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Date : 20080122

Dossier : T-2166-06

Référence : 2008 CF 79

Ottawa, Ontario, le 22 janvier 2008

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

CAROLE GAUTHIER

demanderesse

et

 

BANQUE NATIONALE DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision arbitrale rendue le 15 novembre 2006 par Me Gilles Brunet (l’arbitre), en vertu de la Section XIV de la Partie III du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le Code). Suite au congédiement par la Banque Nationale du Canada de Mme Gauthier (la demanderesse), l’arbitre a accordé à cette dernière la somme de 12 928,05$ à titre d’indemnité pour perte salariale, pour perte de vacances ainsi que pour rembourser les cotisations faites au Régime de retraite.


FAITS

[2]               La demanderesse a été à l’emploi de la Banque Nationale du Canada (la défenderesse) de 1986 jusqu’à la date de son congédiement, soit le 9 février 2005. Le dernier poste qu’elle a occupé était celui de préposée au secteur des prêts étudiants au Centre d’assistance Rive-Sud de St-Hubert.

 

[3]               Au début du mois de juin 2003, la demanderesse a dû subir une intervention chirurgicale à l’Hôpital Pierre Boucher. Elle a par la suite reçu des prestations d’invalidité selon le programme d’invalidité des employés de la défenderesse, qui est géré par la compagnie d’assurance La Financière Manuvie (l’assureur).

 

[4]               La demanderesse a reçu des prestations d’invalidité de la compagnie jusqu’au 22 septembre 2003, date à laquelle l’assureur a estimé qu’elle était apte à retourner au travail. La demanderesse a contesté cette décision auprès de l’assureur en exerçant ses droits d’appel. Suite à plusieurs révisions de sa décision, l’assureur a confirmé, le 15 décembre 2004, sa décision à l’effet que la demanderesse était effectivement apte à retourner au travail.

 

[5]               À la lumière de cette décision de l’assureur, la défenderesse a exigé de la demanderesse, le 2 février 2005, qu’elle réintègre ses fonctions et qu’elle se présente au travail le 7 février 2005; dans l’alternative, il était spécifié que la défenderesse mettrait fin à son emploi. La demanderesse ne s’étant pas présentée au travail à la date mentionnée et n’ayant pas communiqué avec la défenderesse suite à la lettre du 2 février, la défenderesse a mis fin à l’emploi de la demanderesse le 9 février 2005. En fait, il appert que la demanderesse ne s’est pas présentée au travail le 7 février en raison de l’audition de sa cause ce même jour contre l’assureur devant la Cour du Québec, chambre civile, division des petites créances (la Cour des petites créances).

 

[6]                Le 18 avril 2005, la demanderesse a déposé une plainte pour congédiement injuste contre la Banque Nationale du Canada auprès de la Direction générale du travail du ministère du Développement des ressources humaines du Canada, en vertu de l’article 240 de la Partie III du Code. L’arbitre nommé le 1er mars 2006 a procédé à l’audition de la plainte les 12 et 13 juillet 2006 ainsi que le 19 septembre 2006.

 

[7]               Peu avant l’audition de sa plainte devant l’arbitre, soit le 2 mai 2006, la Cour des petites créances donnait raison à Mme Gauthier et faisait droit à sa réclamation contre l’assureur pour la période de septembre 2003 à juillet 2004. Après avoir pris connaissance de ce jugement, la défenderesse a réexaminé le dossier de la demanderesse, revu sa position et décidé d’annuler le congédiement. La défenderesse a donc offert à la demanderesse de réintégrer le poste qu’elle occupait au moment de sa fin d’emploi aux mêmes conditions salariales, et elle prétend avoir aussi offert de la compenser financièrement pour la perte salariale subie en raison de sa fin d’emploi.

[8]               Cette offre a été communiquée à la demanderesse avant l’audition du 12 juillet 2006. La demanderesse a rejeté cette offre, en raison de la perte de confiance dans la bonne foi de son employeur ainsi que des difficultés rencontrées avec l’assureur. Les termes de cette offre ont été présentés à l’arbitre par la procureure de la Banque dès le début de l’audition du 12 juillet 2006. L’arbitre en a pris acte et a constaté le rejet, par la demanderesse, de cette offre de réintégration.

