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Date : 20080221

Dossier : T-1930-07

Référence : 2008 CF 237

Vancouver (Colombie-Britannique), le 21 février 2008

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

demandeur

 

et

 

 

JAY CURRIE, ALIAS

JAY FERGUSON ELLIOTT CURRIE

et JAY F.E. CURRIE

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête présentée au nom du demandeur, le ministre du Revenu national (le ministre), visant à obtenir une ordonnance contre le défendeur en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) lui enjoignant de fournir les renseignements et les documents exigés par le ministre en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi.

 

[2]               Le défendeur devait fournir les renseignements et les documents exigés par le ministre, mais ne l’a pas fait. Le privilège des communications entre client et avocat ne s’applique pas aux renseignements et documents exigés par le ministre.

 

[3]               L’ordonnance demandée enjoindra au défendeur de fournir les renseignements suivants :

a)         tous les détails relatifs à chacune des institutions financières, y compris toute société ou tout nom commercial, avec lesquelles Jay Currie (également connu comme Jay Ferguson Elliott Currie) a traité du 1er janvier 2007 au 30 juin 2007, notamment les noms, les adresses complètes et le genre de transactions effectuées;

b)        tous les détails, notamment les noms, les adresses et les sommes versées, concernant les parties aux contrats écrits ou verbaux y compris toute société ou tout nom commercial, conclus par Jay Currie (également connu comme Jay Ferguson Elliott Currie), entre le 1er janvier 2007 et le 30 juin 2007;

c)         tous les détails concernant les débiteurs, y compris toute société ou tout nom commercial, notamment les noms, les adresses, les sommes à recevoir et les sommes à recevoir projetées, pour tous les travaux en cours en date du 30 juin 2007 de Jay Currie (également connu comme Jay Ferguson Elliott Currie);

d)        une liste complète des sommes, des actions, des titres, des intérêts, des dividendes et des autres actifs détenus ou accumulés directement ou indirectement par Jay Currie (également connu comme Jay Ferguson Elliott Currie) ou pour son bénéfice, notamment dans toute société ou tout nom commercial, entre le 1er janvier 2007 et le 30 juin 2007;


e)         une liste complète de tous les représentants, notamment toute société ou tout nom commercial, y compris leurs noms et leurs adresses, qui ont géré des transactions et/ou des comptes de placement au nom de Jay Currie (également connu comme Jay Ferguson Elliott Currie), du 1er janvier 2007 au 30 juin 2007;

f)         une liste complète de tous les revenus touchés par Jay Currie (également connu comme Jay Ferguson Elliott Currie) entre le 1er janvier 2007 et le 30 juin 2007, notamment le nom des sources, leurs adresses et les sommes touchées, y compris toute société ou tout nom commercial.

  (Les renseignements et les documents)

[4]               L’audience sur la requête avait été fixée au 17 décembre 2007. L’audience a été ajournée pour permettre au défendeur de préparer des observations supplémentaires et de déposer un avis de question constitutionnelle. L’affaire a été reportée pour séance générale à Vancouver, le 18 février 2008.

 

[5]               La Cour dispose du dossier du demandeur, qui contient l’avis de demande, l’affidavit signé par Linda Brown le 7 novembre 2007, le mémoire des faits et du droit du demandeur et son recueil de jurisprudence et de doctrine.

 

[6]               Le dossier modifié du défendeur contient son mémoire modifié des faits et du droit et son recueil de jurisprudence et de doctrine. Le défendeur n’a déposé ni avis de question constitutionnelle ni preuve par affidavit.


Analyse

[7]               Selon l’article 231.2 de la Loi, le ministre peut « pour l’application et l’exécution de la présente loi y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi » exiger d’une personne qu’elle fournisse des renseignements ou des documents.

 

[8]               La preuve sur laquelle se fonde le ministre afin d’établir les faits nécessaires à l’application de l’article 231.7 est exposée dans l’affidavit de Linda Brown, une agente de recouvrement au Bureau des services fiscaux de l’Agence du revenu du Canada à l’île de Vancouver. Ces faits ne sont pas contestés par le défendeur. Je suis convaincu que ces faits établissent que le défendeur devait fournir les renseignements et les documents, et que le privilège des communications entre client et avocat ne s’appliquait pas aux renseignements et documents exigés. Je suis par conséquent convaincu que les conditions préalables prévues aux alinéas 231.7(1)a) et b) pour la délivrance d’une ordonnance sous le régime de la Loi ont été satisfaites.

