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Date : 20080613

Dossier : IMM-3520-07

Référence : 2008 CF 739

Ottawa (Ontario), 13 juin 2008

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

VLADIMIR IELOVSKI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), rendue le 1er août 2007, dans laquelle on a refusé au demandeur le statut de réfugié et de personne à protéger.  Le demandeur est un citoyen israélien qui allègue une crainte de persécution en raison de ses opinions politiques.  Il aurait refusé de participer au conflit armé entre le Liban et son pays durant l’été 2006, au motif qu’il considérait cette guerre injuste et contraire aux principes du droit international.  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être (rejetée).

 

I. Faits

 

[2]                Le demandeur est né en Russie en 1983 et a émigré en Israël, dont il a obtenu la citoyenneté en 1992.  Le 11 février 2003, il a été convoqué pour effectuer son service militaire.  Ayant une formation en mécanique, il a été affecté comme mécanicien au garage d’une base aérienne pendant trois ans.  Il a été démobilisé le 28 février 2006.

 

[3]               En juillet 2006, un conflit a éclaté entre Israël et le Liban, et on a en conséquence ordonné au demandeur de se présenter comme réserviste.  Lorsqu’il a été informé qu’il devait partir en mission au Liban, il a refusé de s’y rendre.  Il a expliqué qu’il était en désaccord avec cette guerre, au motif que des infrastructures civiles libanaises étaient visées par Israël entraînant par le fait même de nombreuses victimes dans la population civile.

 

[4]               Suite à sa condamnation par un tribunal militaire, il a été emprisonné pour une durée de 28 jours.  Se disant outré par les horreurs commises par Israël, et ayant subi des insultes constantes en prison, il demande alors à sa mère de lui obtenir un passeport.  Trois jours après sa sortie de prison, il a quitté Israël pour venir réclamer le statut de réfugié au Canada.

 

II. Décision contestée

 

[5]                 Dans une brève décision de moins de deux pages, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de son manque de crédibilité.  Le tribunal a d’abord noté que le demandeur ne s’était jamais objecté à faire son service militaire de trois ans, et avait d’ailleurs lui-même reconnu à l’audition ne pas être un objecteur de conscience.  La SPR a également conclu que le demandeur ne s’opposait pas à la vision militariste d’Israël puisqu’il n’avait pas cherché à quitter le pays à la fin de son service militaire, même s’il savait pertinemment qu’il pouvait être rappelé comme réserviste jusqu’à l’âge de 45 ans.  De plus, la SPR n’a pas cru qu’Israël recherchait le demandeur pour le condamner une seconde fois; s’il avait vraiment fait l’objet de persécution par les autorités de son pays suite à son refus de faire la guerre au Liban, on ne lui aurait pas délivré un passeport et on ne l’aurait pas laissé quitter le pays.  Enfin, la SPR a mentionné que le fait d’être réserviste après le service militaire répond aux exigences d’une loi d’application générale, et que son refus de servir au Liban constituait une infraction à cette loi pour laquelle il a été condamné.

 

III. Questions en litige et norme de contrôle

 

[6]               Le demandeur remet en question les conclusions de la SPR selon lesquelles 1) il ne peut être perçu comme un objecteur de conscience; 2) il partage la vision militariste d’Israël puisqu’il n’a pas cherché à quitter son pays à la fin de son service militaire, et 3) il ne sera pas condamné une seconde fois pour le même refus de servir.  La première de ces questions est une question mixte de fait et de droit, tandis que les deux autres sont des questions de fait.  Depuis la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 64 C.C.E.L. (3d) 1, la norme de contrôle applicable à toutes ces questions est celle de la décision raisonnable.  C’est dire que la Cour devra se demander si la décision possède les attributs de la raisonnabilité, qui tiennent à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, par. 47).

