Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20080115

Dossier : DES-3-07

Référence : 2008 CF 46

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

ABDULLAH KHADR

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête déposée par le demandeur en vue d’obtenir la nomination d’un amicus curiae afin que celui‑ci aide la Cour dans une instance introduite en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (LPC). La demande sous‑jacente est présentée dans le contexte d’une demande présentée pour l’extradition du demandeur afin que celui‑ci réponde, aux États‑Unis, à des accusations portées contre lui. M. Khadr a été arrêté au Canada le 17 décembre 2005 en vertu d’un mandat provisoire délivré par un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vertu de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18. Il s’est vu refuser la mise en liberté provisoire et il est toujours incarcéré.

 

[2]               En août 2006, le demandeur a déposé devant le juge d’extradition une requête visant à obtenir, notamment, un voir dire sur l’admissibilité de certaines parties du dossier de la cause invoqué par l’État requérant et visant à obtenir une ordonnance enjoignant au procureur général du Canada et à l’État requérant de produire tous les documents pertinents au voir dire. L’avocat de la Couronne fédérale représentant l’État requérant a volontairement divulgué des documents détenus par le Service canadien de renseignement de sécurité, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et la Gendarmerie royale du Canada

 

[3]               En se préparant à communiquer ces documents, l’avocat de la Couronne a délivré quatre avis au procureur général du Canada en vertu du paragraphe 38.01(1) de la LPC portant qu’un certain nombre de ces documents comprenaient des renseignements sensibles qui pourraient être préjudiciables aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité du Canada s’ils étaient divulgués. Comme l’exige la loi, le procureur général a examiné les documents et a pris des décisions quant à savoir si leur divulgation serait oui ou non autorisée. Des modifications ou des suppressions importantes ont été apportées aux documents divulgués au demandeur.

 

[4]               Le juge d’extradition, M. Christopher M. Speyer, dans une décision rendue le 24 juillet 2007, a conclu qu’il n’y avait pas lieu de délivrer une ordonnance de divulgation en rapport avec les documents se trouvant en la possession de ministères ou organismes du gouvernement fédéral car ceux‑ci avaient déjà été divulgués. Il a refusé de délivrer une ordonnance de production contre l’État requérant. Au paragraphe 23 de sa décision, le juge Speyer a souligné que le pouvoir qui lui était conféré ne lui permettait pas de décider si les circonstances de la procédure d’extradition exigeaient la production de copies non expurgées des documents divulgués par les autorités canadiennes car ce pouvoir est conféré par l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada à un juge désigné de la Cour fédérale : United States of America c. Khadr [2007] O.J. no 3140 (A.C.S.)

 

[5]               Le 21 août 2007, M. Khadr a déposé une demande en Cour fédérale en vue d’obtenir une ordonnance de divulgation des renseignements qui font l’objet des avis délivrés par la Couronne et à l’égard desquels le procureur général n’a autorisé aucune divulgation. Je souligne que, dans Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, 2007 CF 128, [2007] A.C.F. no 165, il a été conclu que les exigences de la loi selon lesquelles ces demandes doivent demeurer confidentielles contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés, édicté comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Bien qu’il n’y ait eu aucune divergence de vue entre les parties sur cette question, pour plus de certitude, j’adopte le raisonnement et les conclusions de la décision susmentionnée aux seules fins de la présente instance.

 

[6]               Le 5 novembre 2007, l’avocat du procureur général a déposé et signifié des copies des documents en litige. Ces documents sont au nombre d’environ 266 comprennent environ 1 200 pages. Les dossiers de demande et de réponse, la preuve par affidavit publique et privée à l’appui et les versions non expurgées des documents ont été déposées auprès de la Cour. Jusqu’à maintenant, aucune preuve n’a été produite ex parte.