 

LA DÉCISION DE L’ARBITRE

[9]               La défenderesse ayant décidé d’annuler le congédiement de la demanderesse, l’arbitre a simplement procédé à l’évaluation de la réparation devant être accordée à la demanderesse. C’est ce qu’il explique dans les tout premiers paragraphes de son analyse :

[222] Je n’ai plus à me prononcer sur la plainte de congédiement comme tel. En effet, l’employeur a révisé sa décision et offert de réintégrer la plaignante dans son poste, aux mêmes avantages et conditions qu’avant son congédiement du 9 février 2005.

 

[223] La seule question qui demeure en litige est de déterminer le montant de l’indemnité payable à la plaignante suite à son refus d’accepter la réintégration.

 

 

[10]           Dans une décision élaborée de 42 pages, l’arbitre s’est d’abord penché sur la réclamation de la demanderesse, telle qu’appuyée par la preuve tant testimoniale que documentaire, puis sur l’évaluation des dommages présentée par la défenderesse, encore une fois en précisant les détails des témoignages entendus ainsi qu’en expliquant le détail des montants que la défenderesse admettait devoir à la demanderesse. Au terme de cet examen, l’arbitre a finalement conclu que la défenderesse n’avait pas fait preuve de mauvaise foi et que les montants qu’elle admettait devoir à la demanderesse étaient justes et raisonnables.

 

[11]           L’arbitre a donc conclu que la demanderesse avait le droit d’être compensée pour la perte de salaire subie entre le moment où elle est redevenue apte à travailler et le moment où elle a refusé l’offre de réintégration lui ayant été faite par la défenderesse, soit du 7 septembre 2005 au 12 juillet 2006. L’arbitre a toutefois déduit de cette somme le salaire gagné par la demanderesse chez un autre employeur afin de tenir compte de l’obligation de celle-ci de mitiger ses dommages.

[12]           L’arbitre a également pris en considération les sommes réclamées à titre de perte de vacances et de baisse de salaire dans l’établissement de l’indemnité à être versée pour la période du 7 septembre 2005 au 12 juillet 2006. Il a cependant refusé de tenir compte des pertes alléguées et réclamées par la demanderesse à ce chapitre pour la période subséquente au refus de la demanderesse d’être réintégrée dans son emploi. Il refusait donc d’accorder à la demanderesse la somme de 192 400,00$ à titre de perte pour la baisse salariale encourue au cours des 20 prochaines années, de même que la somme de 25 312,50$ pour la perte des vacances durant les 15 années suivant sa fin d’emploi, tel que réclamée par la demanderesse.

 

[13]           L’arbitre a également accepté la réclamation de la demanderesse au titre de la perte subie dans le cadre de son régime d’épargne retraite, laquelle n’était pas contestée par la défenderesse. Par contre, l’arbitre a refusé d’indemniser la demanderesse quant aux frais de correspondance puisque ces frais étaient relatifs à la correspondance adressée à l’assureur, et non à sa fin d’emploi. Il a également refusé d’accorder le remboursement des frais bancaires dont elle bénéficiait lorsqu’elle était à l’emploi de la défenderesse compte tenu qu’elle reçoit les mêmes avantages chez son nouvel employeur.

 

[14]           La demanderesse réclamait également une indemnité de fin d’emploi correspondant à un mois de salaire par année de service. Cette indemnité a été refusée par l’arbitre, au motif qu’une jurisprudence constante écarte une telle réclamation lorsque la non-réintégration est due au fait de l’employé.

[15]           S’agissant des dommages moraux, l’arbitre a soigneusement examiné chacun des reproches formulés à l’égard de la défenderesse avant de conclure qu’il n’y avait pas eu d’abus de droit, de mauvaise foi ou de malice de la part de la défenderesse vis-à-vis la demanderesse. Par conséquent, la somme de 150 000,00$ réclamée par la demanderesse à ce chapitre n’a pas été accordée.

 

[16]           Enfin, l’arbitre a refusé de faire droit à l’indemnité de 25 000,00$ à titre de dommages exemplaires au motif qu’il y avait absence d’une atteinte illicite à un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 (la Charte québécoise).

