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Date : 2080626

Dossier : T-2121-05

Référence : 2008 CF 803

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2008

En présence de monsieur le juge Max M. Teitelbaum

 

 

ENTRE :

JEAN PELLETIER

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

L’HONORABLE JOHN H. GOMERY, EN SA QUALITÉ D’EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par M. Jean Pelletier (le demandeur) relativement au rapport factuel que la Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires a publié en date du 1er novembre 2005, sous le titre : Qui est responsable?

 

LE CONTEXTE

[2]               La Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission) a été créée par le décret C.P. 2004-0110 le 19 février 2004, en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11. C’est par ce décret qu’a été nommé l’honorable John Howard Gomery (alors juge) à titre de commissaire et qu’a été fixé le cadre de référence de l’enquête. Le commissaire s’est vu attribuer un double mandat : faire enquête et rapport sur le Programme de commandites et les activités publicitaires du gouvernement du Canada, et formuler ensuite des recommandations fondées sur ses conclusions de fait en vue de prévenir la mauvaise gestion des futurs programmes de commandites ou activités publicitaires.

 

[3]               La Commission a été établie à la suite de questions soulevées aux chapitres 3 et 4 du rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale du Canada (le Rapport de la vérificatrice générale), qui faisait état de problèmes posés par la gestion du Programme de commandites du gouvernement fédéral, le choix d’agences de communication pour les activités publicitaires du gouvernement, la gestion de contrats, ainsi que les activités de mesure et de déclaration relatives à l’optimisation des ressources. Dans son rapport, la vérificatrice générale signalait également le manque de transparence du processus décisionnel, l’absence de lignes directrices écrites concernant le programme, de même que l’omission d’informer le Parlement du Programme de commandites, y compris ses objectifs, ses dépenses et les résultats obtenus.

 

[4]               Conformément à son mandat, le commissaire était tenu de soumettre deux rapports à la gouverneure générale. Dans le premier (le rapport, phase I), il devait présenter ses conclusions de fait à l’issue des audiences relatives à la phase I de son mandat, qui était définie comme suit :

a.         de faire enquête et de faire rapport sur les questions soulevées, directement ou indirectement, par les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes, novembre 2003, concernant le programme de commandites et les activités publicitaires du gouvernement du Canada, notamment :

 

i.          la création du programme de commandites,

ii.          la sélection d'agences de communication et de publicité,

iii.         la gestion du programme de commandites et des activités publicitaires par les responsables à tous les niveaux,

iv.         la réception et l'usage, par toute personne ou organisation, de fonds ou de commissions octroyés à l'égard du programme de commandites et des activités publicitaires,

v.         toute autre question directement liée au programme de commandites et aux activités publicitaires que le commissaire juge utile à l'accomplissement de son mandat […]

 

[5]               Le second rapport devait être produit dans le contexte de la phase II du mandat et avait pour but de présenter les recommandations du commissaire. Cette seconde phase était définie comme suit :

b.           de formuler les recommandations qui lui semblent opportunes, d'après les faits révélés par l'enquête faite au titre de l'alinéa a), en vue de prévenir la mauvaise gestion des futurs programmes de commandites ou activités publicitaires, en tenant compte des mesures que le gouvernement du Canada a annoncées le 10 février 2004, notamment :

 

i.          le dépôt d'un projet de loi visant à protéger les « dénonciateurs », projet fondé en partie sur le rapport du Groupe de travail sur la divulgation des actes fautifs,

ii.          l'instauration de changements à la gestion des sociétés d'État visées par la partie X de la Loi sur la gestion des finances publiques afin de donner plus de pouvoir aux comités de vérification,

iii.         l'examen des questions suivantes :

A.        la possibilité d'appliquer la Loi sur l'accès à l'information à toutes les sociétés d'État,

B.         l'efficacité du régime actuel de reddition de comptes en ce qui concerne les sociétés d'État,

C.        l'application uniforme de la Loi sur la gestion des finances publiques à toutes les sociétés d'État,

iv.         l'établissement d'un rapport sur les changements à apporter à la Loi sur la gestion des finances publiques pour en favoriser le respect et le contrôle d'application, notamment pour permettre :

A.        le recouvrement de fonds détournés,

B.         l'examen de l'opportunité d'infliger des sanctions aux anciens fonctionnaires, employés des sociétés d'État et titulaires de charges publiques,

v.         l'établissement d'un rapport sur la responsabilité des ministres et des fonctionnaires, selon la recommandation de la vérificatrice générale du Canada.

 

[6]               Le mandat confié au commissaire était vaste, mais le cadre de référence de l’enquête comportait une limite expresse : le commissaire devait « exercer ses fonctions en évitant de formuler toute conclusion ou recommandation à l’égard de la responsabilité civile ou criminelle de personnes ou d’organisations et […] veiller à ce que l’enquête dont il [était] chargé ne compromette aucune autre enquête ou poursuite en matière criminelle en cours » (alinéa k), Décret, précité).

 

[7]               Pour l’aider à exécuter ce mandat, le commissaire a bénéficié de l’appui d’un personnel administratif et de conseillers juridiques. Me Bernard Roy, c.r., a été nommé procureur en chef de la Commission. M. François Perreault a agi comme conseiller en communications pour la Commission et il était chargé des relations avec les médias.

 

[8]               Les audiences publiques ont eu lieu du 7 septembre 2004 au 17 juin 2005, période au cours de laquelle 172 témoins ont été entendus. Les audiences se sont déroulées en deux phases : celles de la première ont duré de septembre 2004 à février 2005, celles de la seconde, de février à mai 2005. Les rapports concernant les phases I et II ont été présentés à la gouverneure générale et rendus publics le 1er novembre 2005 et le 1er février 2006, respectivement. Comme je l’explique plus loin dans mes motifs, le présent contrôle judiciaire se limite au rapport, phase I de la Commission et n’inclut pas le rapport, phase II.

 

Le Programme de commandites

[9]               Avant d’aborder les questions soulevées dans la présente demande, il est nécessaire de donner quelques détails sur les origines du Programme de commandites et des activités publicitaires, qui ont été le point de mire de l’enquête et du rapport de la Commission.

 

[10]           En 1993, le Parti libéral du Canada, dirigé par le très honorable Jean Chrétien, a remporté une majorité de sièges au sein de la Chambre des communes. À l’époque, le Bloc québécois était le parti d’opposition officiel. L’année suivante, le Parti québécois, dirigé par l’honorable Jacques Parizeau, est arrivé au pouvoir au Québec et a annoncé peu de temps après qu’un référendum provincial allait être tenu en octobre 1995 afin de décider si le Québec devait se séparer ou non du Canada. Le camp du « Non » l’a emporté par une très mince majorité. Le Québec n’allait donc pas tenter de se séparer du Canada et continuerait de faire partie de la fédération canadienne. M. Parizeau a démissionné comme premier ministre et a été remplacé par l’honorable Lucien Bouchard, qui a promis de tenir un autre référendum quand il y aurait des « conditions gagnantes ».

 

[11]           À la suite du résultat serré du référendum ainsi que de cette promesse de M. Bouchard, un comité du Cabinet, présidé par l’honorable Marcel Massé (à l’époque ministre des Affaires intergouvernementales), a été établi pour formuler des recommandations sur l’unité nationale. Se fondant sur les recommandations figurant dans le rapport du comité du Cabinet, et après avoir tenu une réunion du Cabinet les 1er et 2 février 1996, le gouvernement du Canada a décidé de prendre des mesures spéciales pour contrer le mouvement souverainiste au Québec. Ces mesures spéciales ont été baptisées la « stratégie d’unité nationale » ou le « dossier de l’unité nationale ». Comme l’a mentionné M. Chrétien dans sa déclaration d’ouverture devant la Commission, l’unité nationale était sa toute première priorité en sa qualité de premier ministre. Il a donc confié à son chef de cabinet - le demandeur - la responsabilité du dossier de l’unité nationale au sein de son bureau.

 

[12]           La stratégie d’unité nationale avait pour but de rehausser la visibilité et la présence du gouvernement fédéral sur l’ensemble du territoire canadien, mais surtout au Québec. Cela devait se faire de nombreuses façons, et l’une d’elles était d’annoncer de manière visible, systématique et répétée divers programmes et initiatives du gouvernement fédéral par l’entremise d’un programme de commandites. Les commandites étaient des ententes dans le cadre desquelles le gouvernement du Canada fournissait à des organismes des ressources pécuniaires en vue de soutenir des activités de nature culturelle, communautaire et sportive. En échange, ces organismes procuraient au gouvernement une certaine visibilité en distribuant des documents de promotion et en affichant des symboles tels que le drapeau canadien ou le mot « Canada ». Selon le Rapport de la vérificatrice générale, entre 1997 et le 31 mars 2003, le gouvernement du Canada a dépensé environ 250 millions de dollars pour « commanditer » 1 987 activités.

 

[13]           La responsabilité de l’administration du Programme de commandites a été confiée au Secteur de la publicité et de la recherche sur l’opinion publique (SPROP), un élément du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (TPSGC), qui est plus tard devenu la Direction des services de coordination des communications (DSCC) après la fusion du SPROP et d’autres secteurs de TPSGC en octobre 1997. M. Joseph Charles Guité a été directeur du SPROP de 1993 à 1997, et directeur exécutif de la DSCC de 1997 jusqu’à sa retraite, en 1999.

 

[14]           Le SPROP (et plus tard la DSCC) ne disposait pas du personnel, de la formation ou de la compétence nécessaires pour gérer et administrer les commandites. C’est ainsi que des contrats ont été attribués à des agences de publicité et de communication pour accomplir ces tâches et, en contrepartie de ces services, les agences étaient rémunérées sous la forme de commissions et de frais de production. Une tranche de plus de 100 millions de dollars des dépenses totales du Programme de commandites a été versée à des agences de communication sous la forme de commissions et d’honoraires de production.

 

[15]           En mars 2002, le ministre de TPSGC - à l’époque l’honorable Don Boudria - a demandé au Bureau de la vérificatrice générale de vérifier la façon dont le gouvernement avait traité trois contrats, d’un montant total de 1,6 million de dollars, qui avaient été adjugés à Groupaction Marketing, une agence de communication dont le siège se trouvait à Montréal. Les lacunes relevées dans le processus de gestion des contrats ont mené à une enquête de la GRC ainsi qu’au lancement d’une vérification pangouvernementale du Programme de commandites et des activités de publicité et de sondage du gouvernement du Canada. Les résultats de cette vérification ont été publiés dans le rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale, lequel document s’est soldé à son tour par la création de la Commission et la production du rapport qui est en litige dans la présente demande.

