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Date : 20080414

Dossier : T-1223-07

Référence : 2008 CF 477

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD ISHFAQ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Huhammad Ishfaq a présenté une demande de citoyenneté canadienne en 2007. Il a comparu devant un juge de la citoyenneté qui a conclu qu’il n’avait pas rempli la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, (voir l’annexe A ci-jointe). Le juge a rejeté sa demande.

 

[2]               M. Ishfaq allègue que la décision du juge était déraisonnable à la lumière de la preuve. Il me demande d’annuler la décision et d’ordonner que sa demande soit réexaminée. Cependant, rien ne me permet à mon avis d’annuler la décision du juge, et je dois donc rejeter le présent appel.

I.        Question en litige

 

[3]               La conclusion du juge selon laquelle M. Ishfaq n’a pas rempli la condition de résidence prévue dans la Loi sur la citoyenneté était-elle raisonnable?

 

II.     Analyse

 

[4]               Je ne peux annuler la décision du juge que si je conclus qu’elle était déraisonnable, en ce sens que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

(a)     La condition de résidence

 

[5]               Les demandeurs de citoyenneté canadienne doivent établir qu’ils ont résidé au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre ans qui ont précédé la date de leur demande (alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté). Ils peuvent satisfaire à cette condition en prouvant qu’ils ont été effectivement présents au Canada pendant au moins trois ans ou qu’ils ont établi et conservé des attaches solides avec le Canada, ce qui permet ainsi de calculer en leur faveur les périodes au cours desquelles ils se sont absentés, même s’ils n’ont pas été effectivement présents au Canada pendant la période requise de trois ans : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650.

 

(b)    Le contexte factuel

 

[6]               M. Ishfaq a quitté son pays d’origine, le Pakistan, en 1996. Il s’est rendu en Suisse où il a vécu jusqu’à son arrivée au Canada en avril 2001. Sa famille vit toujours au Pakistan. En 2003, il a accepté un emploi au sein du Comité international de la Croix-Rouge (le CICR). Ce poste l’oblige à voyager très souvent.

 

[7]               M. Ishfaq a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 27 août 2004. Par conséquent, pour satisfaire à la condition de résidence, M. Ishfaq devait prouver qu’il avait été effectivement présent au Canada pendant les trois ans qui s’étaient écoulés entre la date de son arrivée au Canada en 2001 et la date de sa demande présentée en 2004, ou que le juge devait calculer en sa faveur les périodes au cours desquelles il s’était absenté en raison des attaches solides qu’il avait établies et conservées avec le Canada. En fait, M. Ishfaq a été présent au Canada pendant 811 jours au total au cours de cette période, ce qui signifie qu’il lui manquait 284 jours pour satisfaire à la condition de résidence de trois ans (c’est-à-dire 1095 jours).

 

[8]               Afin de prouver qu’il avait établi sa résidence au Canada, et pour appuyer son allégation portant que ses séjours à l’extérieur du Canada devraient être calculés en sa faveur, M. Ishfaq a présenté de nombreux documents, notamment son contrat avec le CICR, des cartes d’identité, ainsi que ses passeports actuel et antérieur.

 

(c)     La décision faisant l’objet de l’appel

 

[9]               Dans une décision détaillée de sept pages, le juge de la citoyenneté a examiné la documentation présentée par M. Ishfaq, ainsi que les déclarations qu’il avait faites à l’entrevue, et il a constaté ce qui suit :

 

•           M. Ishfaq n’a pas fourni de détails sur ses conditions de vie au Canada entre la date de son arrivée en avril 2001 et la date de son départ en février 2003;

•           il a fait l’acquisition d’un terrain au Pakistan;

•           il n’a présenté aucune preuve d’opérations bancaires ou d’investissements au Canada;

•           il n’a présenté aucune preuve d’emploi au Canada ou de cotisations d’impôt sur le revenu;

•           de nombreuses incohérences sont demeurées inexpliquées entre les périodes au cours desquelles il a déclaré s’être absenté du Canada et les dates tamponnées dans ses passeports.

