Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080417

Dossier : T‑270‑07

Référence : 2008 CF 502

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

MAHER ZAYTOUN

demandeur

et

 

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LES DEMANDES

 

[1]               Il est demandé à la Cour d’examiner deux décisions découlant du processus de dotation de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence). La première demande, déposée par l’Agence, concerne une décision prise par une tierce partie indépendante (la TPI), en date du 6 octobre 2006 (la décision de la TPI), conformément à la Politique de l’Agence relative aux recours en dotation (la Politique). Le Dr Maher Zaytoun dépose quant à lui sa propre demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision prise par le directeur exécutif (le directeur) de l’Agence le 12 janvier 2007 (la décision du directeur), décision qui concernait les mesures correctives prises par l’Agence en réponse à la décision de la TPI.

 

[2]               L’Agence demande que soit rendue une ordonnance annulant la décision de la TPI ou, subsidiairement, une ordonnance renvoyant l’affaire à une TPI, pour nouvelle décision conforme aux directives de la Cour. L’Agence demande aussi que les dépens lui soient adjugés.

 

[3]               Le Dr Zaytoun sollicite une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire déposée par l’Agence, et une ordonnance annulant la décision du directeur, laquelle, selon lui, ne donnait pas effet à la décision de la TPI.

 

LE CONTEXTE

 

            Le cadre général

 

[4]               Le législateur fédéral a conféré à l’Agence le droit et le pouvoir exclusifs de nommer les employés qu’elle juge nécessaires à la bonne conduite de ses affaires.

 

[5]               Le 1er novembre 2005, l’Agence a donné effet à la Politique, laquelle établit les recours offerts aux employés touchés par des décisions de dotation.

 

[6]               La Politique prévoit qu’un plaignant qui souhaite exercer un recours en dotation doit présenter une plainte écrite à un gestionnaire délégué. Si la plainte est complète, elle est alors examinée. Cette étape des recours en dotation peut comporter une série de discussions entre le plaignant et un gestionnaire délégué.

 

[7]               Si le plaignant n’est pas satisfait de l’examen de la plainte, il peut demander que la décision du gestionnaire délégué soit examinée par le gestionnaire de niveau 3 de ce gestionnaire. Les motifs de cette demande d’examen sont que, d’après le plaignant, la plainte n’a pas été résolue, ou que le gestionnaire délégué n’a pas été coopératif dans le processus du recours en dotation.

 

[8]               Le processus du recours en dotation passe à l’échelon final – l’examen impartial de la plainte – si le plaignant et le gestionnaire de niveau 3 ne sont pas en mesure de régler la plainte. La TPI est choisie d’après une liste de TPI ou est partie à un contrat de fourniture de services, s’il existe une telle liste ou un tel contrat, ou, s’il n’y a ni liste de TPI ni fournisseur de services, elle est choisie par entente mutuelle entre le gestionnaire de niveau 3 et le plaignant.

 

[9]               L’examen indépendant peut prendre plusieurs formes, qui vont du simple examen sur pièces à une audience en règle. La TPI a le pouvoir discrétionnaire de fixer la procédure d’examen. Le plaignant peut se faire aider par un représentant de l’agent négociateur ou par quelqu’un d’autre tout au long du processus de recours. Le gestionnaire délégué et les gestionnaires de niveau 3 peuvent se faire aider par un conseiller en ressources humaines et/ou par une autre personne tout au long du processus de recours.

 

[10]           La TPI doit présenter ses conclusions dans un délai de 30 jours après que la plainte eut été renvoyée pour examen indépendant.

 

[11]           Les conclusions de la TPI sont réputées constituer la décision finale du recours en dotation « sauf si le gestionnaire de niveau 3 estime que ces conclusions sont fondées sur des erreurs de fait ou des omissions ». Le gestionnaire de niveau 3 pourra alors recommander au président de l’Agence d’examiner les conclusions. Le président examine ensuite les conclusions de la TPI et présente la décision finale du recours en dotation au plaignant et au gestionnaire de niveau 3.

 

La sélection de dotation dans la présente affaire

 

[12]           Le Dr Zaytoun est un employé de l’Agence. Il était un candidat rejeté dans le processus de dotation VM‑01 AH 05‑ICA‑CC‑IND‑B117 (le processus de dotation) destiné à pourvoir des postes en santé animale, aux groupe et niveau VM‑01.

 

[13]           Le 11 janvier 2006, il a déposé une plainte modifiée à l’égard du processus de dotation conformément à la Politique de l’Agence.

 

[14]           Le Dr Zaytoun et l’Agence ont remis à la TPI un exposé conjoint des faits. Les faits suivants ne sont pas contestés :

a)                  Tous les candidats au processus de dotation devaient se présenter à une entrevue et subir un examen écrit. Les entrevues et les examens écrits se sont déroulés sur une période de quatre jours, du 11 octobre au 14 octobre 2005;

b)                  Le jury de sélection ne savait pas si un candidat était lié à un autre;

c)                  Tous les candidats ont été avertis de ne pas discuter de l’évaluation avec les autres candidats;

d)                  Le Dr Nanhar et le Dr Sandhu sont mari et femme et ils étaient candidats dans le processus de dotation. Ils n’ont pas été évalués le même jour. Tous deux remplissaient les exigences du poste et leurs noms ont été inscrits sur une liste d’admissibilité;

e)                  Le Dr Zaytoun n’a pas contesté la décision du jury de sélection selon laquelle les Drs Nanhar et Sandhu étaient qualifiés pour le poste, et il n’a pas contesté non plus sa conclusion selon laquelle lui‑même n’était pas qualifié;

f)                    Rien ne prouve que le Dr Nanhar (qui a subi l’entrevue le premier) a communiqué au Dr Sandhu des renseignements sur l’évaluation.

 

[15]           Le Dr Zaytoun a prétendu que le processus de dotation contrevenait aux valeurs de l’Agence en matière de dotation, à savoir l’équité et la compétence, parce que deux candidats reçus, le Dr Nanhar et le Dr Sandhu, étaient mariés l’un avec l’autre et n’avaient pas passé l’examen écrit le même jour. Le Dr Zaytoun a prétendu que le Dr Nanhar aurait été à même de communiquer des informations concernant l’examen au Dr Sandhu, et, selon lui, cela engendrait une impression d’injustice.

 

[16]           Le Dr Zaytoun et l’Agence ont remis des observations écrites à la TPI. Le 6 octobre 2006, la TPI a rendu sa décision, dans laquelle elle concluait que [traduction] « la décision de mener des entrevues et d’administrer un examen écrit à deux personnes formant un couple, et cela à des dates différentes, a vicié le processus d’embauche et a contrevenu aux valeurs de l’Agence, à savoir l’équité et la compétence ». La TPI ajoutait que l’Agence aurait dû recueillir des renseignements sur la situation matrimoniale des candidats, afin de pouvoir organiser les entrevues en conséquence.

 

[17]           Le 14 novembre 2006, le directeur a écrit au Dr Zaytoun pour lui exprimer ses réserves concernant la mise en œuvre de la décision de la TPI et lui a annoncé son intention d’obtenir plus ample avis en sollicitant un avis juridique du propre avocat de l’Agence.

 

[18]           Le 12 janvier 2007, le directeur a écrit de nouveau au Dr Zaytoun. Il lui expliquait que, selon lui, la TPI s’était trompée dans sa manière d’interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, et la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21. Dans sa lettre, il disait vouloir appliquer la mesure corrective suivante :

[traduction]

Par conséquent, à titre de mesures correctives en réponse à ce rapport, je demanderai au directeur exécutif adjoint, avec l’appui du gestionnaire régional des ressources humaines, de travailler avec l’équipe de la gestion des opérations en Ontario et avec les Ressources humaines pour s’assurer que, à l’avenir, tous les candidats soient clairement et systématiquement informés de leur obligation de préserver le caractère confidentiel des entrevues et des examens durant les processus de sélection, et informés aussi des conséquences possibles qui découleraient d’une violation de cette obligation. Aller au‑delà et recueillir des renseignements personnels sur la situation matrimoniale des candidats constituerait une atteinte à la vie privée des employés et exposerait l’employeur à des accusations de comportement discriminatoire.

