Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080522

Dossier : IMM-4775-07

Référence : 2008 CF 651

Toronto (Ontario), le 22 mai 2008

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

SAID ALFONSECA ANDRADE,

 XOCHITL TECALCO OLAGUEZ,

 ELENA ALFONSECA TECALCO,

 LUDWIG ALFONSECA TECALCO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils peuvent se prévaloir d’une protection de l’État adéquate au Mexique.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission a commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État et que les deux conclusions défavorables relatives à la crédibilité qu’elle a tirées n’étaient pas raisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

I. Le contexte

 

[3]               Said Alfonseca Andrade travaillait en qualité d’agent des finances au sein de l’administration de la ville de San Juan de Rio, dont la mairesse était une certaine Mme Lopez. Il soutient qu’au cours de son travail, il a découvert que des fonds qui avaient été affectés à la construction d’une route étaient détournés au bénéfice de membres de la famille de Mme Lopez.

 

[4]               Le demandeur principal craignait Mme Lopez, qui était sans contredit une personne très influente. Non seulement était‑elle une puissante politicienne, mais son mari avait été un officier supérieur de la police fédérale.

 

[5]               Dans le but de se protéger dans l’éventualité d’une vérification ou d’une enquête, le demandeur principal affirme qu’il a photocopié des documents relatifs au détournement des fonds affectés à la construction de la route. Il affirme avoir alors tenté de démissionner, mais que Mme Lopez a refusé d’accepter sa démission. Peu de temps après, le demandeur principal a cessé de se présenter au travail.

 

[6]               Le demandeur principal allègue que, quelques jours plus tard, lui et son épouse ont été victimes d’un grave accident automobile, lequel selon le demandeur aurait été organisé par Mme Lopez. Il a informé la police de l’accident automobile, laquelle a rédigé un rapport. Bien que le rapport fasse bel et bien état du soupçon du demandeur selon lequel « l’accident » était relié à des problèmes au travail, Mme Lopez n’y est pas nommément mentionnée. Le demandeur affirme que l’agent de police a refusé de prendre en note qu’il croyait que Mme Lopez était l’instigatrice de l’accident.

 

[7]               Environ une semaine plus tard, le demandeur affirme que des personnes se sont introduites par effraction dans la maison familiale, et que les documents concernant la construction de la route ont été volés. Il s’est présenté de nouveau à la police pour déclarer le vol, et le rapport mentionne que ces documents ont été volés, même si, encore une fois, il n’y a aucune mention de la conviction du demandeur selon laquelle c’était Mme Lopez qui était l’instigatrice de l’introduction par effraction.

 

[8]               La police a, à ce qu’il paraît, enquêté sur les deux incidents. Elle a conclu que « l’accident » automobile n’était en aucun cas un accident, et que l’automobile avait délibérément été poussée en dehors de la route. Cependant, personne n’a été arrêté ou accusé pour l’un ou l’autre des crimes parce que la police a conclu que la preuve dont elle disposait ne justifiait pas de porter des accusations contre quelqu’un.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent également qu’à la suite de l’introduction par effraction dans leur maison, ils ont déménagé à plusieurs reprises dans d’autres villes, mais que les complices de Mme Lopez ont toujours été capables de les retrouver.

 

[10]           Le demandeur principal affirme que les agents de la police d’État étaient corrompus, qu’ils protégeaient Mme Lopez et qu’en raison de l’influence qu’a toujours Mme Lopez au Mexique, sa famille continue d’être en danger.

 

[11]           La Commission a, entre autres, conclu que Mme Lopez n’occupait plus une position influente et que, de toute façon, les demandeurs pouvaient se prévaloir d’une protection de l’État adéquate au Mexique.

 

 

II. La norme de contrôle

[12]           Les questions en litige dans la présente affaire concernent les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission et son analyse relative à la protection de l’État. La norme applicable à ces deux questions est la raisonnabilité : voir Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, et Valdez Mendoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration ), 2008 CF 387.

 

[13]           Comme l’a récemment établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. no 9, lors de l’application de la raisonnabilité comme norme de contrôle d’une décision, la cour qui effectue le contrôle doit tenir compte de la justification de la décision et de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel. Elle doit également se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir, paragraphe 47.

