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Date : 20080612

Dossier : T-1165-07

Référence : 2008 CF 731

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2008

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

SHING TIMOTHY WONG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit de l’appel d’une décision par laquelle un juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté du demandeur, Shing Timothy Wong, au motif qu’il n’avait pas rempli les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi). M Wong est né à Hong Kong et est citoyen du Royaume-Uni. En juillet 1996, le demandeur, ainsi que son épouse et ses deux enfants, sont entrés au Canada et ont été admis à titre de résidents permanents.

 

II.         CONTEXTE

[2]               En septembre 1996, le demandeur a acheté une résidence à Thornhill, en Ontario, et y a emménagé. Il est toujours propriétaire de cette résidence, et lui et sa famille y vivent depuis cette date. En septembre 1996, le demandeur a constitué sa première entreprise dont il était le seul actionnaire et administrateur. L’adresse d’affaires était celle de la résidence du demandeur et l’activité commerciale de l’entreprise était inscrite au dossier comme un [traduction] « service de consultation ». Pour chacune des années 2001, 2002 et 2003, le demandeur a reçu un revenu d’emploi de son entreprise.

 

[3]               À partir de 2001, le demandeur a commencé à louer un appartement à Hong Kong qu’il utilisait lorsqu’il se rendait là-bas pour affaires et autres activités, comme le révèlent les documents déposés à l’appui de sa demande de citoyenneté.

 

[4]               En 2003, la première société a été dissoute et, en 2004, le demandeur a constitué une deuxième entreprise dont il était le seul actionnaire et administrateur. Les bureaux de l’entreprise étaient situés chez le demandeur. L’entreprise était inscrite comme [traduction] « exportatrice de métal recyclé ».

 

[5]               Le demandeur n’a pas reçu de revenus d’emploi de l’entreprise en 2004 et a reçu un revenu modeste en 2005.

 

[6]               Le 15 juin 2005, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté après avoir antérieurement déposé une demande et l’avoir retirée. Ainsi, la période de quatre ans applicable selon la Loi pour l’établissement de la période de résidence est calculée du 15 juin 2001 au 15 juin 2005 (la période de référence).

 

[7]               Le 13 mai 2007, le juge de la citoyenneté a rejeté la demande présentée par le demandeur. Il a formulé la question en litige de la façon suivante :

[traduction]

 

Le demandeur a-t-il résidé au Canada au moins trois ans (1 095 jours) en tout dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté? Je dois déterminer si le demandeur a rempli les conditions énoncées dans la Loi et le Règlement, notamment celle prévue à l’alinéa 5(1)c) selon laquelle il faut avoir résidé au Canada au moins trois ans (1 095 jours) en tout dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de la demande.

 

[8]               Nonobstant la formulation de la question susmentionnée, le juge de la citoyenneté a poursuivi en répondant aux six questions énoncées par la juge Reed dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.).

 

[9]               En répondant aux questions énoncées dans Koo (Re) et en particulier à la question de savoir si la forme de présence physique du demandeur au Canada dénotait qu’il revenait dans son pays ou, alors, qu’il n’y était qu’en visite, le juge de la citoyenneté a constaté que le demandeur s’était absenté du Canada à 21 reprises et que, d’après divers documents, les raisons qui avaient motivé ces absences étaient [traduction] « le travail et le tourisme » ou « les affaires et les vacances ». Poursuivant sur cette même question, le juge de la citoyenneté a ajouté qu’[traduction] « il appartenait [au demandeur] d’établir qu’il avait effectivement été présent pendant 1 095 jours au cours de la période applicable de quatre ans ».

 

[10]           En poursuivant sur la question de savoir si les absences étaient de nature temporaire, le juge de la citoyenneté a souligné que le demandeur avait témoigné qu’il s’était rendu à Hong Kong, entre autres, pour que son fils autiste reçoive un traitement médical, mais il a ajouté que ce fait n’était pas mentionné dans la demande de citoyenneté ni dans le questionnaire sur la résidence.

 

[11]           En conclusion, le juge de la citoyenneté a statué que :

[traduction]

 

J’ai pris en compte votre âge, la durée de la période depuis laquelle vous vous êtes établi pour la première fois au Canada, ainsi que le fait que votre épouse et vos enfants sont déjà des citoyens canadiens. Cependant, j’estime que, selon la prépondérance de la preuve, vous n’avez pas encore centralisé votre mode de vie au Canada. Vous n’avez pas résidé ou vécu « régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada. Ainsi, à ce stade, vous n’avez pas rempli les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[12]           Par conséquent, le juge de la citoyenneté n’a pas fait droit à la demande de citoyenneté.

