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Date : 20060320

Dossier : IMM-4106-05

Référence : 2006 CF 359

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2006

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

CRISTIAN MARCEL VIGUERAS AVILA

partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il soutient que les autorités de son pays ne sont pas en mesure de le protéger contre la persécution qu’il craint principalement d’un certain José Antonio Lemus (l’agent persécuteur), pour qui il a travaillé au bureau local du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) à Mexico alors qu’il poursuivait des études en ingénierie industrielle. Le demandeur allègue que l’agent persécuteur l’a menacé de mort et que des voyous à la solde de ce dernier ont voulu l’extorter, qu’ils l’ont enlevé et battu, et que la maison familiale où il vivait a fait l’objet d’une tentative d’incendie après qu’il ait découvert que l’agent persécuteur était directement impliqué dans le financement illégal de l’Organisation démocratique des étudiants en technique (ODET), qu’on soupçonne de commettre des actes de sabotage et de vandalisme pour le compte du PRI. Le demandeur a révélé à l’agent persécuteur qu’il était au courant de ces paiements illégaux et a voulu se dissocier de ce dernier. Avant de cesser de travailler pour l’agent persécuteur, le demandeur a fait des copies de certains documents qui, apparemment, incriminent ce dernier.

 

[2]               La demande d’asile du demandeur a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

DÉCISION DE LA COMMISSION

 

[3]               Dans les motifs très succincts (soit deux pages et demie) fournis dans cette affaire, la Commission ne met pas en doute la crédibilité du témoignage du demandeur et conclut que ce dernier « est bel et bien victime de vengeance personnelle ». Mais pour être reconnu comme « réfugié au sens de la Convention », une personne doit démontrer qu’elle craint avec raison d’être persécutée pour l’un des cinq motifs énumérés à la définition. Compte tenu du fait que les menaces de mort à l’endroit du demandeur sont, de l’avis de la Commission, motivées par la vengeance personnelle de l’agent persécuteur (et non reliées à l’opinion politique imputée au demandeur), il ne peut donc s’agir de « persécution » au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et

la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

 

[4]               La Commission est également d’avis que « le demandeur ne s’est pas déchargé du fardeau de la preuve qui lui incombait de réfuter la présomption de l’impossibilité des autorités de son pays de le protéger, et ce en présentant une preuve claire et convaincante » [notre souligné]. En l’espèce, puisque l’État mexicain n’est pas l’agent persécuteur, le demandeur aurait dû épuiser tous les recours existants avant de venir demander la protection du Canada : « [s]’il n’avait pas eu de succès [auprès de la police], il aurait pu faire appel à la CNDH [Commission nationale des droits de la personne] et [à la] CEDH [Commission d’État des droits de la personne] qui effectuent des enquêtes sur les plaintes ». La Commission appuie sa décision sur les arrêts Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 et Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), [1996] A.C.F. no 1376 (QL).

 

[5]               La Commission conclut donc que le demandeur n’a ni la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

 

[6]               Dans la présente affaire, le demandeur conteste principalement la légalité de la conclusion de la Commission au niveau de la capacité de l’État mexicain de le protéger.

 

[7]               Le demandeur s’en prend en premier lieu à l’insuffisance des motifs fournis dans cette affaire, car ceux-ci ne permettent pas à cette Cour de vérifier si la conclusion générale de la Commission s’appuie véritablement sur l’ensemble de la preuve au dossier, tout en tenant compte de la situation personnelle du demandeur. Le demandeur soutient qu’il a des raisons valables pour ne pas vouloir se réclamer de la protection de son pays à cause du degré de corruption qui y sévit à tous les niveaux et des représailles dont il serait l’objet s’il portait plainte auprès des autorités mexicaines. Or, la Commission a rejeté arbitrairement les explications du demandeur sans tenir compte de l’ensemble de la preuve documentaire et de son témoignage. De plus, au niveau de l’application et de la portée du test relatif à la protection de l’État, le demandeur soutient que la Commission a mal compris et appliqué les arrêts Ward et Kadenko. Dans les circonstances du présent dossier, la conclusion de la Commission à l’effet que le demandeur aurait dû d’abord s’adresser à la police est déraisonnable.