 

[7]                Le demandeur allègue également que la SPR a commis une erreur de droit en concluant qu’il ne pouvait avoir une crainte de persécution pour ses opinions politiques du fait qu’il n’était pas un objecteur de conscience.  Ce faisant, la SPR aurait omis de considérer le fait que le demandeur s’objectait à un conflit violant les normes de droit international et les droits de la personne.  Bien qu’il s’agisse là d’une question de droit, je suis d’avis qu’elle doit être révisée en appliquant la norme de la décision raisonnable, dans la mesure où elle n’implique pas une question de constitutionnalité ou de compétence.  Loin d’être une question juridique d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, elle me semble plutôt relever du domaine d’expertise de la SPR, et la Cour doit par conséquent faire preuve d’une certaine déférence à ce chapitre.

 

[8]               Enfin, le demandeur fait valoir que la SPR a commis une violation de l’équité procédurale en ne lui permettant pas de répondre à l’argument voulant qu’il ne pouvait être recherché par l’État d’Israël puisqu’il avait pu quitter le territoire muni de son passeport.  Il est bien établi que l’examen d’une telle question ne commande pas une analyse pragmatique et fonctionnelle; dans un tel cas, la Cour doit plutôt s’assurer que les exigences de l’équité procédurale ont été respectées : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392.

 

 


IV. Analyse

 

[9]               Bien que l’on ait pu souhaiter une décision mieux motivée de la part de la SPR, et même si je suis prêt à reconnaître que certaines conclusions de fait puissent être fort discutables, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un cas où il serait opportun d’annuler la décision et de renvoyer le dossier à un tribunal nouvellement constitué de la SPR.  S’il en va ainsi, c’est essentiellement parce que le demandeur ne m’a pas convaincu que sa crainte de persécution advenant son retour en Israël est bien réelle et non pas spéculative.

 

[10]           Tel que je l’ai déjà mentionné dans l’arrêt Lebedev c. Canada (MCI), 2007 CF 728, 62 Imm. L.R. (3d) 161, la personne qui refuse de participer à un conflit armé ou à une action militaire au motif qu’ils iraient à l’encontre du droit international ou des droits de la personne peut, dans certains cas, se voir reconnaître le statut de réfugié sur la base des ses opinions politiques : voir aussi, dans le même sens, Zolfagharkhani v. Canada (MCI),  [1993] 3 F.C. 540, 155 N.R. 311.  Encore faudra-t-il établir, preuve à l’appui, que la communauté internationale ou à tout le moins des organismes crédibles de défense des droits de la personne ont effectivement condamné les opérations militaires en cause.  En l’occurrence, la preuve soumise par le demandeur était bien mince et consistait uniquement en quelques articles de revues et de journaux.  D’autre part, on ne sait rien du rôle qu’aurait été appelé à jouer le demandeur dans cette opération militaire.  Compte tenu des fonctions qu’il avait occupées au cours de son service militaire, il est permis de penser qu’il n’aurait pas été affecté à des opérations de combat.  Il est donc loin d’être certain que le demandeur aurait été personnellement appelé à participer à des violations du droit international, directement ou indirectement.

 

[11]           Qui plus est, les craintes de M. Ielovski sont pour le moins spéculatives.  Non seulement n’a-t-il apporté aucune preuve à l’effet qu’il serait soumis à d’autres périodes de détention pour avoir refusé de servir au Liban, mais le déclenchement de d’autres conflits entraînant l’appel de réservistes est tout aussi hypothétique. 

