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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080602

Dossier : IMM-6414-06

Référence : 2008 CF 689

Toronto (Ontario), le 2 juin 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

GEORGE FREDERICK NILAM

FLORENCE MONICA NILAM

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), par George Frederick Nilam et Florence Monica Nilam (les demandeurs) à l’égard de la décision, datée du 15 novembre 2006, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a statué que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé d’accueillir la demande de contrôle judiciaire.

 

Contexte

[3]               Les demandeurs sont des citoyens du Pakistan qui craignent d’être persécutés au Pakistan en raison de leur foi chrétienne et de leurs activités religieuses.

 

[4]               Entre 1953 et 1967, alors qu’il travaillait à la Telephone and Telegraph Company du Pakistan, le demandeur a été victime de harcèlement du fait de sa foi. De 1967 à 1995, le demandeur a travaillé à son propre compte. Pour compléter son revenu, il donnait des leçons particulières à des enfants musulmans et chrétiens chez lui. Les musulmans de sa communauté ne l’ont pas menacé directement, mais, aux dires du demandeur, il était souvent la cible de remontrances de leur part parce qu’il était chrétien et qu’il enseignait à des enfants musulmans.

 

[5]               Selon les demandeurs, les problèmes ont commencé en 2004 quand un nouveau chef religieux s’est joint à la mosquée de leur quartier. Après l’arrivée du maulvi, les réprimandes que lui adressaient ses voisins musulmans se sont transformées en menaces. Le demandeur prétend qu’en février 2004, le maulvi l’a arrêté dans la rue pour lui dire que s’il continuait de donner des cours à des enfants musulmans, il aurait de très graves ennuis. Par la suite, le nombre d’enfants musulmans dont il s’occupait a diminué jusqu’à ce qu’il ne lui reste que des élèves chrétiens. Il ajoute que le maulvi s’est rendu à son domicile en octobre 2004, accompagné de huit ou neuf hommes, et que l’un d’eux aurait collé un fusil sur sa tempe et menacé de tirer. Le maulvi l’a avisé qu’il devait soit se convertir à l’Islam soit aller vivre dans un pays chrétien. En outre, si le demandeur ne se convertissait pas, il serait accusé de blasphème.

 

[6]               À deux reprises, le demandeur a tenté d’obtenir la protection de la police mais, chaque fois, la police a refusé de l’aider. En février 2004, après la première rencontre avec le maulvi, les demandeurs se sont rendus au poste de police local pour déposer une plainte. Un gendarme qui se tenait debout à l’extérieur du poste a demandé au demandeur de s’identifier et d’expliquer pourquoi il était là, mais il n’a pas permis au couple d’entrer. Le gendarme a dit aux demandeurs que la police ne pouvait rien faire parce qu’il n’était encore rien arrivé. En octobre 2004, après une deuxième altercation avec le maulvi et les autres individus, le demandeur s’est de nouveau rendu au poste de police. En prenant connaissance du nom du demandeur, l’agent de service a su quelle était sa religion et il n’a pas réellement tenté de lui venir en aide.

 

Décision visée par le contrôle

[7]               La Commission a reconnu que les demandeurs étaient membres de la communauté chrétienne au Pakistan et qu’ils avaient été victimes de discrimination au travail et d’actes de violence sectaire perpétrés par des extrémistes musulmans. Toutefois, la Commission a décidé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[8]               La Commission a préféré fonder sa décision sur la preuve documentaire provenant de sources indépendantes qui n’étaient pas intéressées par l’issue de l’affaire plutôt que sur le témoignage du demandeur.

 

[9]               La Commission a noté que la preuve documentaire révélait que des actes de violence avaient été perpétrés contre les chrétiens. Toutefois, la Commission a également indiqué que le gouvernement décourageait ou condamnait ouvertement ces actes de violence. Elle a conclu qu’au Pakistan, la protection de l’État contre les extrémistes musulmans criminels n’était pas parfaite, mais qu’elle était néanmoins disponible et adéquate.

 

[10]           La Commission a également examiné les lois pakistanaises sur le blasphème et leur incidence sur la communauté chrétienne. Elle a fait observer qu’il arrivait souvent que ces lois soient invoquées dans le but de harceler et d’intimider les minorités religieuses. Toutefois, la Commission a conclu qu’il était peu probable que les demandeurs soient victimes des lois pakistanaises sur le blasphème puisqu’ils ne l’avaient jamais été et aussi parce qu’ils n’avaient jamais critiqué publiquement l’islam.