 

[8]               Le demandeur rappelle que la Commission doit évaluer toute la preuve dans son ensemble, et non en examiner chaque partie de façon isolée : Owusu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 33 (C.A.F.) (QL); Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.); et Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

 

[9]               Ainsi, le demandeur reproche à la Commission de ne pas avoir mentionné ni discuté dans sa décision des éléments de la preuve qui corroborent pourtant son témoignage à l’effet que la corruption est généralisée au Mexique et qu’il est inutile dans un cas semblable de s’adresser aux autorités policières. Il est ici question de dénoncer des crimes perpétrés par un homme politique influent et les sbires qui sont à sa solde. Le demandeur attire particulièrement l’attention de cette Cour sur les US Country Reports on Human Rights Practices traitant du Mexique, lesquels ne sont pas mentionnés dans la décision. Or, certaines parties du rapport pour l’année 2004 sont très critiques à l’endroit de l’État mexicain. On laisse notamment entendre que la corruption est généralisée (« widespread ») au sein de la police mexicaine et qu’elle existe à un niveau moindre au niveau de l’armée. Les disparitions et les enlèvements de personne sont fréquents et constituent un véritable problème avec un chiffre annuel non officiel de 3 000 enlèvements. De plus, il arrive que la police soit impliquée dans des enlèvements, des vols à main armée, des cas d’extorsion, ainsi que dans la protection de criminels et de narco-trafiquants. Plusieurs suspects ne sont pas accusés ou sont relâchés après avoir payé des pots-de-vin. On reproche également à la police mexicaine de torturer à l’occasion les suspects pour obtenir des confessions. De plus, les tribunaux judiciaires continuent d’admettre en preuve des déclarations recueillies sous la torture. L’impunité continue d’être un problème, et ce, même si le gouvernement mexicain prend des sanctions contre des policiers ou des membres de l’armée. Malgré les réformes entreprises au niveau de l’appareil judiciaire, les longs délais d’attente, l’absence d’application régulière de la loi (« due process »), l’inefficacité judiciaire et la corruption persistent. D’ailleurs, à cause de ces problèmes, plusieurs victimes ont peur de porter plainte contre la police. De fait, les policiers soupçonnés de corruption ne sont pas souvent poursuivis en justice. Bref, plusieurs citoyens ne font pas confiance au système judiciaire et sont très réticents à enregistrer des plaintes officielles : voir É.-U., U.S. Department of State, Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, Country Reports on Human Rights Practices 2004 : Mexico (28 février 2005).

 

[10]           Le demandeur soutient également qu’une majorité de crimes ne sont pas signalés au Mexique tout simplement parce que les citoyens n’ont pas confiance en la police et qu’ils ont peur des représailles s’ils dénoncent des criminels. Le demandeur soumet que c’est un facteur que la Commission doit prendre en considération lorsqu’elle évalue si le refus d’un revendicateur d’asile de porter plainte à la police est ou n’est pas raisonnable dans les circonstances. Ainsi, dans l’un des documents non mentionnés par la Commission dans sa décision, le taux de crime relevant de la juridiction des différents états au Mexique aurait diminué d’un pour cent alors que les crimes relevant de la juridiction fédérale auraient augmenté d’un pour cent. Toutefois, plusieurs sources d’information soutiennent que les statistiques officielles ne reflètent pas la réalité car beaucoup de citoyens sont réticents à signaler des crimes. Selon diverses estimations, la proportion de crimes non signalés, appelé parfois le « nombre noir » (la cifra negra) se situerait entre 75 p. 100 et 80 p. 100 ce qui voudrait dire que seulement un crime sur quatre ou cinq est signalé à la police : voir Canada, Directions des recherches, Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Mexique : protection offerte par l’État (Décembre 2003 – Mars 2005), Ottawa, 2005 aux pp. 22-23.