 

[12]           Enfin, je me dois d’ajouter que je suis lié par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ates c. Canada (MCI), 2005 CAF 322, 343 N.R. 234, dans laquelle on a statué que le fait d’intenter des poursuites et d’incarcérer l’objecteur de conscience qui refuse d’effectuer son service militaire, dans un pays où le service militaire est obligatoire et où il n’existe aucune alternative à cette obligation, ne constituait pas de la persécution fondée sur un motif visé par la Convention sur les réfugiés.  À ce propos, mon collègue le juge Strayer écrivait :

[14] En ce qui concerne les demandes présentées par Berenika et Sofia afin que la qualité de réfugié ou de personne à protéger leur soit reconnue à cause de leur prétendue objection de conscience au service militaire, je ne vois aucune raison d’annuler la décision de la CISR.  Pour ce qui est de la conclusion de fait selon laquelle ces jeunes femmes n’ont pas démontré qu’elles étaient véritablement des objecteurs de conscience, je pense qu’il s’agissait d’une question de fait et que le tribunal disposait d’éléments de preuve lui permettant de tirer cette conclusion.  À mes yeux, celle-ci n’est pas manifestement déraisonnable.  En ce qui concerne la possibilité qu’elles soient emprisonnées parce qu’elles refusent de faire leur service militaire pour des raisons de conscience, je crois que la conclusion du tribunal selon laquelle cette possibilité ne fait pas en sorte qu’elles puissent être considérées comme des personnes susceptibles de se voir infliger un traitement ou une peine cruel et inusité est raisonnable.  Même s’il s’agissait d’une pure question de droit, je conclurais que la décision est correcte parce qu’elle est tout à fait conforme à l’arrêt Ates c. Canada (MCI), précité, rendu par la Cour d’appel fédérale.

 

Loshkariev c. Canada (MCI), 2006 CF 670, 149 A.C.W.S. (3d) 298.

 

 

[13]            Je suis donc d’avis que le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il avait une crainte raisonnable, basée sur des considérations objectives et subjectives, de faire l’objet de persécution s’il retournait en Israël.  Non seulement la preuve documentaire plutôt mince déposée par le demandeur ne permet-elle pas de démontrer que l’intervention militaire à laquelle il devait participer a été condamnée par la communauté internationale et violait les principes fondamentaux des droits de la personne, mais il n’y a au surplus aucune preuve permettant de croire qu’il serait de nouveau incarcéré suite à son refus de servir, alors qu’il a déjà purgé sa peine et qu’il a pu quitter son pays sans être inquiété.

 

[14]           Quant à l’argument du demandeur voulant que la SPR ait violé ses droits à l’équité procédurale du fait qu’on ne lui aurait pas donné l’occasion de répondre à l’allégation voulant qu’il n’aurait pu quitter Israël s’il avait été recherché, il est sans fondement.  La jurisprudence est en effet constante à l’effet qu’un tribunal n’a pas à informer un demandeur de tout doute qu’il peut éprouver à l’égard de son témoignage ou de toute invraisemblance relevée durant l’audition avant de rendre sa décision : voir, entre autres, Danquah c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no. 1704 (QL), 51 A.C.W.S. (3d) 915; Appau c. Canada (MCI) (1995),  91 F.T.R. 225, 53 A.C.W.S. (3d) 1063.

 

[15]           En tout état de cause, dans l’hypothèse même où l’on conclurait qu’il y a eu un manquement à la justice naturelle, il n’y aurait pas lieu d’annuler la décision pour ce motif.  Je suis en effet d’avis que ce motif de la SPR pour refuser de faire droit à la demande de M. Ielovski n’était pas crucial dans son raisonnement et que la décision n’aurait pas été différente même si la SPR n’avait pas tenu compte de ce motif : Lahocsinszky c. Canada (MCI), 2004 CF 275, 129 A.C.W.S. (3d) 769; Fontenelle c. Canada (MCI), 2006 CF 1432, 153 A.C.W.S. (3d) 681.

 

[16]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Les parties n’ont pas soumis de question pour fins de certification, et je suis également d’avis que cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3520-07

 

INTITULÉ :                                       Vladimir Ielovski

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               11 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT PAR :                           LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 13 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Andrea C. Snizynsky

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Steve Bell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Andrea C. Snizynsky

8772, rue Lajeunesse

Montréal, Québec

H2M 1R6

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                             

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