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Date : 20080625

Dossier : IMM-4554-07

Référence : 2008 CF 800

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2008

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

RONALD CONSTANTINE BLAIR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 7 juin 2007 par James Hogan (l’agent d’immigration), dans laquelle l’agent d’immigration a rejeté la demande d’exemption de l’application des exigences relatives à l’obtention du visa de résidence permanente, demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH).


LA QUESTION EN LITIGE

[2]        La présente demande soulève une question : la décision de l’agent d’immigration, selon laquelle les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants, était‑elle raisonnable?

 

[3]        Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Le contexte factuel

[4]        Le demandeur, âgé de 68 ans, est un citoyen de la Jamaïque. Il est entré au Canada pour la première fois en 1988 en qualité d’ouvrier agricole, et une autre fois en 1990 en tant que visiteur. Il vit au Canada sans statut depuis l’expiration de son visa.

 

[5]        Une enquête a eu lieu en 1993 concernant le statut du demandeur parce qu’il n’avait pas d’autorisation d’emploi. Étant donné qu’il ne s’était pas présenté à l’audience, un mandat d’arrestation a été lancé contre lui. L’irrégularité du statut du demandeur a été portée à l’attention de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) en 2004 lorsque le tuteur et curateur public (le TCP), qui était le tuteur aux biens du demandeur, a présenté une demande relative à l’admissibilité du demandeur à l’assurance médicale.

 

[6]        Le demandeur a été mis sous la tutelle du TCP en 2003 après qu’il eut souffert d’un anévrysme qui a provoqué une hémorragie cérébrale, laquelle a causé un trouble cognitif, à savoir une légère perte de mémoire, et une insuffisance rénale chronique. Le demandeur a été considéré incapable de gérer ses finances personnelles, lesquelles sont donc gérées par le TCP.

[7]        Le demandeur a présenté la demande CH en juillet 2004.

 

[8]        Le demandeur n’a aucune famille au Canada, ni en Jamaïque. Il a une sœur qui vit aux États‑Unis et avec qui il communique.

 

[9]        La demande CH du demandeur est fondée sur les arguments suivants :

a)      Le demandeur n’a aucune famille en Jamaïque. Il a établi de solides amitiés et de forts liens avec la collectivité pendant les 18 ans où il a vécu au Canada.

b)      Il a régulièrement consulté un néphrologue au sujet de son insuffisance rénale. Bien que la dialyse soit offerte en Jamaïque, les spécialistes dans ce pays ne connaissent pas ses besoins, et il se peut que le demandeur ne satisfasse pas aux conditions d’admissibilité.

c)      Son état pourrait régresser en raison du transfert de son lieu de résidence et du fait qu’il doive reprendre les traitements.

d)      Il a travaillé et payé des impôts pendant qu’il vivait au Canada et tenté de régulariser son statut.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[10]      L’agent d’immigration a examiné le récit exposé dans le dossier du demandeur et donné les motifs suivants pour justifier sa décision :

a)      L’agent d’immigration a noté que, bien que le demandeur ait vécu au Canada pendant les dix‑sept dernières années, il y a peu d’éléments de preuve relatifs à ses activités dans les années 1990 et que le demandeur a vécu les premières 52 années de sa vie en Jamaïque.

b)      L’agent d’immigration a souligné que le demandeur a rempli sa déclaration de revenus de 1999 à 2007. Cependant, il a noté l’absence de lettres des employeurs du demandeur. Il a également mentionné que le demandeur avait reçu une petite pension pour invalidité.

c)      L’agent d’immigration a conclu que la plupart des membres de la famille du demandeur se trouvaient aux États‑Unis, soit trois de ses sœurs et sa fille. Il est toujours en communication avec sa sœur Daphne. Trois autres enfants demeuraient au Royaume‑Uni. Le demandeur avait une petite amie en 2003 lorsqu’il a été admis à l’hôpital. L’agent d’immigration a conclu que le demandeur n’avait aucune famille en Jamaïque, ni au Canada. Par opposition à l’allégation du demandeur selon laquelle il a établi de solides amitiés et de forts liens avec la collectivité, l’agent d’immigration a également souligné l’absence de lettre ou de preuve corroborant sa participation à la vie de la collectivité.

d)      L’agent d’immigration a reconnu que le demandeur avait subvenu à ses besoins, comme l’alléguait le demandeur, mais il a finalement conclu que les éléments mentionnés ci‑dessus quant à son établissement n’excédaient pas ce à quoi on peut normalement s’attendre d’une personne dans la situation du demandeur. Il a par conséquent conclu que le degré d’établissement du demandeur ne justifiait pas d’accueillir la demande CH.

e)      L’agent d’immigration a noté que, malgré l’allégation du demandeur selon laquelle il avait tenté de régulariser son statut au Canada à de nombreuses occasions, la demande qui était à l’origine du présent litige était la seule tentative depuis l’expiration du visa du demandeur au début des années 90.

f)        L’agent d’immigration a accepté que le demandeur avait besoin d’une dialyse trois fois par semaine en raison de son insuffisance rénale et qu’il souffrait de troubles cognitifs depuis l’hémorragie cérébrale qu’il avait eue en 2003. Une lettre de l’hôpital régional de Humber River rédigée en août 2004 mentionnait que la dialyse était offerte en Jamaïque, mais que le demandeur pourrait ne pas y être admissible et que son état pourrait régresser en raison du transfert de son lieu de résidence. L’agent d’immigration a communiqué avec le ministre de la Santé de la Jamaïque, qui l’a avisé que l’état de santé du demandeur pourrait régresser en raison du transfert de son lieu de résidence et du recommencement des traitements, que les établissements du secteur public sont débordés par la demande et que les soins dans le secteur privé étaient très coûteux. Le demandeur a eu l’occasion de présenter des observations sur ses renseignements.