 

[17]           En conclusion, l’arbitre a pris acte de l’annulation du congédiement par l’employeur et du refus de la demanderesse d’accepter l’offre de réintégration dans ses fonctions, a accueilli en partie la plainte pour congédiement injuste de la demanderesse et a ordonné à la défenderesse de lui verser la somme de 12 928,05$, moins les déductions applicables.

 

QUESTION EN LITIGE

[18]           La seule question en litige dans la présente affaire consiste à déterminer si l’arbitre a erré dans son évaluation de la preuve en concluant que la demanderesse n’avait droit qu’à une indemnité de 12 928,05$.

 


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[19]           Les articles 242 et 243 du Code sont au cœur du présent litige, il convient donc d’en reproduire le texte intégral d’entrée de jeu :

Renvoi à un arbitre

 

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

Pouvoirs de l’arbitre

 

 

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

 

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

 

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

 

 

 

 

Décision de l’arbitre

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

 

 

a) décide si le congédiement était injuste;

 

 

 

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

Restriction

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

 

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

 

Cas de congédiement injuste

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

 

 

 

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

 

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

L.R. (1985), ch. L-2, art. 242; L.R. (1985), ch. 9 (1er suppl.), art. 16; 1998, ch. 26, art. 58.

 

Caractère définitif des décisions

 

243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

Interdiction de recours extraordinaires

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

1977-78, ch. 27, art. 21.

 

Reference to adjudicator

 

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

Powers of adjudicator

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

Decision of adjudicator

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

Limitation on complaints

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

Where unjust dismissal

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

R.S., 1985, c. L-2, s. 242; R.S., 1985, c. 9 (1st Supp.), s. 16; 1998, c. 26, s. 58.

 

Decisions not to be reviewed by court

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

No review by certiorari, etc.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

1977-78, c. 27, s. 21.

 

 

ANALYSE

            A) La norme de contrôle applicable

[20]           Il est maintenant bien établi que les cours de justice siégeant en révision judiciaire d’une décision arbitrale en matière de relations de travail doivent faire preuve d’une grande retenue. S’il en va ainsi, c’est parce que le domaine des relations de travail revêt une importance capitale pour l’ensemble de la société, que les conflits peuvent être coûteux non seulement pour les acteurs immédiats mais pour toute l’économie du pays, et que les questions en litige sont souvent complexes et nécessitent une bonne compréhension de la dynamique interne d’une entreprise et des enjeux réels. La Cour suprême du Canada a réitéré cette position à de nombreuses reprises, et l’arrêt Conseil de l’Éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487 en fournit une illustration. Bien que prononcés dans le cadre d’un arbitrage de griefs découlant d’une convention collective, les propos tenus par le juge Cory au nom de la majorité dans cette affaire peuvent également trouver application lorsqu’un arbitre est appelé à donner effet au Code comme en l’espèce (aux paras. 35 à 37) :

L’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 (AFPC no 2), a fait ressortir qu’il est d’une importance capitale, dans le contexte des relations du travail, de faire preuve de retenue judiciaire dans les cas où la décision du tribunal, comme celle du conseil d’arbitrage en l’espèce, est protégée par une clause privative de large portée. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire dans ces cas. Le domaine des relations de travail est délicat et explosif. Il est essentiel de disposer d’un moyen de pourvoir à la prise de décisions rapides, par des experts du domaine sensibles à la situation, décisions qui peuvent être considérées définitives par les deux parties.

 

De façon plus particulière, il a été jugé que le but de l’arbitrage des griefs est d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends concernant l’interprétation ou l’application d’une convention collective, ainsi que les mesures disciplinaires prises par les employeurs. Il s’agit d’une exigence fondamentale de la paix dans le domaine des relations industrielles, paix qui est importante pour les parties et l’ensemble de la société. […]

 

C’est pour ces motifs que, dans l’arrêt AFPC no 2, il a été souligné que les décisions prises par les tribunaux administratifs en matière de relations de travail, dans les limites de leur compétence, ne peuvent être annulées que si elles sont manifestement déraisonnables. Il s’agit d’une norme qui est à juste titre extrêmement exigeante, et elle ne doit pas être atténuée. Le faire entraînerait des conflits de travail interminables, qui seraient source d’agitation et d’insatisfaction. De fait, le principe de la retenue judiciaire n’est rien d’autre que la reconnaissance, par les cours de justice, du fait que les législateurs ont décidé que les conflits de travail découlant d’une convention collective devraient être réglés par un conseil d’arbitrage, formé de membres possédant de l’expérience et des connaissances spécialisées en la matière.

