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Date : 20080606

Dossier : IMM‑4391‑07

Référence : 2008 CF 709

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2008

En présence de madame la juge Layden‑Stevenson

 

ENTRE :

CHRISTEL PENA VARGAS

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Mme Vargas, une Mexicaine âgée de 29 ans, est arrivée au Canada en mars 2005. Elle a demandé l’asile en avril 2006. La Section de la protection des réfugiés (la Commission) a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité et a conclu que ses actions ne s’accordaient pas avec sa crainte prétendue. La Commission a conclu aussi qu’elle pouvait obtenir de l’État, dans le District fédéral de la capitale (Mexico), une protection suffisante. Elle a rejeté sa demande d’asile.

 

[2]        Mme Vargas prétend que la Commission a laissé de côté et mal appliqué des éléments de preuve cruciaux quand elle a tiré sa conclusion défavorable quant à la crédibilité. Elle affirme aussi que la conclusion de la Commission selon laquelle elle pouvait obtenir une protection suffisante était déraisonnable et erronée en droit.

 

[3]        Je conclus, pour les motifs qui suivent, que la demande devrait être accueillie.

 

Le contexte

[4]        Mme Vargas a travaillé durant plusieurs années comme adjointe aux relations publiques, au siège du Comité exécutif national du puissant Parti révolutionnaire institutionnel (le PRI). Quand le PRI perdit l’élection présidentielle de 2000, le président du Comité exécutif a démissionné et fut remplacé par M. Roberto Madrazo. La loyauté de Mme Vargas envers le nouveau président fut examinée de près et mise en doute.

 

[5]        En septembre 2003, Mme Vargas fut informée qu’elle allait être licenciée et qu’elle recevrait 7 000 pesos (700 $US) si elle démissionnait de son plein gré. Mme Vargas estimait que, eu égard à ses états de service, elle avait droit à 50 000 pesos (5 000 $US). Après avoir consulté son avocat, elle a introduit une action pour congédiement illégal contre le PRI et contre M. Madrazo. Peu après, elle a reçu un appel téléphonique. On lui conseillait de ne pas aller plus loin dans sa poursuite. Le jour où devaient avoir lieu les comparutions devant le tribunal, elle a reçu (ainsi que son avocat) des appels téléphoniques avec comme message qu’elle devait accepter la somme offerte.

 

[6]        Mme Vargas s’est installée ailleurs afin de trouver un emploi. Elle attribut son échec dans ses recherches au fait que le PRI avait sans doute présenté à son sujet des références peu avantageuses. En septembre 2004, les freins de son véhicule ont cédé de manière inexplicable. Sa voiture est entrée en collision avec un camion; elle a subi des blessures et fut hospitalisée durant plus d’un mois.

 

[7]        À sa sortie de l’hôpital, Mme Vargas est allée vivre chez sa mère et sa sœur. Lorsqu’elle commença de recevoir des menaces par téléphone, le trio s’est installé ailleurs. Mme Vargas a fait part à son avocat de son intention de quitter le pays en raison de la situation. Par procuration écrite, elle faisait de son avocat son représentant et l’autorisait à continuer la poursuite.

 

[8]        Le 14 mars 2005, Mme Vargas est arrivée au Canada à la faveur d’un visa de visiteur d’une durée de six mois. Elle dit qu’elle n’était pas certaine de ses intentions à l’époque. Elle pensait retourner au Mexique quand la situation se rétablirait et que son procès aurait pris fin. Elle dit qu’elle n’envisageait pas de déposer une demande d’asile, notamment parce que l’information qu’elle présenterait à l’appui risquait d’aboutir entre les mains du gouvernement mexicain et donc du PRI. Après l’expiration de son visa de visiteur, Mme Vargas est restée au Canada, sans statut.

 

[9]        En janvier 2006, elle apprit que son avocat au Mexique était décédé. Cette information l’incita à consulter un avocat canadien. Après avoir reçu l’assurance de la confidentialité qui s’attache aux demandes d’asile, elle a présenté une demande d’asile en avril, alléguant une crainte de persécution fondée sur ses opinions politiques. Huit jours avant l’audition de sa demande, Mme Vargas apprit de sa mère que son avocat avait trouvé la mort dans un accident de voiture.

 

[10]      Mme Vargas dit que sa mère l’a informée en mai 2006 qu’un autre avocat avait pris la poursuite en main. En novembre de la même année, sa mère l’informa à nouveau qu’un troisième avocat avait pris en charge le dossier en raison du décès du second avocat.

