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Date : 20070924

Dossier : IMM-4603-06

Référence : 2007 CF 954

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

NADEEM KHALID RAMAY

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) en date du 19 juillet 2006, selon laquelle le demandeur n’avait ni qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Le demandeur, Nadeem Khalid Ramay, est un citoyen du Pakistan qui a demandé l’asile parce que, étant un musulman chiite, il a été persécuté par des musulmans sunnites fondamentalistes, en particulier le Sepah‑e‑Sahaba (le SSP), et par la police. Il craint d’être victime des mêmes agents de persécution s’il devait maintenant retourner au Pakistan. Le demandeur a fui le Pakistan et est arrivé aux États‑Unis le 20 août 1996. Il est resté dans ce pays durant six ans et demi environ, sans demander l’asile. Il est arrivé au Canada en provenance des États‑Unis le 25 janvier 2003 et a demandé l’asile par la suite.

 

[3]               La SPR a reconnu que le demandeur était un citoyen du Pakistan et un musulman chiite, mais elle a rejeté sa demande d’asile principalement parce qu’il n’était pas crédible et qu’il pouvait obtenir une protection adéquate de l’État. Plus précisément, la SPR a considéré que la preuve produite par le demandeur était truffée de contradictions, d’omissions et d’invraisemblances qui minaient sérieusement sa crédibilité en tant que témoin digne de foi. Elle mentionne notamment ce qui suit dans ses motifs :

 

·        le demandeur a déclaré, lors de son entrevue au poste d’entrée, que le SSP était le seul agent de persécution. Lorsque la Commission l’a interrogé au sujet du fait qu’il avait indiqué dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et dans son témoignage que la police était aussi un agent de persécution, il a été incapable de donner une explication cohérente ou satisfaisante. Il a d’abord déclaré que le problème était dû au fait qu’on ne lui avait pas fourni d’interprète pour l’entrevue au poste d’entrée, mais, lorsqu’on a attiré son attention sur le dossier d’entrevue, qui indiquait clairement que l’entrevue avait été menée avec l’aide d’un interprète, il a changé son explication, déclarant que le processus d’interprétation avait posé des problèmes. La Commission n’était pas convaincue qu’une omission importante d’éléments de preuve sur un agent de persécution important, à savoir la police, qui aurait détenu et torturé le demandeur à au moins trois occasions pouvait raisonnablement être attribuée à une simple erreur de nuance ou à une mauvaise interprétation du sens des mots ou de la terminologie;

·        dans l’exposé circonstancié contenu dans son FRP et dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait été détenu et torturé par la police à trois occasions, en 1994 et 1996. À l’entrevue au poste d’entrée cependant, il a mentionné seulement qu’il avait été battu par le SSP en 1992. Invité à expliquer cette divergence quant aux dates, il a affirmé qu’il n’avait pas été battu par le SSP en 1992, mais plutôt en 1995. Selon lui, cette erreur était attribuable, une fois de plus, à des problèmes d’interprétation;

·        lorsqu’il a été interrogé au sujet de la question de savoir s’il avait déjà été détenu ou emprisonné, le demandeur n’a mentionné aucune des trois détentions alléguées par la police en 1994 et 1996, se contentant de dire qu’il avait été détenu par un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada au poste de Peace Bridge. Invité à expliquer ces omissions importantes, il n’a pas fourni d’explication satisfaisante aux yeux de la Commission. Il a plutôt encore une fois blâmé son interprète;

·        le demandeur a déclaré qu’il avait été ciblé par le SSP parce qu’il participait à des activités bénévoles qui, selon ses dires, sont effectuées par un grand nombre de chiites actifs. La Commission a néanmoins estimé qu’il n’avait pas été en mesure d’expliquer ce qui le distinguait des plus de 20 millions de pratiquants chiites qui effectuent de telles activités bénévoles et continuent à vivre au Pakistan;

·        la SPR a considéré que la preuve du demandeur sur le bien‑fondé de sa crainte subjective suscitait de sérieuses réserves concernant la crédibilité. Par exemple, le demandeur a déclaré que, après avoir été torturé par la police, il s’était caché à Rawalpindi pendant dix jours, au cours desquels il n’avait rencontré aucun problème. Il a dit aussi avoir quitté Rawalpindi parce qu’il ne pouvait pas se permettre de vivre à l’hôtel. La SPR a toutefois rappelé que le demandeur avait eu les moyens de s’offrir un billet d’avion et de payer les honoraires d’un passeur pour pouvoir entrer aux États‑Unis;