 

Voir aussi Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157.

 

 

[21]           La Cour d’appel fédérale a récemment appliqué les quatre critères de l’analyse pragmatique et fonctionnelle pour conclure que la norme de contrôle applicable à la demande de révision d’une indemnité accordée par un arbitre nommé en vertu de l’article 242 du Code était la norme du manifestement déraisonnable : voir Bauer c. Seaspan International Ltd., 2005 FCA 292 [Bauer]. Cette décision ne faisait qu’entériner de nombreuses autres décisions au même effet émanant de la Cour fédérale : voir, par exemple, Banque de Nouvelle-Écosse c. Fraser (2000), 186 F.T.R. 225; Gauthier c. Fortier (2000), 191 F.T.R. 219; Roe c. Rogers Cablesystems Ltd. (2000), 4 C.C.E.L. (3d) 170; Bande indienne du Lac La Ronge c. Laliberté (2000), 192 F.T.R. 100; Nation Wayzhushk Onigum c. Kakeway, 2001 FCT 819.

 

[22]           En l’espèce, les prétentions de la défenderesse se limitent à remettre en question les conclusions de fait de l’arbitre dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de réparation au sens de l’article 242(4) du Code. Ainsi, comme dans l’affaire Bauer, les quatre facteurs contextuels soutiennent l’application de la norme de l’erreur manifestement déraisonnable. En effet, l’article 243 du Code prévoit une clause privative très étanche. D’autre part, il ne fait aucun doute que le législateur a voulu que les cours fassent preuve de retenue en confiant à des arbitres ayant une expertise particulière en matière de relations de travail le soin de trancher des différends résultant d’un congédiement injuste. L’objectif visé, qui était de résoudre rapidement de tels litiges, milite également en faveur d’une attitude de déférence de la part des cours de justice. Enfin, la question à résoudre est de nature purement factuelle puisqu’elle consiste à déterminer si l’arbitre a bien évalué la preuve avant de se prononcer sur la réparation adéquate. Bref, les quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle incitent très clairement cette Cour à faire preuve de déférence envers la décision prise par l’arbitre.

 

[23]           La jurisprudence a défini de façon très stricte les conditions nécessaires pour qu’une conclusion de fait soit caractérisée de manifestement déraisonnable. En effet, même lorsqu’une cour supérieure considère que les conclusions factuelles d’un tribunal administratif s’appuient sur une preuve insuffisante, elle ne doit pas intervenir pour réviser la décision d’un tribunal. Les conclusions de fait soumises à la norme de l’erreur manifestement déraisonnable ne pourront être révisées que si elles ne s’appuient sur aucune preuve. Comme l’écrivait ma collègue la juge Snider dans une affaire impliquant également une plainte pour congédiement injuste (Jennings c. Shaw Cablesystems Ltd., 2003 CF 1206) :

[28] Pareille disposition privative [article 243 du Code]signifie que la décision d'un arbitre n'est pas susceptible de contrôle judiciaire sauf si elle est à ce point déraisonnable qu'elle ne peut rationnellement s'appuyer sur la loi habilitante et que l'équité exige l'intervention de la Cour. […]

 

[29] Par conséquent, dans la mesure où la preuve au dossier soutient les conclusions de l'arbitre, la Cour ne devrait pas intervenir. Il n'appartient pas à la Cour dans sa démarche relative au contrôle judiciaire d'apprécier de nouveau la preuve présentée à l'arbitre.

