Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080226

Dossier : T-406-07

Référence : 2008 CF 255

Toronto (Ontario), le 26 février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

VARANT PANOSSIAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La question que devait trancher la juge de la citoyenneté (la juge) était de savoir si le demandeur l’avait persuadée qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. Dans une décision datée du 11 janvier 2007 (la décision), la juge a conclu qu’elle n’en était pas convaincue et elle a donc rejeté sa demande de citoyenneté canadienne. Les présents motifs font suite à l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de cette décision.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est Libanais de naissance. Avec son frère et ses parents, il est devenu résident permanent du Canada le 8 août 1987. Cependant, un mois plus tard, le 6 septembre 1987, le demandeur s’est rendu à Chypre avec sa famille, où il a fait ses études primaires et secondaires. Il a ensuite fréquenté l’université aux États-Unis pour obtenir, le 18 décembre 1999, un baccalauréat en génie de l’aérospatiale. Peu après, le 26 décembre 1999, il est revenu au Canada pour chercher un emploi et, en mai 2000, il a été embauché par la société Goodrich Aerospace Canada Ltd. (Goodrich). Il s’agit d’une société canadienne qui a des installations à Oakville. Le demandeur y a travaillé entre mai 2000 et janvier 2002 comme intégrateur de systèmes d’atterrissage et de pilotage. Durant cette période, le demandeur a habité dans deux appartements loués et le défendeur reconnaît qu’il a établi sa résidence au Canada.

 

[3]               Cependant, le 2 janvier 2002, le demandeur a accepté de Goodrich une mission qui l’obligeait à demeurer en Allemagne durant un maximum d’un an. Cette mission s’est achevée en octobre 2002. Il fut immédiatement affecté par Goodrich à un autre projet, cette fois au Royaume-Uni. Il est resté dans ce pays jusqu’en avril 2004, puis a accepté une autre mission en France, qui, bien que d’abord fixée à deux ans, pouvait être prolongée d’un commun accord. Le demandeur travaille encore pour Goodrich en France aujourd’hui. Durant ces missions, le demandeur n’avait aucun lieu de résidence au Canada et il n’est pas établi qu’il a laissé des biens en entreposage ici. Durant les voyages d’affaires qu’il faisait chaque mois au Canada, il occupait des logements fournis par Goodrich ou bien logeait chez sa tante à Thornhill, en Ontario, et chez son frère à l’université McGill, à Montréal. À l’étranger, il occupait des logements fournis par Goodrich.

LA DEMANDE DE CITOYENNETÉ

 

[4]               Le demandeur a déposé sa demande de citoyenneté le 30 avril 2004. Cela signifiait que la période à retenir pour savoir s’il répondait aux conditions de résidence fixées dans l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), allait du 30 avril 2000 au 30 avril 2004 (la période).

 

[5]               Il ressort clairement du dossier que, durant la période, le demandeur n’a pas résidé au Canada durant les trois années, ou les 1 095 jours, qu’exige la Loi.

 

[6]               Ce qui n’est pas clair, c’est le nombre de jours durant lesquels le demandeur a été absent du Canada. Il a modifié les chiffres trois fois pendant que sa demande de citoyenneté était étudiée. Il a d’abord dit qu’il avait été absent du Canada 731 jours durant la période. Il y avait donc un déficit de 366 jours par rapport aux 1 095 jours requis. Il a ensuite dit qu’il avait été absent 681 jours durant la période, pour finalement affirmer qu’il avait été absent durant 541 jours durant la période (autrement dit, il a été présent au Canada durant 919 jours et il lui manquait donc 176 jours). En raison des divergences importantes dans les chiffres soumis, la juge de la citoyenneté a conclu que, sur cette question, elle ne disposait pas d’une preuve crédible.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

 

[7]               Dans la présente affaire, la juge a choisi d’appliquer les facteurs exposés dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), aux pages 293 et 294, pour savoir si le demandeur avait centralisé son mode d’existence au Canada.

