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Date : 20080404

Dossier : IMM-1257-08

Référence : 2008 CF 433

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2008

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

MOUCTAR SOUARESY

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Introduction et faits

[1]               Il s’agit d’une demande par Mouctar Souaresy, un citoyen de la Guinée, qui recherche un sursis de sa déportation vers la Guinée prévue pour le 25 avril 2008 durant le temps que cette Cour considère et décide sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposée le 14 mars 2008 visant l’absence d’une décision de sa demande urgente de résidence permanente au Canada pour considérations humanitaires selon l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) soumise au Centre des traitements des demandes du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (le Centre) le 12 février 2008 par ses nouveaux procureurs à l’Étude légale Stewart Istvanffy (dossier de requête du demandeur, page 8). Cette demande de résidence permanente pour considérations humanitaires est appuyée/parrainée par son épouse Mme Fatim Touré.

 

[2]               Les nouveaux procureurs du demandeur ont par la suite appris que le renvoi de celui-ci avait été fixé pour le 25 avril 2008. Par lettre du 21 février 2008 au Centre, ses procureurs demandaient au Centre d’étudier sur une base urgente cette demande de résidence permanente pour motifs humanitaires et de parrainage avant sa déportation au motif que son retour en Guinée l’exposerait à l’incarcération, la torture et/ou la mort de la part des autorités de la Guinée. (Je souligne.)

 

[3]               Par lettres en date du 27 février 2008, les procureurs du demandeur sollicitent l’intervention de deux Ministres : le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le Ministre de la Sécurité publique dans ce dossier. Considérant les risques de traitements cruels identifiés, ils imploraient les deux ministres de surseoir à la déportation de celui-ci avant que son dossier ne soit étudié.

 

[4]               La correspondance du demandeur aux autorités canadiennes était appuyée par une documentation importante y inclus :

 

-       un mandat d’arrêt en date du 27 avril 2004 visant le demandeur émis par la Cour d’appel de Conakry. Ce mandat indiquait que le demandeur avait été inculpé pour rébellion courant-année 2004 (dossier de requête du demandeur, page 30);

 

-       lettre en date du 15 février 2008 d’Amnistie internationale, section canadienne francophone, opposant le renvoi du demandeur qui, selon cette organisation, serait susceptible en Guinée d’être détenu et torturé, de subir de mauvais traitements, de disparaître ou d’être exécuté extrajudiciairement (dossier du demandeur, page 45);

 

-       extrait du journal la Nouvelle Tribune, publié à Conakry, en date du 25 janvier 2005 où mention est faite de l’arrestation, de la détention et de l’évasion du demandeur (dossier du demandeur, page 65);

 

-       lettre du 15 janvier 2008 de M. Ibrahim Diallo, deuxième vice-président de l’Association des ressortissants de Guinéennes et Guinéens du Canada déclarant son soutien au demandeur pour sa résidence permanente basée sur des considérations humanitaires certifiant que celui-ci «fait l’objet de recherche en Guinée pour avoir déserté et désobéi l’ordre d’un supérieur de l’armée » (dossier du demandeur, page 24);

 

-       lettre en date du 25 janvier 2008 de M. Foday Kamara, président à Conakry du Sierra Leone Nationals Union-Guinea attestant à l’aide humanitaire apportée par le demandeur aux réfugiés de Sierra Leone durant la crise de 1999-2000 (dossier du demandeur, page 25);

 

-       autres lettres du même ordre des choses provenant de la Sierra Leone Refugee Committee in Guinea et de M. Ibrahim Yansaneh un fonctionnaire supérieur aux Nations-Unies (dossier du demandeur, pages 27 et 28).