 

[11]           Le demandeur conteste également la raisonnabilité de la conclusion de la Commission à l’effet que « [s]’il n’avait pas eu de succès [auprès de la police], il aurait pu faire appel à la CNDH [Commission nationale des droits de la personne] et [à la] CEDH [Commission d’État des droits de la personne] qui effectuent des enquêtes sur les plaintes ». À cet égard, le demandeur soutient que la Commission a fait une lecture sélective de la preuve documentaire. En effet, dans la décision sous étude, la Commission ne se réfère qu’aux deux documents suivants : Canada, Directions des recherches, Commission de l’immigration et du statut de réfugié, MEX36332.EF, procédure à suivre pour déposer une plainte auprès du Bureau du procureur général fédéral et pour obtenir une copie d’une plainte qui a été déposée, Ottawa, 26 mars 2001 et Canada, Directions des recherches, Commissions de l’immigration et du statut de réfugié, MEX43164.EF, liste des organisations financées par le gouvernement qui aide les personnes ayant de la difficulté à obtenir la protection de l’État, Ottawa, 18 novembre 2004.

 

[12]           Par exemple, le Center for Public Integrity (CPI), soulignait récemment que dans certains cas, la corruption au sein de la fonction publique continuait de se produire avec impunité « en raison d’un manque de preuve et d’un système judiciaire inefficace ». Ainsi, selon la preuve documentaire non citée par la Commission dans sa décision, il appert qu’en octobre 2004, le gouvernement du Mexique n’avait pas encore fourni d’information sur les fonctionnaires qui avaient réellement purgé une peine d’emprisonnement entre décembre 2000 à 2003 suite à des déclarations de culpabilité à la suite d’accusations de corruption : voir Canada, Directions des recherches, Commission de l’immigration et du statut de réfugié, MEX42663.EF, information sur les recours offerts aux victimes de corruption exercée par des fonctionnaires fédéraux dans le District fédéral et dans les États de Guanajuato, de Jalisco, de Mexico, de Michoacan, de Puebla, de Queretaro, de Veracruz et du Yucatan; information sur les organismes auxquels il est possible de signaler les cas de corruption, et sur la protection offerte par l'État (2003 - septembre 2004), Ottawa, 1er octobre 2004.

 

[13]           D’autre part, bien que les commissions des droits de la personne aient pour mandat général d’enquêter sur les plaintes contre des fonctionnaires et de « transmettre des recommandations non contraignantes au procureur public ou à toute autre institution au sein de laquelle des fonctionnaires auraient été impliqués dans [de telles] violations », le demandeur fait valoir que celles-ci « n’ont pas l’autorité nécessaire pour poursuivre des personnes au criminel » : voir MEX43164.EF, précité. De même, un rapport de l’OCDE mentionne que si le gouvernement fédéral a fait des efforts pour sensibiliser les gens à la corruption et pour la prévenir, on ne peut en dire autant pour ce qui est de l’application de la loi et de l’engagement de poursuites. Les responsables de l’application de la loi au Mexique ont reconnu éprouver des difficultés à intenter des poursuites dans les affaires de corruption, et ce en raison des problèmes de détection (causés en partie par un manque de ressources et de formation) et d’enquête : voir OCDE, Mexico : Phase 2. Report on the Application of the Convention on Combating Bribery of Foreign Public Officials in International Business Transactions and the 1997 Recommendations on Combating Bribery in International Business Transactions (2 septembre 2004), mentionné dans Mexique : protection offerte par l’État (Décembre 2003 – Mars 2005), précité, à la p. 26.

 

[14]           Toujours en 2004, des médias et des défendeurs des droits de la personne ont signalé les faits suivants qui se reproduisent régulièrement : l’inconduite policière, la détention arbitraire et des actes d’auto-justice commis par des citoyens qui ne faisaient pas confiance à la police : voir Mexique : protection offerte par l’État (Décembre 2003 – Mars 2005), précité, aux pp. 8-9.

 

[15]           Aussi, selon le demandeur, la preuve documentaire au dossier est « claire et convaincante » et démontre l’ampleur de la corruption au Mexique tant au niveau des institutions politiques et judiciaires, qu’au niveau de la police. De façon objective, cette corruption affecte la capacité de l’appareil d’État d’assurer la protection de ses ressortissants dans des cas semblables au sien. Ici, l’agent persécuteur est un organisateur politique au service du PRI, lequel parti a été au pouvoir au Mexique pendant 70 ans. Le demandeur a déjà été menacé, enlevé et battu par des membres de l’ODET . Le demandeur affirme qu’on a également tenté de mettre le feu au domicile familial : deux voisins auraient vu deux jeunes qu’il soupçonne avec raison être des voyous à la solde de l’agent persécuteur, lancer un pétard contre le  mur de la maison familiale. Dans les cas de représailles éventuelles, la police mexicaine ne pourrait rien faire pour le protéger. La crainte de persécution du demandeur doit être appréciée de façon prospective. Le risque personnalisé de retour du demandeur au Mexique est présent dans l’ensemble du pays. Ici, la Commission a tout simplement omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve, ce qui rend sa décision déraisonnable.