 

[24]           En d’autres termes, cette Cour n’interviendra pas pour le seul motif qu’elle aurait pu en arriver à une solution différente de celle retenue par l’arbitre, ou se montrer plus ou moins généreuse que lui dans l’évaluation de la réparation que pouvait obtenir la demanderesse : voir Énergie Atomique du Canada Ltée. c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349 (C.A.F.). Ainsi, la Cour d’appel fédérale a déjà maintenu une décision arbitrale ordonnant la réintégration de l’employé mais n’accordant aucune somme pour couvrir la période s’étant écoulée entre le moment du congédiement injuste et la réintégration de l’employé : voir Murphy c. Canada (arbitre désigné en vertu du Code du travail), [1994] 1 C.F. 710.  Ce n’est que dans l’hypothèse où la décision serait clairement déraisonnable, manifestement irrationnelle et sans appui dans la preuve que cette Cour serait justifiée d’intervenir : C.L. c. Nlha’7kapmx Child and Family Services, 2002 CFPI 348.

 

B) L’arbitre a-t-il erré dans son évaluation de la preuve?

[25]           La demanderesse reproche à l’arbitre d’avoir commis plusieurs erreurs dans l’interprétation des faits et d’avoir omis de prendre en compte d’autres faits. Dans un premier temps, elle lui reproche de ne pas avoir pris en considération le fait que la défenderesse n’avait pas de motifs suffisants pour procéder au congédiement de la demanderesse.

 

[26]           Il m’apparaît clair, cependant, que l’arbitre a pris acte de l’admission de la défenderesse à cet égard et a reconnu d’entrée de jeu que le congédiement de la demanderesse était injuste, c’est-à-dire sans cause juste et suffisante. D’ailleurs, il n’aurait pas eu compétence pour ordonner un redressement au sens du paragraphe 242(4) du Code s’il n’avait pas considéré le congédiement injuste. Cette Cour a établi à de nombreuses reprises que l’arbitre ne pouvait se prévaloir des pouvoirs de redressement prévus par le paragraphe 242(4) qu’après avoir conclu au caractère injuste d’un congédiement : voir, notamment, Téléglobe Canada Inc. c. Larouche (1999), 170 F.T.R. 300; Bégin c. Radio Basse-Ville Inc., 2006 CF 1143 (conf. par 2007 CAF 238).

 

[27]           Ceci étant dit, et contrairement à ce que soutient la demanderesse, le fait que son congédiement ait été injuste n’était aucunement pertinent aux fins de déterminer l’indemnité à laquelle la demanderesse avait droit, du moins pour la période subséquente à son refus. À partir du moment où cette dernière refusait l’offre de réintégration de la défenderesse, elle ne pouvait réclamer quelque indemnité que ce soit pour perte d’emploi. La jurisprudence citée par l’arbitre à ce propos m’apparaît tout à fait bien-fondée.

 

[28]           Le comportement de l’employeur était toutefois pertinent afin d’évaluer l’opportunité d’octroyer à la demanderesse des dommages moraux. Or, contrairement aux allégations de la demanderesse, l’arbitre a considéré le comportement de la défenderesse, a analysé la preuve qui lui a été présentée, pour finalement conclure qu’il n’y avait pas eu malice, mauvaise foi ou complot de la part de la défenderesse, éléments nécessaires à l’octroi de dommages moraux.

[29]           La jurisprudence établit clairement qu’un employeur peut se tromper et congédier injustement un employé sans que ce dernier ait nécessairement droit à des dommages moraux. Pour qu’un employé puisse avoir droit à de tels dommages, il doit démontrer que l’employeur a agi de façon malicieuse ou avec mauvaise foi, de façon à commettre un abus de droit. Ce principe a été reconnu à de nombreuses reprises, et on en trouve un exposé clair dans le passage suivant tiré de l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Iacobucci écrit (aux paras. 103-104) :

Il est admis depuis longtemps que l'employé congédié n'a pas droit à l'indemnisation des préjudices découlant du congédiement lui-même: voir, par exemple, Addis, précité. Ainsi, bien que la perte d'emploi soit très souvent la cause de vexations et de troubles émotifs, le droit ne reconnaît pas cela comme étant des pertes pouvant donner lieu à indemnisation. Cependant, lorsqu'un employé peut établir qu'un employeur a eu un comportement de mauvaise foi ou l'a traité de façon inéquitable en le congédiant, les préjudices tels que l'humiliation, l'embarras et la perte d'estime de soi et de conscience de sa propre valeur peuvent tous ouvrir droit à indemnisation selon les circonstances de l'affaire. Dans ces cas, l'indemnisation résulte non pas du congédiement lui-même, mais plutôt de la façon dont le congédiement a été effectué par l'employeur.