 

[19]           L’Agence avertissait déjà systématiquement les candidats de leur obligation de préserver le caractère confidentiel des entrevues et des examens durant les processus de sélection, y compris le processus de dotation qui était à l’origine de la plainte du Dr Zaytoun.

 

LES DÉCISIONS CONTESTÉES

 

            La décision de la TPI

 

[20]           Avant de trancher les questions de fond soulevées par la plainte du Dr Zaytoun, la TPI a considéré la nature de la plainte et le champ de ses pouvoirs pour savoir si la plainte était une plainte autorisée par la Politique de l’Agence. Plus précisément, elle s’est demandée si un candidat rejeté dans un exercice de dotation pouvait contester le processus de dotation sans avoir subi de préjudice.

 

[21]           La TPI  a considéré les voies de recours offertes aux employés de l’Agence qui souhaitent déposer une plainte portant sur un processus ou une décision de dotation et il a relevé que, selon la Politique, « un employé de l’ACIA qui présente une Déclaration de plainte au sujet d’un processus ou d’une décision de dotation ne peut pas déposer de grief contre le même processus ou la même décision de dotation conformément au paragraphe 208(5) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ».

 

[22]           La TPI a alors conclu que le texte général de la Politique n’est pas aussi restrictif que les procédures traditionnelles d’examen des griefs, parce que la Politique englobe à la fois les plaintes individuelles et les plaintes générales. Selon la TPI, il ressort clairement du texte de la Politique que :

[traduction] l’objet de la Politique sur le recours en dotation est d’éliminer la pratique consistant à restreindre les recours aux seules personnes qui ont subi un préjudice dans un processus de dotation […] La Politique ne limite pas le bénéfice du processus des recours aux candidats qui disent avoir subi un préjudice au motif que l’Agence aurait manqué à ses obligations légales et à ses lignes de conduite et ses valeurs en matière de dotation.

 

Ainsi, bien que le Dr Zaytoun eut été déclaré non qualifié pour le poste et qu’il n’ait subi aucun préjudice en conséquence du processus de dotation, la TPI a statué que la Politique autorisait l’examen de sa plainte parce qu’il était fondé à savoir si la procédure suivie par l’Agence était conforme aux obligations légales de l’Agence, à sa Politique et à ses valeurs en matière de dotation. Cette conclusion, selon la TPI, découle de l’interprétation du texte même de la Politique et elle est appuyée par les écarts entre les régimes de règlement des différends en matière de dotation, à savoir la Politique de l’Agence d’une part, et les procédures traditionnelles d’examen des griefs d’autre part.

 

[23]           La TPI a ensuite considéré l’effet de la Loi sur la protection des renseignements personnels sur les allégations d’injustice du Dr Zaytoun et sur les mesures correctives qu’il préconisait. Elle a reconnu avec l’Agence que la divulgation de l’état matrimonial d’un candidat constituerait une violation de ladite Loi, étant donné que ce renseignement ne serait pas recueilli à des fins qui s’accordent avec sa divulgation. Cependant, elle a finalement conclu que [traduction] « l’Agence aurait dû recueillir ce renseignement […] pour organiser les entrevues et les examens d’une manière qui semble juste pour tous les candidats, un objet qui s’accorde avec les exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et qui est donc autorisé ».

 

[24]           Finalement, après avoir reconnu que l’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne est de faire en sorte qu’une personne ne subisse pas une différence de traitement fondée sur des considérations hors de propos, et après avoir admis avec l’Agence que l’état matrimonial n’est pas un facteur servant à déterminer les compétences d’un candidat ou son aptitude à occuper un emploi, la TPI a jugé que l’état matrimonial [traduction] « peut constituer un renseignement très utile à des fins d’organisation pour s’assurer que les parties sont traitées de la même façon dans un concours et qu’aucun candidat ne bénéficie d’un avantage injustifié ». Elle ajoutait que, en raison de la nature de la relation conjugale, des précautions particulières devraient être prises lorsque des conjoints se présentent à un concours organisé pour le même poste parce que [traduction] « les liens d’amour et d’affection qui sont au cœur de la relation conduit les conjoints à faire l’un pour l’autre des choses que l’on n’attendrait pas de la part d’amis ou de connaissances ».

 

[25]           La TPI concluait ainsi :

[traduction]

La décision de mener des entrevues et d’administrer un examen écrit à deux personnes formant un couple, et cela à des dates différentes, a vicié le processus d’embauche et a contrevenu aux valeurs de l’Agence, à savoir l’équité et la compétence. Afin de mener un processus d’embauche qui soit conforme à ses valeurs en matière de dotation, l’Agence aurait dû régler la question de l’état matrimonial des candidats.

 

Si l’Agence avait agi de la sorte, de conclure la TPI, elle n’aurait pas contrevenu aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

La décision du directeur

 

[26]           En sa qualité de directeur exécutif de l’Agence, le directeur a écrit au Dr Zaytoun pour l’informer de la décision de l’Agence concernant les mesures correctives que l’Agence entendait appliquer en réponse à la décision de la TPI. La lettre du directeur, qui porte la date du 12 janvier 2007, constitue les motifs de la décision du directeur.

 

[27]           Selon le directeur, les recommandations de la TPI exposeraient l’Agence à une plainte au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. D’après lui, le fait de recueillir des renseignements sur l’état matrimonial de candidats et d’organiser les entrevues en conséquence reviendrait à appliquer une différence de traitement à un employé en raison de son état matrimonial, ce qui est un motif de distinction illicite.

 

[28]           Le directeur estimait aussi que la TPI avait erré dans sa manière d’appliquer la Loi sur la protection des renseignements personnels :

[traduction]

[…] la TPI confond, dans son analyse selon la Loi sur la protection des renseignements personnels, la divulgation de renseignements et la collecte de renseignements. Elle écrit que le renseignement concernant l’état matrimonial ne serait pas divulgué aux tiers […] et qu’il n’y aurait donc aucune violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cependant, ce que cette loi interdit, c’est la simple collecte de renseignements personnels par une institution fédérale, à moins que cette collecte n’entre dans l’exception suivante : article 4 : Les seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités.

 

 

[29]           Le directeur s’est expliqué davantage sur ce qu’il voyait comme l’incapacité de l’Agence de recueillir des renseignements personnels, compte tenu de la Loi sur la protection des renseignements personnels :

[traduction]

Le fait de s’enquérir de l’état matrimonial de candidats n’a aucun lien direct avec les programmes ou les activités de l’Agence. S’agissant de dotation, les renseignements personnels sont obtenus aux fins de déterminer les compétences d’un candidat et son aptitude à occuper un emploi. L’état matrimonial d’une personne n’est pas rattachée à ces objectifs du processus de dotation. Pareillement, il n’y aurait aucune raison d’exiger de tous les candidats à un concours qu’ils communiquent des renseignements sur leurs liens personnels avec d’autres candidats. Si une telle politique était établie, il faudrait alors que le jury de sélection révèle le nom des candidats au concours, ce qui constituerait une communication de renseignements personnels, laquelle est interdite par la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

 

[30]           Le directeur concluait en expliquant que, même s’il lui appartenait d’établir les mesures correctives à appliquer dans la présente affaire, il lui appartenait aussi de respecter les droits des employés en général, ainsi que les obligations de l’Agence au titre de toutes les lois applicables.

 

[31]           Se fondant sur les motifs évoqués plus haut, le directeur a décidé que la mesure corrective qui s’imposait consisterait [traduction] à « s’assurer que, à l’avenir, tous les candidats soient clairement et systématiquement informés de leur obligation de préserver le caractère confidentiel des entrevues et des examens durant les processus de sélection, et informés aussi des conséquences possibles qui découleraient d’une violation de cette obligation ».

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[32]           Les points soulevés dans ces demandes sont les suivants :

a)                  La demande de contrôle judiciaire déposée par l’Agence contre la décision de la TPI soulève les points suivants :

(i)                 Quelle norme de contrôle faut‑il appliquer à la décision d’une TPI?

