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Date : 20080414

Dossier : T-1079-06

Référence : 2008 CF 474

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2008

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

 

ENTRE :

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA,

JEAN YVES DUHAIME, PAUL GRAVEL, CHRISTIAN LEROUX,

JACQUES LAFOND et JOHN HICKEY

 

demandeurs

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité de la décision (la décision contestée) du 23 mai 2006 par laquelle Jeanne Boily, agente des politiques et des mesures législatives (l’agente) de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), a conclu que cinq employés de la Monnaie royale canadienne (la Monnaie royale) n’étaient pas des « employés » pour l’application  de la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-36 (la LPFP). 

 

I. Les faits

 

[2]               En avril 1997, Groupe de Gestion Pro-Fac Limitée (Pro-Fac), une filiale du Groupe SNC‑Lavalin inc., a conclu avec la Monnaie royale un contrat par lequel Pro-Fac s’engageait à fournir des services de gestion des installations du 20 janvier 1997 au 31 décembre 1997 (le Contrat). Prorogé en deux occasions, le Contrat a pris fin le 30 avril 2000. Aux termes de l’article 14.1 du Contrat, Pro-Fac devait fournir [traduction] « le personnel et les services requis à titre d’entrepreneur indépendant […] » L’article 12.2 du Contrat prévoyait pour sa part que tous les employés affectés par Pro-Fac à l’acquittement de ses obligations découlant du Contrat [traduction] « sont et demeureront des employés de [Pro-Fac], qui devra s’occuper des questions relevant de la relation entre l’employeur et les employés, comme le remplacement, la rémunération, la supervision, les mesures disciplinaires, l’assurance-chômage, l’indemnisation des accidentés du travail et les congés. La Monnaie royale a également convenu, à l’article 12.5 du Contrat, que, pendant la durée du Contrat ou toute prorogation de celui-ci, et pendant l’année suivant sa résiliation, elle n’offrirait aucun emploi à un employé de Pro-Fac, ni n’accepterait d’embaucher un employé de Pro-Fac, sans le consentement de celle-ci.

 

[3]               Les cinq particuliers demandeurs, à savoir Jean Yves Duhaime, Paul Gravel, Christian Leroux, Jacques Lafond et John Hickey, ont été embauchés par Pro-Fac entre mars et août 1998. Ils ont été embauchés par la Monnaie royale par la suite, soit de février 1999 à février 2001.

 

[4]               Pour sa part, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) a présenté deux demandes au Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) en vue de faire inclure des employés additionnels dans une unité de négociation existante visant des employés de la Monnaie royale. Comme on soulevait des questions semblables dans les deux demandes, qui mettaient en cause les mêmes parties, de sorte que le Conseil a décidé de réunir les deux affaires. On a identifié par un nombre le poste des intéressés, à des fins de protection de leur vie privée. Des griefs déposés par quatre des particuliers demandeurs ont été mis en suspens en attendant l’issue des demandes soumises au Conseil.

 

[5]               Dans une décision datée du 1er mai 2003, le Conseil a reconnu le droit de la Monnaie royale de passer des contrats pour la fourniture de marchandises et services en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la monnaie royale canadienne, L.R.C. 1985, ch. R-9, en sa version modifiée (la LMRC). Le Conseil a également conclu que différentes personnes, notamment certaines précédemment désignées en tant qu’entrepreneurs indépendants par la Monnaie royale, étaient des « employés » au sens du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, en sa version modifiée (le Code). On a par conséquent inclus ces personnes dans l’unité de négociation.

 

[6]               Ce qui était en cause dans la décision du Conseil, c’était l’interaction du paragraphe 18(3) de la LMRC et des dispositions de la Partie I – Relations du travail, du Code. Le paragraphe 18(3) de la LMRC prévoit ce qui suit : « Les conventions collectives conclues entre l’établissement et son personnel sous le régime de la partie I du Code canadien du travail n’ont pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs de la Monnaie de passer des contrats pour la frappe de pièces ou la fourniture – à l’établissement – de marchandises ou services par le cocontractant ». Au paragraphe 3(1) du Code, par ailleurs, on définit comme suit l’expression « employé » : « Personne travaillant pour un employeur; y sont assimilés les entrepreneurs dépendants et les agents de police privés. Sont exclus du champ d’application de la présente définition les personnes occupant un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail ». L’expression « employeur » est pour sa part définie comme suit au même paragraphe du Code : « Quiconque : a) emploie un ou plusieurs employés; b) dans le cas d’un entrepreneur dépendant, a avec celui-ci des liens tels, selon le Conseil, que les modalités de l’entente aux termes de laquelle celui-ci lui fournit ses services pourrait faire l’objet d’une négociation collective ».