 

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

 

[16]           Le défendeur soutient que la protection de l’État est une question essentiellement d’ordre factuel. Ici, le demandeur n’est tout simplement pas d’accord avec des conclusions de fait de la Commission. Le défendeur soumet que le demandeur n’a pas démontré que la conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable, ou alternativement, si c’est la norme de contrôle raisonnable simpliciter qui s’applique, qu’il y a lieu d’intervenir en l’espèce : voir Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 634, [2005] A.C.F. no 772 (C.F.) (QL).

 

[17]           Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas lieu d’annuler la décision de la Commission, puisque celle-ci repose sur la preuve au dossier et a un fondement rationnel. Même si la décision en cause est peu motivée, les motifs fournis en l’espèce sont capables de résister à un examen assez poussé. Il est vrai que dans la décision sous étude, la formulation du critère mentionné à l’arrêt Ward laisse à désirer, mais l’important c’est qu’en pratique, la Cour soit satisfaite que la Commission ait bien compris et appliqué celui-ci. Dans tous les pays, des citoyens sont quotidiennement victimes de crimes divers. Les cas d’enlèvement et d’extorsion existent également au Canada. C’est pour cela que les différents États ont pris des mesures pour que les contrevenants soient recherchés par la police et punis par les tribunaux judiciaires. Comme l’a noté la Commission dans sa décision, le Mexique est un pays démocratique. En l’espèce, en l’absence d’un effondrement complet de l’État, il faut présumer que l’État mexicain est en mesure de protéger ses ressortissants (Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL); Ward, précité; Kadenko, précité).

 

[18]           Selon son appréciation de la preuve documentaire, la Commission pouvait raisonnablement conclure qu’il existe un cadre juridique et légal susceptible de protéger les ressortissants de l’État mexicain. À cet égard, la Commission note dans sa décision qu’il existe la police fédérale préventive, la police d’État, la police municipale, l’agence fédérale des enquêtes, le bureau du procureur général de la République ainsi que des tribunaux et une armée.

 

[19]           Le défendeur prétend qu’il n’est pas raisonnable pour un revendicateur d’asile qui désire renverser la présomption de protection de l’État de soutenir qu’aucune démarche n’a été effectuée à la police simplement parce qu’il existe de la corruption. D’ailleurs, plusieurs décisions de cette Cour suggèrent que l’État mexicain est en mesure de protéger ses citoyens : Velazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n934 (C.F. 1re inst.) (QL); Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1699, [2004] A.C.F. no 2058 (C.F.) (QL); Urgel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1777, [2004] A.C.F. no 2171 (C.F.) (QL); Valdes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 93, [2005] A.C.F. no 123 (C.F.) (QL); Balderas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 157, [2005] A.C.F. no 225 (C.F.) (QL); B.O.T. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 284, [2005] F.C.J. No. 343 (C.F.) (QL).

 

[20]           Il faut par ailleurs présumer que la Commission a considéré l’ensemble de la preuve au dossier. Celle-ci n’avait donc pas à préciser dans sa décision tous les éléments de la preuve documentaire qu’elle a pu considérer avant de conclure, comme elle l’a fait, que le demandeur n’a pas présenté une « preuve claire et convaincante » de l’incapacité de l’État mexicain de le protéger. Il suffit qu’il existe au dossier de la preuve qui supporte la conclusion générale de la Commission. De plus, la Commission pouvait préférer certains éléments de preuve documentaire au témoignage du demandeur (Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL); Bustamante c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 499, [2002] A.C.F. no 643 (C.F. 1re inst.) (QL); Ortiz Vergara c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1164 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[21]           Les articles 96 et 97 de la Loi se lisent comme suit :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

ANALYSE

 