 

[7]               La présente requête sollicitant la nomination d’un amicus a été déposée le 15 novembre 2007 et son audition a eu lieu le 20 décembre 2007. Le demandeur a proposé deux avocats indépendants comme candidats à la fonction d’amicus dans la présente affaire. Le défendeur reconnaît que la Cour est implicitement autorisée à nommer un amicus mais prétend qu’une telle nomination n’est pas nécessaire dans les circonstances de l’espèce et qu’elle occasionnerait des retards dans le prononcé d’une décision sur la demande. 

 

[8]               À titre subsidiaire, si la Cour estime qu’il est nécessaire de nommer un amicus, le défendeur a proposé quatre avocats indépendants et leurs candidatures sont toutes acceptées par le demandeur. Les deux parties ont proposé des conditions de nomination afin de définir la portée du mandat d’un amicus. Les conditions qui ont été proposées, malgré qu’elles soient pour l’essentiel semblables, comportent un certain nombre de différences importantes.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE :

[9]               Les questions en litige que la Cour doit trancher dans le cadre de la présente requête sont les suivantes :

1. Faut‑il nommer un amicus curiae afin que celui‑ci aide la Cour à décider si elle doit confirmer en vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC les interdictions prévues par la loi quant à la divulgation des renseignements?

 

2. Si on conclut qu’il faut nommer un amicus curiae, quelles devraient être les conditions de la nomination et la portée de ce dernier à l’instance?

 

 

L’ANALYSE :

           

            Faut‑il nommer un amicus curiae dans la présente instance?

 

[10]           Les motifs invoqués par le demandeur à l’appui de la nomination d’un amicus sont brièvement énoncés de la manière suivante dans son avis de requête :

1. Si on ne nomme pas un amicus curiae, les intérêts et les points de vue du demandeur ne seront pas représentés devant la Cour durant les séances ex parte de la présente instance;

 

2. L’exclusion du demandeur de la présente instance et l’absence d’un amicus curiae constitueraient une violation des droits du demandeur prévus à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés;

 

3. Il faut nommer un amicus curiae si on veut que l’audition des questions soulevées dans la présente instance soit complète et équitable.

 

[11]           Bien que les motifs de la requête invoqués par le demandeur dans sa requête renvoient à l’article 7 de la Charte, l’avocat du demandeur a confirmé que celui‑ci ne cherche pas à ce moment‑ci à obtenir un recours d’ordre constitutionnel et qu’il se réserve le droit de soulever ultérieurement une telle contestation si les circonstances le justifient. Cependant, l’avocat du demandeur fait valoir que la Cour doit statuer sur la présente requête au regard des principes de justice fondamentale garantis par l’article 7.

 

[12]           La Cour d’appel fédérale a confirmé la constitutionalité des dispositions législatives permettant la tenue de séances ex parte dans les instances introduites en vertu de l’article 38 : Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CAF 388. La Cour d’appel n’a pas estimé qu’il était nécessaire de traiter la question de l’application de l’article 7 car elle a estimé que la question ne lui était pas directement soumise. Dans la décision Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 463, laquelle fait présentement l’objet d’un appel, le juge en chef Allan Lutfy a mentionné que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire conféré au juge qui préside l’audience de nommer un amicus était un facteur important et il a déclaré ce qui suit au paragraphe 57 de ses motifs :

À mon avis, le droit de la Cour de désigner, d'office ou à la demande d'une partie à l'instance, un ami de la cour lorsque cela s'avère nécessaire dans un cas particulier doit atténuer les réserves du défendeur au sujet de la procédure ex parte. Une telle mesure de protection, si on y recourt, selon l'appréciation du juge président, favorise encore davantage le respect des principes de justice fondamentale lorsque sont en cause des considérations de sécurité nationale.

 

[13]           Le juge en chef Lutfy a souligné, au paragraphe 49, qu’une variante du modèle de l’amicus, bien que non identique à la conception traditionnelle de cette fonction, a été utilisée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246. Dans cette cause, l’avocat du procureur général dans le cadre de la demande présentée en vertu de l’article 38 a été nommé pour représenter le demandeur dans le cadre de l’interrogatoire à huis clos de deux témoins. La Cour d’appel a confirmé l’équité du processus dans les circonstances qui y ont donné naissance : la demande a été présentée au beau milieu d’un procès devant jury, la loi était nouvelle et on ne disposait que de peu d’avocats ayant obtenu une attestation de sécurité.

