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Date : 20080108

Dossier : IMM-5618-06

Référence : 2008 CF 18

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

SWAPAN CHOWDHURY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 18 septembre 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen du Bangladesh, où il est né en 1976. Selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il a joint les rangs de la Ligue Awami vers l’âge de 17 ans et il est devenu secrétaire responsable de la publicité du comité de quartier local en 1995.

 

[3]               Le Bangladesh a été dirigé par la Ligue Awami de 1996 à 2001, année où le pouvoir a été remis à un gouvernement transitoire, qui a été chargé d’organiser des élections justes. Le Parti national du Bangladesh (PNB) a remporté les élections le 1er octobre 2001.

 

[4]               Avant le jour du scrutin, le demandeur a travaillé pour le candidat de la Ligue Awami de sa localité. Le 18 septembre 2001, alors qu’il était sorti avec des militants du parti afin de solliciter des voix pour ce candidat, un homme de main notoire du PNB et ses acolytes lui ont proféré des menaces de mort. Un affrontement physique a eu lieu, et le demandeur a été battu et a subi des blessures. Il a consulté un médecin et il a été soigné pour un traumatisme crânien et pour diverses blessures au corps. Il s’est ensuite rendu au poste de police pour signaler l’incident. Le demandeur affirme que, bien qu’il ait déposé sa plainte par écrit, il n’a pas vu l’agent consigner la moindre plainte dans le registre officiel et il ajoute que la police n’a pris aucune mesure pour arrêter ses agresseurs.

 

[5]               Le 2 décembre 2001, le demandeur a participé à une grève nationale pacifique visant à protester contre les actes de persécution commis par le PNB envers son parti. Il affirme que son comité l’avait chargé d’inciter la population de son secteur à participer à la grève. À un moment donné, la manifestation a sombré dans la violence. De nombreux membres de la Ligue Awami ont été blessés ce jour-là par la police et par des membres du PNB. Les blessures que le demandeur a subies étaient toutefois sans gravité.

 

[6]                Lors de l’affrontement sérieux suivant, le demandeur a été blessé pendant et après un rassemblement public, organisé le 18 juillet 2003, dans le but de protester contre la détention et la torture de membres de la Ligue Awami. Le demandeur était chargé de faire connaître cet évènement, au cours duquel différents orateurs ont fermement critiqué le gouvernement.

 

[7]               Le lendemain, le demandeur a fait l’objet de menaces par des hommes de main du PNB à cause de son rôle dans l’organisation du rassemblement. Les menaces visaient également le président de section, Abdul Malak. Le demandeur a réussi à s’enfuir. Il s’est rendu chez M. Malak pour l’informer des menaces proférées contre eux. Les deux hommes ont décidé de se cacher chez un ami.

 

[8]               Ils ont plus tard été prévenus que des hommes de main du PNB étaient venus les chercher à leur domicile. Le demandeur a alors décidé de se rendre à Musapur, sur l’île de Swandip, chez un cousin, à cinq heures de voiture et de bateau de la maison familiale. Il a habité chez ce cousin pendant quatre mois, ne sortant que le soir.

 

[9]               L’oncle du demandeur a envoyé quelqu’un à Swandip le 30 avril 2003 pour aider le demandeur et M. Malak à quitter le pays. Le demandeur est arrivé au Canada le 4 novembre 2003 et il a demandé l’asile.

 

[10]           Le demandeur affirme que, même s’il a quitté le Bangladesh, la police et le PNB continuent à se rendre au domicile de sa famille afin de savoir où il se trouve. Il a aussi appris de l’avocat engagé par son frère que la police veut l’interroger en vertu de la Special Power Act (Loi sur les pouvoirs spéciaux). Plusieurs gouvernements ont recouru à cette loi pour museler l’opposition politique et pour emprisonner des opposants.

 

[11]           La première décision négative rendue par la Commission le 22 mars 2005 a été annulée par la juge Mactavish le 4 novembre 2005. La Cour a expliqué que [traduction] « si elle n’a pas cru que M. Chowdhury était un membre important de la Ligue Awami, la Commission a semblé admettre qu’il a effectivement été un membre actif du parti ». La Cour a estimé que, comme elle [traduction] « disposait d’une preuve documentaire significative » selon laquelle les membres ordinaires de la Ligue Awami étaient persécutés, la Commission devait encore déterminer si M. Chowdhury avait démontré le bien-fondé de sa demande d’asile sur le seul fondement de son appartenance à la Ligue Awami. Comme la Commission avait omis de le faire, la Cour a annulé sa décision et a ordonné que l’affaire soit réexaminée.