 

Souvent les préjudices immatériels découlant des actes de mauvaise foi ou de traitement inéquitable accomplis lors d'un congédiement ont pour effet de compliquer la recherche d'un autre emploi; c'est là une perte matérielle que la Cour d'appel a, à juste titre, reconnue comme justifiant un ajout à la période de préavis. Il est probable que plus le congédiement sera effectué de façon inéquitable ou de mauvaise foi, plus cela diminuera la capacité de l'employé congédié de se trouver un nouvel emploi. Cependant, à mon sens, les préjudices immatériels sont suffisants en soi pour donner droit à une indemnisation. Je reconnais que la conduite de mauvaise foi qui influe sur les perspectives d'emploi peut justifier une indemnisation beaucoup plus élevée que celle qui n'a pas cet effet, mais dans les deux cas, il en résulte un préjudice qui devrait donner lieu à indemnisation.

 

Voir aussi, au même effet: Banque Nationale du Canada c. Gignac, D.T.E. 96T-31 (C.A.); Salvaggio c. Information Communication Service (ICS) Inc., [2004] C.L.A.D. No. 206 (QL).

 

 

[30]           En l’occurrence, l’arbitre a soupesé la preuve et a conclu que la défenderesse n’avait pas agi de mauvaise foi. Plusieurs éléments de preuve viennent étayer cette conclusion de l’arbitre. D’abord, la défenderesse s’est assurée que le processus de traitement des réclamations d’invalidité était correctement suivi par l’assureur. Elle a encouragé la demanderesse à participer aux évaluations de son état de santé demandées par l’assureur, et s’est assurée que ce dernier avait bien reçu les rapports médicaux de la demanderesse. À partir du moment où l’évaluation médicale du dossier de la demanderesse relevait exclusivement de l’assureur, on voit mal de quelle façon la défenderesse aurait pu faire plus dans le traitement du dossier. D’autre part, l’arbitre a conclu à bon droit que le comportement de l’assureur n’était pas pertinent pour les fins du présent litige. En effet, l’arbitre ne pouvait pas tenir la défenderesse responsable pour le comportement de l’assureur.

 

[31]           D’autre part, la défenderesse n’a pas agi de façon précipitée dans ce dossier compte tenu que la demanderesse ne recevait plus de prestations d’invalidité depuis le 22 septembre 2003. Bien que l’assureur avait rendu sa décision finale quant au refus de la réclamation de la demanderesse au mois de décembre 2004, la défenderesse a attendu jusqu’au mois de février 2005 pour exiger de la demanderesse qu’elle se présente au travail. Au surplus, on n’a pas démontré que la défenderesse a fait preuve de mauvaise foi en fixant la date de retour au travail le jour même où avait lieu l’audition de la réclamation de la demanderesse contre l’assureur devant la Cour des petites créances.

 

[32]           Enfin, dès qu’elle a été informée des conclusions de la Cour des petites créances, la défenderesse a réagi rapidement en décidant d’annuler le congédiement de la demanderesse et de la réintégrer dans ses fonctions. Devant tous ces faits, l’arbitre pouvait raisonnablement conclure que la défenderesse n’avait pas agi de mauvaise foi. En conséquence, il était justifié de n’octroyer aucune indemnité à titre de dommages moraux.

[33]           La demanderesse a également tenté de faire valoir que la décision de ne pas accepter l’offre de réintégration de la défenderesse ne pouvait lui être reprochée dans les circonstances. Dans son affidavit du 20 mars 2007, elle prétend en effet n’avoir jamais reçu d’offre monétaire; à ses yeux, une telle offre aurait démontré la bonne foi de l’employeur et l’aurait certes incité à réintégrer ses fonctions.