 

(ii)                 Une apparence d’injustice constitue‑t‑elle une atteinte aux valeurs de l’Agence en matière de dotation?

 

(iii)              La pratique consistant à faire subir des examens, à des dates différentes, à des conjoints qui se présentent au même concours semble‑t‑elle injuste?

 

b)                  La demande de contrôle judiciaire déposée par le Dr Zaytoun contre la décision du directeur soulève les points suivants :

(i)                  L’Agence a‑t‑elle refusé de prendre des mesures correctives à la suite de la décision de la TPI?

 

(ii)                Dans l’affirmative, la décision du directeur s’accordait‑elle avec la Politique de l’Agence?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

[33]           La loi constitutive de l’Agence est la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6 (la Loi sur l’Agence). Le pouvoir de l’Agence de recruter des employés et de fixer les conditions de leur emploi se trouve à l’article 13 de la Loi sur l’Agence :

13. (1) Le président nomme les employés de l’Agence.

 

 

(2) Le président fixe les conditions d’emploi des employés de l’Agence et leur assigne leurs fonctions.

 

 

(3) Le président peut, aux fins qu’il précise, désigner, individuellement ou par catégorie, les inspecteurs — vétérinaires ou non — , analystes, classificateurs ou autres agents d’exécution pour l’application ou le contrôle d’application des lois ou dispositions dont l’Agence est chargée aux termes de l’article 11.

13. (1) The President has the authority to appoint the employees of the Agency.

 

(2) The President may set the terms and conditions of employment for employees of the Agency and assign duties to them.

 

(3) The President may designate any person or class of persons as inspectors, analysts, graders, veterinary inspectors or other officers for the enforcement or administration of any Act or provision that the Agency enforces or administers by virtue of section 11, in respect of any matter referred to in the designation.

 

[34]           L’article 12 de la Loi sur l’Agence dispose que l’Agence est un organisme distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, article 2. En raison de ce statut d’organisme distinct, et du pouvoir légal de l’Agence de nommer ses employés, les dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13 (la LEFP) qui concernent la nomination de personnes à des postes de la fonction publique fédérale ne s’appliquent pas à l’Agence. L’Agence a adopté sa Politique sur le recours en dotation pour établir un processus d’examen des plaintes auquel pourraient recourir les personnes insatisfaites des décisions de l’Agence en matière de dotation. La Politique est adoptée en application du pouvoir général de l’Agence de nommer ses employés, un pouvoir conféré par le paragraphe 13(1) de la Loi sur l’Agence.

 

[35]           Les extraits suivants de la Politique sont d’une importance particulière et donnent le contexte de l’affaire dont la Cour est saisie :

 

Politique

 

Dans ses processus et décisions en dotation, l’ACIA respectera ses obligations législatives, ses politiques de dotation, et ses valeurs en matière de dotation.

 

L’ACIA encourage et favorise une communication et des discussions franches, et le recours à des moyens informels pour résoudre les préoccupations liées à la dotation.

 

Lorsque ces moyens informels échouent et qu’une personne juge qu’un processus ou une décision de dotation visée par cette politique ne respecte par les obligations législatives de l’ACIA et(ou) ses politiques de dotation et(ou) ses valeurs en matière de dotation, il est possible d’engager un recours conformément au processus établi par l’Agence.

 

Un employé de l’ACIA qui présente une Déclaration de plainte au sujet d’un processus ou d’une décision de dotation ne peut pas déposer de grief contre le même processus ou la même décision de dotation conformément au paragraphe 208 (5) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

 

Un employé de l’ACIA qui dépose un grief contre un processus ou une décision de dotation ne peut, en aucun moment, présenter de Déclaration de plainte en vertu de la Politique sur le recours en dotation en ce qui a trait au même processus ou à la même décision de dotation […]

 

[…]

 

2.3 Examen de la plainte par une tierce partie indépendante (TPI)

 

Le gestionnaire de niveau 3 obtiendra les services d’une tierce partie indépendante (TPI) pour examiner la plainte. S’il n’y a pas de liste de TPI ou de contrat signé avec des fournisseurs de ce type de services, la TPI sera choisie avec l’accord du gestionnaire de niveau 3 et du plaignant. L’examen devra être effectué conformément aux lignes directrices sur le recours en dotation « Examen par une tierce partie indépendante » de l’ACIA.

 

L’examen par une TPI vise à déterminer si le processus de dotation ou la décision de dotation en question a respecté les obligations législatives de l’ACIA, ses politiques de dotation et ses valeurs en matière de dotation. Il ne consiste pas à réévaluer les personnes qui ont été évaluées dans le cadre du processus de dotation ou de la décision de dotation, ni à prescrire une méthode d’évaluation en particulier, pas plus qu’il ne s’agit d’établir les mesures correctives que devra prendre l’ACIA.

 

[…]

 

Les conclusions de la TPI seront considérées comme étant la décision finale du recours en dotation, sauf si le gestionnaire de niveau 3 estime que ces conclusions sont fondées sur des erreurs de fait ou des omissions.

 

Le gestionnaire de niveau 3 pourra alors, dans les 10 jours qui suivent la présentation des conclusions de la TPI, recommander au président de l’ACIA d’examiner celles‑ci. Le gestionnaire de niveau 3 avisera par écrit le plaignant, dans les 10 jours qui suivent la présentation des conclusions de la TPI, pour l’aviser que celles‑ci ont été soumises à l’examen du président. Après examen, le président présentera, par écrit au plaignant et au gestionnaire de niveau 3, la décision finale du recours en dotation.

 

            ‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑

 

Lignes directrices et instruments des recours en dotation

 

Gestion financière

 

L’ACIA paiera les frais encourus par le plaignant pour présenter son cas à la tierce partie indépendante. À l’étape (2.3) de l’examen indépendant, la tierce partie indépendante déterminera la manière dont l’examen se déroulera (par exemple présentation de documents, téléconférence, entrevue individuelle, rencontres avec toutes les parties présentes) afin de permettre à chacune des parties de présenter ses arguments et de répondre aux arguments de l’autre partie. Des consultations devraient avoir lieu entre la tierce partie indépendante et le gestionnaire à propos de l’examen et des frais s’y rapportant puisque les frais doivent être approuvés au préalable par le gestionnaire de niveau 3.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

            Généralités

 

 

[36]           Depuis l’audition de ces requêtes, les normes de contrôle existantes ont été notablement simplifiées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, et les avocats des deux parties ont remis à la Cour des mémoires de bonne qualité et extrêmement utiles sur l’importance et l’incidence de l’arrêt Dunsmuir pour les deux décisions dont je suis saisi.

 

[37]           À la lumière de l’arrêt Dunsmuir, je dois encore, pour savoir quel niveau de retenue appelle chacune des décisions, déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer.

 

[38]           D’abord, je dois me demander si la jurisprudence a déjà établi d’une manière adéquate le niveau de retenue que requiert la question particulière dont je suis saisi. Dans la négative, je dois alors faire une analyse contextuelle pour déterminer la norme à appliquer.

 

[39]           Je ne crois pas que la norme de contrôle applicable aux questions qui me sont soumises en l’espèce a déjà été fixée par la jurisprudence, et je dois donc faire une analyse contextuelle.

 

[40]           Selon l’arrêt Dunsmuir, les facteurs à retenir dans une analyse contextuelle sont les suivants :

a)                   L’existence ou l’inexistence d’une clause privative,

b)                  la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante,

c)                   la nature de la question en cause et

d)                  l’expertise du tribunal administratif.

 

[41]           Selon l’arrêt Dunsmuir, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (paragraphe 47)

 


Point n° 1 : La plainte du Dr Zaytoun dans laquelle il allègue une apparence d’injustice suffisait‑elle à lui conférer la qualité requise pour déposer une plainte en vertu de la Politique de l’Agence?