 

[8]               Les facteurs en question sont les suivants :

1.                  La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2.                  Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3.                  La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

4.                  Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5.                  L’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

6.                  Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

(J’appellerai ces facteurs les facteurs Koo)

 

[9]               L’analyse des facteurs Koo fait intervenir des questions mixtes de droit et de fait. Dans ce cas particulier, il s’agissait en grande partie de considérations factuelles, qui faisaient intervenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et entraînaient des conclusions quant à la crédibilité. Ces facteurs appellent une certaine retenue.

 

[10]           En revanche, l’existence d’un droit d’appel, le fait que la question posée concerne une personne en particulier, enfin l’absence d’une spécialisation relative du décideur, signalent une retenue moindre. Dans ces conditions, j’accepte les observations des parties, pour qui la norme de contrôle à appliquer est la décision raisonnable simpliciter.

 

LA DÉCISION DE LA JUGE DE LA CITOYENNETÉ

 

[11]           Le défendeur admet que des erreurs ont été commises dans la décision, mais il dit qu’aucune d’elles n’est déterminante. Le demandeur, pour sa part, dit que nombre des erreurs sont déterminantes et que la demande devrait être réexaminée par un autre juge de la citoyenneté.

 

[12]           À mon avis, les erreurs suivantes ont été faites :

(i)                  Le demandeur est revenu au Canada en décembre 1999, et non en mai 2000, comme la décision le donne à penser. La décision donne aussi à penser que le demandeur a quitté le Canada le 1er novembre 2001. Cependant, il ressort clairement du dossier qu’il n’est parti pour l’Allemagne que le 2 janvier 2002. Néanmoins, ces erreurs n’étaient pas déterminantes puisque la juge n’a pas nié que le demandeur avait au départ établi sa résidence au Canada.

(ii)                La décision donne aussi à penser que le demandeur avait remis ses documents d’établissement. En réalité, cette mesure fut prise par les parents du demandeur alors qu’il était encore mineur. En tout état de cause, la décision mentionne à juste titre que son statut de résident permanent a été rétabli et, pour cette raison, je suis d’avis que cette erreur n’était pas déterminante.

(iii)               La juge a aussi relevé que la famille proche du demandeur vivait à l’étranger durant la période. Cette affirmation était vraie pour les parents du demandeur, mais, jusqu’en 2003, le frère du demandeur vivait à Montréal puisqu’il fréquentait l’université McGill. Cela dit, il est clair aussi que son frère n’avait pas fait du Canada son lieu de résidence. Il a quitté le pays après ses études et n’y est pas revenu durant la période. Pour cette raison, je suis arrivée à la conclusion que cette erreur n’était pas, elle non plus, déterminante.

(iv)              La décision mentionne à tort que le demandeur n’avait pas de permis de conduire canadien durant la période. Il avait un permis, mais il n’a pas été établi qu’il disposait d’une voiture au Canada durant la période, de telle sorte que je suis encore une fois arrivée à la conclusion que cette erreur n’était pas déterminante.

(v)                La juge est arrivée à la conclusion que le lien du demandeur avec Chypre et les États-Unis était plus étroit que son lien avec le Canada. Cependant, la preuve montrait que, durant la période, il n’a passé que six jours à Chypre et dix-neuf jours aux États-Unis. Néanmoins, je crois que cette erreur est sans importance parce que, durant la période, le demandeur n’a pas montré un lien plus étroit avec le Canada qu’avec un autre pays. Le dossier révèle que, à la fin de la période, il n’avait pas de véritables actifs au Canada, pas de famille proche au Canada, pas de domicile et aucune certitude d’emploi auprès de Goodrich au Canada lorsque prendrait fin son affectation à l’étranger.

(vi)              La décision mentionne que le demandeur a au Canada « quelques » membres de sa famille élargie. C’est là une affirmation en dessous de la vérité parce que, en réalité, dix‑neuf membres de sa famille élargie sont citoyens canadiens. Néanmoins, le fait que le demandeur compte plusieurs membres de sa famille qui sont citoyens et résidents du Canada n’en fait pas un résident. Pour cette raison, la taille exacte de sa famille élargie n’est pas déterminante.