 

[9]               Dans son dossier modifié, le défendeur ne conteste plus la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la Loi. Cependant, il affirme que le processus qui sous‑tend la demande n’est pas conforme aux Règles des Cours fédérales (les Règles), et qu’il n’y a pas de processus clair, de sorte que le défendeur ne sait pas quelles sont les règles applicables à l’instance et qu’il lui est donc impossible de répondre adéquatement à la demande.

 

[10]           Le défendeur allègue aussi qu’en raison de ce vice procédural, l’ordonnance a pour effet de rendre la « saisie » des renseignements et des documents déraisonnable, ce qui porte ainsi atteinte à ses droits garantis par l’article 8 de la Charte.

 

[11]           De plus, selon le défendeur, l’omission de prévoir un processus clair ou de se conformer aux Règles est contraire aux principes de justice fondamentale et porte atteinte à ses droits garantis par l’article 7 de la Charte.

 

[12]           Selon les observations du défendeur, la seule réparation possible est le rejet de la demande.

 

[13]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, tous les arguments du défendeur doivent être rejetés.

 

[14]           Peu après l’entrée en vigueur de la disposition contestée, le ministre a demandé des directives à la Cour, conformément à l’article 72 des Règles, à l’égard des instances introduites en application de l’article 231.7 de la Loi. Le protonotaire Lafrenière a donné des directives le 22 avril 2002, dans le dossier de la Cour T‑643‑02, Ministre du Revenu national c. Neil T. Norris. Ces directives énoncent la procédure à suivre dans des instances introduites en vertu de l’article 231.7 de la Loi. Cette procédure est la suivante :

[6]        Le demandeur devra déposer un avis de demande établi selon la formule 301, qui sera considéré par le greffe comme un acte introductif et un avis de requête, et qui :

 

a)         prévoira la date, l’heure et le lieu où la demande sera entendue, soit à une séance générale de la Cour, soit à une date non prévue aux séances générales, telle que l’aura fixée l’administrateur judiciaire sur demande sans formalités présentée par le demandeur;

b)         sera modifié en supprimant toute mention aux articles 300 et suivants des Règles;

c)         contiendra un avis rédigé en lettres majuscules et en caractères gras qui indiquera : « Le défendeur qui désire s’opposer à la demande doit signifier un dossier de réponse et en déposer trois copies au plus tard à 14 heures le jour ouvrable précédant l’audition de la requête »;

d)         sera accompagné des droits de dépôt appropriés.

 

[7]        Une fois que l’avis de demande aura été déposé, le demandeur devra signifier personnellement au défendeur un dossier de demande contenant une table des matières, l’avis de demande, les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de la demande, ainsi que son mémoire des faits et du droit. Le demandeur devra déposer trois copies du dossier de demande et une preuve de signification, conformément à l’article 237.1 de la Loi, dans les plus brefs délais et, dans tous les cas, au plus tard deux jours francs avant la date prévue pour l’audition de la demande.

 

 

[15]           La procédure susmentionnée a pour l’essentiel été suivie pendant un certain nombre d’années dans les demandes présentées en vertu de l’article 231.7 de la Loi et a été confirmée comme la procédure appropriée à suivre dans la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Cornfield, 2007 CF 436, aux paragraphes 15, 16 et 30.

 

[16]           Bien qu’il ne fasse pas précisément mention d’une disposition particulière des Règles, l’avis de demande fait référence aux Règles et, plus important encore, indique en caractère gras : « […] Le défendeur qui désire s’opposer à la demande doit signifier un dossier de réponse et en déposer trois copies au plus tard à 14 heures le jour ouvrable précédant l’audition de la requête ».

[17]           Je suis d’accord avec l’observation du demandeur selon laquelle les Règles visent fondamentalement à servir l’intérêt de la justice fondamentale. En l’espèce, le défendeur avait reçu un avis clair de l’instance introduite contre lui, de la nature et des détails de l’ordonnance sollicitée, ainsi que des moyens sur lesquels se fondait la demande.

 

[18]           Le défendeur avait aussi été avisé que s’il désirait contester la demande, il devait signifier et déposer un « dossier de réponse » dans le délai prévu.

 

[19]           À mon avis, il n’y a pas eu atteinte aux principes de justice fondamentale du fait que l’avis de demande n’indiquait pas ce qui devait être inclus dans le dossier du défendeur. Les Règles, en ce qui concerne à la fois les demandes (paragraphe 310(2)) et les requêtes (paragraphe 364(2)), prévoient ce qui doit être inclus dans le dossier du défendeur. Les deux dispositions sont essentiellement les mêmes et guident les parties dans la préparation de leurs réponses à de telles demandes.