g)      L’agent d’immigration a conclu que la situation à laquelle le demandeur devrait faire face en Jamaïque ne serait pas différente de celle à laquelle devrait faire face tout autre Jamaïcain se trouvant dans une situation semblable. Il a souligné que les soins dont avait besoin le demandeur étaient restreints et coûteux en Jamaïque, que ces soins étaient également coûteux au Canada et que le demandeur n’avait pas établi qu’il pourrait se payer les coûts des soins au Canada.

[11]      Pour les motifs exposés ci‑dessus, l’agent d’immigration n’était pas convaincu que le demandeur serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait présenter une demande de résidence permanente de l’étranger.

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[12]      La Cour a déjà conclu que les décisions relatives aux demandes CH devaient faire l’objet d’une grande retenue et que la décision raisonnable simpliciter était la norme de contrôle applicable (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

 

[13]      Selon la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour doit continuer de faire preuve de retenue à l'égard des décisions relatives aux demandes CH, et la nouvelle norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Dunsmuir, paragraphes 55, 57, 62 et 64).

 

[14]      Le caractère raisonnable de la décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47).

 


La décision de l'agent était-elle déraisonnable?

[15]      Le demandeur remet en question la conclusion qui suit tirée par l’agent d’immigration (Dossier du Tribunal, page 5) :

[traduction]

Bien que je compatisse avec M. Blair relativement à ses problèmes de santé, je ne suis pas convaincu que la situation à laquelle il fait face en tant que citoyen de la Jamaïque serait différente de la situation vécue par un autre Jamaïcain ayant un problème semblable. Bien que le type de service dont il a besoin soit coûteux et difficilement accessible, il peut bénéficier de ces services fournis par le ministère de la Santé. Je souligne que les soins médicaux dispensés à M. Blair au Canada sont également coûteux et il n’y a pas suffisamment de renseignements pouvant établir que M. Blair a les moyens de se payer ce service.

 

[16]      Le demandeur conteste deux conclusions tirées par l’agent d’immigration : premièrement, la conclusion selon laquelle sa situation ne serait pas différente de celle vécue par tout autre Jamaïcain nécessitant des traitements pour les reins; deuxièmement, la conclusion selon laquelle il pourrait bénéficier de traitements pour les reins en Jamaïque. Le demandeur soutient que l’agent d’immigration a tiré des conclusions (relativement à l’accessibilité aux soins médicaux dont a besoin le demandeur) qui sont contraires à la preuve dont il disposait.

 

[17]      Le demandeur affirme que ses moyens financiers limités, sa perte de mémoire ou son trouble cognitif, l’absence de soutient familial et son absence prolongée de la Jamaïque le placent dans une situation très différente de celle vécue par d’autres Jamaïcains qui tentent d’avoir des traitements pour leur insuffisance rénale. Il soutient qu’il est clairement désavantagé par rapport aux autres Jamaïcains et que, par conséquent, il serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[18]      En outre, le demandeur allègue que la preuve établit qu’il ne pourrait pas bénéficier de la dialyse, contrairement à la conclusion tirée par l’agent d’immigration. Il cite les renseignements fournis à l’agent d’immigration selon lesquels les soins offerts dans le secteur privé en Jamaïque sont [traduction] « coûteux » et les services du secteur public sont [traduction] « débordés ». Il soutient que, par conséquent, la conclusion tirée par l’agent d’immigration n’est pas étayée par la preuve.

 

[19]      Le défendeur n’est pas d’accord et affirme que la Cour n’a pas le loisir d’apprécier de nouveau la preuve dont disposait l’agent d’immigration (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, paragraphe 11, [2002] A.C.F. no 457) et que l’agent d’immigration pouvait raisonnable tirer la conclusion qu’il a tirée.

 

[20]      Pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit être justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, précité, paragraphe 47). Dans la présente affaire, la décision de l’agent d’immigration n’est pas justifiée. L’agent omet clairement de tenir compte des circonstances personnelles du demandeur lorsqu’il examine l’accessibilité aux traitements en Jamaïque. Bien qu’il puisse être raisonnable de conclure qu’une personne ayant un soutien financier et affectif et une grande faculté d’adaptation pourrait être capable d’obtenir les soins médicaux vitaux dont a besoin le demandeur dans la présente affaire, une telle conclusion n’est pas justifiée en l’espèce. Le demandeur, qui souffre de trouble cognitif et qui n’a aucun soutien financier ou affectif, aurait peu de chance d’obtenir les traitements dont il a besoin. Pour que l’agent puisse tirer une telle conclusion, les faits doivent la justifier. La Cour conclut qu’il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle au vu de l’arrêt Dunsmuir.

 

[21]      Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire, renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4554-07

 

INTITULÉ :                                                   RONALD CONSTANTINE BLAIR

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’MMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 19 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 25 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Norquay                                                   POUR LE DEMANDEUR

                                                                       

 

Alexis Singer                                                    POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Norquay                                                   POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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