 

[12]           La Commission a par conséquent tenu une audience de novo le 6 juillet 2006. La Commission a rejeté la demande de M. Chowdhury une seconde fois le 18 septembre 2006 au motif qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur. Le demandeur sollicite donc maintenant le contrôle judiciaire de cette décision de la Commission.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[13]           La Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur, au motif qu’elle doutait de la véracité des explications qu’il avait fournies. Ainsi, la Commission a conclu qu’en affirmant que la police n’avait pas donné suite à sa plainte, le demandeur émettait des hypothèses. Dans le même ordre d’idées, la Commission n’a pas cru que des gens d’autres régions du Bangladesh remarqueraient son accent différent et qu’ils pourraient le trouver suspect, de sorte qu’il ne disposerait pas d’une possibilité de refuge intérieur. Le commissaire a estimé que le demandeur enjolivait ses réponses lorsqu’il affirmait que, quel que soit le temps écoulé depuis son départ du Bangladesh, le PNB continuerait toujours à le chercher.

 

[14]           La Commission a ensuite relevé des contradictions dans la preuve du demandeur. Le demandeur avait en effet d’abord affirmé qu’aucun mandat d’arrestation n’avait été lancé contre lui, pour ensuite dire qu’un avocat avait découvert que la police voulait l’interroger en vertu de la Special Powers Act. Suivant la Commission, le demandeur avait d’abord affirmé que, s’il retournait dans une autre région du Bangladesh, il ne ferait plus partie de la Ligue Awami, pour ensuite déclarer qu’il poursuivrait son engagement politique.

 

[15]           Le commissaire a par ailleurs signalé certaines omissions dans le compte rendu de son entrevue au point d’entrée. Le demandeur ne mentionnait pas l’agression qui avait eu lieu en septembre 2001, ne disait rien au sujet de son rôle clé dans la promotion du rassemblement du 18 juillet 2003 et passait sous silence les menaces de mort du 19 juillet 2003 qui l’avait incité à se cacher puis à quitter le pays.

 

[16]           Le commissaire a également conclu que le demandeur avait exagéré au sujet des « tortures » subies par les membres de sa famille. Invité à préciser ce qu’il entendait par « torture », le demandeur a répondu que les policiers et les hommes de main, lorsqu’ils s’adressaient à sa mère, parlaient d’un ton très ferme qui effrayait beaucoup celle-ci, et il a indiqué que cette attitude était un exemple de torture. Le demandeur d’asile a en outre indiqué que son frère subissait une torture mentale de la part de la police et des hommes de main qui lui criaient après et lui parlaient avec fermeté.

 

[17]           Ceci étant dit, et en dépit de ses réserves au sujet de la crédibilité du demandeur, le commissaire était disposé à accepter que M. Chowdhury avait été un membre actif de la Ligue Awami. Par conséquent, après avoir tenu compte de tous les documents objectifs sur le pays, le commissaire a également reconnu que les membres ordinaires actifs de la Ligue Awami pourraient être victimes de persécution de la part d’ennemis politiques ou de leurs hommes de main dans différentes régions du Bangladesh.

 

[18]           Le commissaire a ensuite consacré plus d’une demi-page à la question de la possibilité de refuge intérieur. Il a conclu que le demandeur ne participerait pas activement aux activités du parti Awami, à moins de retourner au domicile familial à Halishahar Sud (Chittagong). Le commissaire a déclaré ce qui suit : « Selon la prépondérance des probabilités, je conviendrais de la déclaration du demandeur d’asile selon laquelle, s’il devait retourner à Halishahar Sud, il existerait plus qu’une simple possibilité qu’il soit de nouveau la cible des hommes de main du PNB ».

 

[19]           Le commissaire s’est pourtant dit d’avis que le demandeur pourrait vivre en toute sécurité dans d’autres régions du Bangladesh. Son raisonnement tient en trois paragraphes :

Cependant, je n’ai pas accepté le fait que, si le demandeur d’asile vivait dans une autre région du Bangladesh, comme Dacca (où son oncle réside) ou Musapur sur l’île de Swandip, où vivent d’autres membres de sa famille, il serait nécessairement localisé par ses anciens ennemis du PNB ou leurs hommes de main de sa ville d’origine d’Halishahar Sud (Chittagong). Je crois qu’il est raisonnable pour le demandeur d’asile de rechercher une possibilité de refuge intérieur à Dacca ou à Musapur.

            Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne suis pas d’avis que le témoignage oral fait par le demandeur d’asile le 6 juillet 2006 concernant les possibilités de refuge intérieur soit vraisemblable ou crédible, en particulier lorsqu’il a déclaré que les gens vivant dans ces deux régions pourraient remarquer qu’il a un accent différent et que, par conséquent, ils pourraient se dire qu’il doit avoir fait quelque chose de mal pour se trouver là.

            Le demandeur d’asile est une personne instruite qui possède des antécédents professionnels variés et, par conséquent, grâce à ces atouts et à la présence de membres de sa famille dans ces deux régions, je crois qu’il y a des possibilités de refuge intérieur réalistes en cas de retour dans son pays de citoyenneté, à savoir le Bangladesh. En fait, je remarque que le demandeur d’asile a résidé à Musapur sur l’île de Swandip pendant plus de quatre mois et que, pendant cette période il n’a été exposé à aucun risque, bien qu’il prétende n’être sorti que le soir.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]           La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le commissaire a commis une erreur en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur viable à Dhaka et à Musapur. Suivant le demandeur, cette conclusion est mal fondée pour trois raisons. En tout premier lieu, le demandeur soutient que le commissaire n’a pas vérifié s’il avait raison de craindre d’être persécuté dans les régions où il disposait d’une possibilité de refuge intérieur du simple fait qu’il était un membre actif de la Ligue Awami, et il ajoute que le commissaire n’a pas vérifié la véracité de ses allégations au sujet de ses expériences passées. Deuxièmement, le demandeur soutient que le commissaire a ignoré ou a mal interprété les éléments de preuve qui lui avaient été soumis au sujet de la question de savoir si le demandeur militerait activement dans les régions où il disposait d’une possibilité de refuge intérieur. Enfin, le demandeur affirme que la Commission n’a pas appliqué la bonne norme de preuve pour tirer ses conclusions au sujet de la possibilité de refuge intérieur. Je vais reprendre chacun de ces trois arguments à tour de rôle.

 

ANALYSE

[21]           Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle appropriée lorsqu’il s’agit d’examiner les conclusions de fait tirées par la Commission dans le contexte d’une possibilité de refuge intérieur est celle de la décision manifestement déraisonnable (Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 193; Ezemba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1023; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999). En conséquence, la Cour n’interviendra que si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)).  En ce qui concerne la question de savoir si la Commission a appliqué correctement le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur, il s’agit d’une question de droit qui doit être évaluée en fonction de la norme de la décision correcte.

 

[22]           Le demandeur a tenté d’établir une distinction entre sa demande spécifique, qui est fondée sur les menaces et les persécutions dont il a personnellement fait l’objet dans le passé, et sa demande générale fondée sur le simple fait qu’il est membre de la Ligue Awami. Pour analyser le fondement objectif de sa demande d’asile, la Commission a rejeté la demande spécifique du demandeur mais elle a accepté que des membres actifs réguliers de la Ligue Awami étaient susceptibles d’être persécutés dans diverses régions du Bangladesh. Le demandeur explique que, dans son analyse de la possibilité de refuge intérieur, la Commission a toutefois perdu de vue cette conclusion et a oublié de se demander si le demandeur avait raison de craindre d’être persécuté dans les régions où il disposait d’une possibilité de refuge intérieur du simple fait qu’il était un membre actif de la Ligue Awami.

 

[23]           Après avoir lu attentivement les décisions invoquées par le demandeur, j’en arrive à la conclusion qu’elles ne soutiennent pas la thèse qu’il avance dans ses observations orales et écrites. Lorsqu’on examine une demande d’asile, la question en litige est toujours personnalisée. D’ailleurs, le critère à deux volets à appliquer pour décider si un demandeur a raison de craindre d’être persécuté sur tout le territoire de son pays d’origine est essentiellement axé sur sa situation personnelle. Ce critère, qui a été posé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, peut être résumé comme suit : 1) y a-t-il une possibilité sérieuse que le demandeur puisse être persécuté dans les lieux considérés comme possibilité de refuge intérieur? 2) Serait-il déraisonnablement difficile pour le demandeur, eu égard à toutes les circonstances de l’espèce, de se rendre à l'endroit lui offrant apparemment une possibilité de refuge intérieur?