 

[7]               La Monnaie royale a soutenu que le paragraphe 18(3) lui conférait le droit de passer des contrats avec quiconque, peu importe les dispositions du Code. La Monnaie royale a précisé qu’il convenait d’interpréter ce paragraphe de telle manière que les entrepreneurs qui concluent des contrats avec elle pour la fourniture de marchandises et services ne soient pas considérés être des « employés » au sens du Code et, par conséquent, ne soient pas inclus dans l’unité de négociation.

 

[8]               L’AFPC a soutenu par contre que si, dans les faits, les intéressés n’étaient pas véritablement des entrepreneurs indépendants, mais plutôt des entrepreneurs dépendants ou des personnes qu’on peut considérer être des « employés » selon les dispositions du Code, on devrait plutôt percevoir ces intéressés comme des entrepreneurs dépendants ou des employés, et les inclure dans l’unité de négociation accréditée. 

 

[9]               Le Conseil a conclu dans sa décision que les véritables employés et les entrepreneurs dépendants (qui, conformément à la définition du Code, sont considérés être des « employés ») continueraient de voir leurs droits protégés par le Code. À cet égard, le paragraphe 18(3) ne limite pas directement le droit des employés d’être membres d’une unité de négociation. Le Conseil s’est fondé à ce sujet sur l’arrêt Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail),

[1997]  1 R.C.S. 1015 (Pointe-Claire), auquel les commissions du travail recourent généralement afin de déterminer quel est le véritable employeur dans les cas d’arrangements tripartites. Le Conseil a mentionné la liste non exhaustive des facteurs énoncés dans l’arrêt Pointe-Claire (les facteurs de Pointe-Claire) qui ont trait à la relation employeur-employé, comme le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise. Le Conseil a reconnu que rien ne limitait la capacité de la Monnaie royale de passer des contrats d’impartition ou d’achat de services. Toutefois, lorsque des personnes travaillent pour la Monnaie royale en exécution d’un marché de services, la relation entre elles et la Monnaie royale pourra être analysée en tenant compte des facteurs de Pointe-Claire.

 

[10]            D’intérêt tout particulier en l’espèce est la partie de la décision du Conseil concernant les employés désignés en tant qu’« entrepreneurs indépendants » sur la liste (la Liste) des postes à l’égard desquels la Monnaie royale et l’AFPC sont en désaccord. Le Conseil a souligné que l’ordonnance d’accréditation pour l’unité de négociation visait tous les employés permanents et occasionnels, sauf ceux expressément exclus. Par conséquent, même les « employés » selon la définition du Code travaillant à la Monnaie royale à titre occasionnel devraient être inclus dans l’unité de négociation. Dans sa décision, le Conseil n’analyse pas de manière exhaustive de quelle manière les facteurs de Pointe-Claire s’appliquent aux employés décrits en tant qu’« entrepreneurs indépendants » sur la Liste. Le Conseil en vient malgré tout à la conclusion suivante : « Sur la foi de la preuve qui a été soumise au Conseil dans la présente affaire, les titulaires nos 2, 11, 12, 16, 17, 18, 20, 22, 29, 31 et 32 étaient tous des employés qui faisaient partie de l’unité de négociation durant [la période où ils travaillaient théoriquement pour Pro-Fac] ».  

 

[11]           À la suite de la décision du Conseil, l’AFPC et la Monnaie royale ont conclu un protocole d’accord (le Protocole) quant au calcul des dates d’ancienneté et des avantages sociaux pour quatre des particuliers demandeurs. En ce qui concerne les droits à pension de ces derniers, la Monnaie royale a convenu de faire de son [traduction] « mieux dans la défense de leurs intérêts pour qu’ils puissent tous quatre racheter leurs droits à pension individuels ».