·        en outre, la Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis pendant tout le temps qu’il a vécu dans ce pays. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas demandé l’asile plus tôt, le demandeur a répondu qu’il avait consulté un avocat en utilisant un service téléphonique sans frais et que cet avocat lui avait dit qu’il aurait dû faire sa demande à son arrivée. La SPR a jugé que l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait pas suffisamment d’argent pour retenir les services d’un avocat n’était pas crédible, étant donné qu’il avait été démontré devant la Commission qu’il avait commencé à travailler au cours du mois de son arrivée aux États‑Unis;

·        finalement, la Commission n’a pas cru le demandeur lorsqu’il affirmait qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis parce qu’il craignait, après le 11 septembre 2001, d’être expulsé, car la preuve démontrait clairement qu’il était resté aux États‑Unis durant 15 mois après le 11 septembre 2001.

 

[4]               Le demandeur conteste maintenant les conclusions de la SPR pour un certain nombre de motifs. Il soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a évalué sa crédibilité et conclu à l’absence de crainte subjective. Il soutient également que le défendeur a manqué à son obligation en matière d’équité procédurale en ne lui offrant pas des services d’interprétation adéquats à l’entrevue de premier contact concernant la demande d’asile. Il affirme en outre que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a déterminé qu’il pouvait obtenir une protection de l’État adéquate au Pakistan. Finalement, il fait valoir que la Commission n’a pas évalué correctement les risques et la menace décrits à l’article 97 de la LIPR auxquels il serait exposé et qu’une analyse aurait dû être effectuée séparément en l’espèce.

 

[5]               Aucun de ces reproches n’est justifié, à mon avis.

 

La conclusion de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable

[6]               Le demandeur soutient que la Commission a mal interprété les faits et les documents produits en preuve qui démontrent que le SSP ne cible pas seulement des personnalités chiites en vue, étant donné qu’il appert qu’un grand nombre des victimes en 2003 étaient des professionnels – médecins et avocats – qui n’étaient pas actifs sur le plan politique ou qui n’étaient pas engagés dans des groupes sectaires.

 

[7]               Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant le rapport de police et la preuve médicale le concernant, lesquels confirment qu’il a été persécuté dans le passé et qu’il court personnellement un risque comme il l’affirme.

 

[8]               Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur son entrevue au poste d’entrée, étant donné qu’il n’avait pas obtenu l’aide d’un interprète ayant une bonne maîtrise de sa langue à cette entrevue et que l’interprétation comportait des problèmes. En outre, il affirme que les notes prises à l’entrevue au poste d’entrée ne lui ont jamais été lues afin d’en vérifier l’exactitude. Selon lui, ces notes ne sont généralement pas aussi détaillées que le FRP. Par conséquent, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable des divergences entre les notes prises au poste d’entrée et son FRP.

 

[9]               Le demandeur allègue en outre que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a déterminé qu’il n’avait pas une crainte subjective étant donné qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis. Selon lui, la Commission n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle il avait consulté des services juridiques un mois et demi après son arrivée aux États‑Unis environ et qu’il avait alors appris qu’il aurait dû présenter sa demande dans les 24 heures de son arrivée dans ce pays. En outre, le demandeur affirme que la Commission n’a pas pris en considération la preuve démontrant qu’il n’avait pas suffisamment d’argent pour retenir les services d’un avocat et que, comme il craignait d’être expulsé, il n’avait pas communiqué directement avec les autorités.

 

[10]           Ayant lu la décision de la SPR dans sa totalité, j’estime que la conclusion de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable. À mon avis, les motifs de la SPR décrivent clairement les conclusions de fait, ainsi que les principaux éléments de preuve sur lesquels ces conclusions sont fondées. Je ne suis pas convaincu que la Commission a omis de prendre en considération ou a arbitrairement écarté des documents produits en preuve qui étaient pertinents, ou qu’elle a tiré des conclusions de fait erronées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[11]           Les conclusions de la SPR concernant la crédibilité sont assujetties à la norme de contrôle commandant le degré le plus élevé de retenue. La Cour devrait hésiter à annuler de telles décisions de la Commission car ces décisions sont au cœur de la compétence spécialisée de cette dernière en tant que juge des faits, à moins que l’on ne démontre que la conclusion générale de la Commission est manifestement déraisonnable. Ce n’est nettement pas le cas en l’espèce.