[22]           Dans les présentes procédures en contrôle judiciaire, la crédibilité du demandeur n’est pas remise en cause par le défendeur. Par ailleurs, le demandeur n’a pas sérieusement attaqué la validité de la conclusion de la Commission à l’effet que sa crainte de persécution n’est pas reliée à l’un des cinq motifs énumérés à la définition de « réfugié au sens de la Convention ». La seule question véritablement en litige dans la présente affaire est donc celle de la protection de l’État dans un contexte où ce dernier n’est pas l’agent persécuteur, ni complice des crimes reprochés par le demandeur à l’agent persécuteur. En l’espèce, le demandeur soutient qu’il était raisonnable de ne pas porter de dénonciation à la police à cause des représailles dont il aurait vraisemblablement fait l’objet, d’autant plus qu’« au Mexique tout est corrompu » et que « les autorités [en place au Mexique] ne protègent pas des personnes qui ont des liens avec des relations politiques et qui sont contre eux » (témoignage du demandeur, transcriptions de l’audition du 31 mai 2005, dossier certifié, page 237 et suivantes).

 

[23]           Dans l’affaire Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193 aux para. 9-11, [2005] A.C.F. no 232 (C.F.) (QL), Mme la juge Danièle Tremblay-Lamer conclut, après avoir fait une étude exhaustive de la jurisprudence et des critères pragmatiques et fonctionnels, que la norme de contrôle applicable aux questions touchant la protection de l’État est celle de la décision raisonnable simpliciter. Je souscris entièrement à l’analyse faite aux paragraphes 9 à 11 de sa décision et j’en arrive à la même conclusion. En conséquence, si l’un des motifs de rejet de la demande de protection est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable, et cette Cour ne devrait pas intervenir en l’espèce : voir Barreau du Nouveau-Brusnwick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 au para. 55. D’autre part, l’interprétation particulière que la Commission a faite de la loi et de la jurisprudence soulève une question de droit qui, bien entendu, doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte : alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales L.R.C. (1985), ch. F-7, tel qu’amendé.

 

[24]           Les principes généraux en matière de protection de l’État qui ont été développés par les tribunaux judiciaires sous l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, telle que modifiée et abrogée depuis (l’ancienne Loi), continuent de s’appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne a la qualité de « réfugié au sens de la Convention » en vertu de l’article 96 de la Loi. Ceci étant dit, je ne suis pas certain que les différences notées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2005] 3 R.C.F. 239 (C.A.F.), soient les seules qui existent entre l’article 96 de la Loi, qui reprend la définition de « réfugié au sens de la Convention » (que l’on retrouvait à l’article 2 de l’ancienne Loi), et l’article 97 de la Loi, qui introduit la nouvelle notion de « personne à protéger ». Par exemple, la définition de « réfugié au sens de la Convention », que l’on trouve maintenant à l’article 96 de la Loi, ne contient pas la condition supplémentaire qui est inscrite au sous-alinéa 97(1)b)(iii) de la Loi. Or, il faut rappeler que la définition de « réfugié au sens de la Convention » n’exige pas, pas plus qu’elle ne le suggère, que la crainte de persécution s’étende à l’ensemble du territoire du pays d’origine du réfugié : voir UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale : « La possibilité de fuite ou de réinstallation interne » dans le cadre de l’application de l’Article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Doc. HCR/GIP/03/04 (23 juillet 2003). Par contre, pour avoir la qualité de « personne à protéger », s’agissant d’une menace à la vie ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités, celle-ci doit en plus démontrer qu’« elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas » (sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi) (nos soulignés).

 

[25]           Ceci étant dit, je note que la Commission n’a pas traité dans sa décision de la possibilité d’un refuge intérieur, de sorte que cet aspect particulier de la protection de l’État mexicain n’a pas à être examiné ici. Néanmoins, lors de son témoignage, suite à une question de l’agente de protection des réfugiés touchant les tentatives de ce dernier de vivre ailleurs qu’à Mexico, le demandeur a répondu par la négative : « (…) Si j’avais vécu dans une autre ville et que j’avais demandé de la protection, ç’allait être la même chose, ça vaut pas la peine que je fasse des dénonciations, parce que dans mon pays il n’y a pas de démocratie, ni protection pour des gens qui vont à l’encontre des politiques du pays. » (notre souligné). Comme on peut le constater, le demandeur conteste que son pays soit, dans les faits, une « démocratie ».