III. Analyse

 

[14]           La Commission semble avoir accepté comme véridique la plus grande partie du récit des demandeurs : elle a seulement tiré deux conclusions défavorables relatives à la crédibilité. Elle n’a pas accepté que le demandeur eût dit à la police qu’il croyait que Mme Lopez était l’instigatrice de l’accident automobile, parce que son nom n’était pas mentionné dans le rapport. La Commission n’a pas accepté non plus que Mme Lopez eût eu encore de l’influence et qu’elle eût présenté encore un danger pour les demandeurs.

 

[15]           En ce qui concerne la première conclusion défavorable relative à la crédibilité, le demandeur principal a expliqué dans son témoignage qu’il avait dit à la police qu’il pensait que Mme Lopez était l’instigatrice de l’accident, mais que l’agent de police avait refusé de prendre en note le nom de Mme Lopez, apparemment parce qu’elle était titulaire de fonctions officielles et qu’elle n’avait pas été vue sur les lieux de l’accident. La Commission a conclu que cette explication n’était pas satisfaisante.

 

[16]           Étant donné que la Commission a accepté que le demandeur principal avait demandé l’aide de la police concernant l’accident automobile et qu’il lui avait même dit qu’il croyait que l’accident était lié à ce qui se passait à son travail, il serait invraisemblable qu’il n’eût pas donné le nom de Mme Lopez à la police puisqu’il croyait qu’elle avait organisé l’accident.

 

[17]           En outre, lorsqu’elle a rejeté l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle le nom de Mme Lopez n’était pas mentionné dans le rapport de police, explication qu’elle n’a « pas [estimé] satisfaisante », la Commission ne semble pas avoir compris un élément essentiel de la demande : le demandeur croyait que les agents de police étaient corrompus et qu’ils s’étaient ligués pour protéger Mme Lopez.

 

[18]           Pose également un problème la conclusion de la Commission selon laquelle Mme Lopez n’aurait plus eu d’influence au Mexique parce que son mari n’était plus officier supérieur dans la police, qu’elle n’était plus mairesse et qu’elle avait été accusée de vol.

 

[19]           Sur la question de l’influence de Mme Lopez, la Commission a omis d’apprécier la preuve selon laquelle Mme Lopez avait toujours des liens étroits avec son parti, qu’un certain nombre de membres de sa famille étaient des politiciens et qu’elle possédait toujours une grande influence. De plus, la Commission n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur selon lequel le départ à la retraite comme policier du mari de Mme Lopez n’avait pas eu pour effet de couper tous ses liens avec la police et d’éliminer son influence.

 

[20]           L’analyse relative à la protection de l’État effectuée par la Commission comporte une erreur semblable. En particulier, la plus grande partie de l’analyse de la Commission porte sur l’examen des efforts qui ont été déployés pour combattre la corruption au sein de la police fédérale et des moyens que peuvent utiliser les personnes qui veulent porter plainte à l’échelon fédéral contre les activités de la police.

 

[21]           L’analyse relative à la protection de l’État effectuée par la Commission pose un problème, car selon les demandeurs c’est la police d’État qui travaillait de concert avec Mme Lopez et qui leur avait refusé sa protection.

 

[22]           Enfin, la Commission a conclu qu’il était possible de porter plainte aux autorités fédérales contre les titulaires de fonctions officielles; elle justifie sa conclusion à l’aide d’un article de journal concernant les accusations criminelles fédérales qui avaient été portées contre Mme Lopez. Cependant, il semble que la Commission ait tiré cette conclusion sans tenir compte de l’explication du demandeur principal selon laquelle Mme Lopez avait été accusée d’avoir volé des fonds fédéraux, ce qui faisait en sorte que c’était un tribunal de juridiction fédérale qui avait été saisi de l’affaire, alors que les incidents relatifs au demandeur principal concernaient des affaires qui relevaient de la compétence des États, affaires qui étaient donc du ressort exclusif de la police d’État.

 

 

IV. Conclusion

 

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

V. La certification

 

[24]           Les parties n’ont pas proposé de questions aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle;

 

            2.         qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4775-07

 

INTITULÉ :                                                   SAID ALFONSECA ANDRADE, XOCHITL TECALCO OLAGUEZ, ELENA ALFONSECA TECALCO, LUDWIG ALFONSECA TECALCO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen

 

POUR LES DEMANDEURS

Ned Djordjevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neil Cohen

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.