 

[14]           Aucune disposition de l’article 38 ne prévoit la nomination d’un amicus. Le défendeur prétend que la Cour fédérale possède la compétence implicite de nommer un amicus pour l’aider lorsque cela est nécessaire : Harkat (Re), 2004 CF 1717.

 

[15]           Dans Harkat, la juge Eleanor Dawson a étudié l’étendue de la compétence de la Cour fédérale de nommer un amicus dans le contexte d’une audience portant sur le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité délivré en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Dans les circonstances de l’espèce, la juge Dawson n’a pas jugé nécessaire de trancher la question et a présumé que, pour les besoins de la requête dont elle était saisie, la Cour avait compétence. Au paragraphe 20 de ses motifs, la juge Dawson a souligné qu’un pouvoir peut être conféré implicitement dans la mesure où l'existence et l'exercice de ce pouvoir sont nécessaires pour permettre à la Cour d'exercer validement et pleinement la compétence qui lui est expressément conférée par une disposition législative Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S 626, pages 639 à 644. 

 

[16]           La juge Dawson a conclu que le demandeur n’avait pas établi que la Cour ne pouvait pas exercer validement sa compétence sans nommer un amicus ou qu’il était nécessaire de recourir aux dispositions réparatrices du paragraphe 24 de la Charte. Elle a mentionné trois motifs additionnels justifiant le rejet de la demande : le législateur n’a pas prévu explicitement la nomination d’un amicus; la demande a été présentée tardivement durant l’instance et conduirait à un délai additionnel; la loi donne au juge désigné le pouvoir et la faculté de s’acquitter convenablement des devoirs qui lui sont imposés. 

 

[17]           Une conclusion semblable a été tirée dans Jaballah (Re), 2006 CF 1010, une cause portant également sur une question de certificat de sécurité. Harkat et Jaballah ont précédé la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c. Canada 2007 CSC 9. Je souligne que, dans Charkaoui (Re), 2007 CF 1037 et dans Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025, deux causes dans lesquelles il était question de demande de mise en liberté sous condition dans le cadre d’affaires portant sur des certificats de sécurité, les demandeurs ont été invités par la Cour à déposer des requêtes visant à obtenir la nomination d’amici et ils ont refusé cette invitation.

 

[18]           Le défendeur prétend que, en l’espèce, il est manifeste qu’il n’est pas nécessaire que la Cour nomme un amicus pour qu’elle puisse exercer la compétence que lui confère l’article 38 de la LPC. Selon le défendeur, la présente cause n’est pas plus complexe que les autres causes dans lesquelles il est question de demande déposée en vertu de l’article 38 et la Cour possède une expertise en matière de cas de sécurité nationale et elle n’a pas besoin d’avoir recours à des amici. La nomination d’un amicus occasionnerait vraisemblablement un délai dans le traitement de l’instance introduite en vertu de l’article 38, en particulier si l’avocat indépendant qui serait choisi n’a pas encore obtenu son attestation de sécurité.

 

[19]           Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada, au paragraphe 77 de l’arrêt Charkaoui, précité, en adoptant l’article 38, le législateur s’est efforcé d’atteindre un équilibre délicat entre la nécessité de protéger les renseignements confidentiels et le respect des droits de la personne. Je suis d’accord avec le défendeur que, dans la plupart des cas, cet équilibre peut et doit être atteint sans que l’on insère un élément additionnel dans l’instance en vue d’aider la Cour. Pour qu’une requête visant la nomination d’un amicus soit accueillie, le demandeur doit exposer les motifs pour lesquels il est nécessaire de nommer un amicus pour que la Cour puisse pleinement exercer la compétence que la loi lui confère. Le seul fait que cela soit souhaitable ne suffit pas : Canadian Liberty Net, précité, à la page 641. 