 

[42]           L’Agence dit que cette question devrait être revue d’après la norme de la décision correcte. Sa loi constitutive ne contient aucune clause privative, et la Cour a déjà jugé que la raison d’être du tribunal administratif dont il s’agit ici est de « régler rapidement la plainte [en matière de dotation] » et que l’intention de la loi constitutive est « d’accorder à […] l’Agence une grande latitude dans la façon dont elle nomme ses employés et traite les plaintes relatives à ces nominations ». Voir la décision Forsch c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), [2004] A.C.F. n° 619, paragraphes 23 et 25.

 

[43]           L’Agence fait observer que la TPI en l’espèce devait interpréter un aspect essentiel de la politique de dotation de l’Agence et que, même s’il était spécialisé en droit du travail, son curriculum vitæ montre que, s’agissant de cette question, il n’était pas dans ses propres plates‑bandes. Autrement dit, la TPI n’interprétait pas sa propre loi constitutive, ni même une politique qui lui était familière.

 

[44]           L’Agence rappelle aussi à la Cour que le juge Mosley, dans la décision Forsch, a examiné tous les facteurs applicables et conclu qu’une question de droit découlant de l’interprétation d’une politique antérieure de dotation de l’Agence devrait être revue selon la norme de la décision correcte.

 

[45]           En bref, l’Agence dit que la TPI n’était pas spécialisée dans l’interprétation de cette politique et que, sur cet aspect, il a retenu une interprétation contraire à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale qui s’est développée dans un contexte similaire. Par conséquent, cette question devrait être revue d’après la norme de la décision correcte.

 

[46]           Le Dr Zaytoun dit que la norme de contrôle à appliquer à cette question est celle de la décision raisonnable, surtout parce que la spécialisation de la TPI par rapport à celle de la Cour est le facteur le plus important, et la TPI avait, dans la présente affaire, une spécialisation très marquée dans les questions dont la Cour est saisie.

 

[47]           Le Dr Zaytoun reconnaît que cet aspect soulève une question de droit, mais il dit que l’interprétation de la Politique ne soulève pas une question d’application générale et qu’elle est « assimilable à un arbitre qui interprète les politiques d’un employeur dans le contexte de l’audition d’une plainte ». Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 55, une question de droit qui ne revêt pas « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif peut s’accorder avec la norme de la décision raisonnable.

 

[48]           En l’espèce, le Dr Zaytoun fait remarquer que cette question particulière, bien qu’importante pour les parties, n’atteint pas le niveau d’une question d’une importance capitale pour le système juridique; et elle n’est pas non plus une question qui était étrangère au domaine de spécialisation de la TPI.

 

[49]           Ma propre conclusion sur cet aspect, eu égard à l’arrêt Dunsmuir et aux faits qui me sont soumis, est que la Cour est invitée à revoir une question de droit, celle de la qualité pour agir au titre d’une loi constitutive et d’une politique, et que, même si, d’après son curriculum vitæ, la TPI est éminemment qualifiée et expérimentée dans les domaines du droit du travail, du droit administratif et de l’arbitrage des conflits de travail, et bien qu’elle justifie d’une longue expérience en tant qu’examinatrice selon le système et en tant qu’arbitre, on ne saurait dire qu’elle est plus à même que la Cour de trancher cette question particulière qui concerne la Politique de l’Agence. Par conséquent, je crois que cette question devrait être revue selon la norme de la décision correcte.

 

Point n° 2 : La pratique consistant à faire subir des examens, à des dates différentes, à des conjoints qui se présentent au même concours semble‑t‑elle injuste?

 

[50]           Je crois qu’il s’agit là manifestement d’une question de fait, que, selon l’arrêt Dunsmuir, l’on devrait revoir d’après la norme de la décision raisonnable pour savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il faut donc analyser les facteurs contextuels en jeu dans la présente affaire afin de savoir où il convient de situer la décision dans l’éventail de raisonnabilité qui s’accorde avec ce contexte.

 

[51]           L’Agence est d’avis que le niveau de retenue que commande la décision de la TPI sur cette question est relativement faible parce qu’elle ne justifiait d’aucune spécialisation en sociologie ou psychologie et qu’elle a simplement déduit l’effet d’une relation matrimoniale sur la loyauté à laquelle a droit un employé, laquelle déduction ne trouvant aucun appui dans la preuve.

 

[52]           En outre, l’Agence dit que les conclusions de la TPI sur cet aspect ne faisaient pas intervenir une question de crédibilité ni une manière d’apprécier la preuve, deux aspects qui, en général, obligent la juridiction de contrôle à une retenue considérable. L’instruction s’est déroulée entièrement sur la foi de pièces écrites, et la Cour est bien placée pour revoir ces conclusions.

 

[53]           Je partage l’avis de l’Agence sur la question du niveau de la retenue judiciaire.

 

Point n° 3 : L’Agence a‑t‑elle refusé de prendre des mesures correctives et la décision du directeur s’accordait‑elle avec la Politique de l’Agence?

 

[54]           Encore une fois, je crois que, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir, il faut examiner cette question d’après la norme de la décision raisonnable afin de savoir si la décision du directeur appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[55]           L’Agence fait observer que la décision du directeur appelle une grande retenue parce que le directeur est bien placé pour rendre des décisions qui requièrent d’examiner des questions générales de dotation et de choisir des mesures correctives intéressant les activités de l’Agence.

 

[56]           Ici encore, je partage l’avis de l’Agence sur les questions générales soumises au directeur et sur l’obligation pour la Cour de les prendre en compte.

 


MOTIFS

 

            La décision de la TPI

 

L’impression d’injustice comme fondement de la qualité pour agir du demandeur

 

[57]           L’essentiel des conclusions de la TPI sur ce point se retrouve dans le passage suivant :

[traduction]

Le texte lui‑même de la politique semble tout à fait clair : l’objet de la Politique sur le recours en dotation est d’éliminer la pratique consistant à restreindre le bénéfice des recours aux seules personnes qui ont subi un préjudice dans un processus de dotation :

 

L’examen par une tierce partie indépendante vise à déterminer si, compte tenu des allégations du plaignant, le processus de dotation ou la décision de dotation en question a respecté les obligations législatives de l’ACIA, ses politiques de dotation et ses valeurs en matière de dotation. (Onglet 2, page 1 de 2)

[Non souligné dans l’original.]

 

Il semble que c’est là dire très clairement qu’un plaignant, c’est‑à‑dire celui ou celle qui peut se prévaloir des recours de dotation (onglet 2, page 3 de 14), peut soulever des questions se rapportant « au processus de dotation ou à la décision de dotation en question ». Les mots employés sont le « processus de dotation » et non l’« évaluation du plaignant ». Les mots employés limitent le champ de la plainte à la seule affaire en question. Nulle part la Politique sur le recours en dotation ne dit que la plainte doit se limiter au préjudice prétendument subi par lui. Au contraire, compte tenu du texte même de la Politique sur le recours en dotation, je suis d’avis que la Politique ne limite pas le bénéfice de la procédure des recours aux candidats qui prétendent avoir subi un préjudice par suite de la présumée violation, par l’Agence, de ses obligations légales, de ses politiques de dotation et de ses valeurs en matière de dotation [note infrapaginale omise]. Pour conclure autrement, il me faudrait (1) trouver une justification m’autorisant à interpréter d’une manière plus restrictive le texte de la Politique sur le recours en dotation; (2) trouver un mécanisme m’autorisant à le faire; et (3) interpréter d’une manière restrictive le sens ordinaire de la Politique sur le recours en dotation. Étant donné qu’une lecture ordinaire de la Politique ne conduit pas à un résultat absurde, contradictoire, illégal ou injuste, je me refuse à m’engager dans un tel exercice hasardeux d’interprétation et de rédaction.

 

Par conséquent, même si le plaignant a été déclaré non qualifié pour le poste, il a un intérêt dans la question de savoir si la procédure suivie par l’Agence respectait ses obligations légales, sa politique de dotation et ses valeurs en la matière. J’arrive à cette conclusion en suivant le sens ordinaire du texte de la Politique sur le recours en dotation. Cette position est confirmée par les écarts entre les régimes de règlement des différends en matière de dotation, à savoir d’une part la Politique sur le recours en dotation et d’autre part les procédures traditionnelles d’examen des griefs.