 

LES REQUÊTES INTERLOCUTOIRES

[16]           Les parties à la présente demande ont déposé deux requêtes interlocutoires ayant trait à la présente instance. Mes décisions sur ces requêtes sont exposées ci-après.

 

1. La requête du procureur général du Canada en vue de faire radier certains paragraphes de l’affidavit du demandeur

[17]           Cette première requête du procureur général du Canada a pour but de faire radier des paragraphes et de faire expurger des pièces faisant partie de l’affidavit souscrit par le demandeur le 29 mai 2007 au soutien de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[18]           À l’audition de la présente affaire, le procureur général a déclaré qu’il ne s’opposait plus aux paragraphes 18, 19 et 23 ainsi qu’aux pièces correspondantes 5 à 12 et 15 de l’affidavit. Ces paragraphes et ces pièces ont trait à des entrevues que le commissaire Gomery a accordées aux médias en décembre 2004. Comme ce dernier a reconnu avoir donné ces entrevues et admis la véracité de ce qui était dit entre guillemets, les paragraphes et les pièces en question peuvent demeurer dans l’affidavit du demandeur.

 

[19]           Cependant, le procureur général souhaite faire radier de l’affidavit du demandeur les paragraphes 11 à 14 et les pièces correspondantes 2 à 4 de l’affidavit, qui comportent des allégations concernant Me Bernard Roy à titre de procureur en chef de la Commission. Ces documents sont inclus dans l’affidavit du demandeur à l’appui de son allégation selon laquelle le commissaire Gomery a suscité à son endroit une crainte raisonnable de partialité. Me Roy a exercé les fonctions de premier secrétaire de l’ancien premier ministre le très honorable Brian Mulroney, de 1984 à 1988. Me Roy est aujourd’hui associé au sein du même cabinet d’avocats que Me Sally Gomery (la fille du commissaire) et M. Mulroney.

 

[20]           Le procureur général soutient que ces allégations, ainsi que, partant, les documents qui les étayent et que l’on cherche à faire introduire par les pièces 2 à 4, ne sont pas pertinents quant à la demande de contrôle judiciaire concernant le rapport, phase I du commissaire Gomery. Le demandeur insiste pour que je fasse preuve d’une extrême prudence dans la façon dont j’établis ce qui est pertinent ou non en ce qui concerne la présente affaire. Il soutient que la pertinence de la preuve est déterminée par les motifs qui étayent la demande de contrôle judiciaire (Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.) [ci-après Pathak]).

 

[21]           Je suis d’accord avec le procureur général que les paragraphes 11 à 14 et les pièces correspondantes 2 à 4 ne sont pas pertinents à la question de savoir si le commissaire Gomery a suscité une crainte raisonnable de partialité à l’endroit du demandeur. La carrière professionnelle et les allégeances politiques de Me Roy ne sont d’aucune utilité dans l’analyse de la conduite du commissaire Gomery. Je reconnais que, conformément à l’arrêt Pathak, précité, la pertinence de la preuve est fonction des motifs qui étayent la demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe 10 de Pathak se lit comme suit :

Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l'intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit produits par l'intimé.

 

[22]           Le demandeur soutient que, si j’en venais à annuler certains éléments de preuve parce qu’ils ne sont pas pertinents à ce stade-ci, comme les documents concernant Me Roy, ma décision aurait pour effet de radier l’un des motifs qui étayent sa demande de contrôle judiciaire, car le motif en question est fondé sur la preuve, dont il faut maintenant que je détermine la pertinence. Autrement dit, de l’avis du demandeur, si j’annule maintenant certains éléments de la preuve, je le prive en même temps d’un motif de contrôle.

 

[23]           Je suis parfaitement conscient que, dans le cadre de la présente requête interlocutoire, je me dois d’éviter de me prononcer sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire. Cependant, je ne crois pas que le fait d’apprécier la pertinence de la preuve à ce stade-ci revient à me prononcer sur le bien-fondé des motifs qui étayent la demande. Ce n’est pas ainsi que je lis et que j’interprète l’arrêt Pathak. Dans cette affaire-là, la Cour d’appel a déclaré : « la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle » (en anglais : « the relevance of the documents requested must necessarily be determined in relation to the grounds of review ») [Non souligné dans l’original.]. Je déduis de ce passage que j’ai le pouvoir discrétionnaire d’« établir » ou de « déterminer » ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas. Ma tâche consiste à apprécier la pertinence de la preuve en me fondant sur les motifs de contrôle énoncés dans l’avis de demande. Je ne crois pas que dans Pathak la Cour d’appel voulait laisser entendre qu’il faut automatiquement considérer comme pertinente toute preuve qui se rapporte de près ou de loin aux motifs de contrôle. Mon rôle consiste précisément à filtrer - à « établir » ou à « déterminer » - ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas.

 

[24]           Pour cette raison et en vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, les paragraphes 11 à 14 sont radiés et les pièces correspondantes 2 à 4 sont expurgées de l’affidavit du demandeur. Cependant, à ce stade-ci, par souci d’efficacité et de commodité, je n’exige pas que l’affidavit soit concrètement modifié. Je ne tiendrai tout simplement pas compte de cette partie de la preuve lors de mon analyse de la demande au fond.

 

[25]           Le procureur général demande de plus la radiation des paragraphes 40 à 42 et des pièces correspondantes 36 à 43 de l’affidavit, lesquels portent tous sur la couverture médiatique qui a entouré le commissaire et la publication de son rapport, phase I. Ces documents et ces articles de journal sont inclus dans l’affidavit du demandeur à l’appui de son allégation selon laquelle les conclusions du commissaire et les déclarations que celui-ci a faites aux médias ont porté atteinte à sa réputation. Le procureur général allègue que les articles de journal qui mentionnent le nom du demandeur relativement à la Commission constituent du ouï-dire, en ce sens qu’ils ne reflètent que les opinions des journalistes qui les ont écrits. En outre, il est impossible de contre-interroger ces journalistes. Le procureur général ne nie pas que le commissaire Gomery a fait des déclarations à des journalistes; il est toutefois impossible d’établir la preuve de ces déclarations en se fiant aux opinions des journalistes.

 

[26]           Je conviens avec le procureur général que les articles de journal qui font allusion au demandeur relativement à la Commission constituent du ouï-dire, en ce sens que ces articles ne représentent que les opinions des journalistes qui les ont écrits. Comme nous le verrons plus loin dans le cadre de la demande présentée par le demandeur en vertu de la règle 312 des Règles des Cours fédérales, seul un nombre restreint d’articles de journal sera admissible en preuve dans le but restreint de situer le contexte dans lequel le commissaire Gomery a reconnu avoir fait certaines des déclarations indiquées entre guillemets. Ce n’est pas le cas des articles de journal dont il est question ici. Pour cette raison, les paragraphes 40 à 42 sont radiés et les pièces correspondantes 36 à 43 sont expurgées de l’affidavit du demandeur. Là encore, je n’exige pas que l’affidavit soit concrètement modifié. Je ne tiendrai tout simplement pas compte de cette partie de la preuve lors de mon analyse de la demande au fond.

 

[27]           Le procureur général cherche aussi à faire expurger les pièces 13, 16, 17 et 22 de l’affidavit, qui consistent en des transcriptions d’audiences publiques de la Commission. Le procureur général soutient que ces pièces font déjà partie de la preuve produite sous forme électronique.

 

[28]           Les pièces 13, 16, 17 et 22 font effectivement déjà partie du dossier déposé par voie électronique. Étant donné que le juge Simon Noël a déjà rendu une ordonnance indiquant que la preuve que le procureur général a déposée par voie électronique fait automatiquement partie du dossier du demandeur, je me dois d’exiger que ces pièces soient expurgées de l’affidavit du demandeur. Là encore, je n’exige pas que l’affidavit soit concrètement modifié.

 

[29]           Le procureur général cherche de plus à faire radier les paragraphes 32 à 39 et les pièces correspondantes 23 à 35 de l’affidavit, lesquels sont tous liés à la phase II du mandat de la Commission, et plus particulièrement au rapport, phase II intitulé : Rétablir l’imputabilité – Recommandations. Selon le procureur général, tout ce qui concerne la phase II du mandat de la Commission n’est pas pertinent à la demande de contrôle judiciaire portant sur le rapport, phase I.

 

[30]           Je suis d’accord avec le procureur général que toute allusion ou référence à la phase II du mandat de la Commission n’est pas pertinente à la présente demande de contrôle judiciaire. Mon raisonnement est le même que celui que j’ai appliqué plus tôt pour déterminer ce qui constitue la pertinence (voir Pathak, précité). Pour cette raison, les paragraphes 32 à 39 sont radiés et les pièces correspondantes 23 à 35 sont expurgées de l’affidavit du demandeur. Là encore, je n’exige pas que l’affidavit soit concrètement modifié. Je ne tiendrai tout simplement pas compte de cette partie de la preuve lors de mon analyse de la demande au fond.

 

[31]           Ensuite, le procureur général souhaite faire radier les paragraphes 43 à 46 et les pièces correspondantes 44 à 45 de l’affidavit, lesquels portent sur l’ouvrage de M. François Perreault intitulé : Gomery, l’enquête. Ces documents sont inclus dans l’affidavit du demandeur à l’appui de son allégation selon laquelle le commissaire Gomery a suscité à son endroit une crainte raisonnable de partialité. Le demandeur est d’avis qu’il faudrait admettre en preuve le livre de M. Perreault parce que, dans la préface de cet ouvrage, le commissaire Gomery reconnaît l’exactitude du texte de M. Perreault qui « relate […] le fonctionnement interne de la Commission ». Le procureur général soutient par contre qu’il ne faudrait pas considérer cette déclaration du commissaire Gomery comme un aveu que l’ouvrage tout entier est exact. De l’avis du procureur général, le livre de M. Perreault constitue du ouï-dire.

 

[32]           Je suis d’accord avec le demandeur que ce que déclare le commissaire Gomery dans sa préface, à savoir que le fonctionnement interne de la Commission, tel que relaté par M. Perreault, est exact, donne fortement à croire qu’il atteste en fait l’exactitude du livre tout entier. Je présume que le commissaire Gomery a lu l’ouvrage de M. Perreault avant d’accepter d’en rédiger la préface et que, s’il y avait eu dans ce livre un passage qu’il aurait jugé inexact, il aurait suggéré à M. Perreault de le modifier ou bien, à tout le moins, il aurait pris ses distances par rapport au livre en n’employant pas le mot « exact » pour qualifier la façon dont M. Perreault relatait le fonctionnement interne de la Commission. Pour cette raison, le livre de M. Perreault est recevable, et les paragraphes 43 à 46 et les pièces correspondantes 44 et 45 peuvent demeurer dans l’affidavit du demandeur.