 

[20]           Dans la présente instance, le demandeur a présenté un argument convaincant selon lequel, dans les circonstances particulières de l’espèce, la nomination d’un amicus est nécessaire pour que la Cour puisse trancher de façon complète et équitable les questions de divulgation. 

 

[21]           La demande d’extradition sera principalement tranchée en fonction de la preuve documentaire contre le demandeur dans l’État étranger. Le demandeur dispose d’une capacité limitée de contester la solidité de la preuve contre lui dans cet État. S’il est extradé et reconnu coupable, il est passible d’une peine maximale d’emprisonnement dépassant largement le temps qu’il lui reste normalement à vivre. Bien que ces facteurs soient présents dans de nombreuses demandes d’extradition, il existe d’autres considérations.

 

[22]           Les renseignements en litige en l’espèce sont demandés afin de démontrer que la preuve principale contre le demandeur aurait été obtenue par la torture et la détention illégale. Le demandeur prétend dans la procédure d’extradition que la preuve est irrecevable ou subsidiairement « manifestement non digne de foi », pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans États-Unis d’Amérique c. Ferras, 2006 CSC. 33. La Couronne a admis que les allégations de M. Khadr ont une certaine vraisemblance. Comme l’a déclaré le juge Speyer au paragraphe 40 de sa décision sur la requête en voir dire, il existe une réelle possibilité que les allégations de mauvais traitements faites par le demandeur puissent être justifiées et donnent ouverture au recours sollicité, c’est‑à‑dire l’exclusion de la preuve de la procédure d’extradition.

 

[23]           L’article 38.14 de la Loi est l’une des garanties relevées par le juge en chef Lutfy au paragraphe 59 de Khawaja, précité, qui contribuent à la protection des intérêts de la personne dont le droit à la liberté est mis en cause dans une demande présentée en vertu de l’article 38 dans le cadre d’une procédure criminelle. L’article 38.14 prévoit que la « la personne qui préside une instance criminelle peut rendre l’ordonnance qu’elle estime indiquée en l’espèce en vue de protéger le droit de l’accusé à un procès équitable […] ». En présumant que cette disposition s’applique à l’audition de la demande d’extradition au Canada, elle ne s’applique pas à un procès tenu dans le ressort étranger.

 

[24]           Bien qu’il existe une obligation de présenter ses arguments avec la bonne foi la plus absolue de la part des avocats du procureur général dans les instances introduites en vertu de l’article 38 et que l’avocat du défendeur dans la présente demande n’est pas directement impliqué dans la procédure d’extradition, ils militeront en faveur de la confirmation des décisions rendues par le procureur général en rapport avec la divulgation des renseignements contestés. De plus, les avocats de la Couronne fédérale s’occupent des procédures d’extradition pour le compte de l’État requérant. Il semblerait, à tout le moins, que l’avocat du procureur général aura un intérêt contraire à celui du demandeur en ce qui a trait aux questions de divulgation sur lesquelles la Cour doit se pencher.

 

[25]           La possibilité, comme le prétend le défendeur, que la nomination d’un amicus occasionnerait des retards dans les procédures, que ce soit pour obtenir des attestations de sécurité ou pour tenir des audiences ex parte, est une considération pertinente. La Cour hésiterait à adopter la procédure lorsqu’il n’est pas certain qu’elle soit avantageuse et qu’elle pourrait occasionner un retard important dans des procédures connexes. Donnons comme exemple le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 38 qui est examinée au beau milieu d’un procès par jury.

 

[26]           En l’espèce, la requête a été déposée en temps opportun avant l’audition de la preuve. Il y a des candidats à la fonction d’amicus qui possèdent l’attestation de sécurité et on ne s’attend pas à ce que les audiences soient indûment prolongées. L’avocat de M. Khadr a également souligné que son désir de nommer un amicus l’emporte sur son intérêt à un règlement rapide de la demande sous‑jacente.

