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Date : 20080215

Dossier : T-1040-07

Référence : 2008 CF 193

Ottawa (Ontario), le 15 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

ALLEN LABOUCAN, FLOYD NOSKIYE, LESLIE JOE LABOUCAN,

MONA DUMAS, ROBERT CHARLIE NANOOCH et

SOLOMON ST. ARNAULT

demandeurs

et

 

GUS LOONSKIN, ARTHUR LABOUCAN, JOHN M. LABOUCAN,

DANIEL NANOOCH, ALFRED JOE SEESEEQUON, FLOYD AUGER,

HENRY GRANDEJAMBE, MICHAEL NANOOCH,

LORNE TALLCREE, DELMER D'OR, LESTER NANOOCH

et la NATION DES CRIS DE LITTLE RED RIVER No 447

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont des candidats défaits à l’élection du chef et des conseillers de la défenderesse la Nation des Cris de Little Red River no 447, élection qui a eu lieu en avril 2007. Les défendeurs individuels sont les candidats élus. Les demandeurs contestent les résultats de l’élection au motif qu’il y aurait eu un certain nombre d’irrégularités. Ces allégations ont été examinées par le Comité des appels en matière d’élections (le Comité) établi en vertu du Code électoral fondé sur la coutume (le Code) de la Nation des Cris de Little Red River. Le Comité a conclu qu’il y avait effectivement eu des irrégularités et des manquements au Code. Cependant, il a aussi conclu que ces problèmes n’étaient pas [traduction] « importants au point de mettre en doute la légitimité même des résultats de l’élection ». Par conséquent, le Comité n’a pas ordonné la tenue d’une nouvelle élection.

[2]               Les demandeurs allèguent que le Comité a commis une erreur de droit en omettant d’imposer aux défendeurs le fardeau de prouver que les irrégularités de l’élection n’avaient eu aucune incidence sur les résultats. Le Comité a plutôt exigé des demandeurs qu’ils prouvent que ces irrégularités avaient eu une incidence sur les résultats de l’élection. Les demandeurs me demandent d’annuler l’élection ou, subsidiairement, d’ordonner qu’un comité différemment constitué réexamine la cause des demandeurs.

[3]               Je ne vois aucune raison d’annuler la décision du Comité; par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

I.  Question en litige

 

[4]               Le Comité a-t-il commis une erreur de droit?

 

 

 

 

 

II.  Analyse

[5]               Les parties reconnaissent que je peux annuler la décision du Comité si je conclus que son traitement de la question du fardeau de la preuve était erroné.

1.  Contexte factuel

[6]               Les demandeurs ont soulevé trois questions devant le Comité. Premièrement, ils ont présenté des éléments de preuve établissant qu’il n’y avait pas de traducteurs présents afin d’aider les électeurs dont la langue maternelle était le cri. Conformément au Code, des traducteurs [traduction] « doivent être nommés par le fonctionnaire électoral » (article 9). Le fonctionnaire électoral a soutenu qu’il n’avait pas été en mesure de trouver quelqu’un pouvant agir à titre de traducteur. La preuve montrait que la majorité des électeurs qui avaient eu besoin d’aide avaient reçu l’assistance de bénévoles. Dans le cas de deux électeurs, il existait une possibilité que la personne les ayant aidés ait tenté d’influencer leurs votes. Le Comité a jugé que la preuve était insuffisante pour conclure que l’absence de traducteurs avait eu une incidence sur les résultats de l’élection.

[7]               Deuxièmement, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve établissant que quelques électeurs avaient voté ailleurs que dans un isoloir, soulevant des questions quant au caractère secret des bulletins de vote. En raison des longues files, certains électeurs avaient obtenu l’autorisation de remplir leur bulletin de vote à un comptoir de vente ou dans les salles de bains. Le Comité a conclu que les électeurs eux-mêmes étaient responsables de ce problème puisqu’ils n’étaient pas prêts à attendre en file. De plus, rien n’indiquait que ces électeurs n’avaient pas été en mesure de voter selon leur conscience ou que le problème était généralisé au point de mettre en doute les résultats de l’élection.

 

[8]               Troisièmement, le Comité a examiné la preuve selon laquelle une personne aurait peut-être tenté d’influencer certains électeurs de façon inappropriée le jour de l’élection. Cette personne n’était pas une candidate, mais appuyait le défendeur Gus Loonskin, qui a en fin de compte été élu chef. M. Loonskin a affirmé qu’il n’avait pas autorisé cette personne à agir en son nom. Le Comité a jugé que la preuve dont elle disposait était si faible qu’elle ne lui permettait pas de conclure à des manœuvres électorales frauduleuses.