 

2. La requête du demandeur en vertu de la règle 312 des Règles des Cours fédérales

[33]           Le demandeur a présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de Mme Patricia Prud’homme, souscrit le 9 novembre 2007, en application de la règle 312 des Règles des Cours fédérales (les Règles). Cet affidavit introduit des éléments de preuve additionnels, soit des articles de journal et des transcriptions d’entrevues que le commissaire Gomery a accordées lorsqu’il a pris sa retraite de la Cour supérieure du Québec en août 2007. Lors de ces entrevues, le commissaire Gomery a fait quelques commentaires que le demandeur juge pertinents quant à sa demande de contrôle judiciaire.

 

[34]           Cependant, la pertinence des documents que l’on souhaite introduire n’est pas la seule condition qu’il faut remplir pour pouvoir déposer un affidavit complémentaire. Il y en a d’autres : 1) les éléments de preuve doivent servir les intérêts de la justice, 2) les éléments de preuve doivent aider la Cour, 3) les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice important ou grave à la partie adverse, et 4) les éléments de preuve n’étaient pas disponibles avant le contre‑interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse (Atlantic Engraving Ltd c. Rosenstein, 2002 CAF 503, aux para. 8-9).

 

[35]           Je suis d’accord avec le demandeur qu’en l’espèce toutes ces conditions sont remplies. La requête visant à obtenir l’autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de Mme Prud’homme en vertu de l’article 312 des Règles est donc accueillie. Les éléments de preuve que cet affidavit introduit font dorénavant partie du dossier.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE VISÉES PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[36]           Compte tenu des observations des parties, il est possible de formuler comme suit les questions qui sont en litige dans la présente demande :

  1. Quel était le degré d’équité procédurale due aux personnes ayant comparu devant la Commission?

 

  1. Quelles sont les normes de contrôle applicables?

 

  1. Le commissaire a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale?
    1. Le commissaire a-t-il suscité une crainte raisonnable de partialité envers le demandeur?
    2. Le demandeur a-t-il été informé par un préavis suffisant, au sens de l’article 13 de la Loi sur les enquêtes?
    3. Le commissaire a-t-il commis une erreur en tirant des conclusions non étayées par des éléments de preuve figurant dans le dossier?
    4. Le fait que le commissaire ait autorisé les procureurs de la Commission à lui fournir des sommaires de la preuve constituait-il un manquement à l’obligation d’équité?

 

ANALYSE

Question no 1 : Le degré d’équité procédurale due aux personnes ayant comparu devant la Commission

[37]           L’équité procédurale est un principe fondamental de notre système juridique. Ce principe exige que les décideurs publics agissent de manière équitable lorsqu’ils rendent une décision qui a une incidence sur les droits, les privilèges ou les intérêts d’une personne. L’application de ce principe aux commissions d’enquête ne comporte aucune exception. Comme l’a déclaré le juge Cory dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, aux para. 30-31 [ci‑après Krever],

Incontestablement, la capacité d’une commission d’enquête de procéder à des examens et d’éduquer et d’informer les Canadiens profite à notre société. Une enquête publique devant un commissaire impartial et indépendant qui cherche la cause d’une tragédie et qui recommande des changements peut aider à prévenir la répétition de tragédies semblables à l’avenir et rétablir la confiance du public envers le secteur ou le processus visé par l’enquête.

 

Les rôles d’enquête et d’éducation du public qui sont conférés à une commission d’enquête ont une très grande importance. Ces rôles ne devraient cependant pas être remplis aux dépens du respect des droits des personnes faisant l’objet de l’enquête. La nécessité de parvenir à un juste équilibre a été reconnue par le juge Décary [dans la décision rendue en Cour d’appel sur la même affaire] lorsqu’il a dit, au par. 32, que «[l]a recherche de la vérité n’excuse pas la violation des droits des personnes sous enquête». Cela signifie que si important que soit le travail d’une commission, il ne peut se faire aux dépens du droit fondamental de tout citoyen d’être traité équitablement.

 

[38]           La teneur de l’obligation d’équité est variable et souple. Les exigences de l’équité procédurale dépendront de la nature et de la fonction de la commission administrative (voir généralement Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653 [ci‑après Knight], Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817 [ci-après Baker], Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11, aux para. 74-75, et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para. 79 [ci-après Dunsmuir].

 

[39]           Dans l’arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97 [ci-après Westray], le juge Cory signale ce qui suit à propos de la fonction que remplissent les enquêtes publiques au Canada :

Les commissions d'enquête existent depuis longtemps au Canada.  Notre Cour a déjà souligné (Starr c. Houlden, précité, aux pp. 1410 et 1411) le rôle important qu'elles ont joué dans notre pays et les nombreuses fonctions qu'elles remplissent. En tant qu'organismes ad hoc, les commissions d'enquête sont libres d'un bon nombre des entraves institutionnelles qui limitent parfois l'action des diverses branches de gouvernement. Elles sont constituées pour répondre à un besoin, bien qu'il faille malheureusement admettre qu'elles doivent souvent leur existence à des tragédies comme un désastre industriel, des écrasements d'avions, des décès inexpliqués de jeunes enfants, des allégations d'exploitation sexuelle d'enfants largement répandue ou des erreurs judiciaires graves.

 

[…]

 

L'une des principales fonctions des commissions d'enquête est d'établir les faits. Elles sont souvent formées pour découvrir la «vérité», en réaction au choc, au sentiment d'horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressentis par la population. Comme les cours de justice, elles sont indépendantes; mais au contraire de celles‑ci, elles sont souvent dotées de vastes pouvoirs d'enquête. Dans l'accomplissement de leur mandat, les commissions d'enquête sont, idéalement, dépourvues d'esprit partisan et mieux à même que le Parlement ou les législatures d'étudier un problème dans la perspective du long terme. Les cyniques dénigrent les commissions d'enquête, parce qu'elles seraient un moyen utilisé par le gouvernement pour faire traîner les choses dans des situations qui commanderaient une prompte intervention. Pourtant, elles peuvent remplir, et remplissent de fait, une fonction importante dans la société canadienne. Dans les périodes d'interrogation, de grande tension et d'inquiétude dans la population, elles fournissent un moyen d'informer les Canadiens sur le contexte d'un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution. Le statut et le grand respect dont jouit le commissaire, ainsi que la transparence et la publicité des audiences, contribuent à rétablir la confiance du public non seulement dans l'institution ou la situation visées par l'enquête, mais aussi dans l'ensemble de l'appareil de l'État. Elles constituent un excellent moyen d'informer et d'éduquer les citoyens inquiets : Westray, précité, aux para. 60, 62.

 

[40]           Pour ce qui est de la nature des enquêtes publiques, le juge Cory a énoncé les principes de base suivants dans l’arrêt Krever, précité, au paragraphe 57 :

a)         (i) la commission d’enquête ne constitue pas une cour de justice ni un tribunal, et n’est aucunement habilitée à déterminer la responsabilité légale;

 

(ii) la commission d’enquête ne suit pas nécessairement les mêmes règles de preuve ou de procédure qu’une cour de justice ou un tribunal;

 

(iii) étant donné les points (i) et (ii) susmentionnés, le commissaire devrait s’efforcer de ne pas exprimer ses conclusions selon le libellé précis de la culpabilité criminelle ou de la responsabilité civile, sinon ses conclusions risquent d’être perçues par le public comme des déclarations de responsabilité criminelle ou civile;

 

b)         le commissaire a le pouvoir de tirer toutes les conclusions de fait pertinentes qui sont nécessaires pour expliquer ou appuyer les recommandations, même si ces conclusions peuvent nuire à la réputation de certaines personnes;

 

c)         le commissaire peut conclure à l’existence d’une faute sur la foi des conclusions de fait, pourvu que ces conclusions soient nécessaires à la réalisation de l’objet de l’enquête tel qu’il est décrit dans le mandat;

 

d)         le commissaire peut conclure qu’il y a eu manquement à une norme de conduite, pourvu qu’il ressorte clairement qu’il ne s’agit pas d’une norme légalement contraignante telle que la conclusion soit assimilable à une conclusion de droit au sujet de la responsabilité criminelle ou civile;

 

e)         le commissaire doit assurer le respect de l’équité procédurale dans le déroulement de l’enquête.

 

[41]           Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a relevé cinq facteurs non exhaustifs qu’il convient de prendre en compte au moment de déterminer la teneur de l’obligation d’équité. Ces facteurs sont les suivants : (i) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, (ii) la nature du régime législatif, (iii) l’importance de la décision pour les personnes visées, (iv) les attentes légitimes des parties et (v) les choix de procédure que fait l’organisme décisionnel. Dans cet arrêt, la juge L’Heureux-Dubé souligne que :

[…] l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur : Baker, précité, au para. 22.

 

[42]           Le demandeur soutient qu’il ressort de ces facteurs qu’un degré élevé d’équité procédurale était dû aux parties comparaissant devant la Commission. Au dire du procureur général, l’obligation d’équité procédurale imposée aux commissions d’enquête est plus restreinte que celle que suggère le demandeur. Le procureur général ne conteste pas que la teneur de l’obligation d’équité varie, mais, selon lui, il faut la déterminer en recourant aux trois facteurs suivants, établis dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, et appliqués dans l’arrêt Knight, précité : (i) la nature de la décision à prendre par l’organisme administratif en question, (ii) la relation existant entre cet organisme et le particulier, et (iii) l’effet de cette décision sur les droits du particulier. Cependant, selon mon interprétation de l’arrêt Knight, ces facteurs ne s’appliquent pas lorsqu’il est question de déterminer la teneur de l’obligation d’équité; ils s’appliquent plutôt quand il est question de décider s’il existe ou non une obligation générale d’agir équitablement. Il ne s’agit pas ici de savoir s’il existe une telle obligation, et il ressort clairement de la jurisprudence qu’il est essentiel que les commissions d’enquête respectent l’équité procédurale (Krever, précité, au para. 55). C’est donc dire qu’en l’espèce la teneur de l’équité sera déterminée à l’aide des cinq facteurs non exhaustifs qui sont énoncés dans l’arrêt Baker.

 

(i) La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir

[43]           Dans l’arrêt Knight, la Cour suprême a statué que « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu’à quel point ces principes directeurs devraient s’appliquer dans le domaine de la prise de décisions administratives » (Knight, précité, à la p. 683). Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a ajouté ce qui suit : « [p]lus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l’organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès » (Baker, précité, à la p. 838).