 

[11]           La Commission a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que les autorités gouvernementales pakistanaises empêchaient les chrétiens de pratiquer ouvertement et librement leur religion. 

 

Question en litige

[12]           La question déterminante en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en décidant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État au Pakistan.

 

Norme de contrôle

[13]           L’affaire a été entendue avant que la Cour suprême du Canada ne rende son jugement dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, qui a modifié la norme de contrôle applicable lors d’un contrôle judiciaire. Dorénavant, il n’y a que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 34). Avant Dunsmuir, la norme de contrôle en matière de protection de l’État lorsqu’il s’agissait d’une question mixte de fait et de droit était celle de la décision raisonnable simpliciter (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, au paragraphe 11). Au paragraphe 51 de Dunsmuir, la Cour suprême du Canada dit que la norme du caractère raisonnable doit dorénavant s’appliquer aux questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, c’est la norme qui doit s’appliquer en l’espèce (voir également : Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, au paragraphe 10).

 

Analyse

[14]           S’agissant de la décision de la Commission, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Il tient également à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). La justification exige que la décision soit prise compte tenu de la preuve dont le décideur est saisi. Une décision ne peut être raisonnable si elle ne se fonde pas sur la preuve (Katwaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 612, aux paragraphes 18 et 22).

 

[15]           Le témoignage des demandeurs concernant les deux demandes de protection faites à la police n’a pas été contesté. Un demandeur est présumé dire la vérité, sauf si la Commission a des raisons de croire qu’il n’est pas crédible (Katwaru , précité, au paragraphe 15). Ce n’est pas le cas en l’espèce. La Commission a uniquement dit qu’elle préférait la preuve documentaire aux preuves des demandeurs, mais elle n’a donné aucune raison pouvant justifier le rejet du témoignage du demandeur au sujet des deux demandes de protection qui sont demeurées vaines. Ce faisant, la Commission n’a pas tenu compte d’une preuve pertinente dont elle était saisie avant de décider que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État.

 

[16]           De plus, il est loisible à la Commission d’accorder préséance à une preuve documentaire plutôt qu’à une autre preuve, mais la préférence ne peut être fondée sur le fait que le demandeur a un intérêt dans l’issue de l’audience. Tous les demandeurs ont un intérêt dans l’issue de leur cause. La Commission dit avoir préféré la preuve documentaire au témoignage des demandeurs puisqu’elle provenait de sources fiables et indépendantes qui n’avaient aucun intérêt dans l’issue de l’affaire (dossier du tribunal, 62). Cette position va à l’encontre de celle de la Cour d’appel fédérale énoncée dans Maldonado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, à savoir que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé être véridique. La juge Snider a discuté de cette question dans Coitinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037, au paragraphe 7 et, selon moi, ses observations sont tout à fait pertinentes en l’espèce :

7     La Commission tire ensuite une conclusion très troublante. Sans affirmer que la preuve présentée par les demandeurs n’est pas crédible, la Commission accorde plus de poids à la preuve documentaire parce qu’elle provient de sources connues, informées et qui n’ont aucun intérêt dans l’issue de la présente audience. Cela revient à dire qu’on devrait toujours privilégier la preuve documentaire aux dépens de la preuve présentée par le demandeur d’asile parce que ce dernier a un intérêt dans l’issue de l’audience. Si on l’acceptait, ce raisonnement aurait pour effet de toujours écarter la preuve soumise par un demandeur d’asile. La décision de la Commission ne fait pas état des raisons pour lesquelles la preuve présentée par les demandeurs, bien qu’elle fût censée être présumée véridique (Adu, précité), a été jugée suspecte. De plus, ce raisonnement ne tient pas eu égard aux faits de la présente affaire.

 

[17]           J’estime que la décision de la Commission, prise sans égard à la preuve pertinente dont elle était saisie, est déraisonnable. 

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[19]           Aucune question d’importance générale n’a été soumise aux fins de certification.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

2.                  Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                         IMM-6414-06

 

 

INTITULÉ :                                        George Frederick Nilam et al.

                                                            c.

MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 9 janvier 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mandamin

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Waikwa Wanyoike                               POUR LES DEMANDEURS

 

 

Marianne Zoric                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waikwa Wanyoike

Avocat

Toronto (Ontario)                                 POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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