 

III.       ANALYSE

[13]           Le demandeur a notamment invoqué comme moyens d’appel la question du manquement à l'équité procédurale. Cependant, à l’audience, aucune observation n’a été présentée à l’égard de cette question, et je ne trouve au dossier aucun fondement valide justifiant un examen, et encore moins une décision, sur cette question.

 

A.        Norme de contrôle

[14]           Le défendeur a fait valoir que, nonobstant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, puisque la décision de la présente affaire est largement fondée sur une appréciation des faits, la norme de contrôle se situe à la limite supérieure de l’échelle de la raisonnabilité et s’apparente à la décision manifestement déraisonnable. À mon avis, la Cour suprême du Canada ne s’est pas livrée à une analyse de la norme de contrôle dans l’arrêt Dunsmuir et n’a pas réduit le nombre de normes de contrôle applicables à deux normes, celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable, simplement pour faire réapparaître la norme du « manifestement déraisonnable » sous une autre forme.

 

[15]           À mon avis, en ce qui concerne les questions de fait, la Cour devrait accorder de l’importance au rôle du juge de la citoyenneté, à son expertise, aux fonctions que la Loi confère au juge et au fait que le juge était mieux placé pour apprécier la preuve, surtout en ce qui a trait à la crédibilité. Par conséquent, il faut faire preuve d’une grande retenue, dans l’échelle de la raisonnabilité, à l’égard des conclusions de fait du juge de la citoyenneté.

 

 

[16]           À de nombreux égards, les conclusions du juge de la citoyenneté reposent sur certains éléments de l’appréciation de la crédibilité ou, à tout le moins, sur le peu de cohérence du compte rendu du demandeur. Par exemple, pour justifier le nombre de déplacements dans ce pays, le demandeur a invoqué des voyages à Hong Kong visant à obtenir un traitement pour son fils autiste. Cependant, seulement 5 des 21 voyages à l’étranger décrits par le demandeur étaient justifiés par un traitement pour son fils autiste. Aucun des dossiers relatifs aux autres voyages, présentés au juge de la citoyenneté, n’indiquait que les voyages avaient été faits, voire en partie, pour l’obtention d’un traitement médical; les affaires, les vacances et le tourisme ont été donnés comme motifs. L’avocat du demandeur a demandé à la Cour de supposer que l’absence de dossier sur le traitement de l’autisme découlait de l’embarras ou de la honte que ressentaient les parents. Il n’y a aucune preuve à ce sujet, et la Cour n’est pas prête à faire une telle hypothèse et à substituer son opinion à celle du juge de la citoyenneté sur ce point.

 

B.         Erreurs de droit

[17]           Le problème dans cette décision ne porte pas tant sur l’évaluation des faits; le dossier du demandeur et les arguments qu’il a présentés au juge de la citoyenneté sont au mieux source de confusion. Le problème porte sur l’analyse juridique faite par le juge de la citoyenneté.

 

[18]           Avec égards pour le juge de la citoyenneté, j’ai relevé trois erreurs de droit qui touchent le cœur de la décision et qui justifient que j’accueille le présent appel.

 

[19]           La première erreur se rapporte à l’omission du juge de la citoyenneté de tirer une conclusion quant à savoir si le demandeur avait établi sa résidence avant la période de référence. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xiong, 2004 CF 1129, j’ai conclu que le juge de la citoyenneté doit d’abord examiner, lorsque le dossier permet de le faire, si le demandeur a établi sa résidence dans la période qui a précédé la période de référence de quatre ans et, si la réponse est positive, il doit se demander si le demandeur a maintenu sa résidence pendant la durée requise au cours de la période de référence.

 

[20]           Il y avait suffisamment d’éléments au dossier pour soulever la question de la résidence antérieure, mais le juge de la citoyenneté ne s’est pas livré à cette analyse. À cet égard, le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes en ce qui concerne les documents sur cette question ou qu’il n’y a pas certaines incohérences au dossier. Cependant, je suis d’avis que le juge de la citoyenneté avait l’obligation d’examiner si le demandeur avait établi sa résidence, plus particulièrement compte tenu du fait que le demandeur et sa famille avaient passé 12 ans au Canada, s’ils étaient propriétaires d’une résidence, que des membres de la famille étaient devenus des citoyens canadiens et que le demandeur, qui avait voyagé du Canada vers d’autres destinations, comme Hong Kong, était toujours revenu au Canada.