 

2.  Fardeau de la preuve

 

[9]               Les demandeurs allèguent que le Comité a commis une erreur de droit en confirmant les résultats de l’élection, malgré leurs sérieuses allégations. Ils soutiennent s’être acquittés de leur fardeau ultime en présentant des éléments de preuve établissant des irrégularités importantes. À ce moment, le fardeau de la preuve revient aux défendeurs, qui doivent prouver que les problèmes n’ont eu aucune incidence sur les résultats. Si les défendeurs ne peuvent s’acquitter de ce fardeau, les demandeurs ont alors droit à une nouvelle élection. 

 

[10]           Selon les motifs énoncés par le Comité, il semble que ce dernier ait imposé aux demandeurs le fardeau de prouver les irrégularités et de prouver que ces irrégularités étaient si importantes qu’elles avaient eu une incidence sur les résultats de l’élection. Le Comité a conclu, en fait, que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de ce fardeau et, par conséquent, a refusé d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection.

 

[11]           À l’appui de leur position, les demandeurs invoquent le libellé du Code et les décisions Dumont c. Fayant, [1995] A.J. no 895 (B.R.) (QL) et Leroux c. Molgat, [1985] B.C.J. no 45 (C.S.) (QL). Les défendeurs allèguent que le libellé du Code appuie en fait leur position selon laquelle le fardeau de la preuve revient en tout temps aux demandeurs. De plus, ils allèguent que les décisions citées par les demandeurs traitent de systèmes électoraux différents et n’aident pas à trancher la question en l’espèce.

 

[12]           À mon avis, le Code (article 21) n’indique pas clairement à qui incombe le fardeau de la preuve ou si ce fardeau est déplacé à un moment donné. Le Code énonce simplement que le Comité, après avoir entendu les témoignages, peut :

 

1)      refuser d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection en raison de l’insuffisance des éléments de preuve présentés par le candidat qui interjette appel des résultats de l’élection;

 

2)      refuser d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection au motif que l’activité en question n’a eu aucune incidence sur les résultats de l’élection;

 

3)      ordonner la tenue d’une nouvelle élection, mais uniquement pour le bureau électoral dont les résultats font l’objet de l’appel.

 

[13]           Les décisions citées par les demandeurs traitent d’un principe général qui intervient dans les contestations en matière électorale et qui, selon moi, s’applique également en l’espèce : ceux qui contestent une élection devraient avoir à prouver qu’il s’est produit quelque chose de grave. Les résultats d’une élection ne devraient pas être modifiés à la légère. Les demandeurs reconnaissent qu’aucune élection n’est parfaite et qu’il y aura toujours des irrégularités. Par conséquent, pour être en mesure de s’acquitter de leur fardeau, les demandeurs doivent démontrer que l’élection pose des problèmes importants. C’est à ce moment seulement que le fardeau revient aux défendeurs, qui doivent démontrer qu’il est quand même possible de se fier aux résultats de l’élection. Il apparaît donc logique d’imposer ce fardeau au défendeur, en l’espèce la Nation des Cris de Little Red River no 447, puisqu’il s’agit de l’entité chargée d’organiser les élections et de s’assurer que les exigences légales ont été satisfaites.

 

[14]           Cependant, la question de savoir à quel moment le fardeau revient aux défendeurs se pose toujours. À mon avis, le fardeau devrait être déplacé au moment où les demandeurs ont présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les irrégularités reprochées sont assez importantes pour mettre en doute les résultats de l’élection, ou que l’élection a été viciée par le non‑respect d’un principe démocratique fondamental, tel que le caractère sacré du secret du vote. À ce moment, il devrait incomber aux défendeurs de prouver qu’il n’y a eu aucune incidence sur les résultats.

 

[15]           En l’espèce, le Comité a conclu que les irrégularités avaient seulement touché quelques électeurs. Elles n’avaient pas mis en doute les résultats de l’élection. Bien qu’un problème se soit peut-être posé en ce qui concerne le caractère secret du vote, le Comité a correctement tenu compte du fait qu’un petit groupe d’électeurs avaient choisi de leur plein gré de remplir leur bulletin de vote à l’extérieur de l’isoloir. Rien n’indiquait que d’autres personnes pouvaient voir ces bulletins ou que quiconque ait été influencé dans son choix de candidat. Dans les circonstances, il n’y avait aucune raison d’exiger des défendeurs qu’ils établissent l’absence d’incidence sur les résultats de l’élection.

 

[16]           Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

 

            Traduction certifiée conforme

 

                Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-1040-07

                                                           

 

INTITULÉ :                                                               ALLEN LABOUCAN ET AL.

                                                                                    c.

                                                                                    GUS LOOSKIN ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 4 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 15 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas R. Owen

 

        POUR LES DEMANDEURS

 

Brian Kickham

 

 

       POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Owan Law

Edmonton (Alberta)

 

       POUR LES DEMANDEURS

Miller Thomson LLP

Edmonton (Alberta)

     POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

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