 

[12]           Par suite de la décision du Conseil et de la conclusion postérieure du Protocole, un représentant de l’AFPC a demandé que TPSGC reconnaisse comme « service ouvrant droit à pension » aux fins de la LPFP la période pendant laquelle les particuliers demandeurs avaient travaillé pour Pro-Fac (la période pertinente). Après examen, l’agente a rendu la décision contestée le 23 mai 2006. Dans sa décision, l’agente a fait ressortir qu’aux termes du Contrat, il est explicitement prévu que tous les employés affectés par Pro-Fac à l’acquittement de ses obligations « sont et demeureront des employés de [Pro-Fac], qui devra s’occuper des questions relevant de la relation entre l’employeur et les employés, comme le remplacement, la rémunération, la supervision, les mesures disciplinaires, l’assurance-chômage, l’indemnisation des accidentés du travail et les congés ». L’agente s’est fondée sur les documents fournis par les parties et une conversation téléphonique avec Guy Bordeleau, agent des ressources humaines à la Monnaie royale, pour conclure qu’ [traduction] « on semblait avoir affaire à une situation d’entente tripartite » entre la Monnaie royale et Pro-Fac. L’agente a consulté le Secrétariat du Conseil du Trésor et les propres Services juridiques de TPSGC et a finalement conclu qu’on ne pouvait considérer être des employés au sens de la LPFP les personnes embauchées par l’entremise d’une agence de placement temporaire ou d’un entrepreneur général. On ne pouvait donc inclure le service exécuté dans le cadre d’une entente tripartite dans le calcul, aux fins de la LPFP, du service ouvrant droit à pension. L’agente a décidé, par conséquent, de ne pas modifier rétroactivement les dates auxquelles les particuliers demandeurs étaient devenus des contributeurs aux fins de la LPFP.

 

[13]           Le 29 juin 2006, l’AFPC a déposé un avis de demande en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision contestée. Les demandeurs sollicitent une ordonnance ayant pour effet d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire à TPSGC pour nouvel examen en tenant pour acquis qu’il faut considérer les cinq particuliers demandeurs être des « employés » aux fins de la LPFP avec prise d’effet à la date respective de leur embauche par Pro-Fac.

 

[14]             Les demandeurs soutiennent que les questions suivantes sont soulevées dans le présent contrôle judiciaire :

a)      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

b)      L’agente a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que les cinq intéressés n’étaient pas des employés aux fins de la LPFP?

 

II. La norme de contrôle appropriée

 

[15]             Les demandeurs font valoir les éléments suivants : l’absence de clause privative dans la LPFP; l’absence d’expertise de l’agente par rapport à la Cour; l’objet de la LPFP, qui est d’établir les exigences applicables aux employés de la fonction publique et les options dont il disposent en matière d’admissibilité à la retraite, de contributions et d’avantages sociaux; l’absence d’intérêts à pondérer et de choix à faire entre diverses mesures de redressement; l’absence de pouvoir discrétionnaire ou de fonction politique ou juridictionnelle conféré par la LPFP à l’agente aux fins de son application. Tous ces éléments appellent un degré moindre de retenue judiciaire. Selon les demandeurs, la question de savoir si les particuliers demandeurs sont ou non des employés au sens de la LPFP est de nature purement juridique. Les demandeurs se fondent en grande partie à cet égard sur la récente décision Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), section locale 2182 c. Canada (Procureur général), 2007 CF 449, [2007] A.C.F. n° 613 (QL), où la Cour a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un administrateur de régime de pension était celle de la décision correcte.