 

[21]           La deuxième erreur de droit se rapporte à l’importance accordée par le juge de la citoyenneté au nombre de jours pendant lesquels le demandeur avait été effectivement présent au Canada.

 

[22]           Il est bien établi en droit que la Cour a interprété de maintes façons la condition de résidence. Il en résulte toutefois un résultat vraiment malheureux. Le juge Lutfy (maintenant juge en chef de la Cour) dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, a conclu qu’il était loisible au juge de la citoyenneté d’adhérer à l’une ou l’autre des conditions établies par les courants jurisprudentiels contradictoires de la Cour : (1) le calcul strict du nombre de jours de présence physique (Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122); (2) la qualité des attaches, (Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208); ou (3) le mode de vie centralisé au Canada (Koo (Re)).

 

[23]           En toute déférence, je ne vois pas comment on peut décider de la citoyenneté d’une personne simplement au hasard, selon la condition que le juge de la citoyenneté choisit d’appliquer. Cette question doit être absolument réglée puisqu’il est impossible d’interjeter appel d’une décision pour obtenir la décision définitive de la Cour d’appel fédérale.

 

[24]           La condition d’une présence strictement physique n’a plus beaucoup d’utilité, si elle en a encore une, et elle n’exigerait pas vraiment (si elle était la condition appropriée) l’intervention du juge de la citoyenneté dans le calcul mathématique de la période de présence physique.

 

[25]           De toute façon, dans la présente affaire, le juge de la citoyenneté a choisi de fonder son analyse sur la condition énoncée dans Koo (Re). Cependant, le juge de la citoyenneté a continué d’accorder beaucoup d’importance à des aspects relatifs à la présence strictement physique et à l’omission d’avoir établi une présence de 1 095 jours au Canada. À cet égard, le juge de la citoyenneté a commis une erreur similaire à celle relevée par la juge Heneghan dans Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 206 F.T.R. 10, au paragraphe 7 :

À mon avis, il apparaît que le juge de la citoyenneté a utilisé une combinaison de deux critères, savoir le critère fondé sur le calcul strict du nombre de jours de présence physique et celui des attaches importantes énoncé dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.).

 

[26]           Et enfin, ce qui est le plus important, le juge de la citoyenneté n’a pas bien examiné ce qu’on appelle communément la question 6 de l’analyse établie dans la décision Koo (Re), qui est la suivante : « Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays? »

 

[27]           Bien que les tribunaux aient reconnu que le citoyen non canadien résidant au Canada qui retourne dans son pays d’origine pendant la période de référence soulève des questions plus complexes quant à la résidence que le même citoyen qui voyage dans un pays autre que son pays d’origine, ce facteur doit néanmoins être examiné en soi.

 

[28]           Comme l’a conclu le juge Russell dans Pourzand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 395, la sixième question oblige le juge de la citoyenneté à procéder à une comparaison pour déterminer si les attaches du demandeur avec le Canada sont plus importantes que celles qui peuvent exister avec tout autre pays.

 

[29]           Le juge de la citoyenneté a conclu en l’espèce, compte tenu des absences fréquentes durant la période de référence, que le demandeur avait encore des attaches solides avec Hong Kong. Il se peut fort bien que cette conclusion ait reposé sur la preuve de la location d’un appartement pour voyages d’affaires et, tout particulièrement, sur le nombre de voyages effectués. Cependant, le juge ne s’est pas demandé si le demandeur possédait des propriétés ailleurs, et il n’a pas tenu compte du fait que le demandeur était revenu au Canada après chacune de ses absences ou si ses séjours à Hong Kong et dans d’autres pays n’étaient que temporaires et liés au travail. Certains de ces facteurs sont également pertinents pour répondre à la question 5 de la décision Koo (Re), mais toujours est-il que le juge de la citoyenneté n’a pas procédé à l’analyse comparative sur les attaches comme le veut cette même décision.

 

IV.       CONCLUSION

[30]           Pour les motifs susmentionnés, je conclus que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit et que l’appel sera accueilli. En tirant cette conclusion, je souligne que la qualité de la demande et des dossiers présentés par le demandeur sont une des sources des conclusions de fait défavorables tirées et qui, quel que soit le critère de raisonnabilité appliqué, seraient maintenues. Le présent appel est accueilli sur le seul fondement des erreurs de droit commises.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli et que l’affaire soit renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvelle décision.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            T-1165-07

 

INTITULÉ :                                                                           SHING TIMOTHY WONG

                                                                                                c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 10 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                                           LE 12 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sheldon Robins

 

                        POUR LE DEMANDEUR

Leena Jaakkimainen

 

                      POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sheldon Robins

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                       POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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