 

[5]               Il est important, à mon avis, de résumer les décisions prises par les autorités canadiennes en matière d’immigration concernant le demandeur qui s’était intégré à l’armée guinéenne le 1er novembre 1998; avait fui la Guinée en mars 2004 après avoir été détenu pendant trois ans arrivant au Canada le 30 mars 2004 pour faire une demande d’asile le 11 mai 2004 :

 

1)  décision du 21 juillet 2006 de la Section de la protection des réfugiés : Le tribunal conclut que le demandeur est exclu du système de protection des réfugiés au Canada parce qu’il y aurait des motifs de croire qu’il pourrait avoir commis des actes visés par les articles 1F(a) et (c) de la Convention. Le tribunal n’a pas jugé à l’inclusion du demandeur, c’est-à-dire, s’il avait démontré une crainte raisonnable de persécution en Guinée. Dans son formulaire de renseignements personnels, le demandeur avait soutenu avoir été admis en 1998 dans l’armée de terre de la Guinée, avoir été soupçonné par l’armée de collaboration avec les rebelles dans le but de renverser le gouvernement; d’avoir été détenu depuis août 2001 jusqu’à son évasion le 10 mars 2004 et recherché dans son pays du fait qu’il était Malinké, sa mère sierra-leonaise et accusé de collaboration avec les rebelles sierra-leonais;

 

2)  demande d’autorisation et de contrôle judiciaire refusée le 21 juillet 2006 par un juge de cette Cour;

 

3)  le 7 août 2005, le demandeur s’est marié avec Fatim Touré, citoyenne canadienne d’origine guinéenne reconnue comme réfugiée au Canada. Avant son audience devant la Section de la protection des réfugiés le 5 avril 2006 et le 23 mai 2006, le demandeur dépose le 8 février 2008 une demande de résidence permanente, parrainée par son épouse, dans la catégorie époux ou conjoint de fait au Canada (le programme). Cette demande fut rejetée le 7 janvier 2008 au motif que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité au programme ayant été interdit du territoire canadien en vertu de l’article 35 de la Loi (dossier du demandeur, page 55);

 

4)  La demande en octobre 2007 du demandeur d’examen des risques avant renvoi (ERAR) est rejetée le 10 janvier 2008 mais seulement communiquée à celui-ci le 20 février 2008. Durant l’audience devant cette Cour à Montréal le 31 mars 2008, Maître Istvanffy, nouvellement mandaté, a reconnu que la demande ERAR du demandeur n’avait pas été appuyée par la nouvelle preuve énumérée au paragraphe 4 des présents motifs;

 

5)  Le 29 janvier 2008, avant qu’il soit au courant du résultat négatif de sa demande ERAR, le demandeur dépose une demande de résidence permanente parrainée au Canada – considérations d’ordre humanitaire. Cette demande est encore en étude.

 

II. Analyse et conclusions

[6]               Les trois critères que le demandeur doit établir pour obtenir un sursis de l’exécution de sa déportation sont bien connus. D’après l’arrêt RJR – MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, le demandeur doit :

 

1)   démontrer l’existence d’une question sérieuse à juger. « Le juge de la requête doit déterminer si le requérant a satisfait au critère, en se fondant sur le bon sens et un examen restreint sur le fond de l’affaire » (RJR – MacDonald, précité, à la page 348) c’est-à-dire « Une fois qu’une réclamation n’est ni futile ou vexatoire, le juge devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s’il est d’avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n’est en général ni nécessaire ou souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire. » (RJR – MacDonald, précité, à la page 337, dernier paragraphe)

 

2)   convaincre la Cour qu’il subira un préjudice irréparable en cas de refus du sursis. « Le terme "irréparable" a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire … » (RJR – MacDonald, précité, à la page 341).

 

3)   démontrer que la prépondérance des inconvénients le favorise. Ce critère consiste « à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond » (RJR – MacDonald, précité, à la page 342).

 

[7]               En l’espèce, j’estime que le demandeur a rencontré son fardeau d’établir l’existence de ces trois critères.