 

[24]           En d’autres termes, la Commission devait être convaincue qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans d’autres régions du Bangladesh et que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris de celles qui étaient particulières au demandeur, la situation qui existait ailleurs au Bangladesh était telle qu’il serait déraisonnable que le demandeur y cherche refuge. La véritable question à résoudre n’est pas celle de savoir s’il existait une véritable possibilité, dans l’abstrait, qu’un membre actif de la Ligue Awami soit persécutée dans les villes de Dhaka et de Musapur, mais bien celle de savoir si le demandeur, avec ses caractéristiques personnelles, pouvait trouver refuge dans ces villes.

 

[25]           La Commission a effectivement procédé à une évaluation personnalisée et elle a conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Dhaka et à Musapur. En premier lieu, la Commission n’a pas accepté que le demandeur pourrait être considéré comme suspect et être dénoncé à la police simplement parce qu’il avait un accent différent de celui des habitants de ces deux villes. De plus, la Commission a fait observer que le demandeur a de la famille dans ces deux villes et qu’il a vécu chez un cousin, à Musapur, pendant plus de quatre mois, même s’il prétend qu’il ne sortait que le soir. Enfin, la Commission a ajouté que le demandeur est une personne instruite qui possède des antécédents professionnels variés. Sur le fondement de ces conclusions, la Commission a estimé que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur réaliste s’il devait retourner au Bangladesh. Ces conclusions de fait ne sont pas manifestement déraisonnables, et je ne suis pas disposé à les modifier dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Il se peut que des membres actifs de la Ligue Awami soient exposés à des risques dans diverses régions du Bangladesh; il ne s’ensuit pas qu’un membre particulier qui risque d’être persécuté dans sa ville d’origine soit également menacé dans d’autres régions du pays.

 

[26]            Pour ce qui est du second argument, le demandeur affirme que la Commission a mal interprété son témoignage. La conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Dhaka et à Musapur reposait en partie sur le fait que le demandeur ne reprendrait pas ses activités politiques s’il devait retourner ailleurs que dans sa ville d’origine. La Commission « remarque que le demandeur d’asile a déclaré, au cours de son témoignage oral, que s’il était renvoyé dans une autre région du Bangladesh, il ne participerait pas activement aux activités du parti Awami, à moins de retourner au domicile familial à Halishahar Sud (Chittagong) » (transcription, à la page 141).

 

[27]           Après avoir attentivement examiné le témoignage que le demandeur a donné devant la Commission, j’estime que cette conclusion est mal fondée. En effet, le demandeur a bien au contraire affirmé qu’il participerait aux rassemblements et manifestations organisés par la Ligue Awami peu importe où ils se tiendraient au Bangladesh (transcription, pages 195 et 196). Il a également expliqué qu’à son retour, il n’hésiterait pas à communiquer avec la section de la Ligue Awami dont il avait antérieurement fait partie et qu’il reprendrait ses activités (transcription, à la page 222). Le demandeur a expliqué qu’il ne souhaitait pas retourner dans une région ou l’autre du Bangladesh, mais a ajouté que, s’il était contraint de le faire, il retournerait à Halishahar Sud, étant donné qu’il pourrait être repéré de toute façon dans les autres régions, ce qui est compréhensible compte tenu du fait que, dans sa localité, il a au moins de la famille et un réseau de soutien. Quoi qu’il en soit, il n’a jamais affirmé qu’il ne serait pas actif sur le plan politique s’il vivait à Dhaka.

 

[28]           La conclusion de la Commission ne cadre absolument pas avec le témoignage du demandeur. Ce fait n’aurait pas une importance critique, n’eut été du fait que cette conclusion est cruciale pour déterminer si le demandeur dispose d’une possibilité de refuge intérieur à Dhaka et à Musapur. Bien qu’il puisse être en sécurité dans ces deux villes s’il reste discret et s’abstient de toute activité politique, il pourrait fort bien en être tout autrement s’il reprend ses activités au sein de la Ligue Awami et s’il cherche en entrer en communication avec des membres de son comité local. La Commission a commis une erreur en n’examinant pas cette possibilité à la lumière du témoignage du demandeur et de sa conclusion antérieure que des membres actifs de la Ligue Awami risquaient d’être persécutés par des ennemis politiques ou par leurs hommes de main dans diverses régions du Bangladesh.