 

[26]           S’agissant de la protection de l’État, le critère de l’arrêt Ward fait explicitement appel à un examen particularisé de la crainte de persécution du point de vue du revendicateur d’asile et des conditions objectives du pays en cause. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l’incapacité de l’État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l’exigence d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité d’un État d’assurer la protection. Pour repousser la présomption de capacité d’un État de protéger ses ressortissants, un demandeur peut présenter à la Commission le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne. Il peut également se fonder sur la preuve documentaire au dossier. Bien entendu, il peut faire état de sa propre expérience (Ward, précité, aux para. 49, 50 et 52).

 

[27]           Pour déterminer si le revendicateur d’asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d’asile soutient qu’il « ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection » de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l’État mais également sa volonté d’agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l’État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l’État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l’existence d’une protection à moins qu’ils ne soient mis en œuvre dans la pratique : voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.).

 

[28]           Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation (Villafranca, précité, au para. 7). N’empêche que même si la protection de l’État n’a pas à être parfaite, il doit tout de même exister une certaine protection dont le seuil minimal n’a pas à être établi par la Cour. La Commission peut en l’espèce déterminer que la protection fournie par l’État est adéquate en se référant aux normes définies dans les instruments internationaux et à ce que les citoyens d’un pays démocratique peuvent légitimement s’attendre dans des cas semblables. À mon avis, c’est une question de fait qui ne peut être répondue dans l’absolu. Chaque cas en est un d’espèce. Par exemple, dans le cas du Mexique, il faut regarder la protection qui existe non seulement au niveau fédéral mais aussi au niveau des états. Avant d’aborder la question de la protection, il faut bien entendu que la Commission saisisse bien la nature de la crainte de persécution ou du risque allégué par le demandeur. Lorsque, comme dans le cas présent, le demandeur craint la persécution d’une personne qui n’est pas un agent de l’État, la Commission doit notamment examiner la motivation de l’agent persécuteur et sa capacité à poursuivre le demandeur localement ou dans l’ensemble du pays, ce qui pose, le cas échéant, la question de l’existence d’un refuge interne et de sa raisonnabilité (du moins dans le cadre de l’analyse conduite sous l’article 96 de la Loi).

 

[29]           Ainsi, lorsque l’État n’est pas l’agent persécuteur, et même lorsque celui-ci est un État démocratique, la preuve peut néanmoins démontrer, de façon claire et convaincante, que ce dernier n’a pas la capacité ou n’a vraiment pas la volonté de protéger ses ressortissants dans certains types de situation : voir Annan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1995] 3 C.F. 25 (C.F. 1re inst.); Cuffy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1316 (C.F. 1re inst.) (QL); Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (C.F. 1re inst.) (QL); M.D.H.D. v. Canada (Minister of Citizenthip and Immigration), [1999] F.C.J. No. 446 (C.F. 1re inst.) (QL). Faudrait-il le rappeler, la plupart des États seraient prêts à tenter d’assurer la protection, alors qu’une évaluation objective pourra établir qu’ils ne peuvent pas le faire efficacement en pratique. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale (Ward, précité, au para. 48).

 

[30]           D’autre part, l’arrêt Kadenko, précité, est à l’effet qu’on ne peut conclure automatiquement qu’un État est incapable de protéger un de ses ressortissants lorsque ce dernier a demandé la protection de la police, alors que certains policiers ont refusé d’intervenir pour l’aider. Dès qu’il est tenu pour acquis qu’un État (en l’espèce, il s’agissait d’Israël) possède des institutions judiciaires et politiques capables de protéger ses citoyens, le refus de certains policiers d’intervenir ne saurait en lui-même rendre l’État incapable de le faire. C’est dans cette optique que la Cour d’appel fédérale mentionne en obiter que le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au « degré de démocratie » de l’État du ressortissant. Le degré de démocratie n’est pas nécessairement le même d’un pays à l’autre. Par conséquent, la Commission commet une erreur de droit si elle adopte une approche « systémique » à l’égard de la protection offerte aux ressortissants d’un pays donné. C’est ce qui risque de se produire lorsque les motifs de rejet fournis par la Commission sont trop généraux et peuvent tout aussi bien s’appliquer à un autre pays ou à un autre revendicateur (Renteria et al. v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2006 FC 160).