 

[16]           La question en litige dans Syndicat national de l’automobile était de savoir si les primes de poste et de fins de semaine payables au titre d’une convention collective faisaient partie du « traitement », tel que ce terme est défini au paragraphe 3(1) de la LPFP. Le juge Lemieux a procédé à l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Il a partagé l’avis de l’avocat du demandeur selon lequel il n’y avait pas de clause privative dans la LPFP, la question visée était une pure question de droit, les questions juridiques ne relevaient pas de l’expertise de TPSGC, et trancher la question ne nécessitait aucun pouvoir discrétionnaire de la part de l’administrateur de régime, qui n’exerce en outre aucune fonction politique ou juridictionnelle. Comme en l’espèce, le défendeur prétendait pour sa part dans Syndicat national de l’automobile que la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter, vu la relative expertise de TPSGC et la nature de la question en cause, soit une question mixte de fait et de droit. Rejetant les arguments du défendeur, le juge Lemieux a conclu qu’était faible le degré de retenue dont il y avait lieu de faire preuve envers les administrateurs du régime de pension et que, pour interpréter le mot « traitement », la composante appréciation des faits de la question était minime.

 

[17]           J’estime, tout comme mon collègue le juge Lemieux, que la norme de la décision correcte était celle qu’il convenait d’appliquer aux faits de l’affaire qu’il avait à trancher; il ne devait qu’interpréter une question de droit. Si ce qui nous occupait maintenant, c’était uniquement l’applicabilité de la décision du Conseil à la décision à l’examen, la norme de contrôle appropriée serait celle, puisqu’il s’agit d’une question de droit, de la décision correcte.

 

[18]           Contrairement toutefois à la question de l’interprétation à donner au mot « traitement » – défini expressément dans la LPFP –, qui met en cause une très minime composante appréciation des faits, la question en litige en l’espèce est celle de savoir si les particuliers demandeurs sont ou non des « employés » aux fins du calcul du service ouvrant droit à pension dans le cadre de la LPFP. Par conséquent, la décision à rendre est fortement tributaire des faits. Dans cette mesure, il convient davantage de qualifier la question en litige de question mixte de fait et de droit (plutôt que de pure question de droit) appelant comme norme de contrôle celle de la décision raisonnable (se reporter à Estwick c. Canada (Procureur général), 2007 CF 894, paragraphe 80 (Estwick); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47).

 

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que le statut d’emploi des employés de la Monnaie royale relève de la compétence du Conseil et que, aux termes du paragraphe 18(2) de la LMRC, le personnel de la Monnaie royale est automatiquement réputé faire partie de la fonction publique, pour l’application de la LPFP, à compter du premier jour où il se voit verser un traitement à temps plein. Selon les demandeurs, le Conseil a tiré des conclusions expresses quant au statut d’emploi des particuliers demandeurs pendant la période où, théoriquement, ils étaient des entrepreneurs indépendants. Les demandeurs ont cité l’exemple de Christian Leroux (la personne désignée l’employé no 20, selon les demandeurs, dans la décision du Conseil), déclaré ne pas être un entrepreneur indépendant par le Conseil, mais plutôt un employé au sens du Code pendant la période pertinente. Les demandeurs soulignent que, comme la Monnaie royale n’a présenté aucune demande de contrôle judiciaire de la décision du Conseil et compte tenu des conditions du Protocole, il était manifeste que la Monnaie royale avait accepté que le point de départ de l’ancienneté des particuliers demandeurs soit modifié rétroactivement, pour correspondre à la date respective de leur embauche, où ils ont acquis la qualité d’employés à temps plein de la Monnaie royale. Les demandeurs admettent qu’en raison de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, une demande de pension peut être rejetée si le requérant a été embauché par l’entremise d’une agence de placement temporaire ou d’un entrepreneur général. Cela n’est toutefois pas pertinent dans le cas d’embauche par d’autres employeurs réglementés par le Code. Le droit est clair à cet égard : même si, dans un contrat, on désigne une personne comme dispensant des services d’« entrepreneur » plutôt que « d’employé », il ne faut pas tenir compte de cette désignation si la preuve confirme l’existence d’une relation employeur/employé. Les demandeurs s’appuient sur le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pointe-Claire pour soutenir que l’établissement du statut d’emploi des particuliers demandeurs relève bien clairement de la compétence du Conseil. Et comme la Monnaie royale n’a aucunement contesté la compétence de celui-ci, le statut d’emploi des particuliers demandeurs est celui que le Conseil leur a déjà attribué. En ce qui concerne toute nouvelle « enquête » qui pourrait être menée par l’agente, les demandeurs soutiennent-ils, la règle de l’autorité de la chose jugée est alors applicable. Les demandeurs ajoutent que rien dans la LPFP n’empêche de recourir aux facteurs de Pointe-Claire pour établir quel est le véritable employeur aux fins des questions de pension. Rien non plus dans la LPFP, finalement, ne donnerait à croire que certains employés d’un employeur réglementé par le Code, comme la Monnaie royale, auraient qualité quant aux droits à pension alors que d’autres ne l’auraient pas.