 

[27]           Je suis persuadé que, dans les circonstances de l’espèce, la nomination d’un avocat expérimenté et indépendant comme amicus curiae est nécessaire à l’exercice complet de la compétence de la Cour.

 

            Les modalités de la nomination et du mandat

 

[28]           Comme il a déjà été souligné, les deux parties ont proposé des modalités et des conditions qui sont en grande partie semblables. Elles ont convenu, par exemple, que l’amicus nommé par la Cour doit détenir, ou doit demander et recevoir une attestation de sécurité à la satisfaction du procureur général avant d’être nommé. Elles ont également convenu que l’amicus doit avoir un accès raisonnable aux versions intégrales des documents en litige et que la Cour puisse ordonner que les honoraires et débours raisonnables de l’amicus soient payés par le procureur général. Le défendeur préférerait que le paiement soit assujetti aux politiques et aux lignes directrices applicables du Conseil du Trésor. Bien que je souhaite qu’une entente soit conclue, la question pourrait être tranchée plus tard par la Cour s’il faut statuer sur ce qui constitue une rémunération « raisonnable ».

 

[29]           Les parties ont des divergences d’opinion quant à la nature du rôle que devrait jouer l’amicus. Le demandeur prétend que son rôle devrait être pratiquement identique au rôle envisagé dans le projet de loi C-3, lequel a été déposé devant le Parlement, pour les « avocats spéciaux » dans le contexte des instances introduites en vertu de la LIPR, ou comme il est prévu dans la Special Immigration Appeals Commission Act, 1997 ch. 68 du Royaume-Uni. En tant que tel, l’amicus représenterait les intérêts du demandeur et ferait valoir son point de vue dans la partie ex parte de l’instance introduite en vertu de l’article 38 à laquelle le demandeur ne peut pas prendre part.

 

[30]           Le défendeur prétend que l’amicus curiae a traditionnellement été considéré comme étant l’« ami de la cour », tel que cette expression est traduite en français. son rôle a été décrit comme étant celui d’une personne désintéressée nommée en vue d’aider la cour à atteindre, d’une manière générale, l’un des trois objectifs suivants : (i) représenter les intérêts non représentés devant la cour; (ii) informer la cour de certains facteurs dont la cour n’est pas au courant; (iii) conseiller la cour quant à une question de droit : Procureur général du Canada et. al. c. Aluminum Company of Canada, (1987) 35 D.L.R. (4th) 495 (C.A C.-B.), page 505.

 

[31]           Les avocats ont attiré mon attention sur un certain nombre de causes dans lesquelles des amici ont été nommés par les cours dans diverses circonstances. Dans LePage c. Ontario (2006), 214 C.C.C. (3d) 105, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné le pouvoir de la commission de la santé mentale de nommer un amicus en vue de formuler des observations au nom d’une personne déclarée non responsable criminellement pour cause d’aliénation mentale. En décrivant le rôle de l’amicus au nom d’une formation unanime, le juge Juriansz a déclaré ce qui suit au paragraphe 29 :

 

 

[Traduction]

 

Je n’adopterai pas une approche trop technique à la question. Il est certain que l’amicus curiae nommé par la cour n’entretient aucune relation avocat-client avec l’accusé et peut être décrit comme étant un conseiller de la cour. Toutefois, le rôle de l’amicus curiae n’est pas défini d’une manière rigoureuse et il continue d’évoluer. L’un des rôles de l’amicus curiae a été reconnu comme étant celui d’assistant de la cour lorsque « toutes les questions en litige n’ont pas été soumises (par exemple, lorsque lorsqu’un aspect de l’argument n’a pas été présenté à la Cour) » [...] Selon moi, un amicus curiae peut être nommé par la Commission et se voir confié le rôle qui consiste à soumettre les questions en litige favorisant l’accusé qui autrement ne seraient peut‑être pas soulevées. Je suis convaincu qu’un amicus curiae qui se voit confier ce rôle peut être considéré comme « agissant pour l’accusé ». [Jurisprudence citée omise]

