comportement de ce dernier, l’incompatibilité entre le Formulaire de renseignements personnels et le témoignage de l’appelant et un ensemble d’inconsistances et d’invraisemblances dans son témoignage. Cette Cour n’a pas le pouvoir de contrôler de telles conclusions relatives à la crédibilité. (La Cour souligne.)

 

[33]           Ainsi, la Commission était justifiée de tirer une conclusion négative quant à la crédibilité de monsieur Gutierrez Olmos.

 

[34]           La crédibilité de monsieur Gutierrez Olmos étant affectée, il était loisible pour la Commission de tenir compte du fait qu’il ne possédait aucun document relativement au statut de policier de monsieur Arzate et que ce dernier aurait participé à son enlèvement de novembre 2006. (Motifs à la p. 4, 1ier par.; Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, [2004] A.C.F. no 62 au par. 9 (QL).)

 

[35]           Étant donné que la décision est fondée sur des conclusions de fait, un simple désaccord avec les motifs ou l’existence d’une inférence différente de celle retenue par la Commission administrative ne saurait suffire à remettre en question le bien-fondé de la décision rendue.

 

[36]           Seuls les critères énoncés à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. (1985), ch. F-7, pourront permettre à cette Court d’intervenir. Voir à cet effet, la décision Oduro c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 66 F.T.R. 106, 41 A.C.W.S. (3d) 384 (C.F.).)

 

[37]           La jurisprudence établit clairement que la Commission est maître des faits et que ses conclusions à cet égard, notamment quant à la crédibilité de monsieur Gutierrez Olmos, doivent rester les mêmes, à moins qu’elles soient absolument déraisonnables, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.Rr. 315.)

 

[38]           Compte tenu de la jurisprudence ci-dessus mentionnée et de la preuve au dossier, les conclusions auxquelles en est venu la Commission lui étaient permises et surtout, n’étaient pas déraisonnables.

 

VI.  Conclusion

[39]           Pour toutes ces raisons, les demandeurs n’ont pas fait valoir de motifs sérieux nécessitant l’intervention de cette Cour.

 

[40]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5305-07

 

INTITULÉ :                                       JORGE CESAR GUTIERREZ OLMOS

ELIZABETH BARRERA OCHOA

BRANDON GUTIERREZ BARRERA

BRENDA SOFIA GUTIERREZ BARRERA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luciano Mascaro

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Steve Bell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ARPIN, MASCARO ET ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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