 

[12]           Selon la jurisprudence, la Commission peut comparer les notes prises au poste d’entrée avec le FRP et le témoignage d’un demandeur et tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité en s’appuyant sur des divergences et des contradictions (Zaloshnja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 272, au paragraphe 6, 2003 CFPI 206). La Cour a aussi statué qu’une conclusion défavorable peut être fondée sur une déclaration contradictoire faite à un agent d’immigration, si cette déclaration porte sur un point essentiel de la demande et que la SPR ne juge pas raisonnables les explications données au sujet de la contradiction : Neame c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 378 (QL), au paragraphe 20. Par conséquent, il n’était pas manifestement déraisonnable que la Commission conclue que les explications données par le demandeur (selon lesquelles les divergences étaient attribuables à la piètre qualité de la traduction) n’étaient pas satisfaisantes étant donné qu’il y avait des omissions importantes concernant des incidents clés, et non simplement un problème relatif à l’interprétation des nuances d’une expression ou d’un mot particulier.

 

[13]           La Commission n’a pas agi de manière déraisonnable en tirant une conclusion défavorable du délai de six ans et demi qui s’est écoulé avant que le demandeur sollicite l’asile. L’avocat du défendeur affirme que la période de temps qui précède la demande d’asile est un facteur important dont il faut tenir compte dans l’évaluation de la véracité d’une demande et qu’il est raisonnable que la Commission s’attende à ce qu’une personne qui fuit la persécution demande l’asile à la première occasion. Je suis d’accord avec lui et je m’en remets au raisonnement du juge Pinard dans Gamassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1841 (QL), où il a écrit au paragraphe 6 qu’un délai de deux ans et demi peut indiquer une absence de crainte subjective. En l’espèce, le délai est de près de sept ans.

 

[14]           Finalement, vu l’[traduction] « absence générale de crédibilité » du demandeur, il n’était pas manifestement déraisonnable que la Commission accorde peu de poids, voire aucun, aux différents documents présentés par le demandeur, notamment le rapport de police et la preuve médicale (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.)).

Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

[15]           Le demandeur allègue en outre que l’équité procédurale exige que le préposé à l’entrevue qui fournit un interprète s’assure que ce dernier peut parler parfaitement avec le demandeur dans la langue maternelle de ce dernier. Le demandeur affirme qu’il aurait dû être conseillé au sujet de son droit de remplacer l’interprète s’il estimait que ce dernier ne traduisait pas fidèlement ce qu’il disait ou si, à cause de différences de dialecte, il y avait un risque que ses réponses ne soient pas parfaitement communiquées à l’agent d’immigration. Finalement, il dit qu’il a été privé de l’équité procédurale parce qu’une partie de l’entrevue de premier contact a été menée par l’interprète.

 

[16]           En l’espèce, je ne suis pas convaincu que c’est à cause d’une erreur de traduction que trois allégations importantes de torture par la police n’ont pas été mentionnées à l’entrevue au poste d’entrée.

 

[17]           À mon avis, il est raisonnable de penser que le demandeur, qui a une connaissance pratique de l’anglais et qui pouvait comprendre la question qui lui était posée par l’agent d’immigration et y répondre de manière appropriée, aurait dû constater que des erreurs d’interprétation majeures et importantes étaient commises au cours de l’entrevue au poste d’entrée. C’est au demandeur, à mon avis, qu’il incombe de relever sur‑le‑champ de telles erreurs. Le demandeur devait, à tout le moins, faire part de ses préoccupations lorsque le préposé à l’entrevue lui a expressément demandé s’il avait de la difficulté à comprendre l’interprète.

 

[18]           La Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’existe pas de droit à une traduction parfaite : Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 4 F.C. 85 (C.A.), au paragraphe 6, autorisation d’appel rejetée, [2001] C.S.C.R. no 435 (QL). De même, dans R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, la Cour suprême du Canada a affirmé à la page 987 :

Il est cependant important de garder à l’esprit que l’interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s’exerce rarement dans des circonstances idéales. Par conséquent, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d’exiger que même une norme d’interprétation garantie par la Constitution en soit une de perfection.

 

[19]           En outre, je constate que la Commission n’a pas rejeté la demande du demandeur en raison uniquement de la crédibilité. La SPR a plutôt conclu que le délai de six ans et demi qui s’était écoulé avant que le demandeur sollicite le droit d’asile traduisait une absence de crainte subjective. Elle a aussi déterminé que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Ainsi, l’évaluation de la crédibilité effectuée par la Commission n’a été que l’un des facteurs qui l’ont amenée à rejeter la demande d’asile du demandeur.