 

[44]           Certaines des règles et des procédures que la Commission a adoptées sont semblables aux procédures que comporte le processus judiciaire. Par exemple, il y avait le droit à l’interrogatoire préalable sur les documents pertinents, les témoignages ont été faits sous serment ou par affirmation solennelle, les procédures pouvaient se dérouler à huis clos à la discrétion de la Commission (même s’il s’agissait d’une enquête publique), et les parties avaient le droit d’être représentées par un avocat, le droit de témoigner et d’appeler et d’interroger des témoins, ainsi que la possibilité de contre-interroger des témoins. Elles avaient également le droit de présenter des requêtes de nature procédurale, de faire plaider ces requêtes et de les faire trancher par le commissaire, ainsi que de présenter des observations finales, tant écrites qu’orales. Par ailleurs, en vertu de la Loi sur les enquêtes, le commissaire était habilité à assigner des témoins et à contraindre ces derniers à témoigner et à produire des documents.

 

[45]           Malgré ces similitudes, il n’y a toutefois pas de synonymie entre une commission d’enquête et un procès. Dans l’arrêt Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527 (C.A.F.) [ci-après Beno (CAF)], la Cour d’appel fédérale a déclaré que le juge Campbell avait commis une erreur dans sa décision, en première instance, en disant de la Commission qu’elle comportait « une fonction analogue au procès » (voir Brigadier général Ernest B. Beno c. L’honorable Gilles Létourneau, [1997] 1 C.F. 911 au para. 74 (C.F. 1re inst.), juge Campbell [ci-après Beno (1re inst.)]). La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit, au paragraphe 23 :

Il ressort clairement de ses motifs que le juge de première instance a assimilé les commissaires à des juges. Selon lui, les commissaires aussi bien que les juges exercent des «fonctions analogues à celles d'un juge présidant un procès». C'est tout à fait faux. Une enquête publique n'est pas du tout un procès civil ou criminel (voir Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.), aux paragraphes 36 et 73 [ci-après Krever]; Greyeyes v. British Columbia (1993), 78 B.C.L.R. (2d) 80 (C.S.), à la page 88; Di Iorio et al. c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, à la page 201; Bortolotti v. Ontario (Ministry of Housing) (1977), 15 O.R. (2d) 617 (C.A.), aux pages 623 et 624; Shulman, Re, [1967] 2 O.R. 375 (C.A.), à la page 378)). Dans un procès, le juge assume un rôle juridictionnel et seules les parties ont la responsabilité de présenter la preuve. Dans une enquête, les commissaires sont dotés de vastes pouvoirs d'enquête pour accomplir leur mandat d'enquête (Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, à la page 138). Les règles de preuve et de procédure sont donc considérablement moins contraignantes dans le cas d'une commission d'enquête que dans le cas d'une cour de justice. Les juges décident des droits visant les rapports entre les parties, une commission d'enquête ne peut que «faire enquête» et «faire rapport» (voir Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, à la page 231; Greyeyes, précité, à la page 88). Les juges peuvent imposer des sanctions pécuniaires ou pénales; la seule conséquence susceptible de découler d'une conclusion défavorable de la Commission d'enquête sur la Somalie est que des réputations pourraient être ternies (voir ce que le juge Cory a déclaré à ce sujet dans Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray, précité, à la page 163; voir aussi Krever, précité, au paragraphe 29; Greyeyes, précité, à la page 87).

 

 

C’est donc dire que, contrairement aux procès, les commissions d’enquête sont de nature inquisitoire et non contradictoire.

 

[46]           Il y a aussi des différences de taille dans la nature des décisions rendues. Comme il est indiqué dans l’arrêt Krever, les conclusions d’un commissaire « sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions » qui « n’entraînent aucune conséquence légale […] Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet » (Krever, précité, au para. 34). En outre, comme je l’ai indiqué plus tôt, l’alinéa k) du décret indique que le commissaire devait « exercer ses fonctions en évitant de formuler toute conclusion ou recommandation à l’égard de la responsabilité civile de personnes ou d’organisations […] » La nature du rapport et des recommandations de la Commission est donc bien différente de celle d’une décision judiciaire.

 

[47]           Même s’il y a des similitudes sur le plan de la procédure, le rôle joué par les commissaires est distinct de celui que joue le juge qui préside un procès. La nature du rapport et des recommandations d’une commission est également très différente de celle d’une décision judiciaire. Cela dénote qu’un degré moindre d’équité procédurale est nécessaire.

 

(ii) La nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme

[48]           La Commission a été créée par un décret en vertu de l’article 2 de la Loi sur les enquêtes, lequel dispose que le gouverneur en conseil peut « faire procéder à une enquête sur toute question touchant le bon gouvernement du Canada ou la gestion des affaires publiques ».

 

[49]           La Loi sur les enquêtes comporte également des garanties d’équité aux articles 12 et 13. L’article 12 prévoit que la personne dont la conduite fait l’objet d’une enquête peut être représentée par un avocat. Selon l’article 13, les personnes visées par des allégations d’inconduite doivent en être informées par un préavis.

 

[50]           Le caractère définitif de la décision a également une incidence sur la teneur de l’équité procédurale. Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a statué que des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu’il n’est plus possible de présenter d’autres demandes (Baker, précité, à la p. 838). Le décret et la Loi sur les enquêtes ne disent rien au sujet de la possibilité de faire appel. Cela dénote que, à l’exception de la contestation de conclusions dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les conclusions de la commission sont définitives. En outre, l’objectif d’une telle commission d’enquête est de produire un rapport d’enquête qui fait la lumière sur l’affaire ou la conduite pour laquelle la commission a été créée et chargée de faire enquête. Après l’enquête, la commission est censée produire un rapport et des recommandations qui reposent sur ses conclusions de fait. C’est donc dire que le rapport est déterminant quant à la question en litige dans la mesure où celle-ci est liée à l’enquête publique, en reconnaissant bien sûr que le rapport n’est pas déterminant quant à n’importe quelle autre instance et audience. En revanche, l’enquête semble être elle aussi de nature préliminaire, en ce sens qu’aucun droit ou intérêt n’est établi et que le résultat de l’enquête consiste simplement en des conclusions de fait et des recommandations. Cependant, comme le rapport est déterminant quant à l’enquête, je suis persuadé que le second facteur de cette analyse dénote lui aussi qu’il convient de faire preuve d’un degré élevé d’équité.

 

(iii) L’importance de la décision pour les personnes visées

[51]           Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses (Baker, précité, aux pp. 838-839). Dans l’arrêt Krever, la Cour suprême a reconnu que les conclusions des commissions d’enquête peuvent ternir la réputation d’un témoin et que « [u]ne bonne réputation représent[e] la valeur la plus prisée par la plupart des gens » (Krever, précité, au para. 55). « Il est essentiel », d’ajouter la Cour dans Krever, « de démontrer le respect des principes de l’équité procédurale dans les audiences de la commission » (ibid.). En l’espèce, le commissaire a lui-même reconnu qu’il pouvait apparaître au cours de l’enquête des preuves susceptibles de déboucher sur une conclusion de fait qui « pourrait être perçue comme étant défavorable ou préjudiciable à la réputation d’une personne », et il a déclaré qu’il était « absolument crucial que l’Enquête se déroule de façon rigoureusement équitable » (rapport, phase I, annexe C : Déclaration préliminaire, à la p. 548).

 

[52]           Cependant, cela ne veut pas dire que le degré d’équité est forcément plus strict lorsqu’il y a un risque de ternir la réputation d’une personne. Comme je l’ai déclaré dans la décision Addy c. Canada (Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie – Commission Létourneau), [1997] 3 C.F. 784, « l’atteinte qui pourrait éventuellement être faite à la réputation des requérants ne doit pas l’emporter sur toutes autres considérations » (Addy, au para. 59). Pour déterminer la norme d’équité, il est nécessaire d’« équilibrer les risques pour la réputation d’un individu et l’intérêt qu’a la société à voir publier un rapport » (Addy, au para. 61). Dans le même ordre d’idées, les risques pour la réputation d’un individu doivent être mis en équilibre avec l’intérêt qu’a la société à permettre à la Commission de procéder à son enquête et d’informer et d’éduquer le public au sujet de l’affaire ou de la conduite en question.

 

[53]           Une commission n’a pas le pouvoir d’influer sur des droits individuels, en ce sens qu’elle ne peut pas tirer de conclusions ou formuler de recommandations au sujet de la culpabilité civile ou criminelle, mais cela ne veut pas dire que les conclusions d’une commission d’enquête sont moins importantes pour les personnes visées. Comme il a été signalé dans l’arrêt R. c. Higher Education Funding Council, ex parte Institute of Dental Surgery, [1994] 1 All E.R. 651, à la p. 667 (B.R.) et cité par la Cour suprême dans l’arrêt Baker au paragraphe 25 :

[TRADUCTION] 

Dans le monde moderne, les décisions rendues par des organismes administratifs peuvent avoir un effet plus immédiat et plus important sur la vie des gens que les décisions des tribunaux, et le droit public a, depuis l’arrêt Ridge c. Baldwin [1963] 2 All E.R. 66, [1964] A.C. 40, reconnu ce fait. Bien que le caractère judiciaire d’une fonction puisse élever les exigences pratiques en matière d’équité au-delà de ce qu’elles seraient autrement, par exemple en exigeant que soit présenté et vérifié oralement un élément de preuve contesté, ce qui le rend « judiciaire » dans ce sens est principalement la nature de la question à trancher, et non le statut officiel de l’organisme décisionnel.

 

 

[54]           Vu l’importance de la réputation d’une personne et l’atteinte que l’on peut causer à cette réputation à cause des conclusions de la Commission, il s’ensuit que ce facteur dénote qu’un degré élevé d’équité procédurale s’impose.

 

(iv) Les attentes légitimes des parties

[55]           Comme il est dit dans l’arrêt Baker, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peut déterminer les procédures qu’exige l’obligation d’équité. S’il est conclu qu’il existe une attente légitime, cela aura une incidence sur le degré de l’obligation d’équité, et cette dernière exigera que l’on suive la procédure attendue (Baker, précité, au para. 26). Cependant, la doctrine des attentes légitimes ne crée pas de droits matériels (Assoc. des résidents du Vieux St. Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170). Mais, lorsque des décideurs agissent en contravention d’assurances données en matière de procédure, ou reviennent sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants, il sera généralement considéré qu’ils ont agi inéquitablement (Baker, précité, au para. 26).

 

[56]           Le demandeur signale que le commissaire, dans sa déclaration préliminaire, a reconnu qu’il était « absolument crucial que l’Enquête se déroule de façon rigoureusement équitable » à cause du risque que les conclusions de fait tirées par la Commission entachent des réputations. Il soutient qu’il s’attendait légitimement à ce que les procédures se déroulent de cette façon-là.