 

[58]           L’Agence entend réfuter cette conclusion en invoquant une série de précédents se rapportant à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, parce que, dit‑elle, « le contexte et la nature de l’enquête sont les mêmes ». Il s’agit de la décision Caldwell c. Canada (Commission de la fonction publique), [1978] A.C.F. n° 918 (CAF), et de la décision Laplante c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. n° 844. L’Agence croit aussi qu’il faut écarter la décision Charest c. Canada (Procureur général), [1973] A.C.F. n° 150, en faisant valoir que, dans cette affaire‑là, [traduction] « les preuves étaient contradictoires concernant le point de savoir si l’un des candidats avait ou non effectivement reçu des renseignements sur l’examen ».

 

[59]           Il est possible que les valeurs de l’Agence en matière de dotation, notamment la compétence et l’équité, soient semblables aux valeurs et aux principes qui guident la Commission de la fonction publique, mais je ne vois pas en quoi cela pourrait amoindrir la démarche adoptée par la TPI dans la présente affaire, une démarche fondée sur le sens ordinaire du texte de la politique qu’elle devait examiner. L’Agence fait valoir que, du seul fait que sa politique parle d’un « processus de dotation », cela ne signifie pas qu’une personne qui n’a pas subi de préjudice dans une procédure de dotation soit à même de déposer une plainte. Je ne suis pas persuadé par l’argument de l’Agence selon lequel les précédents issus de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (précédents dont l’intérêt, à ce chapitre, n’est ni évident ni certain) et les parallèles possibles entre la Loi sur l’Agence et la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, sur le plan de la procédure et des valeurs, suffisent à introduire dans la Politique de l’Agence la règle selon laquelle, lorsqu’une plainte porte sur un « processus de dotation » par opposition à « la décision en question », le plaignant doit montrer qu’il a subi un préjudice pour pouvoir déposer la plainte. Comme le dit la TPI, le sens ordinaire du texte de la Politique indique le contraire, et il faudrait une interprétation très restrictive, ou une réelle justification, pour introduire dans la Politique de l’Agence l’existence d’une telle règle, et l’Agence n’a apporté ni l’une ni l’autre. Il doit exister des raisons pour lesquelles l’Agence a sa propre loi constitutive et sa propre politique de dotation, au lieu de relever, en la matière, de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

 

[60]           Par conséquent, je crois qu’il est impossible de dire que la TPI a interprété erronément ce point de droit.

 

La conclusion principale de la TPI

 

[61]           L’Agence dit que, même si la plainte pouvait être déposée par le Dr Zaytoun, la conclusion de la TPI selon laquelle deux personnes mariées entre elles sont susceptibles de tricher et de faire peu de cas de la mise en garde qui leur a été faite est une conclusion qui ne repose sur aucune preuve, mais plutôt sur un stéréotype attribuant aux couples une propension à la déloyauté. L’Agence dit que les conclusions de la TPI en la matière sont fondées sur « l’idée d’après laquelle un conjoint est bien plus susceptible de préférer l’intérêt de sa famille plutôt que celui de son employeur ».

 

[62]           L’enquête menée par la TPI était de nature conjecturale, c’est‑à‑dire que, selon elle, puisque l’on suppose chez un couple une relation de confiance réciproque qui « participe de la franchise, du partage et d’un soutien mutuel qui touche tous les aspects, matériels et affectifs, de leurs vies personnelles », cela signifie que, « s’ils travaillent pour le même employeur, l’univers personnel et l’univers professionnel empiéteront l’un sur l’autre, et des loyautés antagonistes entraîneront les conjoints dans des directions incompatibles ».

 

[63]           Mon examen du curriculum vitæ de la TPI n’atteste pas une spécialisation qui pourrait commander la retenue de la Cour sur cette question particulière. La TPI est tout à fait accomplie et expérimentée dans divers domaines, mais, si elle justifie d’une connaissance particulière des rapports entre conjoints et de leur incidence en droit du travail ou en droit administratif, cette connaissance n’apparaît pas d’emblée. Et la manière dont elle aborde cet aspect dans sa décision me donne à penser qu’elle n’avait pas devant elle des faits ou éléments particuliers sur cette question, mais s’en remettait plutôt à sa propre intuition en tant que personne et en tant qu’avocat. Sans doute justifiait‑elle d’une expérience qui intéressait le genre de situation à laquelle elle avait affaire ici concernant le comportement d’un couple et la notion d’équité, mais, si tel est le cas, cette expérience n’apparaît pas dans le dossier. Partant, je ne crois pas que cet aspect particulier de la décision de la TPI puisse justifier une grande retenue. Ce qu’elle a fait, c’est un examen sur pièces, fondé sur un exposé conjoint des faits, et elle ne bénéficiait d’aucun des avantages relatifs particuliers que lui aurait conféré le fait d’être véritablement mêlé à l’affaire ou d’être l’un de ses protagonistes.

 

[64]           Il importe de qualifier précisément la plainte du Dr Zaytoun et les conclusions de la TPI avant de pouvoir dire si la décision de la TPI appartient sur ce point à un éventail acceptable de décisions raisonnables.

 

[65]           La TPI a qualifié la question ainsi :

[traduction]

Un mari et sa femme ont subi un examen à des dates différentes. Le jury de sélection les a avertis, comme il avait averti tous les autres candidats, de ne pas discuter de l’évaluation avec les autres. Le plaignant dit qu’un simple avertissement ne suffisait pas et que la manière dont le processus de sélection s’est déroulé a suscité une apparence d’injustice.

 

[66]           Elle a fait ressortir ensuite divers aspects de la plainte :

[traduction]

Le plaignant ne demande pas la divulgation de l’état matrimonial des candidats, mais il demande à l’Agence d’utiliser cette information afin de préserver l’intégrité du processus de sélection, en ne soumettant pas aux examens à des dates différentes un couple marié.

 

[…]

 

[L’état matrimonial] peut parfois être une information très utile dans l’organisation d’examens, pour s’assurer que les personnes qui subissent l’examen soient traitées de la même façon dans un concours et qu’aucun candidat ne bénéficie d’un avantage injustifié.

 

[…]

 

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de recourir à la théorie des jeux pour justifier l’idée d’administrer un concours d’une manière qui ne confère pas, ni ne semble conférer, un avantage injuste à un couple. Pour trouver une telle justification, nous devons considérer la nature de la relation conjugale elle‑même et voir si elle comporte un aspect qui nous amènerait à prendre des précautions particulières lorsque des conjoints postulent chacun de leur côté le même emploi. Pour moi, une relation conjugale est une relation fondée sur la confiance mutuelle. Dans le domaine du droit des biens, la jurisprudence canadienne a institué la fiducie judiciaire afin de ne pas réduire à néant les attentes fondées sur l’amour et l’affection d’un partenaire [Renvoi omis.]. Non seulement croit‑on qu’un conjoint ne cherchera pas à profiter de l’autre, mais encore constate-t-on souvent qu’il fera passer l’intérêt et le bien‑être de l’autre avant le sien. L’amour et l’affection réciproques qui sont au cœur de la relation conduit les conjoints à agir l’un envers l’autre d’une manière que l’on n’observerait pas en général entre des amis ou des connaissances. La relation conjugale participe de la franchise, du partage et d’un soutien mutuel qui touche tous les aspects, matériels et affectifs, de leurs vies personnelles. Sans doute un conjoint se gardera‑t‑il parfois de révéler à son partenaire des choses qu’il a apprises au cours de son travail. Tant que l’univers professionnel et l’univers conjugal demeurent distincts et séparés, il n’est guère probable que les deux univers de confiance entrent en conflit. Cependant, lorsque des conjoints travaillent pour le même employeur, l’univers personnel et l’univers professionnel empiéteront l’un sur l’autre et des loyautés antagonistes entraîneront les conjoints dans des directions incompatibles. C’est à cette situation que fait allusion le plaignant.