 

[20]           Pour ces motifs, j’estime qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

 

La présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée

[21]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas produit une preuve claire et convaincante réfutant la présomption de protection de l’État. Il fait valoir que la preuve documentaire démontre clairement que le gouvernement du Pakistan a hésité à prendre des mesures énergiques contre les groupes sectaires extrémistes parce qu’il a peur de ces groupes. Il affirme que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve qu’il a produite pour corroborer ses affirmations selon lesquelles il ne peut obtenir la protection de l’État. En outre, comme il craint aussi la police – l’agent de persécution en l’espèce –, il n’était pas déraisonnable qu’il ne sollicite pas la protection de l’État.

 

[22]           Je fais mien le raisonnement de la juge Tremblay‑Lamer, qui a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58, au paragraphe 11, 2005 CF 193, et a déterminé que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SPR concernant le caractère adéquat de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable simpliciter. Cette norme a aussi été appliquée dans plusieurs décisions récentes de la Cour (voir, par exemple, Resulaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 337, 2006 CF 269; Larenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 218, 2006 CF 159; Codogan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1032, 2006 CF 739). 

 

[23]           L’arrêt de principe sur la question de la protection de l’État est Canada (P.G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward), où la Cour suprême du Canada a affirmé qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger ses citoyens. Cette présomption peut cependant être réfutée par le demandeur au moyen d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection. Comme la Cour suprême du Canada l’a écrit au paragraphe 50 de ses motifs :

Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée. En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[24]           Ainsi, l’État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens, et les demandeurs d’asile doivent produire une « preuve claire et convaincante » démontrant que l’État ne veut pas ou ne peut pas les protéger.

 

[25]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, la Commission n’a pas écarté à la légère ses arguments sur la question de la protection de l’État. En fait, elle a expliqué de manière détaillée pourquoi elle le faisait. À mon avis, il n’était pas déraisonnable que la SPR détermine, compte tenu de la preuve dont elle disposait, que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative au caractère adéquat de la protection de l’État au Pakistan. Dans ses motifs, la Commission mentionne que, vu les activités limitées du demandeur au sein de la communauté chiite il y a plus d’une décennie, son degré d’instruction modeste, sa profession de vendeur et le fait qu’il n’occupait pas un poste de leadership au sein de la communauté chiite, il ne fait pas partie des personnes bien en vue, comme les médecins et les avocats, qui font habituellement l’objet de la violence sectaire. La Commission a souligné qu’il y a environ 20 millions de chiites au Pakistan et que ceux‑ci sont généralement protégés par le gouvernement et bien intégrés à la société pakistanaise. Elle a reconnu que la police avait souvent été inefficace face à la violence sectaire des sunnites ou des chiites dans le passé, mais qu’il y avait eu des changements sérieux et notables dans la lutte contre cette violence. Elle a aussi reconnu que des opinions divergentes étaient exprimées dans certains documents. Toutefois, compte tenu de la prépondérance de la preuve objective et fiable dont elle disposait, la SPR a conclu que, sans pour autant éliminer la violence sectaire, les autorités déployaient des efforts sérieux pour lutter contre celle-ci.

 

[26]           À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement arriver à la conclusion qu’elle a tirée; en outre, cette conclusion est étayée par la preuve documentaire ainsi que par les principes énoncés par la Cour au regard de la protection de l’État. Je suis convaincu que la Commission a compris et soupesé tout autant la preuve positive que la preuve négative qui ont été produites lors de l’audition de la demande d’asile. De plus, étant donné que la Commission ne croyait pas, de toute façon, que le demandeur avait été pris à partie et torturé par la police en 1996 et dans la mesure où elle a conclu qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, je suis convaincu que le critère pertinent qui a été élaboré dans Ward, précité, a été appliqué. En résumé, la Commission n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle.

