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Date : 20080410

Dossier : IMM-1929-07

Référence : 2008 CF 463

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

YOGAMMAH THARMALINGAM

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La demanderesse, âgée de 64 ans, est une veuve sri-lankaise dont les enfants toujours en vie demeurent au Canada. Sa demande CH a été rejetée et il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

 


II.         CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka dont la demande d’asile a été rejetée en 2004. Son mari et elle ont alors présenté une demande CH. Malheureusement, M. Tharmalingam père est décédé avant que le traitement de cette demande ne soit terminé.

 

[3]               La demanderesse a trois enfants au Canada; elle a un autre fils disparu au Sri Lanka – personne ne sait où il se trouve. On suppose que ce fils s’est trouvé au cœur de la guerre civile et qu’il a simplement disparu.

 

[4]               Jusqu’à l’année dernière, Mme Tharmalingam touchait des prestations d’aide sociale. Depuis, ses enfants subviennent à ses besoins, même si un d’entre eux est sans emploi, un autre reçoit des prestations d’assurance-emploi et le troisième gagne un salaire de 1 200 $ par mois.

 

[5]               En rejetant la demande CH, l’agente a conclu que la demanderesse ne dépendait pas suffisamment de sa famille pour justifier qu’une décision favorable soit rendue à son égard. L’agente a souligné la situation financière de chaque enfant, décrite ci-dessus, et a conclu que la séparation de la demanderesse d’avec sa famille ne serait pas plus difficile qu’elle le serait pour d’autres familles dans une situation semblable. Enfin, pour ce qui est de la question financière, l’agente a ajouté que les enfants de la demanderesse pourraient ultérieurement parrainer sa demande présentée à l’étranger sous la catégorie « regroupement familial ».

 

[6]               En rejetant l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était incapable de retourner dans son pays d’origine puisqu’il n’y avait plus personne qu’elle connaissait et que sa maison était détruite, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas a) suffisamment expliqué pourquoi son fils disparu ne pouvait pas être retrouvé et n’avait pas b) bien établi que sa maison était détruite.

 

[7]               L’agente, en examinant la preuve relative à l’établissement de la demanderesse, a souligné que cette dernière ne s’était pas vraiment établie depuis son arrivée au Canada. Enfin, l’agente a jugé que la demanderesse, qui ne bénéficiait plus de l’aide sociale et dont les enfants s’occupaient, n’avait pas bien établi comment elle subvenait à ses besoins.

 

III.       ANALYSE

[8]               Comme l’a établi l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique aux questions de droit et de fait et aux questions de fait en général. La norme de la raisonnabilité exige que la Cour procède à un examen assez poussé des motifs de la décision, et reconnaît que lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est exercé et que le décideur possède une certaine expertise ou certaines connaissances, la Cour doit faire preuve d’une certaine retenue.

 

[9]               À mon avis, la décision soulève des problèmes importants. Le fait d’avoir de la compassion pour la situation de la demanderesse ne constitue pas le facteur décisif ou même un facteur déterminant. Les décisions relatives aux demandes CH sont souvent difficiles et portent fréquemment sur des situations tragiques. Il est aussi important de souligner que l’expression « d’ordre humanitaire » constitue un terme technique auquel on ne peut pas nécessairement attribuer le sens ordinaire des mots.

 

[10]           Selon moi, l’agente a tiré une conclusion déraisonnable à l’égard de la preuve financière. Le fait que les enfants de la demanderesse ne pouvaient pas satisfaire aux exigences financières d’une demande de parrainage ne peut pas être un facteur pertinent, particulièrement compte tenu de la preuve établissant qu’ils avaient été en mesure de s’occuper de la demanderesse malgré leurs situations difficiles.

 

[11]           L’autre conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve montrant comment elle subvenait à ses besoins va à l’encontre de la preuve à laquelle l’agente a fait référence dans le même paragraphe. Selon cette preuve irréfutée, la demanderesse vit chez ses enfants, qui s’occupent d’elle, particulièrement maintenant qu’elle ne bénéficie plus de l’aide sociale.

 

[12]           Cette preuve touche à l’essence même de la première conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse ne dépendait pas suffisamment de sa famille au Canada. Lorsqu’une personne compte sur sa famille pour lui fournir un logement et la nourrir, il est difficile de comprendre comment une telle preuve, surtout en l’espèce, n’a pas fortement milité en faveur d’une conclusion selon laquelle la demanderesse dépendait de sa famille.

 

[13]           Les commentaires de l’agente relativement à une demande de parrainage à l’étranger peuvent être considérés comme illogiques dans le présent contexte où les fils de la demanderesse ne satisfont pas aux conditions financières du parrainage. Ils peuvent aussi être considérés comme des conjectures quant à l’avenir. D’une manière ou d’une autre, ces commentaires ne sont d’aucune aide dans l’analyse de la demande CH.

 

[14]           Bien qu’il incombe à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa demande, il est difficile de voir ce qu’elle aurait pu faire de plus afin d’expliquer où se trouvait son fils disparu. Si l’agente jugeait la demanderesse non crédible sur ce point ou sur la perte de sa maison, une conclusion qu’elle pouvait peut-être tirer, il n’est pas possible de discerner le fondement de cette conclusion.

 

[15]           Bien que sa décision soulève des problèmes, il est injuste d’affirmer que l’agente a agi de façon arbitraire. Les faits difficiles entraînent des décisions difficiles, et l’agente devait soupeser la compassion humaine et le droit.

 

IV.       CONCLUSION

[16]           Compte tenu des conclusions de la Cour, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l’agente sera annulée et la demande CH sera renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci à la lumière d’une preuve nouvelle et plus à jour.

 

[17]           Il n’y a aucune question aux fins de certification.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agente est annulée et que la demande CH est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci à la lumière d’une preuve nouvelle et plus à jour.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1929-07

 

INTITULÉ :                                                               YOGAMMAH THARMALINGAM

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 9 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 10 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

 

 POUR LA DEMANDERESSE

Bernard Assan

 

           POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

           POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

           POUR LE DÉFENDEUR

 

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