 

L’Agence fait valoir que ses employés se conduisent avec professionnalisme et que rien ne prouve que les conjoints ont manqué à la mise en garde qui leur fut faite de ne pas parler des examens avec les autres candidats. Le plaignant reconnaît volontiers qu’une preuve de ce fait n’existe pas. Il fait plutôt valoir que la situation crée une apparence d’injustice. Vu la nature de la relation conjugale, une relation fondée sur la confiance réciproque, je reconnais que le fait de faire subir des examens à chacun des conjoints à des dates différentes entraîne une possibilité d’abus et une apparence d’injustice [Non souligné dans l’original.]. À moins qu’ils ne soient en instance de divorce, il pourrait être très difficile à des conjoints qui ont réussi de convaincre leurs collègues de travail qu’ils ne se sont échangé aucun renseignement à propos du concours, quand bien même auraient‑ils pleinement respecté l’avertissement qui leur a été donné par le jury de sélection. L’Agence place ses employés dans une situation très difficile, une situation qui n’est pas le fait des employés, mais qu’il est dans le pouvoir de l’Agence de rectifier.

 

 

[67]           La TPI se montre hésitante devant l’invitation que lui fait le Dr Zaytoun d’appliquer la décision Charest (hésitation à laquelle je souscris parce que, dans ce précédent, il était établi qu’il y avait eu communication clandestine de renseignements), puis il rejette la proposition du Dr Zaytoun l’invitant à fonder sa décision sur la « théorie des jeux ».

 

[68]           Ayant rejeté ou nuancé ces aspects des propositions du Dr Zaytoun comme raisons de conclure à une apparence d’injustice, la TPI expose ensuite ses propres vues sur la « nature de la relation conjugale », une relation qui, dit‑elle, « repose sur la confiance réciproque », de telle sorte que des questions d’équité pourraient surgir sur le lieu de travail :

[traduction]

Lorsque des conjoints travaillent pour le même employeur, l’univers personnel et l’univers professionnel empiéteront l’un sur l’autre et des loyautés antagonistes entraîneront les conjoints dans des directions incompatibles. C’est à cette situation que fait allusion le plaignant.

 

[69]           La TPI ne s’appuie sur aucune preuve pouvant fonder ses conclusions concernant la nature de la relation conjugale et l’incidence de cette relation sur les « loyautés antagonistes » à l’égard d’un employeur. Qui plus est, ses conclusions sont extrêmement générales. La plainte du Dr Zaytoun concernait uniquement le concours auquel il s’était présenté. Selon la TPI, la plainte du Dr Zaytoun se rapportait à un couple marié dont les deux parties avaient subi un examen à des dates différentes, en vue d’une affectation particulière, pour laquelle le « simple avertissement » donné à tous les candidats ne suffisait pas à dissiper « l’apparence d’injustice ». La conclusion de la TPI, quant à elle, est très générale : « Vu la nature de la relation conjugale […] le fait de faire subir des examens à chacun des conjoints à des dates différentes engendre une possibilité d’abus et une apparence d’injustice. »

 

[70]           Ce que signifie essentiellement la décision de la TPI, c’est que la nature même de la relation conjugale (en général) engendre des loyautés antagonistes et entraîne donc « une possibilité d’abus et une apparence d’injustice ».

 

[71]           Il est également révélateur que le doute de la TPI ne concerne pas le Dr Zaytoun dans la présente affaire, mais les employés en général. Le Dr Zaytoun, après tout, n’a subi aucun préjudice personnel dans les évaluations qui l’ont conduit à déposer sa plainte, et il a reconnu qu’il n’existait aucune preuve manifeste d’injustice :

[traduction]

À moins qu’ils ne soient en instance de divorce, il pourrait être très difficile à des conjoints qui réussissent de convaincre leurs collègues de travail qu’ils ne se sont échangé aucun renseignement à propos du concours, quand bien même auraient‑ils pleinement respecté l’avertissement qui leur a été donné par le jury de sélection. L’Agence place ses employés dans une situation très difficile, une situation qui n’est pas le fait des employés, mais qu’il est dans le pouvoir de l’Agence de rectifier.

 

[72]           Cette conclusion sur la possibilité d’abus et l’apparence d’injustice n’est donc pas rattachée à une injustice réelle, au vu des faits soumis à la TPI. En fait, aucune injustice réelle ne fut même alléguée.

 

[73]           Les conclusions de la TPI s’appuyaient sur sa propre manière de voir la nature de la relation conjugale et l’incidence de cette relation sur les loyautés des employés et sur leur sens de l’équité, ainsi que les tentations qui risquent de surgir si des conjoints candidats dans le même concours subissent leurs examens à des dates différentes.

 

[74]           Finalement, la décision sur cet aspect n’est guère plus qu’une supposition personnelle selon laquelle le fait d’avertir les candidats de ne pas communiquer de renseignements ne suffit pas à dissiper l’apparence d’injustice lorsque des conjoints subissent leurs examens à des dates différentes. Rien ne soutient véritablement les conclusions générales de la TPI sur la nature de la relation conjugale et les conflits possibles de cette relation avec les obligations d’un employé, et sur les abus auxquels pourrait donner lieu cette relation dans l’administration d’examens. La TPI a jugé que, malgré l’avertissement donné aux candidats, le fait de laisser des conjoints subir les examens à des dates différentes suscitait une apparence d’injustice.

 

[75]           Dans ses arguments écrits, le Dr Zaytoun dit que [traduction] « la TPI a conclu qu’une personne raisonnable craindrait que des conjoints n’échangent des renseignements entre eux à propos d’un concours » et qu’« un observateur craindrait avec raison qu’un conjoint ne communique des renseignements à propos d’un concours lorsque la communication de tels renseignements bénéficierait à l’autre conjoint ». Mais là n’est pas le fondement de la décision. La TPI n’emploie pas le langage de la « raison », et son analyse ne saurait être assimilée à la notion de l’observateur raisonnable. Il dit simplement : « Vu la nature de la relation conjugale, une relation fondée sur la confiance réciproque, je reconnais que le fait de faire subir des examens à chacun des conjoints à des dates différentes entraîne une possibilité d’abus et une apparence d’injustice ». Il ne s’agit pas là d’une évaluation objective fondée sur un ensemble détaillé de faits et d’éléments qui auraient permis à la TPI de voir ce qui se passait véritablement dans le déroulement de tel ou tel concours. La TPI reconnaît simplement avec le Dr Zaytoun que, même s’il n’était pas établi qu’il y avait eu injustice, il y avait eu apparence d’injustice; la TPI fonde cette conclusion sur sa propre manière de voir la relation conjugale.

 

[76]           Comme la TPI elle‑même le souligne dans sa décision, la Politique de l’Agence adopte, en matière de résolution des questions de dotation, une approche autre que la procédure traditionnelle d’examen des griefs, et les méthodes et résultats d’une telle approche ne doivent pas être considérés sous l’angle de la procédure traditionnelle d’examen des griefs.

 

[77]           Plus précisément, comme le souligne très clairement la TPI, « le champ de l’examen conduit par une tierce partie indépendante est déterminé par le champ de la plainte ». Dans la présente affaire, le Dr Zaytoun n’avait subi aucun préjudice personnel, et sa plainte se limitait au concours particulier auquel il s’était présenté. Mais elle procédait d’une idée commune de l’équité, et le dossier que la TPI avait devant elle renfermait en fait très peu d’éléments factuels sur lesquels fonder l’examen d’une question aussi large. La TPI était donc simplement renvoyée à ses propres perceptions et intuitions, qui forment le fondement réel de sa décision.

 

[78]           Selon moi, les conclusions générales de la TPI sur la nature de la relation conjugale, sur l’impression d’injustice et sur les mesures correctives requises sont déraisonnables, étant donné la minceur du dossier qu’il avait devant lui. Tout ce dont il disposait véritablement pour fonder sa décision, c’était l’avis du Dr Zaytoun pour qui il y avait apparence d’injustice, outre sa propre manière de voir la dynamique de la relation conjugale dans le contexte d’un milieu de travail.