 

[20]           Dans les circonstances, le défendeur savait quels arguments il avait à réfuter. Le défendeur pouvait facilement faire corriger tout vice ou manque de précision dans la procédure à suivre en demandant des directives à la Cour. Le processus décrit dans l’avis de demande est juste et ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale.

 

[21]           Puisqu’on a répondu aux préoccupations du défendeur quant au caractère équitable de l’instruction, ses contestations portant sur des motifs constitutionnels sont mal fondées. Comme il a été indiqué ci‑dessus, le défendeur était au courant des arguments qu’il devait réfuter et a eu l’occasion de présenter une défense pleine et entière. Toute confusion quant à des questions de procédure peut être dissipée par des directives de la Cour. De telles questions ne sont pas de la nature de celles envisagées par l’article 7 de la Charte, où l’accent est mis sur des notions telles que le droit de présenter une défense pleine et entière.

 

[22]           La Cour suprême a répondu en tout point aux prétentions du défendeur quant à l’article 8 de la Charte dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, à la page 650 de ses motifs, en concluant que la saisie envisagée par le paragraphe 231(3) de la Loi était raisonnable et ne violait pas l’article 8 de la Charte. De plus, le défendeur n’a pas été en mesure d’établir comment le processus contesté lui aurait causé un préjudice. Il bénéficiait de plus de 90 jours pour préparer son dossier, il n’a présenté aucune preuve et il a choisi de ne pas contre‑interroger l’unique déposante du demandeur.

 

[23]           Les dispositions de la Loi portant sur les ordonnances sont claires, et les faits qui doivent être établis par le ministre afin d’obtenir une telle ordonnance le sont aussi. Ces dispositions sont propres aux demandes d’ordonnances et il faut les préférer à l’application large de règles plus générales. Cela ne signifie pas que les Règles ne peuvent s’appliquer dans de telles demandes. Dans l’affaire qui nous occupe, les Règles ne font que compléter le processus prévu par la Cour pour de telles demandes présentées sous le régime de la Loi, conformément à l’article 72 des Règles.

 

[24]           La preuve présentée par le ministre indique que le défendeur a une dette fiscale et que les renseignements demandés sont nécessaires à l’application et à l’exécution de la Loi, y compris la perception d’un montant payable.

 

[25]           Dans les circonstances, je suis convaincu que :

1)         Les exigences permettant d’accorder une ordonnance contre le défendeur en vertu de l’article 231.7 de la Loi, ordonnance visant la production de renseignements et de documents exigés par le ministre en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi ont été remplies. Ces exigences étaient les suivantes :

a)         le défendeur devait en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi fournir les renseignements et les documents exigés par le ministre;

b)         le défendeur n’a pas fourni les renseignements et les documents exigés par le ministre;

c)         le privilège des communications entre client et avocat ne s’applique pas aux renseignements et documents exigés par le ministre.

2)         Le défendeur n’a toujours pas fourni au ministre les renseignements et les documents demandés;

3)         Le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1) de la Loi, ne s’applique pas aux renseignements et aux documents;

4)         Une ordonnance doit être rendue en vertu de l’article 231.7 de la Loi enjoignant au défendeur de fournir les renseignements et les documents demandés (décrits au paragraphe [3] ci‑dessus).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que, par application de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le défendeur se conforme à l’avis délivré par le ministre et qu’il fournisse sans délai et quoi qu’il en soit à un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada qui exerce les pouvoirs conférés par la Loi de l’impôt sur le revenu ou à toute autre personne désignée les renseignements et les documents énoncés au paragraphe [3] des motifs de la présente ordonnance, et ce, au plus tard 30 jours après avoir reçu signification de la présente ordonnance.

LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT que des dépens de 779,24 $ soient adjugés au ministre.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-1930-07

 

INTITULÉ :                                                               LE MINISTRE DU REVENU

                                                                                    NATIONAL

                                                                                    c.

                                                                                    JAY CURRIE (ALIAS

                                                                                    JAY FERGUSON ELLIOTT CURRIE et

                                                                                    JAY F.E. CURRIE)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         VANCOUVER

                                                                                    (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 18 FÉVRIER 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE   

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 21 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amanda Lord

 

    POUR LE DEMANDEUR

Jay Currie

 

  POUR LE DÉFENDEUR

                (POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

  POUR LE DEMANDEUR

Aucun

 

POUR LE DÉFENDEUR

              (POUR SON PROPRE COMPTE)

 

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