 

[31]           Qu’il s’agisse de l’intérêt supérieur de l’État démocratique en cause et de la société civile en général, ou de l’intérêt individuel de la victime ou de l’auteur d’un acte criminel présumé, le versement de quelque forme que soit d’un avantage pécuniaire ou autre à un officier de police ou de justice est contraire à la loi. Bien entendu, la corruption si elle est généralisée peut, à terme, miner la confiance que peuvent avoir les citoyens envers les institutions de l’État, incluant le système judiciaire. Comme l’a déjà souligné la Cour suprême, « la démocratie au vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, au para. 67). L’application régulière de la loi et l’égalité devant la loi sont la force vitale de toute démocratie et créent chez les citoyens une expectative légitime que l’État prendra les mesures qui s’imposent pour poursuivre les criminels et les traduire en justice, et le cas échéant, pour réprimer la corruption. L’indépendance et de l’impartialité de l’appareil judiciaire et de ses composantes ne sont pas négociables. Ce sont là des valeurs fondamentales de tout État qui se veut être une véritable démocratie. Par conséquent, le degré de tolérance de l’État vis-à-vis la corruption des appareils politique ou judiciaire diminue d’autant son degré de démocratie. Ceci étant dit, je n’ai pas à décider aujourd’hui si la preuve documentaire démontre, comme le soutient avec force le demandeur, un degré de corruption tel, qu’on peut dire qu’il n’était pas déraisonnable en l’espèce pour le demandeur de ne pas s’adresser à la police de son pays avant de solliciter la protection internationale. La Commission, à cause de son expertise particulière et de sa connaissance privilégiée des conditions générales prévalant dans un pays donné, est bien mieux placée que cette Cour pour répondre à une telle question. Néanmoins, encore faut-il que cette Cour soit en mesure de comprendre le raisonnement de la Commission.

 

[32]           Or, c’est bien là que le bât blesse. En effet, le principal vice de la décision sous étude résulte du manque total d’analyse de la situation personnelle du demandeur. Il ne suffit pas non plus que la Commission fasse état, dans sa décision, du fait qu’elle a considéré toute la preuve documentaire. Un simple renvoi dans la décision au Cartable national de documentation sur le Mexique, lequel comprend un nombre impressionnant de documents, n’est pas suffisant dans les circonstances. Or, les conclusions hâtives de la Commission et les nombreuses omissions au niveau de la preuve rendent sa décision déraisonnable dans les circonstances. De plus, à cause du caractère laconique des motifs de rejet que l’on retrouve dans la décision, ceux-ci ne peuvent résister à un examen assez poussé. Par exemple, bien que la Commission ait conclu que l’article 96 de la Loi ne s’appliquait pas en l’espèce, il n’est pas clair à la lecture de ses motifs que celle-ci a véritablement analysé le risque personnel auquel ferait face le demandeur advenant son renvoi au Mexique en fonction de chacun des critères particuliers et du fardeau de preuve qui s’appliquent en vertu de l’article 97 de la Loi : voir Li, précité; Kandiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, [2005] A.C.F. no 275 (C.F.) (QL).

 

[33]           Aux fins de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, vu que sa crédibilité n’est pas remise en question dans la décision sous étude, il faut donc donner foi aux faits particuliers qui ont précipité son départ du Mexique (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 au para. 5 (C.A.F.)). Partant, la Commission ne pouvait affirmer gratuitement que si le demandeur n’avait pas eu de succès auprès de la police, il aurait pu faire appel à la CNDH et la CEDH, deux organismes s’occupant des droits de la personne. En effet, ces organisations n’ont pas pour mandat de protéger les victimes d’actes criminels, ce qui est plutôt le rôle de la police : voir Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809 au para. 44, [2002] A.C.F. no 1080 (C.F. 1re inst.) (QL); N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 107 F.T.R. 25 aux para. 44-45 (C.F. 1re inst.).