 

[79]           Finalement, je crois devoir dire que les conclusions générales de la TPI sur ce point ne sauraient être considérées comme appartenant à un éventail acceptable de décisions raisonnables, vu le champ de l’examen mené par elle et l’absence de preuves dignes de ce nom. Essentiellement, la TPI avait pour obligation de « déterminer si le processus de dotation ou la décision de dotation en question a respecté les obligations légales [de l’Agence], ses politiques de dotation et ses valeurs en matière de dotation ». Il devait, dans la présente affaire, dire si « le fait de laisser des conjoints subir les mêmes examens à des dates différentes respectait les valeurs en matière de dotation que sont l’équité et la compétence ». Mais, comme l’indiquent clairement aussi les Lignes directrices et instruments des recours en dotation, cela doit se faire « compte tenu des allégations du plaignant ». Les allégations du Dr Zaytoun étaient que, dans ce contexte particulier, il n’avait pas été traité injustement, et aucune irrégularité ou injustice n’était établie. C’est pourquoi il devait s’en remettre à l’impression d’injustice que donnait le fait pour des conjoints de subir des examens à des dates différentes, et, sur ce point, le Dr Zaytoun n’avait guère d’éléments à offrir pour prouver ou confirmer cette impression. Le résultat, c’est que la TPI s’est fondée presque uniquement sur ses propres impressions et intuitions. Elle expliquait que son rôle, d’après les Lignes directrices et instruments des recours en dotation, consistait à « orienter le processus » parce qu’une TPI n’est pas un arbitre au sens classique :

[traduction]

Les Lignes directrices et instruments des recours en dotation (onglet 2, page 1‑2 de 2) attribuent un rôle quelque peu différent à la tierce partie indépendante. Elle examine les faits qui constituent le fondement de la plainte, passe en revue les renseignements déjà présentés dans le processus des recours en dotation, recueille des renseignements additionnels auprès de l’une ou l’autre des parties et consulte « les Ressources humaines à propos des obligations légales de l’Agence, de ses politiques de dotation et de ses valeurs en matière de dotation ». La tierce partie indépendante peut recourir à une diversité de moyens, « selon qu’elle les juge utiles », y compris « des entrevues ou des rencontres auxquelles sont présentes les deux parties ». Un rôle beaucoup plus actif est conféré à la tierce partie indépendante dans l’orientation du processus; elle est investie de fonctions, par exemple la conduite d’entrevues, qu’un arbitre plus traditionnel répugnerait à exercer. Dans le processus de l’examen indépendant, la preuve n’est pas recueillie sous serment. Finalement, les pouvoirs réparateurs de la tierce partie indépendante sont à toutes fins utiles inexistants. Sa fonction se limite à établir les faits, en faisant « une analyse de la question de savoir si le processus de dotation ou la décision de dotation a ou non respecté les obligations légales de l’Agence, ses politiques de dotation et ses valeurs en matière de dotation ». La Politique sur le recours en dotation précise aussi que « l’examen ne conduira pas à des mesures correctives devant être prises par l’Agence » (onglet 2, page 13 de 14)

 

[80]           La TPI a jugé que ce rôle actif lui revenait, a fait le point sur les instruments à sa disposition et a reconnu que « sa fonction se limite à établir les faits, en faisant l’analyse de la question de savoir si le processus de dotation ou la décision de dotation a ou non respecté les obligations légales de l’ACIA, ses politiques de dotation et ses valeurs en matière de dotation », mais, à mon avis, il n’y a, s’agissant de l’établissement des faits, aucun élément de nature à étayer la conclusion principale : « Vu la nature de la relation conjugale, une relation fondée sur la confiance réciproque, je reconnais que le fait de faire subir des examens à chacun des conjoints à des dates différentes entraîne une possibilité d’abus et une apparence d’injustice. » Des relations autres que la relation conjugale pourraient elles aussi susciter « une possibilité d’abus » si les participants subissaient des examens à des dates différentes. Mais la question est de savoir s’il y a une « apparence d’injustice » après que l’Agence ait averti tous les candidats de ne pas communiquer de renseignements. La conclusion de la TPI est qu’il y a, dans la relation conjugale, quelque chose qui fait qu’un avertissement ne suffit pas à dissiper l’apparence d’injustice même lorsqu’un tel avertissement est donné. Mais l’unique preuve à l’appui de cette conclusion était que, selon le Dr Zaytoun, il y avait une apparence d’injustice, et le Dr Zaytoun avait été un candidat rejeté dans ce concours particulier. Selon moi, ce niveau de preuve n’autorisait pas une telle conclusion. Il n’a pas été établi devant la TPI que les conjoints ne respectent pas l’avertissement qui leur est donné, et qu’ils posent donc une difficulté particulière dans l’administration d’un concours équitable, et il n’a pas été établi non plus qu’une personne autre que le Dr Zaytoun trouvait qu’il y avait apparence d’injustice dans la manière dont était administré ce concours, ou tout concours semblable auquel se présentaient des couples.

 

[81]           Sur ce fondement donc, je dois dire que la décision de la TPI est déraisonnable et ne saurait être maintenue.

 

[82]           Pour le cas où je ferais fausse route dans cette conclusion, j’examinerai aussi les points soulevés concernant la décision du directeur.

 

La décision du directeur

 

Autre voie de recours adéquate

 

[83]           Le Dr Zaytoun fait valoir que l’Agence avait à sa disposition, dans la présente affaire, une autre voie de recours adéquate qu’elle aurait dû exercer.

 

[84]           La Politique de l’Agence prévoit un mécanisme de révision des décisions de la TPI qui sont fondées sur des « des erreurs de fait ou des omissions ». Selon le Dr Zaytoun, cela signifie que le gestionnaire de niveau 3 aurait pu renvoyer les questions factuelles au président de l’Agence dans un délai de 10 jours. Le président aurait alors examiné les conclusions de la TPI sur ce point et serait arrivé à une décision. Cette décision aurait pu alors, au besoin, être soumise à un contrôle judiciaire.

 

[85]           L’Agence cherche à réfuter cette objection du Dr Zaytoun en faisant valoir que, selon la Politique, une telle approche ne conviendrait pas dans ce cas‑ci et aurait fait dévier les points soulevés. L’Agence dit que les deux points qu’elle a soulevés à propos de la décision de la TPI  devraient être décidés par la Cour. Il devrait en être ainsi pour éviter une multiplicité de recours, et pour des raisons de commodité.

 

[86]           Il ne m’apparaît nullement évident que, si les questions factuelles avaient été soumises au président, la décision du président aurait inévitablement abouti devant la Cour, ni ne m’apparaît évidente non plus l’idée selon laquelle l’emploi de la procédure énoncée dans la Politique pour corriger « les erreurs de fait ou les omissions » aurait entraîné des inconvénients.

 

[87]           La section 2.3 de la Politique prévoit ce qui suit, sur ce sujet :

Les conclusions de la TPI seront considérées comme étant la décision finale du recours en dotation, sauf si le gestionnaire de niveau 3 estime que ces conclusions sont fondées sur des erreurs de fait ou des omissions.

 

Le gestionnaire de niveau 3 pourra alors, dans les 10 jours qui suivent la présentation des conclusions de la TPI, recommander au président de l’ACIA d’examiner celles‑ci. Le gestionnaire de niveau 3 avisera par écrit le plaignant, dans les 10 jours qui suivent la présentation des conclusions de la TPI, pour l’aviser que celles‑ci ont été soumises à l’examen du président. Après examen, le président présentera, par écrit au plaignant et au gestionnaire de niveau 3, la décision finale du recours en dotation.

 

Je ne suis pas persuadé, d’après les arguments avancés, qu’il s’agit là d’une « autre voie de recours adéquate », selon le sens attribué à cette expression. Les erreurs de fait ou omissions pourraient bien n’être que des erreurs présentes dans le dossier soumis à la TPI, des erreurs qui nécessiteraient le réexamen de sa décision. En l’espèce, nous ne sommes pas concernés par des erreurs factuelles de cette nature. Nous cherchons à définir la manière dont la TPI a décrit la nature de la relation conjugale et l’incidence de cette relation sur l’impression d’injustice et, bien que nous considérions factuelles ses conclusions en la matière, nous le faisons pour déterminer la norme de contrôle applicable.