 

[32]           De même, je crois que dans le contexte d’une demande présentée en vertu de l’article 38 en rapport avec une instance criminelle, comme en l’espèce, un amicus nommé par la Cour peut soulever des questions favorisant la personne qui demande la divulgation des renseignements durant la partie ex parte de l’instance et peut être considéré à cet égard comme représentant la personne à ce stade. Mais l’amicus n’entretient aucune relation avocat‑client avec la personne et son rôle consiste à aider la Cour à trancher les questions de façon équitable.

 

[33]           Le demandeur ne conteste pas que l’amicus doit préserver la confidentialité des renseignements en litige jusqu’à ce qu’à ce que leur divulgation soit ordonnée. Toutefois, il met en doute le point de vue du défendeur selon lequel l’amicus ne devrait pas, sauf s’il a l’autorisation de la Cour, communiquer avec le demandeur ou l’avocat du demandeur une fois qu’il s’est vu accorder l’accès à la version expurgée des renseignements et des documents. Le demandeur prétend que l’amicus ne peut pas jouer un rôle efficace en vertu de cette contrainte. Toutefois, il demeure loisible à la Cour d’autoriser cette communication selon les conditions nécessaires à la protection des renseignements confidentiels lorsque cela est jugé nécessaire à l’exercice adéquat par la Cour de sa compétence.

 

[34]           Compte tenu de la récente décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Named Person c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, le défendeur prétend que le rôle de l’amicus devrait se limiter à présenter des observations écrites et orales sur des questions de fait et des questions de preuve et non pas sur des questions de droit. Dans Named Person, un juge d’extradition avait nommé un amicus en vue de l’aider à traiter une question de privilège relatif aux indicateurs de police. La Cour suprême a conclu qu’il s’agissait d’une erreur car c’était le juge qui devait déterminer le critère juridique approprié. L’avocat du défendeur a attiré mon attention sur des déclarations figurant dans les motifs de la majorité, au paragraphe 48, qui peuvent être interprétées comme étayant une interprétation restrictive de la portée du mandat qu’un amicus peut se voir confier.

 

[35]           Selon moi, la décision rendue par la majorité dans la cause Named Person établit une règle définitive selon laquelle un amicus curiae ne peut formuler aucune observation quant à des questions de droit. Comme l’a déclaré le juge Louis LeBel dans ses motifs dissidents, au paragraphe 155, cela serait incompatible avec la pratique de la Cour suprême en matière de nomination d’amici dans les causes comme Pourvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217. À titre d’illustration d’une application récente de cette pratique, l’avocat du demandeur a déposé une copie d’une ordonnance par laquelle, le 10 décembre 2007, le juge en chef a nommé un amicus en vertu de l’article 92 des Règles de la Cour suprême DORS/2002-156 pour que celui‑ci dépose un mémoire et un recueil de jurisprudence et formule des observations orales dans un appel en instance : Procureur général de l'Ontario, tiers détenteur du dossier c. Lawrence McNeil et al., dossier no 31852.

 

[36]           Selon moi, la décision rendue par la majorité dans Named Person porte sur le caractère absolu du privilège relatif aux indicateurs de police. Comme il a été déclaré au paragraphe 63 des motifs de la majorité : « [...] il incombait au juge d'extradition de décider du critère juridique à appliquer. En outre, la décision de dévoiler à l'amicus curiae des renseignements détaillés au sujet de la personne désignée était incompatible avec l'obligation qu'avait le juge d'extradition de protéger les renseignements assujettis au privilège relatif aux indicateurs de police […] ». 