 

[11]      Mme Vargas affirme que M. Madrazo considère qu’elle a trahi le PRI et elle dit qu’il n’hésiterait pas à la faire éliminer parce qu’elle est gênante. Elle n’a pas tenté de s’adresser à la police avant de quitter le Mexique.

 

[12]      Son avocat canadien lui a demandé de se soumettre à une évaluation psychologique. On a diagnostiqué chez elle un trouble de stress post‑traumatique, avec les symptômes qui s’y rattachent (le fait de revivre des événements traumatisants dans des cauchemars et des récurrences, le fait d’éviter les interactions sociales, le sentiment de frayeur, la vigilance extrême, l’irritabilité, etc.).

 

La décision

[13]      La Commission a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité et a conclu que les actions de Mme Vargas ne s’accordaient pas avec la crainte qu’elle disait ressentir. Elle a jugé aussi que Mme Vargas n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État. Elle a rejeté la demande d’asile.

 

La norme de contrôle

[14]      Une conclusion quant à la crédibilité est une conclusion de fait et elle doit donc être revue d’après les moyens énumérés dans l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 : arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38. Voir aussi l’arrêt Colistro c. BMO Banque de Montréal, 2008 CAF 154. La question de l’existence d’une protection de l’État est une question mixte de droit et de fait. Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, lorsque la norme de contrôle peut être établie par référence à la jurisprudence existante, il n’est pas nécessaire de faire l’analyse de la norme de contrôle. Tel est le cas ici. La norme de contrôle qui concerne une conclusion selon laquelle il existe une protection de l’État est celle de la décision raisonnable : Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58 (C.F.).

 

Analyse

[15]      La demanderesse reconnaît qu’elle doit faire admettre ses deux arguments pour pouvoir faire annuler la décision de la Commission.

 

La crédibilité

[16]      La demanderesse dit que la conclusion de la Commission selon laquelle elle avait tardé à demander l’asile a conduit la Commission a tiré une conclusion défavorable globale quant à sa crédibilité. Puisque la Commission a laissé de côté des preuves cruciales, sa conclusion quant à la crédibilité est viciée.

 

[17]      Les conclusions de fait doivent trouver appui dans la preuve, sans quoi elles peuvent être considérées comme erronées. Il était tout à fait loisible à la Commission de dire que Mme Vargas n’était pas crédible. Cependant, il est de longue date établi en droit que les conclusions quant à la crédibilité doivent être exprimées en termes clairs et précis : arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.).

[18]      La Commission a explicitement déclaré que « le fait qu’une longue période se soit écoulée avant que la demandeure d’asile ne présente sa demande n’est généralement pas une question déterminante ». Cependant, les raisons pour lesquelles elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité tiennent exclusivement à la lenteur de celle‑ci à demander l’asile. Plus précisément, la Commission a relevé que Mme Vargas avait passé au Canada environ 13 mois avant de déposer sa demande d’asile. Cette observation ne me cause aucune difficulté. Cependant, la Commission concluait aussi que, « [p]endant les premiers six mois, quand la demandeure d’asile avait un statut juridique au Canada, elle avait amplement le temps de s’informer sur les façons d’obtenir un statut juridique permanent au Canada ». [Non souligné dans l’original.] La Commission a considéré aussi que le niveau de compétences de la demanderesse était suffisant pour qu’elle fût en mesure de s’informer durant cette période. En arrivant à cette conclusion, la Commission a laissé de côté le témoignage de Mme Vargas qui disait que c’était après avoir appris le décès de son avocat qu’elle avait décidé de rester au Canada.

 

[19]      La lenteur à demander l’asile est un facteur pertinent (et important) à prendre en compte. Ce n’est pas un facteur déterminant : Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.).

 

[20]      Hormis la lenteur de la demanderesse à déposer sa demande d’asile, il est impossible de discerner, à partir de ses motifs, le fondement de la conclusion de la Commission. Les questions de crédibilité, de crainte subjective et de protection de l’État sont réunies. Dans une analyse sibylline censée constituer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, la Commission fait des références superficielles à la lenteur de la demanderesse à agir et au fait qu’elle ne s’est pas adressée aux autorités mexicaines. Il n’est pas fait état de l’évaluation psychologique ni, comme je l’ai dit plus haut, du témoignage de la demanderesse selon lequel c’était le décès de son avocat qui lui avait fait craindre un retour au Mexique.