 

[20]           Les demandeurs soutiennent également que l’agente a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale en se fondant sur l’existence du Contrat et en ne prenant pas en compte l’incidence de la décision du Conseil. Les demandeurs contestent la compétence de l’agente pour procéder à sa propre enquête indépendante (en faisant ainsi abstraction des conclusions du Conseil). Les demandeurs soutiennent également, si la Cour devait toutefois estimer une telle enquête légitime, qu’il aurait été nécessaire pour l’agente d’examiner les critères énoncés par les cours et les commissions du travail en matière de statut de l’employé. Le motif pour lequel l’agente a rejeté les conclusions du Conseil c’était simplement qu’on avait tout d’abord retenu les services des employés concernés par l’entremise d’une agence de placement temporaire ou d’un entrepreneur général. Selon les demandeurs, le défaut de l’agente d’expliquer par des motifs exhaustifs un résultat s’écartant sensiblement de celui atteint par le Conseil appelle l’intervention de la Cour.

 

[21]            Selon le défendeur, les demandeurs ont donné une idée fausse de l’importance et de l’incidence de la décision du Conseil. La tâche de ce dernier consistait à établir si certaines personnes tombaient sous le coup de la définition du mot « employé » prévue au Code. Si une personne est jugée être un employé au sens du Code, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle est aussi un employé pour l’application d’autres lois. Dans la décision Estwick, la juge Heneghan a rejeté une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un arbitre qui avait conclu que les demanderesses n’étaient pas des employées de la fonction publique. Elle a conclu que la notion de « fonctionnaire » était « définie différemment selon le régime législatif » (paragraphe 26). L’arrêt Pointe-Claire est d’application restreinte en l’espèce, puisque l’affaire s’inscrivait précisément dans un contexte de négociation collective. Le défendeur déclare en outre que la décision du Conseil ne rend pas la décision contestée soumise à la règle de l’autorité de la chose jugée, vu que la décision du Conseil était de portée restreinte et qu’on n’y traitait pas de la question du statut aux fins de la retraite des particuliers demandeurs. Le défendeur ajoute que les demandeurs ont déjà reconnu l’absence de compétence du Conseil pour établir ce statut, comme l’atteste le Protocole où la Monnaie royale se voit demander (et accepte) de faire de son mieux pour que les employés en cause puissent racheter leurs droits à pension. En outre, le Conseil n’a guère expliqué dans sa décision pourquoi il considérait les intéressés être des employés au sens du Code.

 

[22]             Selon le défendeur, la preuve démontre clairement que, pendant la période pertinente, c’était au titre du Contrat conclu entre Pro-Fac et la Monnaie royale que les particuliers demandeurs travaillaient aux installations de celle-ci. De fait, le Contrat interdisait expressément à la Monnaie royale d’embaucher des employés de Pro-Fac sans le consentement exprès de cette dernière, sous peine de sanctions pécuniaires. Les parties agissaient d’une manière indiquant que Pro-Fac et non la Monnaie royale était l’employeur des intéressés. Le défendeur allègue finalement que le critère élaboré en common law pour établir le statut d’emploi n’est pas pertinent lorsque, comme en l’espèce, la notion d’« employé » applicable est expressément définie dans une loi. Le défendeur soutient à titre subsidiaire que, même si la Cour devait juger le critère de la common law applicable, l’examen de l’ensemble de la preuve devrait l’inciter à conclure que les particuliers demandeurs étaient des employés de Pro-Fac et non de la Monnaie royale durant la période pertinente. Le défendeur prétend en outre que les demandeurs manquent de sincérité en contestant maintenant la compétence de l’agente alors que c’est en fait l’AFPC qui a soumis l’affaire pour examen à TPSGC. 