 

[88]           L’arrêt de principe en ce qui concerne les autres voies de recours adéquates est un arrêt rendu par la Cour suprême du Canada, Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada disait que les facteurs suivants doivent être pris en compte pour savoir si le droit d’appel d’un appelant, en l’occurrence un droit d’appel au comité sénatorial de l’université, constituait une autre voie de recours adéquate : la procédure suivie dans l’appel, la composition du comité, les pouvoirs du comité et la manière dont ils ont été exercés, le poids d’une conclusion antérieure, la célérité et les dépens.

 

[89]           Plus récemment, dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada écrivait que, pour savoir si elle doit entreprendre un contrôle judiciaire ou si elle doit plutôt exiger qu’un demandeur se prévale de la procédure d’appel prévue par la loi, une cour de justice doit considérer divers facteurs, à savoir : (i) la commodité de l’autre recours; (ii) la nature de l’erreur; et (iii) la nature de la juridiction d’appel (c’est‑à‑dire sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’accorder un redressement). Puis la Cour suprême écrivait qu’il fallait se garder de considérer comme limitative la liste des facteurs à prendre en compte. Il appartient plutôt aux cours de justice, dans les circonstances qui s’y prêtent, de cerner les facteurs et de les mettre en balance.

 

[90]           Le Dr Zaytoun fait valoir que l’autre voie de recours offerte à l’Agence est commode et que l’organe d’appel (le président de l’Agence) était tout à fait capable d’accorder à l’Agence le redressement qu’elle sollicitait. L’Agence rétorque que le recours prévu par la Politique n’est pas un recours commode et qu’il aurait eu pour effet de faire dévier les points soulevés.

 

[91]           En l’espèce, la Politique dispose que les conclusions de la TPI sont réputées constituer des décisions finales sur le recours en dotation, sauf lorsque le gestionnaire de niveau 3 estime qu’elles sont fondées sur des erreurs de fait ou des omissions. Lorsqu’une telle erreur ou omission est constatée, alors la Politique dispose que :

Le gestionnaire de niveau 3 pourra alors, dans les 10 jours qui suivent la présentation des conclusions de la TPI, recommander au  président d’examiner celles-ci. Le président rend la décision finale sur le recours en dotation, décision qui pourra alors être l’objet d’un contrôle judiciaire.

 

[92]           Comme l’écrivait la juge Layden‑Stevenson dans la décision Jones c. Canada (Procureur général), 2007 CF 386, au paragraphe 40, il est généralement prématuré de présenter une demande de contrôle judiciaire avant que ne soient épuisées les autres voies de recours possibles, parce qu’une procédure de contrôle judiciaire se rapporte en principe à une décision définitive. Cependant, dans des circonstances spéciales, la Cour procédera à un contrôle judiciaire même lorsqu’il existe une autre voie de recours adéquate. Le point de savoir s’il existe des circonstances spéciales requiert une analyse des faits, et les exceptions à la règle générale sont rares (décision Jones, paragraphe 45).

 

[93]           J’ai dit que les conclusions de la TPI concernant la nature de la relation conjugale, et l’incidence de cette relation sur l’impression d’injustice, sont des conclusions factuelles, mais je l’ai dit dans le dessein précis de déterminer la norme de contrôle qu’il fallait appliquer. Je ne suis pas persuadé, au vu des arguments avancés devant moi, que la section 2.3 de la Politique de l’Agence parle d’une erreur factuelle de cette nature. La TPI a rendu sa décision en se fondant sur un exposé conjoint des faits. Le directeur a exprimé son désaccord avec les mesures correctives proposées par la TPI et avec sa manière d’interpréter la législation applicable relative à la protection des renseignements personnels et aux droits de la personne. Par conséquent, je ne suis pas persuadé qu’il existait des erreurs factuelles ou des omissions sur lesquelles fonder une autre voie de recours adéquate, ni que je devrais m’abstenir d’examiner le bien-fondé des arguments avancés par l’Agence sur cette question.

 

                        Bien‑fondé

 

[94]           La plainte du Dr Zaytoun sur ce point est que l’Agence n’a, pour l’essentiel, rien fait à la suite de la décision de la TPI, si ce n’est confirmer le statu quo.

 

[95]           L’Agence dit que tel n’est pas le cas parce que l’unique preuve soumise à la TPI était que le jury de sélection avait, au cours de l’évaluation du Dr Zaytoun, simplement averti les candidats de ne pas discuter de leur évaluation avec quiconque au cours du processus de dotation dont il s’agit ici. L’Agence dit que, à la suite de la décision de la TPI, elle est allée plus loin. Elle a officialisé le processus par lequel tous les employés qui se présentent à tous les concours conduits en Ontario sont informés de leur obligation de garder confidentiels les renseignements portant sur leurs évaluations et sont avertis des conséquences d’une violation de cette obligation.

 

[96]           Il se trouve que, dans la présente demande, la preuve produite n’est tout simplement pas suffisante pour que la Cour soit en mesure d’apprécier le contexte général des avertissements donnés aux candidats dans les évaluations, ou de vérifier si l’approche plus formaliste indiquée dans la décision du directeur signifie que les choses se passent très différemment maintenant. Partant, il m’est impossible de dire, comme le voudrait le Dr Zaytoun, que la décision du directeur est déraisonnable parce qu’elle réitère simplement le statu quo.

 

[97]           S’agissant du désaccord entre la TPI et le directeur à propos de l’incidence de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des questions touchant les droits de la personne, je crois que la manière dont l’Agence analyse le problème suffit à me convaincre que le directeur a agi raisonnablement en refusant de donner effet aux suggestions de la TPI, qui conseillait de recueillir des renseignements personnels sur les couples et/ou sur les autres candidats. Sans un ensemble complet de faits et sans une plainte précise, il est difficile de se prononcer d’une manière catégorique sur les conséquences juridiques de la collecte de tels renseignements. Mais le directeur a obtenu un avis juridique et a pris une décision raisonnable fondée sur les conséquences possibles.

 

[98]           Partant, me fondant sur le dossier que j’ai devant moi, il m’est impossible de dire que la décision du directeur renferme sur ce point une erreur susceptible de contrôle, et il m’apparaît légitime de dire qu’il faudrait que toute mesure corrective tienne compte des doutes évoqués par le directeur au chapitre de la protection des renseignements personnels et à celui des droits de la personne. L’avocat du Dr Zaytoun a semblé l’admettre durant l’audition de la présente affaire en disant qu’il y avait des moyens de régler la question d’une manière pratique dans chaque cas, lorsque des dispositions sont prises pour organiser des examens, de telle sorte que les candidats qui pourraient être à la source d’une impression d’injustice puissent subir leurs examens le même jour, et en disant qu’il appartenait en réalité à l’Agence de concevoir pour cela des méthodes qui entraînent une intrusion minimale dans la vie privée.

 

[99]           Il y a sans doute en effet des moyens d’y parvenir, mais, compte tenu du dossier et de la jurisprudence qui m’ont été soumis dans la présente affaire, il m’est impossible de dire que la décision du directeur était déraisonnable, de telle sorte que, même si je me trompe et que la décision de la TPI est valide, la demande du Dr Zaytoun visant à faire annuler la décision du directeur doit être rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de l’ACIA priant la Cour d’annuler l’examen indépendant mené par M. Palland en date du 6 octobre 2006 est accueillie. La décision de M. Palland est annulée et l’affaire est renvoyée à une autre tierce partie indépendante pour réexamen conforme aux motifs exposés par la Cour;

 

2.                  L’ACIA obtiendra les dépens afférents à sa demande;

 

3.                  La demande de contrôle judiciaire présentée par le Dr Zaytoun à l’encontre de la décision prise le 12 janvier 2006 par M. W. G. Teeter au sujet des mesures correctives est rejetée;

 

4.                  L’ACIA obtiendra les dépens afférents à la demande du Dr Zaytoun.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑270‑07

 

INTITULÉ :                                       MAHER ZAYTOUN c.

                                                            L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chris Rootham

 

 POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Kaufman

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne

Ottawa (Ontario)

  POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.