 

[57]           À mon avis, le demandeur s’attendait légitimement à ce que la Commission se conforme à toutes les procédures énumérées dans ses Règles de procédure et de pratique. Cependant, l’étendue des attentes légitimes du demandeur est circonscrite par la nature du processus suivi, car une commission d’enquête ne peut accorder autant de garanties que dans le cas des procédures engagées devant une cour de justice ordinaire. Comme le signale la Cour suprême dans Krever, précité, au paragraphe 53, « [p]eu importe le soin apporté à la conduite de ses audiences, jamais une enquête ne peut offrir les mêmes garanties qu’un procès en matière de preuve ou de procédure ». Malgré cela, le demandeur avait sans doute une attente légitime que le processus serait équitable et qu’il serait mené d’une manière conforme aux Règles de procédure et de pratique de la Commission.

 

(v) Les choix de procédure que l’organisme fait lui-même

[58]           Lorsqu’une loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou que l’organisme a l’expertise voulue pour déterminer les procédures qui s’imposent dans les circonstances, le degré d’équité procédurale sera moindre. En l’espèce, l’alinéa e) du cadre de référence contenu dans le décret indique ce qui suit :

[Q]ue le commissaire soit autorisé à adopter les procédures et méthodes qui lui paraîtront indiquées pour la conduite de l’enquête et à siéger aux moments et aux endroits au Canada qu’il jugera opportuns.

 

Ce pouvoir conféré au commissaire laisse entendre que le degré d’équité procédural nécessaire est inférieur.

 

[59]           Compte tenu des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, je conclus que le demandeur avait droit à un degré élevé d’équité procédurale devant la Commission. Même si la nature de l’instance ne prévoit pas le même degré d’équité procédurale que dans le cadre d’un procès, l’atteinte que pouvaient causer les conclusions de la Commission aux réputations des parties visées par l’enquête avait une conséquence si grave qu’il était nécessaire d’accorder un degré élevé d’équité.

 

Question no 2 : Les normes de contrôle applicables

[60]           Pour ce qui est des conclusions de la Commission, la norme de contrôle applicable est celle que la Cour d’appel fédérale a énoncée dans l’arrêt Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.F.) [ci-après Morneault], au paragraphe 46 :

Étant donné qu'il s'agit de conclusions tirées par une commission d'enquête, je préfère examiner ces conclusions en me demandant si elles sont étayées jusqu'à un certain point par la preuve versée au dossier de l'enquête. Dans l'arrêt Mahon, précité, à la page 814, lord Diplock a noté les différences qui existent entre une enquête et un litige civil ordinaire et, à la page 820, il a énoncé les deux règles de justice naturelle mentionnées dans le passage précité. Il a ensuite ajouté ce qui suit, à la page 821 :

 

[traduction] Les règles techniques de preuve applicables aux litiges civils ou criminels ne font pas partie des règles de justice naturelle. La première règle exige que la décision de tirer la conclusion en question soit fondée jusqu'à un certain point sur des éléments qui tendent logiquement à montrer l'existence de faits compatibles avec la conclusion et que le raisonnement qui est fait au sujet de la conclusion, s'il doit être divulgué, ne soit pas en bonne partie contradictoire en soi.

 

 

[61]           La Cour fédérale (Section de première instance) a également adopté cette norme pour contrôler les conclusions de commissions d’enquête (voir Beno c. Canada (Procureur général) (C.F. 1re inst.), [2002] 3 C.F. 499, juge Heneghan [ci-après Beno II]).

 

[62]           Conformément à ce que la Cour d’appel fédérale indique dans l’arrêt Morneault, la norme qui s’applique aux conclusions tirées par la Commission dont il est question dans la présente demande consiste à savoir si ces conclusions sont « fondée[s] jusqu’à un certain point sur des éléments qui tendent logiquement à montrer l’existence de faits compatibles avec la conclusion et que le raisonnement qui est fait au sujet de la conclusion, s’il doit être divulgué, [n’est] pas en bonne partie contradictoire en soi ».

 

[63]           Quant aux autres questions soulevées dans la présente demande, le demandeur soutient que l’analyse de la norme de contrôle ne s’applique pas. Les défendeurs n’ont pas fait d’observations à l’égard de la norme qui s’applique aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle, hormis leurs observations concernant la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission.

 

[64]           Je souscris aux observations du demandeur à cet égard. Il est bien établi que l’analyse de la norme de contrôle ne s’applique pas aux questions d’équité procédurale (Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29). Ces questions sont toujours contrôlées en tant que questions de droit et, par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir, précité). La détermination de l’équité du processus que suit le décideur n’appelle aucune retenue. S’il y a eu manquement à l’obligation d’équité, la décision en question doit être infirmée (Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392, 2005 CAF 404, Ha c. Canada, [2004] 3 R.C.F. 195, 2004 CAF 49).

 

Question no 3 : Le commissaire a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

A. Le commissaire a-t-il suscité une crainte raisonnable de partialité envers le demandeur?

 

[65]           L’équité procédurale exige que les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité (Baker, précité, au para. 45). Le critère de l’impartialité attendue d’un décideur varie, suivant le rôle et la fonction du décideur en question (Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, juge Cory [ci-après Newfoundland Telephone]). Dans Newfoundland Telephone, la Cour suprême a établi une échelle pour évaluer les allégations de partialité visant les membres de commissions ou d’organismes administratifs :

De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C'est‑à‑dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. À l'autre extrémité se trouvent les commissions dont les membres sont élus par le public. C'est le cas notamment de celles qui s'occupent de questions d'urbanisme et d'aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux. Pour ces commissions, la norme est nettement moins sévère. La partie qui conteste l'habilité des membres ne peut en obtenir la récusation que si elle établit que l'affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s'occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l'application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur.

 

[…]

 

En outre, le membre d'une commission qui remplit une fonction d'élaboration des politiques ne devrait pas être exposé à une accusation de partialité du seul fait d'avoir exprimé avant l'audience des opinions bien arrêtées. Cela ne veut pas dire, évidemment, que la conduite des membres d'une commission n'est assujettie à aucune restriction. Il s'agit plutôt de la simple confirmation du principe suivant lequel les tribunaux doivent faire preuve de souplesse face à ce problème, de manière que la norme appliquée varie selon le rôle et la fonction de la commission en cause. En dernière analyse, cependant, les commissaires doivent fonder leur décision sur la preuve qui leur a été présentée. Bien qu'ils puissent faire appel à leur expérience, à leurs connaissances et à leur compréhension du domaine, cela doit se faire dans le cadre de la preuve produite devant la commission : Newfoundland Telephone Co., précité, aux pp. 638-639.

 

 

[66]           Dans cet arrêt, le juge Cory a souligné que « les tribunaux doivent faire preuve de souplesse face à ce problème, de manière que la norme appliquée varie selon le rôle et la fonction de la commission en cause » (Newfoundland Telephone, précité, à la p. 639). Appliquant cette règle de souplesse, il a ensuite conclu que la norme qu’il y a lieu d’appliquer pour évaluer l’impartialité de la commission, au stade de l’enquête, est celle de l’« esprit fermé ». Il a également conclu que, lorsque l’affaire atteignait le stade de l’audition, le rôle de la commission avait changé et, de ce fait, la norme appliquée pour examiner la conduite de la commission à ce stade était la crainte raisonnable de partialité.

 

[67]           Dans l’arrêt Beno (CAF), précité, la Cour d’appel fédérale a pris en considération la nature, le mandat et la fonction de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie et a décrété que la Commission se situait quelque part entre les extrémités législative et juridictionnelle de l’échelle, déclarant ce qui suit aux paragraphes 26 et 27 :

Pour les fins du présent appel, il n'est pas nécessaire d'indiquer de façon précise en quoi consiste le critère d'impartialité applicable aux membres des commissions d'enquête. Selon sa nature, son mandat et sa fonction, la Commission d'enquête sur la Somalie doit, par rapport à l'échelle énoncée dans Newfoundland Telephone, se situer entre les extrémités législatives et juridictionnelles. Compte tenu des différences notables qui distinguent cette enquête d'une instance civile ou criminelle, l'extrémité juridictionnelle ne conviendrait pas en l'espèce. Par ailleurs, vu les graves conséquences que le rapport d'une commission peut entraîner pour les personnes qui ont reçu signification du préavis que prévoit l'article 13, la norme permissive de l'«esprit fermé» à l'extrémité législative ne conviendrait guère également. Nous sommes d'avis que les membres de la Commission d'enquête sur la Somalie doivent exercer leurs fonctions d'une façon qui, eu égard à la nature particulière de celles-ci, ne suscite pas une crainte raisonnable de partialité. Tout comme dans Newfoundland Telephone, le critère de la crainte raisonnable de partialité doit s'appliquer avec souplesse. Le juge Cory a statué ainsi (aux pages 644 et 645):

 

Si, au stade de l'enquête, c'était le critère de l'«esprit fermé» qui s'appliquait, à l'audience la norme devait être plus sévère. Aussi l'équité procédurale commandait-elle alors que les commissaires se comportent de façon à ne susciter aucune crainte raisonnable de partialité. Il faut appliquer ce critère avec souplesse. Il n'a pas à être aussi sévère dans le cas de la Commission en cause, qui traite de questions de principe, qu'il le serait dans le cas d'une commission remplissant des fonctions purement juridictionnelles. Cette norme de conduite n'empêchera évidemment pas les commissaires de soumettre à l'interrogatoire le plus rigoureux possible témoins et avocats.

 

Si nous appliquons ce critère, nous ne pouvons souscrire aux conclusions du juge de première instance. Un commissaire ne doit être déclaré inhabile pour cause de partialité que s'il existe une crainte raisonnable qu'il décide sur un fondement autre que la preuve. Ici, une application souple du critère de la crainte raisonnable de partialité exige que le tribunal d'appel tienne compte du fait que les commissaires agissaient en qualité d'enquêteurs dans le contexte d'une enquête longue, ardue et complexe. Le juge n'a pas tenu compte de ce contexte en appliquant le critère.

 

 

[68]           S’appuyant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Beno, le procureur général soutient que la Commission se situe entre le milieu et l’extrémité dite de l’« esprit fermé » de l’échelle décrite dans Newfoundland Telephone et il ajoute que le critère applicable est celui de savoir s’il y a une crainte raisonnable que le commissaire tirerait une conclusion sur un autre fondement que la preuve. Le procureur général soutient que, subsidiairement, le critère applicable est celui de la crainte raisonnable de partialité qu’a énoncé dans ses motifs dissidents le juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 [ci-après Committee for Justice and Liberty] et que la Cour suprême du Canada a fait sien par la suite.