 

[10]           Le juge a poursuivi en examinant les facteurs établis dans la décision Re Koo, [1992] A.C.F. n1107 (QL), pour déterminer si M. Ishfaq avait centralisé son mode d'existence au Canada, et il a tiré les conclusions suivantes :

 

•           M. Ishfaq a été présent au Canada pendant un an et 303 jours après son arrivée en avril 2001. Depuis ce temps, il s’est absenté du Canada à maintes reprises, aussi longtemps que 309 jours à un moment donné;

•           sa famille vit au Pakistan;

•           sa preuve documentaire n’établissait pas que son lieu de résidence principal était le Canada;

•           il a visité le Canada quelques fois pendant qu’il était en congé;

•           il lui manquait un nombre considérable de jours (284) pour satisfaire à la condition de résidence de trois ans;

•           ses périodes d’absence ne semblaient pas temporaires, puisque son poste au sein du CICR était continu, au moins jusqu’en 2008;

•           il n’a pas établi un lien important avec le Canada; il entretient un lien plus important avec le Pakistan.

 

[11]           Compte tenu de ces facteurs, le juge a conclu que M. Ishfaq n’avait pas satisfait à la condition de résidence.

 

(d)    Analyse et conclusion

 

[12]           M. Ishfaq allègue que le juge de la citoyenneté n’a pas apprécié les éléments de preuve présentés à l’appui de sa demande. Premièrement, le juge n’a pas examiné si M. Ishfaq avait établi sa résidence au Canada pendant la période d’un an et 309 jours ayant suivi son arrivée au Canada en 2001. Deuxièmement, le juge a commis des erreurs de fait lorsqu’il a analysé les facteurs exposés dans la décision Re Koo, précitée.

 

[13]           En ce qui concerne la première erreur reprochée, le juge a clairement pris en compte la période pendant laquelle M. Ishfaq avait été présent au Canada avant son départ pour aller travailler au CICR. Cependant, le juge disposait de peu d’éléments de preuve démontrant que M. Ishfaq s’était vraiment établi au Canada pendant cette période. Tout particulièrement, le demandeur a fourni peu de renseignements sur ses conditions de vie, ses antécédents financiers, ses revenus ou sa participation à des activités communautaires, le cas échéant, et les périodes d’absence inscrites dans ses passeports sont demeurées inexpliquées.

 

[14]           Pour ce qui est des autres facteurs pertinents, le juge était fondé à tenir compte du fait que la famille de M. Ishfaq vivait toujours au Pakistan, que M. Ishfaq avait fait de courtes visites au Canada lorsqu’il était en congé de son travail, que son poste au CICR était continu et que, dans l’ensemble, les attaches qu’il entretenait avec le Pakistan étaient plus solides que celles qu’il avait établies avec le Canada. Concernant ce dernier point, M. Ishfaq a contesté la conclusion du juge selon laquelle il était titulaire d’un passeport délivré au Pakistan alors que, dans les faits, ce passeport avait été délivré au Myanmar. Le juge a effectivement affirmé que M. Ishfaq détenait un passeport délivré au Pakistan, tandis qu’il avait en réalité été délivré par l’ambassade pakistanaise au Myanmar. Cependant, aucune conclusion ne semble avoir été fondée sur cette erreur mineure de fait. Le juge n’a pas conclu, comme M. Ishfaq le prétend, qu’il avait vécu au Pakistan à un moment donné après 1996. La conclusion du juge, selon laquelle le lien de M. Ishfaq avec le Pakistan était plus important que ses attaches avec le Canada, était fondée sur le fait qu’il était propriétaire d’un terrain et la présence de membres de sa famille au Pakistan. Même si le lien en question n’était pas particulièrement solide, je ne peux juger que la conclusion du juge, voulant que ce lien avec le Pakistan était plus important que celui que le demandeur avait établi avec le Canada, était sans fondement.

[15]           En somme, M. Ishfaq allègue que le juge a refusé indûment de reconnaître qu’il n’avait aucun lien réel avec un autre pays. Par conséquent, le juge aurait dû conclure qu’il avait un lien suffisamment important avec le Canada pour être considéré comme un résident même lorsqu’il travaillait à l’étranger. Cependant, rien ne me permet à mon avis d’annuler la décision du juge. L’absence d’un lien important avec d’autres pays ne constitue pas, selon moi, la preuve d’un lien important avec le Canada. Par conséquent, je ne peux considérer la conclusion du juge comme déraisonnable.

 

[16]           En conséquence, le présent appel doit être rejeté.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.  L’appel est rejeté.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.    

 

 


Annexe A

 

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29

 

Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

Citizenship Act, R.S.C. 1985, c. C-29

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-1223-07

 

 

INTITULÉ :                                                               MUHAMMAD ISHFAQ

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 2 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 14 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

   POUR LE DEMANDEUR

Asha Gafar

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

  POUR LE DEMANDEUR

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

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