 

[37]           Si la question du privilège relatif aux indicateurs de police se pose en rapport avec la version expurgée des renseignements en litige dans la présente instance, la Cour devra voir à ce que l’amicus n’ait pas accès à ces renseignements ou devra formuler des observations sur la portée du privilège. Sauf dans ce cas, l’amicus sera invité à formuler des observations sur les faits et le droit.

 

[38]           Comme il a déjà été souligné, les parties ont mentionné les noms de six avocats indépendants expérimentés et compétents. Le demandeur se contenterait de l’une ou l’autre des quatre personnes proposées par le défendeur. Une des six personnes ne possède pas actuellement l’attestation de sécurité exigée et une autre personne n’est disponible qu’à temps partiel jusqu’en avril. Bien que, comme il a déjà été discuté, le retard ne soit pas une préoccupation importante, les candidats envisagés ont mentionné par le biais de leurs avocats ou se sont fait demander par le greffe de la Cour de donner des renseignements quant à leur disponibilité à court terme et cela a été pris en en considération.

 

[39]           Le défendeur prétend que la Cour ne devrait nommer qu’un candidat dont le nom figure sur la liste proposée par les parties et s’il advenait qu’aucun candidat acceptable ne soit proposé, les parties devraient avoir la possibilité raisonnable de proposer des candidats supplémentaires. À moins d’une limite prévue par la loi comme celle qui est énoncée à l’alinéa 83(1)b) du projet de loi C-3 ou d’une décision qui a force de précédent sur la question, je ne vois pas pourquoi la Cour accepterait une telle limite quant à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il est loisible à la Cour de choisir des avocats indépendants en qui elle peut avoir confiance, qu’ils aient été proposés ou non par les parties.

 

[40]           Cela étant dit, je n’ai eu aucune difficulté à trouver, dans le groupe de candidats proposés, un associé d’un cabinet privé en qui j’ai confiance, qui possède de l’expérience dans les questions de sécurité nationale et qui possède les attestations de sécurité exigées et qui peut participer à la procédure ex parte dans les jours à venir.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. M. Leonard M. Shore, c.r., résidant à Ottawa (Ontario) est nommé amicus curiae afin d’aider la Cour à préparer les auditions ex parte des preuves et des observations soumises au nom du procureur général du Canada dans le cadre de la présente demande présentée en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada;
  2. L’amicus curiae aura un accès raisonnable aux affidavits ex parte, y compris aux pièces jointes, déposés par le procureur général du Canada dans la présente instance, selon ce que la Cour aura décidé; 
  3. L’amicus curiae pourra communiquer avec les avocats des parties au cours de la préparation des audiences ex parte;
  4. L’amicus curiae ne révélera pas au demandeur, à son avocat et à toute autre personne qui ne participe pas aux audiences ex parte, les renseignements et les documents confidentiels auxquels il a accès dans le cadre de la présente demande;
  5. L’amicus curiae ne communiquera pas, sans l’autorisation préalable de la Cour, avec le demandeur ou avec l’avocat de ce dernier une fois qu’on lui aura accordé l’accès à des renseignements et à des documents confidentiels;
  6. L’amicus curiae pourra participer aux procédures ex parte, pourra contre‑interroger les auteurs d’affidavit et les témoins ex parte du défendeur et pourra formuler des observations écrites et orales, et ce, conformément aux directives de la Cour;
  7. L’amicus curiae pourra également participer à toute procédure ex parte exigée par le demandeur, et ce, conformément aux directives de la Cour;
  8. L’amicus curiae pourra participer à toute procédure publique tenue en rapport avec la présente demande et pourra formuler des observations orales, et ce, avec la permission de la Cour;
  9. Le défendeur aura le droit de répondre à toute observation formulée par l’amicus curiae;
  10. Le défendeur paiera les honoraires et les débours raisonnables de l’amicus curiae.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    DES-3-07

 

INTITULÉ :                                                   ABDULLAH KHADR

                                                                        c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nathan J. Whitling

 

POUR LE DEMANDEUR

Robert MacKinnon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parlee Mclaws LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.