 

[69]           Au dire du demandeur, le critère permettant d’évaluer l’impartialité du commissaire Gomery est celui de la crainte raisonnable de partialité ou celui de la personne raisonnable, qui est établi dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty. Il ajoute qu’étant donné que le commissaire est un juge et qu’il a été nommé comme commissaire en raison de ses compétences judiciaires, le critère qu’il convient d’appliquer pour déterminer s’il existe ou non une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire est le même que celui que l’on applique au moment d’évaluer l’impartialité d’un juge qui préside un procès. Pour dire les choses simplement, le demandeur est d’avis qu’étant donné que, dans la présente affaire, le commissaire a été choisi en raison de ses compétences de juge, même s’il siégeait à titre de commissaire aux audiences, il faudrait qu’il soit assujetti à la même norme de neutralité judiciaire que celle à laquelle on s’attend de la part d’un juge qui préside un procès.

 

[70]           L’expérience acquise par le commissaire à titre de juge l’a peut-être bien aidé à jouer son rôle de commissaire, mais ce n’était pas à titre de juge qu’il siégeait pendant qu’il remplissait ses fonctions de commissaire. Il ne s’ensuit donc pas forcément que l’on doit évaluer son impartialité en appliquant de manière stricte le critère de la crainte raisonnable de partialité.

 

[71]           Après avoir examiné la jurisprudence que les parties ont citée, je conclus que la Commission se situe quelque part entre le milieu et l’extrémité supérieure de l’échelle décrite dans l’arrêt Newfoundland Telephone. Par conséquent, en recourant à une application souple du critère de la crainte raisonnable de partialité, je fais mien le critère que le juge de Grandpré a énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe [le commissaire], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » : Committee for Justice and Liberty, précité, à la p. 394.

 

 

[72]           Comme l’a déclaré le juge Cory dans l’arrêt R. c. S.(R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 [ci‑après R.D.S.], le critère de la crainte raisonnable de partialité « comporte un double élément objectif : la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire » (R.D.S., au para. 111). Et, signale-t-il par ailleurs, « [l]a personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris [traduction] “des traditions historiques d’intégrité et d’impartialité, et consciente aussi du fait que l’impartialité est l’une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter” » (ibid.). De plus, « [p]eu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente » et « […] il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant »  (R.D.S., aux para. 112-113).

 

[73]           Je reviens aux propos de lord Denning dans l’arrêt Metropolitan Properties Co. (F.G.C.), Ltd. c. Lannon, [1968] 3 All E.R. 304 (C.A.), à la p. 310, 1 B.R. 577 (C.A.), à la p. 599 :

[traduction

[P]our trancher la question de savoir s'il y avait une réelle probabilité de partialité, la cour ne scrute pas l'esprit du juge ou du président du tribunal, ni de quiconque exerce une fonction judiciaire. La cour ne se demande pas s'il existe une réelle probabilité que l'intéressé avantage ou a de fait avantagé une partie aux dépens de l'autre. La cour s'intéresse à l'impression produite. Même si le juge était le plus impartial possible, dans la mesure où des personnes sensées estiment que, compte tenu des circonstances, il y a une réelle probabilité de partialité de sa part, il ne doit pas siéger. S'il siège, sa décision ne peut pas être maintenue [décisions citées omises]. Cela dit, il doit y avoir une réelle probabilité de partialité. Suppositions et conjectures ne suffisent pas [décisions citées omises]. Il faut que les circonstances soient telles qu'une personne raisonnable puisse penser qu'il est probable ou vraisemblable que le juge ou le président favorise ou a favorisé injustement l'une des parties aux dépens de l'autre. La cour ne cherchera pas à savoir si le juge a effectivement favorisé injustement l'une des parties. Il suffit que des personnes raisonnables puissent le penser. La raison en est évidente. La justice suppose un climat de confiance qui ne peut subsister si des personnes sensées ont l'impression que le juge a fait preuve de partialité.

 

[74]           Il existe une présomption selon laquelle un décideur agira de manière impartiale et, pour écarter cette présomption, « [i]l faut plus qu’un simple soupçon ou des réserves émanant d’“une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne” »  (Beno (CAF), précité, au para. 29). C’est à la personne qui allègue l’existence de la partialité qu’il appartient d’en faire la preuve, et la barre à atteindre pour conclure à une crainte raisonnable de partialité est élevée. Cependant, lorsqu’on arrive à une telle conclusion, l’audition de l’affaire ainsi que n’importe quelle décision qui en découle seront nulles, car il ne peut être remédié au préjudice que crée une telle crainte de partialité. Cela concorde avec la décision du juge Le Dain, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’établissent Kent, précité, à la p. 661, où il déclare ceci :

[J]'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

 

L’application en l’espèce du critère de la crainte raisonnable de partialité

[75]           Le demandeur allègue que les éléments suivants dénotent l’existence d’une crainte raisonnable de partialité : 1) les déclarations publiques faites au cours des entrevues que le commissaire Gomery a données en décembre 2004, avant que la totalité de la preuve ait été présentée et que tous les témoins aient témoigné, 2) l’entrevue, menée en août 2007, dans laquelle le commissaire a confirmé que certains des commentaires faits en décembre 2004 étaient une erreur, 3) les articles de journal parus en août 2007 et dans lesquels le commissaire est cité comme ayant déclaré que la Commission était [TRADUCTION] « un spectacle étonnant » et qu’il avait [TRADUCTION] « le meilleur siège pour le meilleur spectacle en ville », 4) les déclarations publiques faites par M. François Perreault, porte-parole de la Commission, et, de façon plus générale, le rôle joué par ce dernier pour s’assurer que les médias accordaient leur attention à la Commission, 5) la déclaration faite par le commissaire Gomery à M. Alex Himelfarb, à l’époque greffier du Conseil privé, et révélant son inquiétude concernant la couverture médiatique, et 6) le fait que le procureur en chef de la Commission, Me Roy, avait été secrétaire du premier ministre du Canada, le très honorable Brian Mulroney, de 1984, à 1988 et qu’il travaillait maintenant en compagnie de M. Mulroney et de Me Sally Gomery, la fille du commissaire, au cabinet d’avocats Ogilvy Renault s.r.l. J’ai déjà statué que les documents prouvant la relation entre le procureur en chef du commissaire et M. Mulroney et Me Gomery ne sont pas pertinents. Je n’ai donc pas à prendre en considération ce motif dans mon analyse de cette partie.

 

[76]           Le demandeur soutient que les commentaires que le commissaire a faits officiellement aux médias, de même qu’après l’enquête, établissent l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Il allègue de plus que le commissaire Gomery a été séduit par les médias et les fruits de la célébrité au point où l’instinct judiciaire d’équité, d’objectivité et de retenue auquel le demandeur était en droit de s’attendre du commissaire avait cédé le pas à la volonté de sa part d’attirer sur lui-même l’attention des médias (et du public), une attitude qui laissait présager que des conclusions défavorables seraient tirées au sujet du demandeur dans le rapport d’enquête.

 

[77]           Le procureur général soutient qu’en évaluant les allégations de crainte raisonnable de partialité, la Cour doit prendre garde de ne pas confondre la personnalité du commissaire et son état d’esprit. Il laisse entendre que le commissaire s’exprimait ouvertement et avec transparence et il soutient que, même si celui-ci a lui-même reconnu que certains de ses commentaires étaient une erreur, ces derniers n’établissent pas que le commissaire se prononcerait sur quelque chose d’autre que la preuve et, subsidiairement, qu’il y a une crainte raisonnable de partialité à l’endroit du demandeur.

 

[78]           J’ajoute également que l’avocat du procureur général a admis que certaines des remarques que le commissaire a faites aux journalistes étaient inopportunes.

 

[79]           Après avoir passé en revue les éléments de preuve qui m’ont été soumis sur cette question, je suis persuadé que ces éléments sont plus que suffisants pour conclure qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, jugerait que le commissaire a suscité une crainte raisonnable de partialité. Lorsqu’on les considère cumulativement, les commentaires faits par le commissaire dénotent non seulement que celui-ci a préjugé de certaines questions, mais aussi qu’il n’a pas été impartial envers le demandeur.

 

[80]           Les déclarations du commissaire indiquent que, pendant que celui-ci dirigeait les audiences, et avant d’avoir entendu la totalité de la preuve, il est arrivé à des conclusions au sujet de questions sur lesquelles il devait faire enquête et rapport. En décembre 2004, quand les audiences tenues dans le cadre de la phase I de la Commission ont été suspendues pour les Fêtes, le commissaire a accordé à des journalistes des entrevues qui ont mené à la publication d’un certain nombre d’articles dans les journaux. Comme je l’ai dit plus tôt, le commissaire ne conteste pas l’exactitude des déclarations présentées entre guillemets dans ces articles.

 

[81]           Dans un article paru dans l’Ottawa Citizen le 16 décembre 2004, le commissaire est cité comme ayant déclaré : [traduction]  « J’arrive à la même conclusion que (la vérificatrice générale) Sheila Fraser, à savoir qu’il s’agissait d’un programme gouvernemental qui a été mené de manière catastrophique. Je ne suis pas surpris par ce que j’entends, mais c’est consternant. » Dans un article publié le lendemain dans le National Post, le commissaire Gomery, parlant de son commentaire antérieur selon lequel le Programme de commandites [traduction] « était dirigé de manière catastrophique », a déclaré : [traduction] « Quelqu’un d’autre a-t-il une opinion différente sur le sujet? […] J’ai simplement confirmé les conclusions que Sheila Fraser avait tirées, ce que je crois être en mesure de faire après trois mois d’audience. » [Non souligné dans l’original.]

 

[82]           Le procureur général soutient que le commissaire était effectivement en mesure de déterminer, à l’époque où il a fait ces déclarations, que le Programme de commandites était [traduction] « dirigé de manière catastrophique », puisqu’il s’agissait là, essentiellement, de l’une des conclusions du Rapport de la vérificatrice générale sur lequel était fondé le mandat du commissaire. Autrement dit, ce mandat reposait sur la prémisse que le programme avait été fort mal géré. Par ailleurs, le procureur général déclare qu’aucune des conclusions de la vérificatrice générale n’a jamais été contestée par les parties, malgré l’invitation du commissaire Gomery à le faire. Il soutient qu’en fait [traduction] « tout le monde a reconnu » les problèmes signalés dans le Rapport de la vérificatrice générale.