 

[29]           Enfin, le demandeur a soutenu que la Commission n’avait pas appliqué le bon critère pour tirer sa conclusion au sujet de la possibilité de refuge intérieur. Dans l’extrait précité, au paragraphe 19 de ces motifs, la Commission en arrive à la conclusion que le demandeur serait en sécurité dans d’autres régions du Bangladesh parce qu’elle n’acceptait pas qu’« il serait nécessairement localisé par ses anciens ennemis du PNB ou leurs hommes de main » (transcription, page 142) (non souligné dans l’original).

 

[30]           Il est de jurisprudence constante que, pour pouvoir conclure que le demandeur d’asile dispose d’une possibilité de refuge intérieur, la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté dans la partie du pays où la Commission considère qu’il existe une possibilité de refuge intérieur. La définition de réfugié au sens de la Convention, dont le concept de possibilité de refuge intérieur fait partie intégrante, n’exige pas que le demandeur d’asile prouve qu’il « serait » persécuté. Il lui suffit de prouver qu’il existe une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté, et non qu’il démontre qu’il sera probablement persécuté. Pour analyser le degré de risque auquel le réfugié est exposé, on commet une erreur si l’on exige que le demandeur prouve qu’il « serait » persécuté. En ajoutant le mot « nécessairement », la Commission a exigé une presque certitude de persécution.

 

[31]           Le défendeur rétorque que la Commission examinait simplement les faits et qu’elle ne prétendait pas fixer un seuil minimal de risque. Le défendeur ajoute que la Commission était bien au courant de la norme applicable, comme le démontre bien l’extrait suivant du premier paragraphe sous la rubrique intitulée « Possibilité de refuge intérieur » : « Selon la prépondérance des probabilités, je conviendrais de la déclaration du demandeur d’asile selon laquelle, s’il devait retourner à Halishahar Sud, il existerait plus qu’une simple possibilité qu’il soit de nouveau la cible des hommes de main du PNB » (transcription, à la page 141). En tout état de cause, le défendeur soutient qu’on ne doit pas se laisser obnubiler par un ou deux mots au point d’oublier l’ensemble de la décision et le contexte dans lequel ces mots figurent.

 

[32]           Le problème que pose la thèse du défendeur est qu’il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle de multiples formulations du critère ont été utilisées et dont certaines seraient exactes et d’autres, erronées. Le libellé contestable du critère est le seul passage de l’analyse de la possibilité de refuge intérieur qui a quelque chose à voir avec la norme de preuve. L’autre phrase invoquée par le défendeur pour démontrer que la Commission connaissait bien le critère applicable a davantage à voir avec l’appréciation du risque objectif auquel le demandeur serait exposé dans sa ville natale.

 

[33]           Dans le jugement récent Ghose c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 343 [Ghose], qui portait aussi sur un demandeur d’asile provenant du Bangladesh, ma collègue la juge Snider a estimé que la Commission avait commis une erreur en concluant qu’il existait une possibilité de refuge intérieur parce qu’elle avait posé la question de savoir si le demandeur « serait » persécuté dans la région où il était censé disposer d’une possibilité de refuge intérieur. L’affaire qui nous occupe est encore plus problématique. Dans l’affaire Ghose, la Commission avait à la fois donné une formulation exacte et une formulation erronée de la norme de preuve. La Cour ne pouvait donc savoir avec certitude si la Commission avait employé la bonne formulation, mais elle avait néanmoins choisi de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, il n’y a pas de doute semblable quant à la question de savoir si la Commission n’a employé que la formulation incorrecte du critère.

 

[34]           Même si j’avais des doutes au sujet de la question de savoir si la Commission a employé le bon critère, je m’estimerais tenu de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel on pourrait dire avec une certaine certitude qu’on en arriverait à la même conclusion indépendamment du critère appliqué. Compte tenu du fait que la Commission a également mal interprété la preuve sur un aspect crucial de la demande d’asile, je n’ai d’autre choix que d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un autre tribunal de la Commission.

 

[35]           Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier et aucune ne le sera donc.


ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et qu’une nouvelle audience soit tenue. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5618-06

 

INTITULÉ :                                                   SWAPAN CHOWDHURY

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LE DEMANDEUR

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Douglas Lehrer

VanderVennen Lehrer

Avocats

45, rue St. Nicholas

Toronto (Ontario) M4Y 1W6

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                               

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