 

[23]           Je suis d’avis, malgré l’habile argumentation de l’avocat des demandeurs, qu’était raisonnable la décision de l’agente en l’espèce.

 

[24]           J’en viens à cette décision après avoir conclu que rien ne vient étayer la prétention des demandeurs selon laquelle l’agente aurait dû renoncer de son propre chef à exercer son pouvoir discrétionnaire et se fonder uniquement sur la décision du Conseil pour rendre la décision contestée. Le Conseil avait pour tâche d’examiner l’interaction entre le paragraphe 18(3) de la LMRC et la définition du mot « employé » à l’article 3 du Code. Le Conseil a conclu que rien ne limitait la capacité de la Monnaie royale de passer des contrats d’impartition ou d’achat de services. Le Conseil a néanmoins conclu, après examen exhaustif de leur relation et leur situation de travail, que certaines personnes précédemment désignées par la Monnaie royale en tant qu’ « entrepreneurs indépendants » étaient en fait visées par la définition du mot « employé » prévue au Code. Ces personnes devaient par conséquent être incluses dans l’unité de négociation.

 

[25]           Le Code délimite la compétence et les attributions du Conseil. En vertu des alinéas 15b) et c) du Code, le Conseil peut prendre des règlements concernant la détermination des unités habiles à négocier collectivement, et l’accréditation des syndicats à titre d’agents négociateurs d’unités de négociation. D’après le sens ordinaire de la définition des mots  « employé » et « employeur », il est bien clair que le Conseil a le pouvoir de déterminer le statut d’emploi aux fins de la partie I du Code – Relations du travail. À ce titre, le Conseil peut conclure que certaines personnes qui travaillent dans le cadre d’un contrat conclu avec un tiers sont, en fait, des « employés » au sens du Code. Je partage donc l’avis des demandeurs selon lequel les questions liées au statut d’emploi à la Monnaie royale relèvent directement de la compétence du Conseil. J’apporterais toutefois une réserve : les questions liées au statut d’emploi à la Monnaie royale, aux fins du Code, relèvent directement de la compétence du Conseil.

 

[26]           Je ne suis toutefois pas du même avis que les demandeurs lorsqu’ils disent que  [traduction] « la situation d’emploi des particuliers demandeurs est celle que le Conseil leur a attribuée dans sa décision et, en ce qui concerne toute nouvelle "enquête" qui pourrait être menée par [l’agente], la règle de l’autorité de la chose jugée est alors applicable ». Bien au contraire, le Conseil a simplement examiné dans sa décision s’il y avait lieu d’ajouter certaines personnes à une unité de négociation existante. Le Conseil n’a aucunement traité du statut des particuliers demandeurs en matière de pension aux fins de la LPFP, et il n’avait pas compétence pour ce faire.

 

[27]           Une fois rendue la décision du Conseil, la Monnaie royale et l’AFPC ont conclu le Protocole, qui imposait à la Monnaie royale l’obligation expresse de faire de son mieux pour convaincre TPSGC de reconnaître à titre de service ouvrant droit à pension le service des particuliers demandeurs pendant la période pertinente. Il vaut la peine de répéter que c’est en fait un représentant de l’AFPC qui a le premier demandé à TPSGC de reconnaître à titre de service ouvrant droit à pension la période pendant laquelle les particuliers demandeurs avaient travaillé pour Pro-Fac. En concluant que la règle de l’autorité de la chose jugée n’est pas applicable en l’espèce, je fais remarquer qu’il serait illogique pour l’AFPC demanderesse de demander l’inscription d’une telle clause dans le Protocole, ou de demander à TPSGC de reconnaître la période pertinente à titre de service ouvrant droit à pension  aux fins de la LPFP, si le syndicat avait toujours été d’avis que la question de la pension avait déjà été tranchée par le Conseil dans sa décision.

 

[28]           Pour ce qui est maintenant du caractère raisonnable de la décision de l’agente, j’estime que la conclusion portant que les particuliers demandeurs ne pouvaient être désignés en tant qu’employés de la Monnaie royale aux fins de la LPFP appartient bien « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

[29]           Selon l’article 17 de la LMRC, un employé de la Monnaie royale est une personne nommée par celle-ci et dont la rémunération est imputée sur ses recettes :

Recrutement

 

17. (1) La Monnaie peut nommer le personnel et les mandataires nécessaires à l’exercice de ses activités.