 

[83]           Je ne puis souscrire à la thèse du procureur général selon laquelle le commissaire, après seulement trois mois d’audience sur neuf, était en mesure de confirmer les conclusions de la vérificatrice générale ou de conclure que le Programme de commandites était [traduction] « dirigé de manière catastrophique ». Premièrement, contrairement à l’enquête de la vérificatrice générale, le mandat du commissaire, tel qu’énoncé dans le cadre de référence de l’enquête, ne se limitait pas à faire enquête et rapport uniquement sur la façon dont les fonctionnaires géraient le Programme. Je souligne que l’alinéa (iii) de la partie I du mandat du commissaire prévoyait que ce dernier devait faire enquête et rapport sur « la gestion du programme de commandites et des activités publicitaires par les responsables à tous les niveaux » [Non souligné dans l’original.]. Le commissaire n’était donc pas en mesure de conclure que le programme avait été mal géré avant d’avoir entendu la version des responsables à tous les niveaux qui étaient censés témoigner. Cela est d’autant plus vrai qu’il a conclu en fin de compte que le Programme de commandites était dirigé à partir du Cabinet du Premier ministre, sous la supervision directe du demandeur (qui n’avait pas encore témoigné), lequel était « investi, à toutes fins utiles, du rôle, des fonctions et des responsabilités d’un ministre chargé de mettre en œuvre un programme dans un ministère ». Sans avoir entendu le témoignage de tous les témoins qui devaient comparaître devant la Commission, surtout ceux qui, avait-il conclu, étaient responsables du programme, le commissaire n’était pas – et ne pouvait pas être – en mesure de conclure que le programme avait été [traduction] « dirigé de manière catastrophique ».

 

[84]           Deuxièmement, le fait de conclure que la mauvaise gestion avait été [traduction] « catastrophique » avant d’avoir entendu la totalité de la preuve minait l’objet même de la commission d’enquête, donnant ainsi l’impression que les procédures étaient tenues pour la forme. Les propos du commissaire indiquent que ce dernier était arrivé à des conclusions ou avait tiré des inférences de fait avant que la preuve soit complète et que l’on ait obtenu des observations de tous les participants. Le commissaire se devait de ne pas tirer de conclusions sur la gestion du Programme de commandites avant d’avoir entendu la totalité des éléments de preuve, et il n’était pas en mesure de le faire avant cela. L’objectif de l’enquête était de découvrir la vérité sur les questions visées par les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice générale. Le fait de dire qu’il [traduction] « arrivait à la même conclusion » et qu’il [traduction] « confirmait simplement les constatations que Sheila Fraser avait faites » après trois mois d’audience seulement donnerait à la personne raisonnable l’impression qu’il avait préjugé de certaines des questions mêmes sur lesquelles il était chargé de faire enquête, et ce, avant d’avoir entendu la totalité de la preuve.

 

[85]           Il y a d’autres preuves qui amèneraient un observateur raisonnable à conclure que le commissaire a préjugé de l’issue de l’enquête. Dans l’ouvrage de M. Perreault intitulé : Gomery, l’enquête (ouvrage que le commissaire qualifie, dans la préface, d’« exact » [« accurate » dans la version anglaise traduite]), ainsi que dans un article paru dans le Toronto Star le 1er mars 2006, le commissaire Gomery est cité comme ayant déclaré ce qui suit au sujet de la réponse donnée par M. Chrétien, quand il lui a été demandé qui était chargé de la gestion du Programme de commandites : [TRADUCTION] « Et la réponse même qu’il m’a donnée était la seule qui comptait, quant à moi […] Donc, avec cette réponse, j’avais tout ce qu’il me fallait ». La réponse de M. Chrétien à laquelle fait allusion le commissaire Gomery a été donnée au cours de l’échange suivant entre Me Roy, le commissaire Gomery et M. Chrétien, lors de l’audience du 8 février 2005 de la Commission :

Me Roy : Et vous, est-ce que vous aviez à l’intérieur de votre bureau, du PMO, est-ce que vous aviez mandaté certaines personnes pour s’impliquer dans le dossier de la stratégie post‑référendaire?

 

M. Chrétien : Monsieur Pelletier qui avait été maire de Québec, il connaissait bien le Québec, et qui était mon chef de Cabinet et qui avait le même engagement que moi à nous assurer que le Québec allait demeurer dans la confédération, a pris ces responsabilités par la suite.

 

Me Roy : Alors, ma question plus précisément est la suivante : qui au sein du PMO, de votre Cabinet, avait la responsabilité de s’assurer que le plan de match serait suivi et que le gouvernement serait prêt pour faire face à un prochain échéancier référendaire?

 

[…]

 

Commissaire Gomery : Mais Monsieur Chrétien, honnêtement, j’aimerais beaucoup avoir une réponse à cette question. Avez-vous désigné quelqu’un pour s’occuper…

 

M. Chrétien : J’ai dit tantôt que Monsieur Pelletier était responsable du dossier de l’unité dans mon bureau.

 

Commissaire Gomery : Merci.

 

L’intervention du commissaire Gomery à l’audience, de pair avec son commentaire ultérieur, à savoir que la réponse de M. Chrétien « était la seule qui comptait » et lui donnait « tout ce [qu’il lui] fallait » amène à se demander si le commissaire Gomery était effectivement impartial dans sa mission d’enquête, ou s’il était à la recherche de réponses précises qui étayaient des conclusions qu’il avait déjà tirées.

 

[86]           Là encore, ce commentaire a été fait avant d’avoir entendu la totalité de la preuve des témoins qui avaient été – ou devaient être – appelés à témoigner. Une personne bien renseignée et raisonnable, considérant cette déclaration, conclurait que le commissaire, au lieu de siéger comme un décideur impartial, et présidant les audiences sans aucune idée préconçue quant aux conclusions qu’il tirerait en fin de compte après avoir entendu la totalité de la preuve, avait un plan ou une liste de contrôle des éléments de preuve qui étaient attendus et dont il fallait disposer pour étayer des conclusions prédéterminées.

 

[87]           En outre, dans un article paru le 16 décembre 2004 dans l’Ottawa Citizen, le commissaire est cité comme ayant déclaré, au sujet de preuves à venir que la Commission allait entendre, qu’il y avait des « choses juteuses (« juicy stuff ») encore à venir ». Selon le Canadian Oxford Dictionary, le mot « juicy » (« juteux ») signifie « corsé ou scandaleux ».

 

[88]           Ce commentaire a banalisé les procédures, qui comportaient des enjeux énormes pour les témoins qui y prenaient part, surtout ceux qui n’avaient pas encore témoigné. Il faisait part au public d’une prédiction que des preuves de méfait étaient à venir et, étant donné que, sur le plan de l’intérêt public, les témoins les plus importants n’avaient pas encore comparu (dont le demandeur, d’autres hauts dirigeants, le premier ministre et des ministres du Cabinet), ce commentaire visait manifestement ce à quoi l’on pouvait s’attendre de la part de ces personnes ou à leur sujet. Quelle que soit la manière dont on l’interprète, ce commentaire comporte une connotation péjorative à laquelle aucun témoin n’aurait dû être soumis.

 

[89]           Je signale qu’à un certain nombre de reprises, le commissaire a donné l’assurance qu’il n’avait préjugé d’aucune question et que son impartialité demeurait intacte. Premièrement, dans un article paru dans le National Post le 17 décembre 2004, le commissaire est cité comme ayant déclaré : [traduction] « Je ne crois pas que je risque d’avoir préjugé d’une question que je n’aurais pas dû préjuger » et [traduction] « Je n’ai fait aucun jugement ni préjugé d’aucune question. J’ai simplement fait un commentaire sur la personnalité de l’un des témoins ». Cette seconde déclaration a été faite au sujet d’une remarque que le commissaire avait dite la veille, lors d’une entrevue, à propos de M. Guité : [traduction] « Il est impossible de ne pas aimer Chuck Guité […] » [traduction] « Reconnaissons-le, il est un charmant coquin qui avait envoûté son ministère. Il a réussi à obtenir une promotion juste avant de prendre sa retraite et a ainsi amélioré sa pension. Je vais en entendre davantage sur M. Guité. Il devra probablement témoigner de nouveau. »

 

[90]           Quand les audiences ont repris en janvier 2005, les avocats du demandeur ont fait part de leur inquiétude au sujet des déclarations que le commissaire avait faites aux médias. Ce dernier a déclaré que, si ses commentaires avaient été une cause d’anxiété ou d’inquiétude, il le regrettait, et il a rassuré les parties qu’il n’avait tiré aucune conclusion et qu’il ne le ferait pas avant d’avoir entendu la totalité de la preuve. Cependant, le commissaire a ensuite justifié sa conduite en disant qu’il y avait eu un changement dans ce que l’on considérait comme une conduite appropriée de la part des juges, et il a déclaré ceci :

Nous avons aussi pu voir durant les dernières décennies que l’on a exercé de plus en plus de pression sur les juges afin qu’ils sortent de leur tour d’ivoire pour établir une certaine relation avec les médias et leur permettre de mieux comprendre ce qui se passe dans les salles d’audience ou devant les commissions d’enquête de ce genre.

 

C’est ma compréhension de cette évolution qui m’a amené à faire […] à accorder quelques entrevues à la fin de l’année. Des représentants des médias m’ont dit que les gens désiraient en savoir un peu plus concernant ce qui se passait et ce à quoi ils pouvaient s’attendre. C’est dans ce contexte que j’ai accordé ces entrevues aux médias.

 

En rejetant la requête en récusation déposée contre lui par M. Chrétien, le commissaire a donné une assurance supplémentaire qu’il n’avait préjugé d’aucune question et qu’il demeurait impartial :

Dans les remarques qu’il m’a adressées le 11 janvier, M. Scott a déclaré, et je cite : « Vous vous êtes fermé l’esprit ». Cette affirmation est factuellement incorrecte; je suis le seul au monde à pouvoir dire si je me suis fermé l’esprit, et j'ai répondu alors, pour rassurer M. Scott et d'autres, que tel n'est pas le cas. Je garde l'esprit ouvert et je répète que je n'ai encore tiré aucune conclusion définitive sur aucune des questions dont cette commission d'enquête est saisie.

 

[…]

 

Il est affirmé que, lorsque j’ai parlé du Rapport de la vérificatrice générale, j’ai dit que « j’en arrivais » aux mêmes conclusions qu'elle, et non pas que j'ai déjà tiré ces conclusions. Autrement dit, j'indiquais alors que ma réflexion se poursuivait. Je ne rejette d'avance aucune preuve du contraire qui pourrait être produite.

 

Quand j'ai parlé des balles de golf autographiées, j'ai dit qu'il était décevant d'avoir entendu dire en preuve qu'un premier ministre aurait autorisé (je souligne le conditionnel) une telle utilisation de son nom. Je n'exclus aucune explication raisonnable à ce sujet, qui revêt un intérêt mineur en tout état de cause. J'attends avec intérêt le témoignage de M. Chrétien.

 

J'ai entendu des témoignages contradictoires de divers témoins. Force m'est de conclure que certains d'entre eux n'ont pas dit la vérité, mais je n'en ai nommé aucun et je n'ai pas non plus indiqué lesquelles des versions contradictoires je puis être porté à préférer. En ce qui concerne l'honnêteté relative des divers témoins, c'est un facteur au sujet duquel je tirerai mes conclusions uniquement à la lumière de toute la preuve déjà recueillie et de celle à venir.