 

[34]           Bien que la Commission fasse généralement état dans sa décision du problème de corruption, elle ne tire aucune conclusion précise à ce sujet. Or, la question n’est pas tant de savoir si des recours contre des fonctionnaires corrompus existent au Mexique, mais plutôt de déterminer si, en pratique, ceux-ci sont utiles dans les circonstances. Rappelons ici que le demandeur n’est pas persécuté par un policier ou un fonctionnaire de l’État mexicain, mais par un organisateur politique qui travaille au bureau local de PRI à Mexico. Par ailleurs, la Commission ignore le fait que le demandeur n’a pas voulu adresser de plainte aux autorités de son pays à cause des représailles et que son agent persécuteur est un organisateur politique lié au PRI, tout en laissant planer un doute sur le caractère soi-disant « incriminant » des preuves concernant l’agent persécuteur. La Commission se contente de noter d’une manière sibylline que « le demandeur a dit qu’il n’a pas voulu aller présenter une dénonciation, parce que ce n’était pas nécessaire vu que toutes ces organisations sont des ordures et qu’au Mexique tout est corrompu ». De plus, en lisant attentivement les transcriptions de l’audition dans cette affaire, je constate que le commissaire n’a pas cessé d’interrompre le demandeur et ne lui a pas donné l’occasion de compléter ses explications concernant son refus de porter plainte aux autorités mexicaines.

 

[35]           Le rôle de la Commission était de faire des constats de fait et d’en parvenir à une conclusion raisonnable qui s’appuie sur la preuve, même contradictoire. En l’espèce, il est manifeste que la Commission ne tient aucunement compte d’éléments de preuve pertinents. La Commission ne peut ignorer ou écarter, sans fournir des motifs raisonnables, le contenu d’un document traitant explicitement de la protection de l’État dans une région donnée (Renteria et al., précité). Par exemple, le document Mexique : protection offerte par l’État (Décembre 2003 – Mars 2005), précité, qui a pourtant été produit à l’audition, n’est pas mentionné dans la décision. Or, ce dernier document qui émane de la Direction des recherches de la Commission, présente une vision globale et assez nuancée des mécanismes de protection disponibles au Mexique et de leur efficacité relative. Pris isolément certains passages de ce document semblent démontrer qu’il existe une certaine volonté du gouvernement actuel d’améliorer la situation, tandis que d’autres passages suggèrent que les mesures de protection sont inefficaces, du moins dans certains cas. Il en est de même d’une foule d’autres documents pertinents faisant partie du Cartable national de documentation sur le Mexique qui n’ont pas été considérés par la Commission. Il est clair que la Commission s’est livrée ici à une analyse superficielle sinon hautement sélective de la preuve documentaire.

 

[36]           Je n’ai pas à décider aujourd’hui si le Mexique est capable ou non de protéger ses ressortissants. Je n’ai pas à substituer mon jugement à celui de la Commission et à tirer des conclusions de fait particulières à partir de l’ensemble de la preuve. Il suffit de constater ici que la Commission a tout simplement choisi arbitrairement d’écarter ou de ne pas traiter d’éléments de preuve pertinents qui pourraient soutenir le point de vue du demandeur, ce qui rend sa décision révisable dans les circonstances : voir Tufino v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1690 aux para. 2-3; A.Q. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 677 aux para. 17-18, [2004] A.C.F. no 834 (C.F.) (QL); Castro v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1165 aux para. 30-34, [2005] F.C.J. No. 1923 (C.F.) (QL).

 

[37]           Toutes ces erreurs rendent la décision déraisonnable et justifient l’annulation de cette dernière et le renvoi du dossier du demandeur à la Commission pour une nouvelle audition et redétermination par un autre commissaire.

 

[38]           La présente demande doit donc être accueillie. Les procureurs n’ont proposé aucune question d’importance générale pour certification.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire, annule la décision rendue le 8 juin 2005 et retourne le dossier du demandeur à la Commission pour une nouvelle audition et redétermination par un autre commissaire. Aucune question d’importance générale ne sera certifiée par la Cour.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4106-05

 

 

INTITULÉ :                                       Cristian Marcel Vigueras Avila c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 février 2006

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 mars 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Evelyne Fiset

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Steve Bell

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Eveline Fiset

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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