 

 

Rémunération

 

(2) La rémunération du personnel et des mandataires de la Monnaie est imputée sur les recettes de l’établissement.

Officers and employees

 

17. (1) The Mint may appoint such officers, agents and employees as are necessary for the proper conduct of the work of the Mint.

 

Remuneration

 

(2) The remuneration of officers, agents and employees of the Mint shall be a charge against the revenues of the Mint.

 

[30]           Pour sa part, le paragraphe 18(2) de la LMRC prévoit que le personnel de la Monnaie royale est réputé faire partie de la fonction publique pour l’application de la LPFP. Comme le Conseil l’a toutefois fait remarquer dans sa décision, il découle du paragraphe 18(3) de la LMRC que les conventions collectives conclues entre la Monnaie royale et son personnel n’ont pas pour effet de porter atteinte au pouvoir de celle-ci de passer des contrats.

Appartenance à la fonction publique

 

(2) Le personnel de la Monnaie — le président compris — est réputé faire partie de la fonction publique pour l’application de la Loi sur la pension de la fonction publique. De même, la Monnaie est assimilée à un organisme de la fonction publique pour l’application de cette loi.

 

Intégrité du pouvoir de contracter

 

(3) Les conventions collectives conclues entre l’établissement et son personnel sous le régime de la partie I du Code canadien du travail n’ont pas pour effet de porter atteinte au pouvoir de la Monnaie de passer des contrats pour la frappe de pièces ou la fourniture — à l’établissement — de marchandises ou services par le cocontractant.

Master and employees deemed employed in public service

 

(2) The Master, officers and employees of the Mint shall be deemed to be employed in the public service for the purposes of the Public Service Superannuation Act, and the Mint shall be deemed to be a Public Service corporation for the purposes of that Act.

 

 

Contracting powers not limited by collective agreements

 

(3) No collective agreement entered into by the Mint with its employees pursuant to Part I of the Canada Labour Code shall prohibit or limit the power of the Mint to enter into contracts with any person to provide for the procurement by the Mint of any goods or services from that person or the minting of coins by that person.

 

[31]           Pour sa part, le paragraphe 27(1) du Règlement sur la pension dans la fonction publique, C.R.C., ch. 1358, en sa version modifiée (le Règlement), prévoit la date à laquelle une personne est censée devenue employée dans la fonction publique.

Dates officielles à compter desquelles commence et cesse un emploi dans la fonction publique 

 

27. (1) Pour l’application des parties I et II de la Loi, sauf la détermination du point de départ du délai d’exercice d’un choix, la date effective à laquelle une personne est censée être devenue employée dans la fonction publique correspond au premier en date des jours suivants :

 

 a) le premier jour pour lequel elle a reçu une rémunération à titre d’employé à plein temps;

 

 

b) si son premier emploi dans la fonction publique était à titre d’employé à temps partiel, celui des jours suivants qui est postérieur à l’autre :

 

(i) le 1er janvier 1981,

 

(ii) le premier jour pour lequel elle a reçu une rémunération à titre d’employé à temps partiel.

 

Effective Dates of Becoming and Ceasing to be Employed in the Public Service

 

 

27. (1) For the purposes of Parts I and II of the Act, other than for the purpose of ascertaining the commencement of the period within which an election may be made, the effective date on which a person shall be deemed to have become employed in the Public Service is the earlier of

 

(a) the first day in respect of which the person received remuneration as a full-time employee, and

 

(b) where the person’s first employment in the Public Service was as a part-time employee, the later of

 

 

(i) January 1, 1981, and

 

(ii) the first day in respect of which the employee received remuneration as a part-time employee.

 

[32]           La Cour suprême du Canada a déclaré que les facteurs de Point-Claire et la jurisprudence connexe auxquels on a fréquemment recours pour régler un différend quant à savoir si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant ne sont pas pertinents en cas de définition expresse dans une loi du mot « employé » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614).  Il ressort clairement des dispositions applicables de la LMRC et du Règlement qu’une personne ne sera réputée être un employé de la Monnaie royale aux fins de la LPFP qu’à compter du premier jour pour lequel elle a reçu une rémunération à temps plein, rémunération qui est imputée sur les recettes de la Monnaie royale.

