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Date : 20080207

Dossier : IMM-1885-07

Référence : 2008 CF 160

Toronto (Ontario), le 7 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

SHANE SHAD LEON

                          

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

 

                                                                                   

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

            défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne une demande de protection présentée par un jeune homme (le demandeur) qui craint pour sa vie s’il retourne à Sainte-Lucie. Le demandeur craint son beau‑père, un violent pédophile qui l’a agressé sexuellement, l’a menacé de mort et a commis des voies de fait à l’endroit de sa mère lorsqu’il était enfant. Le demandeur s’est enfui au Canada en raison de cette violence.

 

[2]               Le demandeur soutient que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) est allée à l’encontre du principe de l’application régulière de la loi dans le traitement de son dossier. Au départ, l’audience portant sur la demande du demandeur devait avoir lieu en novembre 2006, mais, puisque son conseil était malade et que le demandeur n’était pas prêt à procéder en l’absence de son conseil, l’audience a été reportée en décembre 2006. L’audience a été reportée de nouveau, au 9 mars 2007, parce que le demandeur n’était pas en mesure de comparaître pour un motif valable. Les ajournements ont été accordés de manière péremptoire.

 

[3]               Le demandeur s’est présenté à l’audience du 9 mars en l’absence de son conseil. Dans son affidavit, le demandeur relate comme suit ce qui s’est passé :

      [traduction]

      Mon avocat n’était pas présent à l’audience. J’ai dit au tribunal que je ne serais pas en mesure de comparaître à l’audience sans mon conseil, car ce dernier avait en sa possession toute la documentation communiquée et d’autres documents que je devais consulter au cours de l’audience. J’ai essayé de le joindre par téléphone à partir des bureaux de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais je suis tombé sur sa boîte vocale et je lui ai laissé un message.

 

      Le tribunal a toutefois insisté pour tenir l’audience, que ce soit ou non en présence de mon conseil, et il n’était pas disposé à reporter l’audition de l’affaire à une date ultérieure.

 

      À l’audience, le commissaire a soulevé la protection de l’État et d’autres questions, mais, dans l’ensemble, je n’avais aucune idée de ce dont il parlait parce que je n’avais pas eu l’occasion de passer en revue les pièces auxquelles il faisait référence. De plus, aucun conseil n’était présent pour m’aider à traiter de toutes les questions d’ordre technique qui m’ont été posées, questions que je ne comprenais pas.

 

(Affidavit du demandeur, dossier de demande du demandeur, page 15, paragraphes 9 à 11)

 

L’audience a néanmoins commencé et, d’après le dossier officiel, le demandeur a accepté de procéder. 

 

[4]               Une question cruciale soulevée à l’audience était de savoir si le demandeur avait cherché à obtenir la protection de l’État à Sainte-Lucie et s’il pouvait obtenir cette protection à son retour dans ce pays. Dans sa décision, la SPR a accepté le témoignage du demandeur selon lequel il avait peur de faire part à sa mère des mauvais traitements qu’il avait subis en raison des menaces que lui avait faites son beau-père, et il n’avait pas dénoncé à la police les actes de violence de ce dernier parce qu’il ne croyait pas que la police le protégerait de son beau-père. 

 

[5]               L’audience tenue par la SPR s’est terminée sans qu’aucun argument n’ait été présenté.

 

[6]               La SPR s’est prononcée en ces termes sur la protection de l’État :

Lorsqu’un État en question est un État démocratique, le demandeur d’asile doit faire davantage que simplement indiquer qu’il est allé voir certains membres de la police et que ses efforts n’ont pas abouti. Le fardeau de la preuve imposé au demandeur d’asile est, d’une certaine manière, directement proportionnel au niveau de démocratie de l’État en question : plus l’État a des institutions démocratiques, plus le demandeur d’asile doit avoir fait d’efforts afin d’épuiser tous les recours qui lui étaient offerts.

 

Il n’y a pas de preuve que le demandeur d’asile a demandé l’aide de quiconque sauf à un ami de son père. Le demandeur d’asile a présumé que la police ne le protégerait pas et ne s’est jamais adressé à un échelon d’autorité plus élevé de l’appareil policier.

 

(Décision de la SPR, page 4)

 

 

[7]               La SPR n’a manifestement pas pris en compte la preuve du demandeur en se prononçant sur la protection de l’État dans sa décision. Les conclusions tirées dans la décision supposent que le demandeur devait employer tous les moyens à sa disposition pour obtenir la protection de l’État et même s’adresser aux instances supérieures de la police pour ce faire. À mon avis, la preuve du demandeur est effectivement suffisante pour réfuter cette présomption et il faut l’analyser en profondeur avant de la rejeter. En outre, dans sa conclusion selon laquelle le demandeur peut se prévaloir de la protection de l’État s’il retourne à Sainte-Lucie, la SPR ne reconnaît pas les sévices subis auparavant par le demandeur aux mains de son beau-père et ne détermine pas si l’État de Sainte‑Lucie protégerait le demandeur contre son beau-père, compte tenu du fait que celui‑ci est un agent de police. J’estime que les lacunes relevées ci-dessus dans la décision de la SPR sont des erreurs susceptibles de contrôle (voir Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79).

 

[8]               En plus de faire valoir que l’audience tenue par la SPR allait à l’encontre du principe de l’application régulière de la loi, l’avocat du demandeur prétend que la décision en soi est manifestement déraisonnable vu la manière dont a été conduite l’audience et compte tenu de la décision exposée ci-dessus.

 

[9]               À mon avis, il existe un rapport direct entre le caractère erroné de la décision et l’omission de la SPR d’accueillir la demande raisonnable présentée par le demandeur en vue d’obtenir l’ajournement de l’audience du mois de mars pour faire en sorte qu’il ait droit à une audition équitable de questions fort complexes. Malgré le fait que le demandeur n’était pas représenté par un conseil et qu’aucun argument juridique n’a été présenté, il semble que la SPR ne se soit pas penchée sur les conditions légales à remplir pour tirer une conclusion sur la protection de l’État défavorable au demandeur. J’estime donc que la décision était non seulement manifestement déraisonnable en raison d’une erreur de droit, mais qu’elle allait aussi à l’encontre du principe de l’application régulière de la loi.


ORDONNANCE

 

            Par conséquent, j’annule la décision de la SPR et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1885-07

 

 

INTITULÉ :                                                   SHANE SHAD LEON

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 FÉVRIER 2008  

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Martina Karvellas                                             POUR LE DÉFENDEUR

                       

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye                                             POUR LE DEMANDEUR     

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                    

 

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                                    

 

 

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