 

(a) La question sérieuse

[8]               La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 s’est penchée sur la question à savoir si la Loi canadienne sur l’immigration permettait une expulsion impliquant un risque de la torture et a conclu aux paragraphes 77 et 78 comme ceci :

 

77     La ministre a l'obligation d'exercer conformément à la Constitution le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sur l'immigration. À cette fin, elle doit mettre en balance les facteurs pertinents [page46] de l'affaire dont elle est saisie. Comme l'a dit lord Hoffmann dans Rehman, précité, par. 56 :

 

[TRADUCTION] On ne peut répondre à la question de savoir si le risque pour la sécurité nationale est suffisant pour justifier l'expulsion de l'appelant en examinant une à une les diverses allégations et en décidant si elles ont été prouvées selon une norme de preuve donnée. Il s'agit plutôt d'une question d'évaluation et de jugement requérant la prise en compte non seulement du degré de probabilité du préjudice à la sécurité nationale, mais également l'importance de la considération de sécurité en jeu et les conséquences sérieuses de l'expulsion pour la personne visée.

 

Abondant dans le même sens, lord Slynn of Hadley a dit ceci, au par. 16 :

 

[TRADUCTION] La question de savoir s'il existe une possibilité réelle [d'effet préjudiciable au R.-U., même si cet effet n'est pas direct ou immédiat] est un facteur que le secrétaire d'État doit apprécier et mettre en balance avec l'injustice qui pourrait être causée à la personne concernée si on ordonnait son expulsion.

 

Au Canada, le résultat de la mise en balance des diverses considérations par la ministre doit être conforme aux principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte. Il s'ensuit que, dans la mesure où la Loi sur l'immigration n'écarte pas la possibilité d'expulser une personne vers un pays où elle risque la torture, la ministre doit généralement refuser d'expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l'existence d'un risque sérieux de torture. [Je souligne.]

 

78     Nous n'excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l'art. 7 de la Charte soit au regard de l'article premier de celle-ci. … [Je souligne.]

 

 

[9]               En général, cette conclusion de la Cour suprême a été retenue par le Parlement dans les articles 97, 112 à 115 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés proclamée en vigueur le 22 juin 2002.

 

[10]           Le demandeur est sujet à un ordre de déportation dont la validité n’est pas contestée. Il allègue un risque substantiel de détention, de torture ou de mort s’il est déporté en Guinée. De plus, le demandeur a très récemment déposé une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires invoquant le pouvoir du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le Ministre) sous l’article 25 de la Loi qui lui confère une très large discrétion d’octroyer à un demandeur « le statut de résident permanent ou lever tout ou une partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger … ou l’intérêt public le justifient. »

 

[11]           À mon avis, la question sérieuse soulevée par la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans ce dossier est celle-ci :  « Compte tenu des circonstances particulières du demandeur, le Ministre était-il obligé de statuer sur la récente demande du demandeur de résidence permanente pour considérations humanitaires avant qu’il soit déporté vers la Guinée lorsque les éléments de preuve au dossier semble démontrer une possibilité sérieuse de risques d’être soumis à la torture, soit une menace à sa vie ou de traitements cruels ou inusités nonobstant le fait que la demande du demandeur a été déposée très récemment et contient une preuve nouvelle qui n’avait pas été soumise par le demandeur durant le processus ERAR? »

 

(b) Les autres critères

[12]           Il va de soi qu’un risque sérieux de torture ou d’exécution est un préjudice irréparable et que  la balance des inconvénients favorise le demandeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE un sursis contre la déportation du demandeur vers la Guinée avant la décision de cette Cour sur la demande d’autorisation de contrôle judiciaire et, si accordée, avant la décision de cette Cour sur le contrôle judiciaire.

 

 

                                                                                                            « François Lemieux »

                                                                                                _____________________________

                                                                                                                        Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1257-08

 

INTITULÉ :                                       MOUCTAR SOUARESY c. LE MINISTRE DE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mars 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                        Le juge Lemieux          

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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