 

[33]           Cette conclusion m’est dictée par interprétation de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] R.C.S. 614, où la Cour suprême du Canada a statué que la création d’une catégorie de fonctionnaires de fait est incompatible avec l’objet des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

[34]           Vu l’existence d’une définition législative expresse en l’espèce, il n’était pas déraisonnable pour l’agente de conclure que les particuliers demandeurs n’étaient pas des employés de la Monnaie royale aux fins de la LPFP pendant la période pertinente. Il appert d’une lecture attentive du clair libellé du Contrat (dont l’agente était saisie) que Pro-Fac avait à sa charge une vaste gamme de questions liées au personnel, et tout particulièrement la rémunération, la supervision, les retenues salariales et les congés. Il était en outre interdit à la Monnaie royale d’offrir ou d’accepter d’embaucher un employé quelconque de Pro-Fac sans le consentement écrit de cette dernière. La pénalité prévue en cas de violation de cette disposition par la Monnaie royale était très élevée, soit  une somme équivalant à deux années du salaire de tout employé embauché en violation du Contrat. Comme on n’a pas fait valoir une jurisprudence ou une argumentation convaincante pour étayer l’allégation selon laquelle il conviendrait de faire abstraction de l’intention des parties tel qu’en attestent les conditions du Contrat, j’estime que la décision de l’agente n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[35]           L’agente disposait également d’autres éléments de preuve tendant à démontrer que les particuliers demandeurs étaient bel et bien des employés de Pro-Fac. Selon les formulaires de renseignements sur les nouveaux employés, par exemple, ces particuliers étaient embauchés par Pro-Fac en vue de travailler au site de la Monnaie royale au titre du Contrat. Les formulaires décrivaient également les conditions d’emploi des particuliers demandeurs auprès de Pro-Fac. On a également présenté à l’agente un bulletin de paye et des retenues à la source montrant que les particuliers demandeurs étaient rémunérés par Pro-Fac pendant la période pertinente. Tel qu’en attestent les lettres d’offre d’emploi remises par la Monnaie royale aux particuliers demandeurs (toutes soumises à l’agente), il est clair que ces personnes n’ont été nommées à des postes à la Monnaie royale qu’entre 1999 et 2001, et non pendant la période pertinente.

 

[36]           Enfin, conformément aux dispositions des articles 17 et 18 de la LMRC et de l’article 27.1 du Règlement, les cinq particuliers demandeurs ne sont devenus des « employés » aux fins de la LPFP qu’une fois nommés et rémunérés par la Monnaie royale. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour l’agente de conclure qu’il n’y avait pas lieu de modifier rétroactivement la date où ces particuliers étaient réputés devenus des contributeurs sous le régime de la LPFP, de manière à ce que soit incluse la période pertinente.

 

[37]           En outre, l’allégation des demandeurs selon laquelle l’agente aurait manqué à l’obligation d’équité procédurale en s’appuyant sur un élément non pertinent tel que l’existence du Contrat et de ses conditions, en outre, est sans fondement, vu que ceux-ci ont constitué un élément fondamental ayant permis à l’agente de trancher la question principale en jeu dans sa décision.

 

[38]           Finalement je suis d’avis que les motifs de l’agente étaient suffisants, eu égard au libellé de la décision du Conseil. J’estime que l’agente n’avait pas à énoncer de longs motifs permettant de distinguer les conclusions du Conseil des siennes propres puisque, comme je l’ai déjà dit, les deux décisions ont été rendues à l’égard de questions différentes et en vertu de régimes législatifs ne se chevauchant pas.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée avec dépens.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1079-06

 

INTITULÉ :                                                   L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 25 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                    LE 14 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

 

POUR LES DEMANDEURS

Anne Turley

Lorne Ptack

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrew Raven

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck

Avocats

220, av. Laurier Ouest, pièce 1600

Ottawa (Ontario)  K1P 5Z9

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims

Sous-procureur général of Canada

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                   

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