 

[13]           Le demandeur relève qu’il n’est nulle part mentionné que son employeur est une société canadienne, que ses missions étaient temporaires et qu’il devait retourner au Canada chaque mois (en moyenne) durant ses affectations à l’étranger. Cependant, ni l’établissement d’un employeur ni l’obligation qu’il fait à ses employés de visiter son siège social ne confèrent le statut de résident à un employé absent qui fait une demande de citoyenneté : voir la décision Re Leung (1991), 42 F.T.R. 149, au paragraphe 32. Par ailleurs, je suis d’avis que la juge n’aurait pu décemment qualifier de temporaires toutes les affectations du demandeur. L’affectation en Allemagne pourrait être qualifiée de temporaire, mais les affectations au Royaume-Uni et en France n’étaient pas des affectations à durée fixe. Chacun des contrats pouvait être prolongé indéfiniment d’un commun accord des parties et aucun d’eux n’obligeait l’employeur à réembaucher le demandeur au Canada. Par conséquent, selon moi, ces critiques ne révèlent pas d’erreurs déterminantes.

 

[14]           Le demandeur dit que la juge a commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas prononcée d’une manière définitive sur le nombre de jours d’absence et de présence du demandeur au Canada durant la période. Cependant, puisque la juge doutait de la crédibilité du demandeur, elle ne disposait d’aucune preuve digne de foi qui lui eût permis de tirer une conclusion précise.

 

[15]           La juge a conclu que le demandeur n’avait pas résidé durant une longue période au Canada avant qu’il ne commence à accepter des affectations à l’étranger. Le demandeur dit que la période était de près de deux ans et qu’elle correspondait au temps écoulé depuis la fin de ses études. Il dit que l’adjectif [traduction] « long » doit être considéré dans ce contexte et que son séjour est injustement qualifié de [traduction] « court séjour ». Cependant, à mon avis, la juge n’a pas commis d’erreur. Une période de deux ans n’est pas une longue période. Cette conclusion s’accorde en général avec une décision rendue par le juge Mosley, Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 47, où il a confirmé la conclusion d’un juge de la citoyenneté selon laquelle une période de dix-huit mois ne constituait pas un long séjour au Canada.

 

[16]           Le demandeur dit aussi que la juge avait envers lui une obligation d’équité et qu’elle a manqué à cette obligation. Le manquement en question se serait produit parce que la Loi et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), ainsi que le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), ne disent pas la même chose, en ce sens que la condition de résidence fixée dans la Loi pour l’obtention de la citoyenneté (les paragraphes 5(1) et 5(1.1)) est différente de la condition de résidence imposée pour le maintien du statut de résident permanent d’après la LIPR (article 28) et d’après le Règlement (paragraphes 61(1) et (3)).

[17]           Plus précisément, le demandeur déplore que, d’après la LIPR et son Règlement, l’occupation d’un emploi à l’étranger pour une société canadienne est comptée dans l’accomplissement de son obligation de résidence, alors que la Loi ne tient pas compte de l’occupation d’un tel emploi comme moyen de remplir la condition de résidence.

 

[18]           Selon moi, cet argument est sans fondement. Il n’y a rien d’injuste dans la décision du Canada d’imposer des obligations de résidence plus rigoureuses à ceux qui choisissent de devenir citoyens canadiens.

 

CONCLUSION

 

[19]           La résidence du demandeur au Canada a été prouvée durant la période, mais elle n’a pas été maintenue. En décidant de vivre et travailler à l’étranger d’une manière permanente durant la deuxième moitié de la période, le demandeur est devenu un visiteur lorsqu’il est revenu au Canada pour visiter ses proches et ses collègues de travail. Il faisait ces voyages régulièrement et passait ici un temps considérable au cours de ces visites, et il s’occupait ici de ses affaires financières, mais cela ne change rien au fait qu’il n’a pas centralisé son mode d’existence au Canada. Il vivait et travaillait à l’étranger.

 

 

JUGEMENT

 

APRÈS avoir examiné les pièces produites et entendu les observations des avocats des deux parties à Toronto, le 27 août 2007;

 

LA COUR STATUE que, pour les motifs susmentionnés, l’appel est rejeté. Il n’est pas adjugé de dépens.

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                T-406-07

 

 

INTITULÉ :                                                               VARANT PANOSSIAN

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 27 AOÛT 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LA JUGE SIMPSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 26 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Linda Chen                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mario Bellissimo

Avocat                                                                         POUR LA DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.