 

La conclusion concernant l’article 97 est valable

[27]           Finalement, la Commission doit déterminer si le demandeur a qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR, parce qu’il est exposé au risque d’être soumis à la torture (alinéa 97(1)a)), à une menace à sa vie (alinéa 97(1)b)) ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités (alinéa 97(1)b)). Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas valablement examiné sa demande de protection fondée sur l’article 97 de la LIPR. Selon lui, la jurisprudence permet d’affirmer que, lorsqu’une preuve est clairement présentée pour établir le risque visé à l’article 97, la Commission a l’obligation de l’évaluer et de procéder séparément à une analyse fondée sur l’article 97 dans ses motifs. Voir Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1409, 2003 CF 1119, au paragraphe 21, et Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1540, 2003 CF 1211, au paragraphe 41. On prétend que la Commission avait l’obligation d’examiner le risque objectif sous le régime de l’article 97, même si elle a rejeté la demande fondée sur l’article 96 pour des raisons de crédibilité.

 

[28]           Je suis disposé à reconnaître qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité relativement à une demande d’asile fondée sur l’article 96 n’est pas nécessairement déterminante quant à une demande fondée sur le paragraphe 97(1), étant donné que les éléments requis pour établir le bien‑fondé d’une demande fondée sur l’article 97 diffèrent de ceux requis par l’article 96 (Nyathi, précitée, et Bouaouni, précitée). Au bout du compte, la question de savoir si la Commission a valablement examiné les deux demandes doit être tranchée en fonction des faits entourant chaque demande, en tenant compte des éléments différents qui sont requis pour démontrer le bien‑fondé de chacune (Nyathi, précitée). Toutefois, le fait de ne pas procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97 ne sera pas fatale dans tous les cas (Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 77, 2004 CF 635; Nyathi, précitée), en particulier si les faits et les motifs sur lesquels repose la demande d’asile (un motif prévu par la Convention en l’espèce) sont les mêmes et si le récit du demandeur n’est pas crédible (Kulendrarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 94, 2004 CF 79).

 

[29]           La Commission a notamment affirmé ce qui suit dans sa décision :

Le tribunal [de la SPR] a également examiné si le demandeur d’asile était une personne à protéger en raison d’une menace à sa vie, de risque de traitements ou peines cruels et inusités ou d’un risque d’être soumis à la torture. Le demandeur d’asile n’a produit aucun autre élément de preuve, et la documentation ne porte pas à conclure qu’il ferait face à une possibilité sérieuse de persécution, s’il retournait au Pakistan à l’heure actuelle. Aussi, étant donné l’absence de crédibilité en ce qui a trait à des faits importants de cette demande d’asile, et après examen de l’ensemble de la preuve, je conclus que le demandeur n’a pas prouvé qu’il satisfaisait à l’exigence plus élevée d’une menace à sa vie ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Je conclus aussi qu’aucun élément de preuve crédible n’ait été produit pour appuyer la conclusion selon laquelle le demandeur d’asile risquerait d’être soumis à la torture.

 

Après avoir examiné l’ensemble de la preuve soumise, dont le FRP, le témoignage de vive voix du demandeur d’asile, les observations de l’agent de protection des réfugiés et du conseil, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui indiquent que, s’il devait retourner au Pakistan à l’heure actuelle, il ferait face à un risque sérieux de persécution de la part des extrémistes sunnites, notamment le SSP pour les raisons alléguées, ou qu’il ferait face personnellement à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou qu’il existe des motifs importants de croire qu’il serait personnellement exposé à un risque d’être soumis à la torture.

 

[30]           En l’espèce, la SPR a relevé d’importantes contradictions, omissions et invraisemblances dans la preuve du demandeur qui l’ont amenée à conclure que son récit n’était pas crédible. J’ai déjà déterminé qu’elle pouvait arriver à de telles conclusions. En outre, la SPR a montré qu’elle était bien consciente des conditions existant au Pakistan et a explicitement traité, dans ses motifs, de la documentation sur ce pays dont elle disposait. Rien dans la preuve ne permet de croire que la Commission a omis de tenir compte de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés ou qu’elle en a mal compris certains. Si l’on fait abstraction de ceux qu’elle a jugé non crédibles, la Commission ne disposait pas d’éléments de preuve, dans la documentation sur le pays ou ailleurs, qui auraient pu l’amener à conclure que le demandeur avait qualité de personne à protéger. J’estime que, compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission pouvait conclure comme elle l’a fait que le demandeur n’avait pas qualité de « personne à protéger » selon les alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR.

 

[31]           En conclusion, la présente demande doit être rejetée. Les avocats conviennent qu’aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.

 


 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-4603-06

 

INTITULÉ :                                                       NADEEM KHALID RAMAY

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 17 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 24 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Moses                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Ricky Tang                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses                                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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