 

[34]           Or, il semble que la demanderesse n’ait jamais invoqué ce motif devant l’arbitre pour expliquer son refus de reprendre son emploi; bien que la preuve ne soit pas totalement claire à cet égard, elle aurait plutôt indiqué à l’arbitre qu’elle réclamait la somme de près de 415 000,00$ à titre de dommages et qu’elle avait totalement perdu confiance en la défenderesse. D’autre part, la conseillère en relations de travail responsable du dossier de la demanderesse, Mme Diane McKenzie, affirme dans son affidavit qu’une offre de compensation monétaire accompagnait l’offre de réintégration faite à la demanderesse.

 

[35]           En bout de ligne, il importe peu qu’une offre monétaire ait été faite ou non à la demanderesse. L’arbitre pouvait conclure, sur la base des éléments de preuve dont il disposait, que la cause de la non-réintégration était imputable à la demanderesse. Il note, aux paragraphes 242 et 243 de sa décision, que le refus de réintégrer son ancien travail pouvait s’expliquer par le fait que la demanderesse s’était trouvé un nouvel emploi. Il ajoute que la demanderesse dit ne plus avoir confiance en son ex-employeur, qu’elle juge responsable de tous les maux qu’elle a endurés et de tous les torts qu’elle a subis, ce avec quoi l’arbitre est en désaccord. Dans ces circonstances, il pouvait conclure que la demanderesse avait refusé l’offre de réintégration.

[36]           L’arbitre n’avait par ailleurs pas juridiction pour accorder des dommages exemplaires à la demanderesse. Les articles 240 et suivants du Code ne lui attribuent pas ce pouvoir, pas plus d’ailleurs qu’aucune autre loi fédérale. Quant à la Charte québécoise, elle ne peut trouver application dans le présent litige puisque ce dernier est exclusivement régi par la législation fédérale. En l’absence de toute disposition législative prévoyant la possibilité d’octroyer de tels dommages, l’arbitre ne pouvait donc faire droit à ce chef de réclamation.

 

[37]           La demanderesse a bien tenté de contester l’évaluation du montant de ses dommages effectuée par l’arbitre. Ce dernier, après avoir évalué les propositions de chacune des parties, a décidé de s’appuyer principalement sur les calculs soumis par la défenderesse. Il a jugé que ces calculs étaient justes et raisonnables, contrairement à la réclamation de la demanderesse qu’il a considérée comme « exagérée et complètement disproportionnée ». Il s’agit là d’une conclusion de faits, qu’il a tirée sur la base de la preuve qui lui a été soumise, et dont on n’a pas démontré le caractère manifestement déraisonnable.

 

[38]           Enfin, la demanderesse a reproché à l’arbitre de ne pas avoir accepté en preuve la décision de la Cour des petites créances, et qui reconnaissait l’état d’invalidité de la demanderesse pour la période du 22 septembre 2003 au 9 juillet 2004. Sur ce point, je me contenterai de faire les deux remarques suivantes. D’abord, l’arbitre était manifestement au courant de cette décision puisqu’il l’a mentionnée à quelques reprises dans son jugement. Par ailleurs, et de façon plus importante, cette décision n’était pas pertinente au présent litige. Tel que mentionné précédemment, les fautes qu’a pu commettre l’assureur ne peuvent être imputées à la défenderesse. L’arbitre s’en est d’ailleurs expliqué aux paragraphes 229 à 236 de sa décision, et il lui était loisible dans ces circonstances d’écarter cette preuve du dossier.

 

[39]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que l’arbitre n’a commis aucune erreur justifiant l’intervention de cette Cour et la révision de sa décision. Malgré toute la sympathie que l’on peut éprouver pour la situation difficile dans laquelle s’est trouvée la demanderesse, il n’a pas été établi que l’arbitre « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose », pour reprendre les termes du paragraphe 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7. Par voie de conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans fais.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2166-06

 

INTITULÉ :                                       Carole Gauthier

                                                            c.

                                                            Banque Nationale du Canada

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               9 janvier 2008

 

MOTIFS D’ORDONANCE

ET ORDONNANCE PAR  :             Juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      22 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Gauthier

 

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

Manon Savard

 

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Non représenté

 

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

Ogilvy Renault

Bureau 1100

1981, avenue McGill College

Montréal, Québec  H3A 3C1

 

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

                                                     

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