 

Enfin, ma description de M. Guité et le fait que je l'ai qualifié de [traduction] « charmant coquin », langage coloré qu'un juge devrait éviter, j'en conviens, ne révèlent aucunement ce que je pense de sa crédibilité. Les personnes charmantes sont parfois dignes de foi, parfois pas. Il est encore trop tôt pour que je décide quelle valeur j'accorderai au témoignage de M. Guité. Je tirerai ma conclusion à ce sujet quand les audiences seront terminées.

 

 

[91]           Le procureur général se fonde dans une large mesure sur ces assurances qu’a données le commissaire pour faire valoir que ce dernier n’était pas parvenu à des conclusions prématurées. Il n’est pas pertinent que le commissaire ait donné l’assurance de n’avoir préjugé d’aucune question, car une personne peut ne pas être consciente de ses propres partis pris. Dans l’arrêt R. c. Gough, [1993] A.C. 646 (C.L.), à la p. 655 (arrêt cité par la Cour suprême du Canada dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259), lord Goff, citant le lord-juge Devlin dans The Queen c. Barnsley Licensing Justices, [1960] 2 Q.B. 167 (C.A.), a déclaré ceci :

[traduction

La partialité est ou peut être une attitude inconsciente, et une personne peut sincèrement affirmer qu’elle n’était pas réellement partiale et qu’elle n’a pas laissé ses propres intérêts influer sur sa pensée, bien qu’elle puisse avoir inconsciemment permis que cela se produise. La question doit être tranchée en fonction des probabilités qui peuvent être inférées des circonstances dans lesquelles les juges ont entendu l’affaire.

 

 

[92]           Le critère déterminant, ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, consiste à savoir si une personne raisonnablement bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait à une crainte raisonnable de partialité. Comme je l’ai déjà dit, je suis persuadé que le critère de la crainte raisonnable de partialité a été respecté en l’espèce.

 

[93]           Enfin, je signale que le commissaire a fait d’autres commentaires inopportuns qui ont censément entaché l’objet et le point de mire de l’enquête. À un certain nombre de reprises, il a qualifié les procédures de « show » ou de « spectacle », allant même jusqu’à déclarer : [TRADUCTION] « J’ai le meilleur siège pour le meilleur spectacle en ville ». Au moment de prendre sa retraite, le commissaire a aussi déclaré : [TRADUCTION] « J’ai été critiqué pour l’avoir dit, mais j’insiste. J’avais le meilleur siège de la maison pour le meilleur spectacle en ville. C’était un beau spectacle qui se passait. C’était un drame avec une découverte presque à tous les jours, avec des avocats de grande compétence. C’était une situation idéale pour celui qui présidait. » [traduction] « Ce n’était pas un spectacle qui avait été répété, mais de voir des témoins, l’un après l’autre, faire des révélations surprenantes après avoir été confrontés à des documents qu’ils ne pouvaient pas expliquer était excitant et captivant ». Même si ces déclarations ne dénotent pas en soi une crainte raisonnable de partialité à l’endroit du demandeur, elles ont eu pour effet de transformer la nature de l’enquête, de la faire passer d’une mission de collecte de faits marquée du sceau de l’équité à un « étalage » d’actes d’inconduite de hauts dirigeants du gouvernement.

 

[94]           Le demandeur a également fait état de ses doutes au sujet de la préoccupation du commissaire Gomery à l’égard des médias. Il soutient que ce dernier a été séduit par les médias et les fruits de la célébrité au point où l’instinct judiciaire d’équité, d’objectivité et de retenue auxquels le demandeur était en droit de s’attendre du commissaire a cédé le pas à la volonté de sa part d’attirer sur lui-même l’attention des médias (et du public), une attitude qui laissait présager que des conclusions défavorables seraient tirées à propos du demandeur dans le rapport d’enquête.

 

[95]           Je suis d’accord avec le demandeur que le commissaire s’est soucié de veiller à ce que les projecteurs des médias demeurent braqués sur l’enquête de la Commission, et qu’il s’est donné beaucoup de mal pour que l’intérêt du public à l’endroit de la Commission ne décline pas. Un exemple de la préoccupation évidente du commissaire à l’égard des médias est la déclaration suivante qu’il a faite lors du témoignage de M. Himelfarb :

Vous saviez que les deux partis de l’opposition et la population n’auraient pas été satisfaits si on leur avait dit : « Eh bien, nous savons que des fonds ont été perdus, mais nous avons remédié à la situation et cela ne se reproduira plus à l’avenir ». Cette réponse n’allait pas satisfaire le public, à mon avis. Bien sûr, elle n’allait pas satisfaire les médias, qui représentent dans une certaine mesure le public. [Non souligné dans l’original.]

 

 

Cette préoccupation à l’égard des médias, à l’extérieur de la salle d’audience, a eu un effet préjudiciable sur l’équité des procédures, relativement au demandeur et, comme je l’ai déclaré dans ma décision, relativement à M. Chrétien.

 

[96]           Je signale que, même si le commissaire, dans sa décision sur la requête en récusation déposée contre lui par M. Chrétien, a reconnu que certaines des déclarations qu’il avait faites au cours des entrevues étaient - et ce sont ses propres paroles - [traduction] « regrettables » et « inappropriées », il a admis aussi que ses déclarations avaient eu pour effet de détourner l’attention de « l’objectif réel de cette enquête, lequel [était] de mettre au jour la vérité sur les questions soulevées dans les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice générale » et il a dit regretter cette conséquence. Cependant, cette reconnaissance et cette expression de regret, à mon sens, ne peuvent réparer le préjudice que le commissaire a causé à la réputation du demandeur, ainsi que le préjudice irréparable occasionné à l’équité, réelle ou apparente, des procédures.

 

[97]           Si l’on considère de nouveau les principes fondamentaux qui s’appliquent aux commissions d’enquête et que le juge Cory a énoncés si succinctement dans l’arrêt Krever, précité, je ne crois pas que l’une des fonctions d’un commissaire consiste à accorder des entrevues à la presse, ni à exprimer, au cours de ces dernières, une opinion sur ce que la preuve a montré, ni, plus particulièrement, à exprimer cette opinion avant d’avoir entendu la totalité de la preuve des témoins qui ont été appelés à témoigner ou qui devaient l’être. Je conclus que la conduite du commissaire à l’extérieur de la salle d’audience a eu un effet préjudiciable sur l’équité des procédures, en ce sens que le demandeur a été mis dans une situation où il était tenu de comparaître devant une commission qui avait mis en doute publiquement la conduite et l’intégrité de témoins, dont M. Chrétien, des témoins dont le demandeur était, à bien des égards, l’alter ego, et ce, avant qu’ils aient même comparu devant elle. Cela suffit pour susciter un doute dans l’esprit de la personne raisonnable quant à l’équité du processus d’enquête.

 

[98]           Les médias ne sont pas une tribune que doit fréquenter un décideur quand il préside une commission d’enquête, un procès ou n’importe quel autre type d’audience ou de procédure. En fait, la seule tribune appropriée qu’un décideur doit fréquenter est la salle d’audience où se déroule la procédure même qu’il préside. Il faut éviter de faire de commentaires révélant des impressions et des conclusions liées aux procédures à l’extérieur de ces dernières, soit avant, soit en même temps, soit même après leur conclusion.

 

[99]           Je souligne que, même dans le cadre d’une enquête publique où l’objet des procédures est d’éduquer et d’informer le public, il n’appartient pas aux décideurs d’intervenir de manière active dans les médias. La fonction première d’un décideur est, d’abord et avant tout, de demeurer impartial, d’avoir un esprit ouvert susceptible de persuasion. Ce n’est qu’après avoir entendu la totalité des preuves et avoir délibéré sur ces dernières qu’un décideur peut former des conclusions et, en dernier lieu, rendre un jugement ou publier un rapport sur le fondement de ses conclusions. Il s’ensuit qu’un décideur s’exprime par la décision qu’il rend. C’est là le seul endroit où un décideur devrait énoncer ses conclusions. Comme mon collègue, mentor et ami, feu le juge Frank Collier m’a dit un jour, quand j’ai été nommé juge pour la première fois : [traduction] « La décision doit parler d’elle-même ».

 

[100]       Je suis convaincu qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que les déclarations faites par le commissaire aux médias lors des audiences relatives à la phase I, après la publication du rapport d’enquête et au moment de prendre sa retraite, considérées cumulativement, dénotent qu’il a préjugé de diverses questions visées par l’enquête et qu’il n’a pas été impartial à l’endroit du demandeur. La nature des commentaires faits aux médias est telle qu’aucune personne raisonnable, examinant la question de façon réaliste et pratique et l’étudiant en profondeur, ne pourrait conclure que le commissaire trancherait les questions en litige de manière équitable.

 

[101]       Comme j’ai déjà conclu à une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire à l’égard du demandeur, il n’est nul besoin de traiter des autres questions soulevées dans la présente demande. À l’audience, les parties ont présenté des observations à propos de l’effet qu’aurait une éventuelle conclusion de crainte raisonnable de partialité sur le rapport du commissaire. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle il y avait une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire à l’égard du demandeur, il convient d’infirmer les conclusions figurant dans le rapport qui ont trait au demandeur. Cela concorde avec l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Newfoundland Telephone, précité, où le juge Cory, s’exprimant au nom de la Cour, a statué que, lorsqu’il est conclu qu’un tribunal administratif a suscité une crainte raisonnable de partialité, sa décision doit être considérée nulle.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que:

(a)                les conclusions qui figurent dans le rapport, phase I du commissaire, daté du 1er novembre 2005, et qui ont trait au demandeur sont infirmées;

(b)               les dépens relatifs à la présente demande, de même qu’à la requête interlocutoire présentée en vertu de l’article 312 des Règles, sont accordés au demandeur;

(c)                les dépens relatifs à la requête du procureur général en vue de faire radier les paragraphes figurant dans l’affidavit du demandeur sont accordés au procureur général.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-2121-05

 

INTITULÉ :                                                    Jean Pelletier c. l’honorable John H. Gomery, en sa qualité d’ex-commissaire de la commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires et le Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         Les11, 12, 13, 14, 18 et 19 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Le juge suppléant Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                    Le 26 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Guy Pratte

Nadia Effendi

 

Pour Jean Pelletier

 

Raynold Langlois

Marie Cossette

Marie-Geneviève Masson

 

André Lespérance

Pascale-Catherine Guay

 

Pour John H. Gomery

 

 

 

Pour le Procureur général du Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais, s.r.l.

 

Pour Jean Pelletier

 

 

 

Langlois Kronström Desjardins s.e.n.c.r.l.

 

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice du Canada

 

 

Pour John H. Gomery

 

 

Pour le Procureur général du Canada

 

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