 

[21]      Le poids qu’il convient d’accorder au témoignage de la demanderesse et au contenu du rapport psychologique est un aspect qu’il revient à la Commission de déterminer, mais la Commission ne doit pas laisser de côté des éléments de preuve qui sont pertinents à l’égard de la demande d’asile. Elle doit plutôt considérer ces éléments et dire pourquoi elle les rejette ou leur accorde peu de poids. Sans doute la Commission juge‑t‑elle problématique tel ou tel fait relaté par la demanderesse. Si tel est le cas, elle doit à tout le moins exposer les difficultés importantes qu’elle croit y déceler. Ici, la Commission n’évoque, s’agissant de la crédibilité de la demanderesse, aucun élément autre que sa lenteur à agir. La Commission a tiré une conclusion quant à la crédibilité sans tenir compte de la preuve et sans exprimer ses doutes d’une manière intelligible. Par conséquent, sa conclusion sur ce point ne peut être maintenue d’après la norme de contrôle applicable.

 

[22]      En outre, l’analyse qu’elle fait pour appuyer sa conclusion ne saurait être qualifiée de raisonnable, parce qu’elle ne laisse pas apparaître les attributs que sont la justification, la transparence et l’intelligibilité. Sur ce point, je reconnais avec le défendeur que la question en litige peut aisément se définir comme le caractère adéquat des motifs.

 

La protection de l’État

[23]      L’analyse de l’existence d’une protection de l’État est, elle aussi, déficiente. Le commissaire accorde beaucoup d’importance au fait que Mme Vargas a introduit une poursuite au Mexique. Parce que la demanderesse a pu accéder au système judiciaire à propos de son licenciement, la Commission en déduit qu’elle aurait accès, ou qu’elle devrait avoir accès, au système à propos des menaces dont elle était l’objet. Cette observation n’est pas sans justification, mais elle laisse néanmoins de côté le fait que les menaces prétendues ont été proférées à la suite du dépôt de la poursuite.

 

[24]      Mme Vargas a témoigné qu’elle a déménagé plusieurs fois pour chercher un emploi et trouver la sécurité. Elle interrogeait sans cesse son avocat à propos des menaces. La Commission est arrivée à la conclusion que sa demande d’asile était exagérée parce que « sa lettre d’emploi actuelle est des plus positives ». En fait, la lettre venait de l’ancien employeur (le PRI avant qu’il soit dirigé par M. Madrazo). Il incombait à la Commission de s’assurer de la description exacte de la preuve, et en particulier de celle qu’elle invoquait pour appuyer une conclusion.

 

[25]      Qui plus est, même si la Commission reconnaît, d’une manière générale, que l’impunité et la corruption sont endémiques au Mexique, elle a laissé de côté la volumineuse preuve documentaire qu’elle avait devant elle et qui portait explicitement sur le pouvoir et l’influence de M. Madrazo. Cette preuve était capitale pour la demande d’asile de Mme Vargas.

 

[26]      Finalement, pour ce qui concerne la question de la protection de l’État et le fait que la demanderesse ne s’est pas adressée aux autorités, la Commission ne dit rien (que ce soit en l’acceptant ou en le rejetant) sur le témoignage de Mme Vargas selon lequel, lorsqu’elle avait quitté le Mexique, elle comptait y retourner.

 

[27]      Il est bien possible que Mme Vargas puisse obtenir de l’État une protection. Cependant, la conclusion de la Commission, pour qui elle pouvait obtenir de l’État une protection, ne saurait être maintenue, au vu des motifs qu’elle a exposés. La Commission n’a pas bien analysé la question de la protection de l’État et sa décision est donc déraisonnable parce qu’elle est dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité.

 

[28]      Mme Vargas a établi, comme elle le devait, que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à l’existence d’une protection de l’État sont gravement déficientes. Il est impossible de dire que ces conclusions entrent dans un éventail d’issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de Mme Vargas doit être accueillie. Les avocats n’ont pas proposé qu’une question soit certifiée et aucune question du genre ne se pose ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés, pour nouvelle décision.

 

« Carolyn Layden‑Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste-traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4391‑07

 

INTITULÉ :                                       CHRISTEL PENA VARGAS

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 6 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

 

POUR LA DEMANDERESSE

Janet Chisholm

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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